Interview de M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, à France Inter le 13 novembre 2019, sur la lutte contre le terrorisme, les conflits sociaux et les féminicides.

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Média : France Inter

Texte intégral

LEA SALAME
Bonjour à vous Laurent NUNEZ.

LAURENT NUNEZ
Bonjour.

LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin. 131 morts, 413 blessés, au Bataclan, aux terrasses des cafés et au Stade de France, il y a 4 ans la France subissait la plus importante attaque jamais perpétrée sur son sol depuis la Seconde Guerre mondiale. Quelques jours avant ces attentats, le juge TREVIDIC disait que la menace terroriste était à un niveau maximal jamais atteint jusqu'alors. 4 ans après, aujourd'hui donc, quel est le niveau de la menace terroriste en France ?

LAURENT NUNEZ
D'abord Léa SALAME, si vous le permettez, une pensée bien sûr, au nom du gouvernement, en mon nom personnel, pour les victimes de ce terrible attentat, victimes tuées, victimes blessées, une pensée aussi pour les policiers, parce que je veux rappeler que ce sont des policiers qui ont mis fin à ces périples meurtriers, les mêmes, d'ailleurs, qui sont injustement vilipendés par une minorité, heureusement les mêmes, et puis saluer le travail qui est effectué par tous les services de la lutte antiterroriste qui ont déjoué, je le rappelle, 60 attentats depuis la fin de l'année 2013. Pour répondre à votre question…

LEA SALAME
Et vous serez d'ailleurs dans les commémorations, vous serez présent tout à l'heure, pour commémorer leur mémoire. Quant à la menace…

LAURENT NUNEZ
Bien sûr, avec le ministre de l'Intérieur et avec la garde des Sceaux. Quant à l'état de la menace, l'état de la menace a évolué, donc effectivement cet état il reste maximal. 2015 ce sont ce qu'on appelle des attaques projetées, ce sont des individus qui proviennent de Syrie et d'Irak, et qui attaquent le territoire national, 2016 on commence à voir émerger une menace qui est plus endogène, c'est-à-dire des individus qui sont présents sur le territoire national et qui cèdent à la propagande de Daesh pour passer à l'action, ce sont les attentats terribles de 2016, avec des personnes présentes sur le territoire national et qui sont en contact avec des individus sur zone par le biais de communications directes, et qui passent à l'action. Et puis maintenant on est sur une menace endogène, d'individus qui n'ont plus forcément le lien avec l'Etat islamique, compte tenu de la déliquescence de l'Etat islamique sur zone…

LEA SALAME
C'est ce que j'allais vous dire, avec l'affaiblissement de Daesh, avec la mort de BAGHDADI et d'autres chefs de Daesh, est-ce que la menace est encore en train de muter ?

LAURENT NUNEZ
Elle mute effectivement, il y a moins de contacts directs entre ces individus qui peuvent se radicaliser sur le territoire national et passer à l'action, mais qui vont céder à la propagande de Daesh, et donc passer à l'action, c'est cette menace-là qu'on craint le plus, la menace dite endogène, qui est la plus difficile…

LEA SALAME
Parce qu'elle est plus difficile, c'est ce que j'allais vous dire.

LAURENT NUNEZ
C'est la plus difficile à détecter, parce que, parfois, la radicalisation se fait de manière expresse et il faut, à ce moment-là, être en capacité de le détecter, mais c'est ce que font, dans la majorité des cas, nos services de renseignement. Concernant les attaques projetées, donc on les juge moins probables, compte tenu de la déliquescence de l'Etat islamique…

LEA SALAME
Projetées, c'est-à-dire attaques de masse, qui viennent de l'extérieur.

LAURENT NUNEZ
C'est-à-dire d'individus qui viennent de l'extérieur, qui sont projetés sur le territoire national…

LEA SALAME
Et qui font ce qu'ils ont fait il y a 4 ans à Paris.

