Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, à Europe 1 le 31 octobre 2019, sur l'alliance entre PSA et Fiat et la croissance économique en France.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Sonia MABROUK.

SONIA MABROUK
Votre parole, forcément, est très attendue ce matin, puisqu'on parle de la création d'un futur géant automobile, via une alliance entre PSA et FIAT CHRYSLER, qui a été... la fusion en tous les cas a été actée tout à l'heure par communiqué. C'est une bonne nouvelle pour l'Etat ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça peut être une très bonne nouvelle, parce que ça crée effectivement le quatrième acteur mondial, donc ça renforce la solidité du groupe PSA. Il rentre en négociations, tout n'est pas encore fait, il faut que cette négociation soit menée à bien, mais nous, ce que nous voyons, c'est que les constructeurs français aujourd'hui ont sorti leur épingle du jeu, à un moment où vous avez une transformation de l'industrie automobile qui est majeure, non seulement l'électrification, mais également la voiture autonome, et que pour mener ces combats, il faut être gros, pour pouvoir faire des gros investissements. Et donc, là ça met potentiellement à l'abri PSA dans la compétition mondiale, et en plus on a deux acteurs très complémentaires, puisque FIAT c'est aussi CHRYSLER, donc c'est les Etats-Unis.

SONIA MABROUK
Bon. Les conséquences et les opportunités, on va en parler ce matin, parler également de l'emploi, c'est très important, mais vous nous dites, je note quand même une pointe de prudence : attention, oui, c'est acté, mais maintenant démarrent les négociations, qu'on qualifie souvent d'exclusives, entre ces deux groupes.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement, puisque nous, dans ces négociations, nous allons jouer notre rôle d'actionnaire. Ce qui est important pour nous, c'est l'empreinte industrielle en France, de PSA, c'est la gouvernance, c'est la valorisation patrimoniale de PSA, c'est le fait que PSA réaffirme sa participation au projet stratégique de batteries électriques au plan européen, et dernier point non négligeable, c'est aussi l'impact sur la chaîne des sous-traitants.

SONIA MABROUK
Alors, parlons justement de ces différents dossiers, parce qu'ils nous concernent aussi au premier chef. L'Etat français, vous l'avez rappelé, actionnaire à 12% de PSA, déjà en matière Agnès PANNIER-RUNACHER, de garantie de l'emploi, de préservation de l'emploi, le communiqué à l'instant de PSA et de FIAT CHRYSLER annonce que ce sera sans fermeture d'usines. Qu'est-ce qui le garantit aujourd'hui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui c'est leur plan produits qui permet d'affirmer cela, c'est à dire qu'ils ont une visibilité sur la construction de leurs futurs modèles, et ils savent…

SONIA MABROUK
Mais les patrons varient, parfois, malheureusement.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais, au cas d'espèce, la bonne nouvelle c'est que c'est Carlos TAVARES qui va prendre la tête des deux groupes, donc c'est lui qui porte le plan produits de PSA et c'est lui qui va porter l'ensemble des deux groupes de manière opérationnelle. Donc on peut penser qu'il y a, je dirais, de la vision dans son approche. Je veux aussi dire que Carlos TAVARES a fait un travail remarquable de remise à niveau de PSA ces dernières années, donc on peut…

SONIA MABROUK
Qui était un groupe moribond quasiment.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Qui était un groupe en grande difficulté, donc on peut se nourrir de son bilan pour prendre position.

SONIA MABROUK
Mais vous restez vigilants, c'est-à-dire que le communiqué de ces deux groupes affirme qu'il n'y aura pas de fermeture d'usine, l'Etat que vous représentez, vous dites : nous on fait attention.

AGNES PANNIER-RUNACHER
On fait attention.

SONIA MABROUK
Vous ne prenez à votre compte cette parole ce matin de non-fermeture d'usine.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est surtout qu'on regarde aussi l'impact sur l'emploi. On peut ne pas fermer d'usines, mais on peut avoir besoin de réajuster la taille des usines, ça c'est un premier point. Et le deuxième point, c'est la question de la sous-traitance en France, parce que c'est une question majeure, une question qui n'est pas uniquement liée à PSA, les transformations dans lesquelles nous sommes, la diminution par exemple de la production de diesel, va de toute façon secouer la sous-traitance automobile et on y travaille, mais on a besoin d'avoir à bord des acteurs qui nous accompagnent et qui permettent à la sous-traitance de passer ces moments difficiles.

