Déclaration de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur les priorités de la construction européenne, à l'Assemblée nationale le 23 octobre 2019.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Merci, Madame la Présidente, merci à tous et toutes de votre intérêt pour ces débats européens qui prennent beaucoup de temps, d'énergie à tous les chefs d'Etat, de gouvernement et à leurs équipes une fois par trimestre.

Sur le principe, je ne vois aucun inconvénient à vous rencontrer avant les Conseils, sénateurs et députés ensembles. Effectivement, je fais cet exercice au Sénat. Il est tout à fait intéressant de pouvoir échanger en amont du Conseil sur les priorités que nous allons défendre, les discussions que nous allons avoir, en sachant que parfois, les débats évoluent de manière inattendue. Il faut être prêt à ce qu'avant et après le Conseil, certaines choses soient confirmées et d'autres modifiées.

Je suis heureuse d'être avec vous pour ce traditionnel rendez-vous d'après Conseil européen. Le président de la République a eu l'occasion de faire une conférence de presse très détaillée sur les échanges qu'il a pu avoir. C'était surtout la première fois que Mme Ursula Von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission, a pu participer au Conseil européen et présenter son agenda. Vous le savez, c'est un agenda dans lequel nous nous reconnaissons largement, puisque les priorités qu'elle s'est fixées reprennent des propositions que nous avons mises sur la table depuis maintenant plusieurs mois, voire plusieurs années, depuis le discours la Sorbonne.

Sa priorité absolue est de lutter contre le changement climatique, en présentant un nouveau pacte vert dans les cent premiers jours de son mandat, afin de faire de l'Europe le premier continent neutre en carbone à l'horizon 2050 et ainsi mettre toutes les politiques en cohérence avec cet objectif, que ce soient les politiques industrielles, les politiques de mobilité, la politique agricole, les fonds structurels. À notre grande satisfaction, nous avons également noté que la Présidente a mentionné un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières. Je ne sais pas s'il faut appeler cela une taxe carbone, mais en tout cas, c'est un mécanisme nous permettant de nous assurer que, lorsque nous importons certains biens - comme l'acier, l'aluminium ou le ciment - produits dans des conditions plus émettrices de CO2 que ce que nous autorisons sur nos propres sols, nous puissions ajuster les tarifs douaniers à l'entrée de manière compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et notre marché des permis carbone Emissions trading schemes (ETS) .

Ursula von der Leyen a également rappelé la priorité donnée au numérique et à ses différents aspects : fiscaux, concurrentiels, juridiques. Elle a fait valoir qu'elle ferait des propositions sur la réforme du régime d'asile, pour reprendre également des thématiques qui ont été au coeur de vos débats, ici à l'Assemblée, il y a quelques semaines, dans le cadre du débat lié à l'immigration. Elle a souligné que la Commission agirait dans un cadre géopolitique, qu'elle affirmerait sa place, et qu'elle arrêterait sa propre ligne tant en termes de politique économique que de défense.

Le deuxième sujet était le cadre financier pluriannuel. C'était la première fois que les chefs d'Etat et de gouvernement avaient une discussion de substance sur ce sujet. Ce débat suivait la discussion précédente, puisqu'une fois que les priorités sont partagées, il est opportun de se demander de quels moyens nous disposons pour les mettre en oeuvre. Pour être très honnête, à ce stade, nous connaissons les positions de nos partenaires. Elles n'ont pas changé et sont tout de même très éloignées les unes des autres, que ce soit sur le volume global, les priorités à financer, ce que certains veulent opposer entre les supposées politiques traditionnelles et les nouvelles politiques.

Le président de la République a rappelé la position française. Premièrement, nous voulons le maintien de l'enveloppe UE27 de la Politique agricole commune (PAC) et surtout, nous ne voulons pas opposer le premier et le second pilier, comme l'a initié de manière implicite, mais tout de même visible, la présidence finlandaise dans sa dernière proposition. Pourquoi ? S'il n'y a pas d'agriculteurs, je ne vois pas comment nous pouvons faire du développement rural. Si, par le premier pilier, nous n'arrivons pas à soutenir les investissements et les revenus des agriculteurs, nous aurons bien du mal à développer les territoires autour desquels ils sont censés être en activité.

Je rappelle, à toutes fins utiles, que la PAC représente 0,3% de notre richesse européenne, que nous déployons sur 80% de notre territoire. Je crois donc que nous avons encore à consentir des efforts importants. 80% de l'espace géographique européen sont des champs ou des forêts que nous exploitons. Certains nous disent que consacrer 30% ou 35% du budget européen, c'est beaucoup trop : je leur rappelle que c'est 0,3% de notre PIB européen, que nous déployons sur 80% de notre espace géographique. Pour nous alimenter en produits sains respectant nos normes et soutenant la transition écologique et environnementale, ce n'est pas très cher payé. Nous voulons également des ressources propres, dans les deux sens du terme "propre" : parce qu'elles seraient liées à une dynamique européenne, et qu'elles seraient vertueuses pour l'environnement. Ce serait par exemple une contribution sur le plastique non recyclé. Bref, c'est montrer que l'environnement est notamment ce que nous finançons, mais ce sont également des ressources que nous pouvons lever.