LAURENT NUNEZ
Voilà, qui sont projetés sur le territoire national pour commettre des attentats, vous savez qu'à la grande époque l'Etat islamique avait un service des opérations extérieures, celui-là même qui a planifié les attaques tragiques du Bataclan, des terrasses il y a 4 ans, ces attaques projetées on les juge moins probables, mais nous sommes attentifs à la dissémination, partout dans le monde, des djihadistes sur zone, pour éviter que ne se reproduisent de telles attaques.

LEA SALAME
Mais le niveau de la menace est le même qu'il y a 4 ans.

LAURENT NUNEZ
Le niveau de la menace est toujours aussi élevé, il est toujours aussi élevé, la menace elle a évolué, elle n'a plus la même forme, mais la menace est toujours aussi élevée, il faut être toujours aussi vigilant.

LEA SALAME
La Turquie a commencé à expulser des membres étrangers de Daesh qu'elle détenait, 11 français vont être expulsés, il s'agirait de 4 femmes et de 7 enfants. D'abord, est-ce que vous confirmez cela, et est-ce qu'ils sont déjà arrivés en France ?

LAURENT NUNEZ
Alors, au moment où on se parle, on a une déclaration effectivement du gouvernement turc, qui nous dit qu'un certain nombre de personnes vont être renvoyées sur le territoire national, ce serait des Français, donc les contacts sont en cours. Ce que je peux simplement dire c'est qu'on est dans un processus, ici, classique. Ce n'est pas la première fois que les auteurs turcs renvoient un certain nombre de nos ressortissants, qui soit ont été bloqués en Turquie alors qu'ils voulaient se rendre sur zone, soit ont quitté la Syrie ou l'Irak et se sont retrouvés en Turquie. On a depuis 2014 un protocole, qui s'appelle le protocole Cazeneuve, et qui fait en sorte que les Turcs nous remettent ces personnes, qui sont…

LEA SALAME
Il y en a eu qui ont été remis depuis 2014 ?

LAURENT NUNEZ
On est à près de 250 personnes, qui ont été remises dans le cadre de ce protocole, par les autorités turques, de manière sécurisée, et surtout judiciarisée, c'est-à-dire ces personnes sont prises en charge immédiatement par la justice à leur arrivée, et pour les majeurs, bien évidemment, c'est la case prison.

LEA SALAME
C'est la case prison directement ?

LAURENT NUNEZ
Oui, ce sont des individus qui sont connus, qui sont judiciarisés sur le territoire national, et qui sont donc, soit immédiatement incarcérés, soit immédiatement placés en garde à vue.

LEA SALAME
Vous ne m'avez pas répondu, est-ce que vous confirmez, 4 femmes et 7 enfants ?

LAURENT NUNEZ
Non, je ne confirme pas ces éléments pour l'instant, donc il y a des discussions qui sont en cours, il faut qu'on… voilà, les discussions sont en cours.

LEA SALAME
Et ils ne sont pas en France, ils ne sont pas arrivés en France, pour l'instant c'est une phase de discussion, c'est ça, ils n'ont pas été expulsés, ils n'arrivent pas à Orly tout à l'heure ?

LAURENT NUNEZ
Absolument, voilà. Je ne confirme ni le chiffre, je ne peux rien dire sur le profil, et voilà, je ne confirme pas à ce stade, mais nous avons une annonce du gouvernement turc, et des pourparlers, enfin des discussions sont en cours pour préparer ce retour.

LEA SALAME
Les autres Français djihadistes retenus actuellement dans les prisons kurdes, est-ce qu'ils sont toujours, est-ce que vous savez s'ils sont toujours dans les prisons kurdes, ou est-ce que les choses ont changé depuis l'offensive de la Turquie dans cette zone-là de la Syrie ?