SONIA MABROUK
Alors, on dit que ça sera un mariage entre égaux. Est-ce que c'est vraiment possible ? Est-ce que, concrètement par exemple, pour les sièges, un Conseil d'administration, est-ce qu'il y en aura autant pour PSA que pour l'Italo-américain en FIAT CHRYSLER ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que ce qui est important c'est la dynamique de la gouvernance. Dans ce type d'entreprise, vous avez aussi beaucoup indépendants, donc la répartition ne se fera pas entre les administrateurs qui auront un maillot CHRYSLER dans le dos et les administrateurs qui auront un maillot PSA.

SONIA MABROUK
Mais vous savez que c'est important, parce que vous le négociez, je sais que l'Etat est…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.

SONIA MABROUK
Donc, on dit que c'est un siège de plus pour PSA. Si j'insiste là-dessus, c'est que quand même on aurait davantage notre mot à dire dans cette fusion. Vous confirmez ce siège de plus pour le groupe ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi j'attends que la négociation débouche, j'attends aussi, parce que…

SONIA MABROUK
Mais vous souhaitez ce siège de plus, peut-être pour notre groupe, pour le groupe français.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Encore une fois, ça dépend du nombre d'indépendants. Pour avoir été dans des dynamiques de Conseils d'administration…

SONIA MABROUK
Quelle prudence, quand même !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non mais, pour avoir été dans des dynamiques de Conseils d'administration, ce qui est parfois plus important c'est de savoir sur quoi porte le regard du Conseil d'administration, quels types de projets, parce qu'il y a des projets qui sont souvent pris, les décisions sont prises par les managers et ne remontent pas au Conseil d'administration, et c'est comment fonctionnent les comités de la gouvernance, et qui est à la tête du Comité et qui nomme.

SONIA MABROUK
Oui, mais dans tout ça, Agnès PANNIER-RUNACHER, votre rôle, l'Etat, va être clair, parce qu'on n'a pas tout compris de ce qui s'est passé la fois dernière. Vous avez fait capoter quand même la fusion entre RENAULT et FIAT, là vous êtes dans une toute autre disposition et état d'esprit.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Absolument pas. On est exactement dans la même disposition.

SONIA MABROUK
Ah ben alors, ça va mal finir.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas. Mais absolument pas. On avait posé des conditions sur la table qui étaient exactement les mêmes, c'est-à-dire la gouvernance, la valorisation patrimoniale et l'empreinte industrielle. Il y avait une quatrième condition qui était le fait que NISSAN et l'alliance, que NISSAN soit totalement d'accord et que l'alliance fonctionne. Et c'est cette quatrième position qui a fait capoter le deal, je le rappelle, et c'est FIAT qui a refusé et qui a retiré son offre. Donc…

SONIA MABROUK
Agnès PANNIER-RUNACHER, ce matin, pour nos auditeurs, alors qu'on parle quand même d'un quatrième groupe automobile mondial, le patron va être Carlos TAVARES.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Très bien !

SONIA MABROUK
Ça va se situer…

AGNES PANNIER-RUNACHER
En France.

SONIA MABROUK
En France.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Très bien.

SONIA MABROUK
Bon, on a gagné sur tous les ponts, ça veut dire…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc c'est plutôt pas mal, c'est très bien même.

SONIA MABROUK
Vous avez fait piller, pour quelle raison, parce que c'est un groupe plus faible ? On ne parlerait donc pas d'une fusion d'égaux égaux alors.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas qu'on a été à la manoeuvre, ce n'est pas nous qui faisons ce projet, aujourd'hui c'est le Conseil d'administration et le management de PSA. En revanche, la posture de l'Etat, la position de l'Etat était connue et elle est je dirais droite dans ses bottes, et c'est pour ça que nous l'avons tenue avec RENAULT, et c'est pour ça qu'elle était connue de PSA, donc il savait dans quelles conditions on allait aborder le deal.

