Texte intégral
Q - Tout cela, on ne peut plus l'accepter sur notre planète, et notre pays doit être moteur sur ce terrain.
Dans quelle mesure, Monsieur le Ministre, envisagez-vous les choses sur ce plan ? Nos villes doivent rester habitables. On ne parle pas là des locaux saisonniers, mais il y a des quartiers entiers dans les grandes villes touristiques qui deviennent inaccessibles aux habitants de ces villes. Là aussi, probablement, des limitations et du contrôle doivent être accentués, me semble-t-il ?
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, avez-vous été stupéfait ou pas par cette décision des Pays-Bas ?
R - Ce que l'on constate, c'est que tous les pouvoirs publics sont confrontés à ce sujet mais de façon plus ou moins aigüe. Il me semble d'ailleurs que la situation en France n'est pas totalement la même qu'aux Pays-Bas ou qu'un certain nombre de villes comme Venise ou Barcelone dont vous avez dû parler.
Pour vous donner quelques chiffres, 95% des flux touristiques mondiaux sont concentrés sur 5% du territoire mondial, en France les chiffres sont différents mais tout de même impressionnants : 80% des touristes viennent sur 20% du territoire. Nous sommes donc dans une dimension où il y a plus de renvoi sur les territoires et c'est heureux, mais il faut l'accroître.
Q - C'est parce qu'il y a la Normandie, la Provence etc...
R - Oui parce que la France est une destination qui fédère des destinations et qui a cette chance. Et c'est une vraie chance d'avoir à la fois la campagne, la montagne, et la mer évidemment ; c'est donc une diversité de tourismes et de touristes que nous pouvons attirer, ce qui n'est pas forcément le cas de certaines destinations qui font l'objet de saturation. Tout cela pour dire, en paraphrasant un grand homme, le tourisme sera durable ou ne sera pas.
Nous sommes en train de réfléchir en vue de prendre des décisions très concrètes dans les prochaines semaines, le Premier ministre réunira un Conseil interministériel pour le tourisme, et d'ici-là, l'ADEME est en train de "plancher" avec tous les professionnels.
Q - Donnez-nous des exemples.
R - Très concrètement, nous avons une classification d'hôtels, vous le savez, avec les étoiles. Il y a une réflexion pour mettre en place une étoile verte pour que ces hôtels puissent aussi être classés selon le respect et un certain nombre de normes liés au développement durable. Je sais que les professionnels s'emparent eux-mêmes du sujet, parce que j'étais moi-même au congrès du GNI - un des représentants des hôteliers - qui réfléchissent au recyclage de tout ce qui sort de leur cuisine etc. Ils ne restent donc pas les deux pieds dans le même sabot.
À présent, chacun intériorise cela, on anticipe, en France, ce sujet-là pour ne pas être victimes et au pied du mur comme le sont d'autres destinations aujourd'hui.
Un élément peut-être aussi pour vous dire que l'on a raisonné en se disant que l'on veut un objectif de 100 millions de touristes en 2020. En réalité, nous avons fixé un deuxième objectif qui a mon avis doit devenir le premier, c'est de se dire que les retombées touristiques pour notre territoire quid ? Le deuxième objectif était de dire : il faut que cela génère 60 milliards d'euros de retombées économiques pour les territoires en France métropolitaine et outremer.
Q - Pour que les touristes dépensent davantage.
R - Exactement.
Q - Y a-t-il des nationalités qui sont privilégiées pour cela ?
R - C'est vrai que la clientèle du sud-est asiatique en ce moment dépense de plus en plus. Mais je pense qu'il est important que nous, qui somme un peu en arrière de la main par rapport à nos amis espagnols de ce point de vue, nous parvenions à faire augmenter le panier moyen. Pour augmenter le panier moyen, il faut faire en sorte que les gens restent plus longtemps, qu'ils puissent découvrir plus de facettes du territoire. Il faut donc parler de l'allongement du séjour, géographiquement, la France est au carrefour de l'Europe et nous avons donc beaucoup de transit. Mais notre enjeu, c'est de faire en sorte qu'ils restent plus longtemps et qu'ils dépensent de manière plus qualitative.
(...)
R - La réponse c'est les transports, et je crois qu'une des clés de la réponse c'est faire en sorte qu'on ait de plus en plus de liaisons directes vers les grandes villes secondaires françaises qui elles-mêmes sont des pôles pour toute leur région.
Alors, certes le transport aérien n'a pas toujours la cote, mais on voit que les compagnies s'engagent maintenant dans des programmes de compensation etc... Mais avoir des liaisons directes de villes secondaires chinoises vers les villes secondaires françaises est intéressant, et cela permettra de déconcentrer ces flux parce qu'il y a énormément de joyaux à découvrir soit en patrimoine, en gastronomie ou autre.
Q - Et pour revenir à la question de base, parce que les Pays-Bas disent "on a 20 millions de touristes aujourd'hui. Les projections nous font penser qu'il y en aura 29 millions dans 5 ou 10 ans. On ne veut pas de 29 millions de touristes." Est-ce que la France envisage de limiter quantitativement le nombre global de touristes ?
R - Encore une fois, je pense que l'on est dans des situations différentes et les réponses seront différentes selon les territoires. Les Pays-Bas c'est 6 fois mon département de l'Yonne. Cela veut dire qu'on imagine bien que 20 millions de personnes dans un territoire exigu posent un sujet.
La France, c'est ce pays qui a une surface que vous connaissez qui est très grande. Donc, je pense qu'on peut gérer cela différemment, avec aussi le développement de filières. Le cyclotourisme, par exemple, et Franck Louvrier le connaît bien dans la région Pays de Loire peut être une réponse et une autre expérience.
Bref, les filières se structurent et je crois qu'on a une diversité de propositions qui nous permet de vraiment faire rayonner les touristes sur l'ensemble des territoires, y compris les professionnels de la montagne par exemple, qui se réinventent parce que la saison d'hiver, on le sait avec le changement climatique, ce n'est plus à chaque fois le même succès.
Il y a donc un tourisme des quatre saisons qui se met en place sur l'ensemble du territoire.
(...)
Q - Petite question : par exemple, la ville de Saint-Paul de Vence qui voudrait faire payer l'entrée dans sa commune. Qu'en pensez-vous, Monsieur le Ministre ?
R - Encore une fois, je pense que chaque commune doit avoir sa réponse en fonction du sujet qui se pose à elle. Il n'y a pas une réponse unique. Je pense que c'est peut-être une réponse ponctuelle qui répond à une sujet, mais peut-être qu'elle ne répond pas dans d'autres cas et d'autres sites.
Q - Dans ce cas précis, elle vous paraît acceptable ?
R - Je n'ai pas regardé le cas concret, mais je pense que ce qui est important surtout c'est quand il y a ce flux, moi je le vois par exemple à Vézelay, un million de personnes qui viennent voir notre patrimoine religieux, mais hélas, 10.000 personnes seulement qui franchissent le pas du magnifique musée Zervos, pourtant juste dans la rue qui monte.
On voit bien qu'il y a aussi un sujet pour parvenir à diriger les flux vers des expériences qu'ils peuvent avoir sur ces sites "sur-sollicités".
Q - Merci, Jean-Baptiste Lemoyne, d'être venu nous répondre sur ce sujet.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2019