LAURENT NUNEZ
A notre connaissance les choses n'ont pas changé, la presse s'était faite l'écho d'un certain nombre d'évasions d'un centre de rétention, puisque les femmes sont retenues dans des centres de rétention…

LEA SALAME
Qu'en est-il ?

LAURENT NUNEZ
Et les hommes sont détenus pour leur part. Les choses n'ont pas changé, ces personnes sont toujours…

LEA SALAME
Mais ils ont pu fuir ou non, ou c'était une mauvaise information de la presse ?

LAURENT NUNEZ
La grande majorité des personnes sont toujours détenues, ou retenues, et pour ce qui concerne la position du gouvernement français elle n'a pas changé, ces personnes doivent être jugées là où elles ont commis leurs crimes.

LEA SALAME
Combien de djihadistes vont sortir de prison d'ici la fin du mandat d'Emmanuel MACRON ?

LAURENT NUNEZ
Alors, quand on parle de djihadistes il faut être prudent, il y a plusieurs choses. Dans nos prisons françaises vous avez des détenus qui ont été condamnés pour des faits de terrorisme, et là on a à peu près, environ 500 personnes, et le nombre, les sorties de prison c'est environ une trentaine chaque année, jusqu'à la fin du quinquennat, ça peut 30, 40, en fonction des années, et puis on a 1000 personnes qui sont des détenus, qui sont des détenus de droit commun, et dont on a pu identifier, déceler, détecter, une radicalisation pendant leur période d'incarcération.

LEA SALAME
Est-ce que vous confirmez que vous en surveillez aujourd'hui, des djihadistes sortis de prison, que vous en surveillez 109, le chiffre qu'on a donné ce matin ?

LAURENT NUNEZ
Alors, je ne confirme jamais les chiffres, ce que je peux vous dire c'est que toutes les personnes qui ont été condamnées pour des faits de terrorisme, quand elles sortent de prison, et ça le président de la République a tenu à ce que nous mettions en place ce suivi, il y a un suivi qui est organisé par les services de renseignement, et notamment par la Direction générale de la sécurité intérieure, que j'ai dirigée, donc les personnes sont forcément suivies, et, bien évidemment, vous imaginez bien que des individus qui ont été condamnés pour des faits de terrorisme demeurent suivis pendant très longtemps.

LEA SALAME
Encore une question. Plus d'un mois après l'attaque de la Préfecture de police de Paris qui a fait 4 morts, il y a toujours des questions sur le mobile de Mickaël HARPON, le tueur, est-ce que vous diriez que c'est toujours une attaque terroriste, terroriste djihadiste, ou est-ce que vous en doutez ?

LAURENT NUNEZ
Ecoutez, le mobile, l'enquête qui est conduite par le Parquet national antiterroriste, donc par le procureur, qui s'est saisi de ce dossier, c'est pour antiterro, donc on est toujours pour l'instant sur une attaque terroriste, et c'est l'enquête qui…

LEA SALAME
Est-ce que vous avez des doutes, parce que, apparemment, selon nos informations, les informations du service police-justice de France Inter, les enquêteurs n'ont trouvé aucun lien entre Mickaël HARPON et une quelconque organisation terroriste ?

LAURENT NUNEZ
Alors, d'abord, l'enquête se déroule, moi je ne peux pas en parler, effectivement il n'y a pas forcément de lien avec une organisation terroriste, mais j'insiste, pour qu'une attaque soit terroriste, il ne faut pas forcément qu'il y ait de lien avec une organisation terroriste, ce sont les motivations de l'auteur qui importent, et pour l'instant elles ne sont pas connues, c'est l'enquête qui le dira.

LEA SALAME
Laurent NUNEZ, l'actualité de la nuit maintenant, des étudiants qui arrachent la grille du ministère de l'Enseignement, d'autres qui empêchent la tenue d'une conférence de François HOLLANDE à l'université de Lille et qui déchirent les livres de l'ancien président, la colère des étudiants est montée d'un cran, ils dénoncent leur précarité 4 jours après que l'un d'eux s'est immolé à Lyon. Est-ce que vous condamnez les violences de la nuit ?