SONIA MABROUK
Donc, pour vous, c'est Super Carlos TAVARES.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc, pour nous maintenant et il faut qu'il avance. Je le redis, ce qui se passe aujourd'hui dans le marché de l'automobile, va être extrêmement difficile, on a besoin d'avoir un RENAULT et un PSA qui soient extrêmement solidaires.

SONIA MABROUK
Eh bien parlons-en, justement, parce que l'INSEE hier a indiqué que la croissance française résiste à la morosité ambiante, le PIB a progressé de 0,3 % au troisième trimestre. Voilà pour le verre à moitié plein, et le verre à moitié vide justement, c'est l'industrie qui marque le pas, puisque vous parlez de l'automobile.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, et donc…

SONIA MABROUK
Mais c'est inquiétant.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Cette croissance qui est forte en France et qui est meilleure que celle de nos pays, montre que les politiques que nous suivons au niveau français fonctionnent…

SONIA MABROUK
Quand on se compare, on se console un peu.

AGNES PANNIER-RUNACHER
On a une des meilleures croissances des pays je dirais de la vieille Europe, donc ça c'est un point très positif, mais nous ne vivons pas dans une bulle, et l'industrie est beaucoup plus internationale. Et on voit que l'industrie marque le pas en France et qu'elle marque très fortement le pas en Allemagne, et ça doit être un sujet de vigilance très clairement.

SONIA MABROUK
C'est intéressant, vous citez l'Allemagne, d'ailleurs parce que vous-même et Bruno LE MAIRE appelez l'Allemagne à faire plus d'efforts d'investissements, une politique de l'offre, et de l'autre côté à Berlin on vous dit : nicht, nicht, nous on a notre orthodoxie budgétaire.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, moi j'ai été agréablement surprise par la patronne, la nouvelle patronne de la BCE, Christine LAGARDE, qui a appelé également l'Allemagne à prendre ses responsabilités au niveau de la zone de l'Union européenne, parce que l'Allemagne et les Pays-Bas ont aujourd'hui des marges de manoeuvre budgétaires qui peuvent permettre d'investir massivement…

SONIA MABROUK
Oui, mais ils ont leur orthodoxie budgétaire qui est pour eux une règle d'airain.

AGNES PANNIER-RUNACHER
A voir. On va voir, parce que ce qui est intéressant c'est qu'en Allemagne, dans la coalition qui gouverne, vous avez deux positions qui s'affrontent, et que tout notre, je dirais, notre force de conviction est de faire en sorte que la position selon laquelle c'est le moment d'investir, moment de taux d'intérêt bas, moment où la croissance pour l'Allemagne marque très fortement le pas, eh bien peut-être qu'il faut sortir de cette loi d'airain, et certains le pensent en Allemagne, et c'est ça qui est intéressant.

SONIA MABROUK
Agnès PANNIER-RUNACHER, et nous pour conclure, pour maintenir cette petite flamme de la croissance, comment on fait avec notre contexte social, avec un blocage, peut-être même certains disent une paralysie du pays le 5 décembre, ça vous inquiète ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça m'inquiète comme tout le monde, mais moi ce que je constate c'est qu'aujourd'hui on crée de l'emploi et que la difficulté et le premier point de blocage de la croissance, c'est la difficulté à recruter. Et c'est sur ça que l'on met tous nos efforts, avec notamment la mobilisation nationale pour l'emploi. Le sujet c'est de faire en sorte que les entreprises qui sont bloquées dans leur développement, et qui ont aujourd'hui des dizaines de milliers d'emplois à pourvoir, rencontrent les chômeurs qui eux cherchent un emploi.

SONIA MABROUK
L'emploi, priorité évidemment numéro un et on revient, c'était notre sujet de départ, vous garantissez en tous les cas, vous souhaitez qu'il n'y ait aucune fermeture d'usine pour cette information aujourd'hui, de ce mariage en vue entre PSA et FIAT CHRYSLER Merci Agnès PANNIER-RUNACHER d'avoir été notre invitée ce matin, sur Europe 1.


source : Service d'information du Gouvernement, le 12 novembre 2019