LAURENT NUNEZ
Non, bien sûr je condamne les violences de la nuit. On peut comprendre l'émotion légitime, suite à la personne qui s'est immolée devant le CROUS de Lyon 2, donc on peut comprendre effectivement cette émotion, on peut comprendre qu'il y ait des manifestations devant les CROUS, mais les menaces de mort contre des responsables de CROUS, les dégradations physiques, l'empêchement de l'ancien président de la République, François HOLLANDE, se tenir une conférence, sont des faits qui sont totalement inacceptables. L'université c'est aussi un endroit de libre expression, et donc, bien évidemment, je condamne très fermement ces violences, et ce d'autant plus que Frédérique VIDAL a fait en sorte que tout a été fait pour que cette rentrée universitaire soit au coût le plus bas possible, des mesures ont été prises, donc bien évidemment je condamne fermement ces violences.

LEA SALAME
La révolte des étudiants c'est la surprise de la semaine, dans le cadre d'un climat social très tendu, avec la mobilisation des hôpitaux demain, et la grande grève du 5 décembre contre les retraites. Est-ce que vous craignez une convergence des luttes ?

LAURENT NUNEZ
Ecoutez, on a un certain nombre d'appels à manifester, et notamment les 16 et 17 novembre pour les 1 an des Gilets jaunes, et puis certains Gilets jaunes appellent effectivement à rejoindre les luttes, on va dire sociales, les manifestations revendicatives de début décembre, pour l'instant nous nous observons la situation de manière extrêmement sereine, sans aucune crainte particulière, mais en disant bien que la revendication elle doit s'exprimer de manière légitime, elle ne peut pas passer par la violence ou des blocages qui paralysent l'économie du pays.

LEA SALAME
Laurent NUNEZ, une femme de 40 ans est morte dans les bras de sa fille, tuée par les coups de couteau de son conjoint dimanche dernier dans le Bas-Rhin, il s'agit du 131e féminicides cette année, sa fille dit qu'elle a appelé à l'aide mais que la gendarmerie a mis 20 minutes pour arriver, alors que, elle, elle est arrivée en 3 minutes. Est-ce qu'il y a eu défaillance ?

LAURENT NUNEZ
Alors, il y a un audit qui a été engagé par l'Inspection générale de la Gendarmerie nationale, donc sur cette situation vraiment particulière, comme nous le faisons à chaque fois, à chaque fois qu'il y a un homicide dans le cadre… au sein d'un couple, nous procédons à des audits pour essayer de comprendre ce qui s'est passé. Vous savez, les policiers interviennent, les gendarmes, interviennent énormément sur des violences conjugales, pour le seul département concerné, donc qui était celui du Haut-Rhin, on a eu une dizaine d'interventions sur les 3 jours du week-end, donc ce qui est conséquent.

LEA SALAME
J'entends, ils interviennent, mais les femmes continuent à mourir. Le Grenelle des violences faites aux femmes s'est ouvert en début septembre, début septembre le chiffre morbide était de 101 femmes tuées, en 2 mois, en 2 mois, il y en a 30 qui ont été tuées. Je ne dis pas que vous pouvez tout, parce que vous ne pouvez pas tout, et notamment sur ce sujet-là, mais est-ce qu'il n'y a pas une immense impuissance ?

LAURENT NUNEZ
Non il n'y a pas d'impuissance, il y a une formation des policiers, des gendarmes, pour mieux prendre en compte ces situations, il y a des intervenants sociaux dans les commissariats, et dans cette affaire, dans cette affaire, j'insiste, il y avait une intervenante sociale qui a été mise en relation avec cette femme, il y a eu des contacts, et l'auteur était convoqué devant la justice.

LEA SALAME
Laurent NUNEZ, merci à vous et belle journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2019