Nous voulons verdir le budget dans son ensemble, afin d'arriver à 40% de dépenses compatibles avec le climat, la biodiversité et l'environnement. Nous avons également vu le coût de la pollution. Le président de la République l'a dit très clairement, nous avons fait comprendre que nous ne nous exprimerions pas sur le volume, tant que nos demandes politiques ne seront pas satisfaites sur la PAC, le verdissement du budget, les ressources propres, la fin des rabais et les conditionnalités. Je crois que vous connaissez mon intérêt pour les questions budgétaires. Un budget est un outil politique, qui implique que nous ayons préalablement une idée claire de ce que nous voulons financer : il est difficile de partir d'un chiffre comme 1% ou 1,1% du RNB en pensant que c'est un chiffre magique, à partir duquel nous pourrons tout organiser. La discussion se poursuivra lors du prochain Conseil européen. Vous avez pu remarquer que le nouveau président du Conseil européen, Charles Michel, avait indiqué qu'il en faisait sa priorité. Il nous faudra un accord dans les premiers mois de 2020, afin que les acteurs puissent se préparer à partir de 2021 à mettre en oeuvre ce budget. Je ne vais pas ici vous faire de dessin.

S'agissant de l'élargissement, il a fait l'objet de longs échanges et a donné lieu à une abondante couverture de presse. Je suis heureuse de pouvoir vous dire un certain nombre de choses ici. D'abord, s'il n'y a pas eu de conclusions plus détaillées du Conseil européen, ce n'est pas faute de propositions. Plusieurs versions ont circulé, mais aucune n'a fait consensus. Il est donc difficile de parler d'un veto français. Il n'y a pas eu de vote et nous n'avons jamais été en position d'être seuls à considérer que ce qui était sur la table ne convenait pas. Certains membres du Conseil voulaient ouvrir les négociations d'adhésion pour les deux pays immédiatement. D'autres ne voulaient les ouvrir que pour la Macédoine du Nord. Le président de la République a écarté un tel scénario, car il reviendrait à abandonner d'une certaine manière l'Albanie à elle-même, quand bien même la Macédoine et l'Albanie ont entamé des réformes depuis 2018. Le troisième point est que d'autres Etats demandaient des réformes supplémentaires ou avaient des inquiétudes qui se sont exprimées au sein du Conseil. La France a défendu une ligne tout à fait crédible, pour ce qui est de l'Union européenne dans son existence et son mode de fonctionnement.

D'abord, nous avons voulu marquer un attachement renforcé et très lisible à la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux. Depuis 2000, puis le sommet de 2003 à Thessalonique, ce sont des engagements forts qui ont été pris et la perspective d'adhésion existe. Je ne crois pas qu'il soit responsable ou raisonnable de la nier. Nous avons ensuite fait un deuxième point. Il est essentiel que les réformes que nous avons demandées aux deux pays lors des conseils de juin 2018 et juin 2019 soient menées à terme, que ce soit pour le parquet spécial en Macédoine du Nord ou le système judiciaire en Albanie, qui a certes fait face à une réforme très importante, mais n'est pas fonctionnel aujourd'hui.

Le troisième point concerne une demande récurrente de la France : rénover le processus d'adhésion préalablement à l'ouverture des négociations avec ces pays. Aujourd'hui, ce processus est purement bureaucratique. Le point politique est uniquement à l'ouverture et à la fermeture des négociations, mais surtout, cela n'empêche pas les migrations massives des pays sous négociation. Les populations, les classes moyennes, les jeunes ne voient pas l'intérêt de ce processus de négociation en termes de développement économique, culturel, universitaire, social. Accueillir des pays vidés de leur capital humain et économique ne fait pas beaucoup de sens et est très paradoxal. Si c'est pour avoir une négociation, mais qu'il ne se passe rien pour les citoyens, il nous faut résoudre une forme de paradoxe. Nous avons donc fait des propositions qui ont reçu une large majorité de soutien, afin de créer un processus plus réversible, plus crédible et qui surtout, au fur et à mesure des étapes, apporte des bénéfices concrets et tangibles aux populations de ces pays.

Je pourrais également revenir sur les discussions de la réforme de l'Union européenne elle-même. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas dire que nos décisions soient rapides, efficaces et qu'à 27 ou 28, nous fonctionnions bien. Il nous semble que des négociations pourraient s'ouvrir, si ces étapes que j'ai décrites précédemment pouvaient s'ouvrir avant le printemps 2020, mais quand il s'agira de l'adhésion, d'ici là - c'est pour cela que la conférence sur l'Europe sera importance -, il faudra absolument que les règles internes de fonctionnement de l'Union européenne aient été révisées. Le président de la République l'a affirmé, la réforme du secteur bancaire est un projet de 2008 qui verra son terme en 2028. Si nous nous conformons à un système qui met vingt ans à prendre des décisions essentielles, je ne suis pas sûre que ce soit ce que les citoyens attendent de nous.

Le Brexit n'a pas fait l'objet de très longs développements au Conseil européen. Les chefs d'Etat et de gouvernement étaient dans l'optique de se dire qu'ils avaient réussi à retrouver un équilibre politique et technique visant à répondre aux principales demandes exposées par Boris Johnson, équilibre qui répondait à ce que les députés britanniques avaient identifié depuis quelques mois comme étant des points de blocage. Cet accord respectait les lignes rouges que l'Union européenne s'était elle-même fixée : la paix en Irlande, la protection du marché intérieur, l'équilibre de la relation future en matière de concurrence loyale et équilibrée. Manifestement, l'accord n'a pas été accepté samedi dernier.

Néanmoins, une étape importante a été franchie hier. C'est la première fois depuis plus de neuf mois qu'un vote positif a eu lieu sur ce sujet au Parlement, puisque les députés britanniques ont adopté à la majorité les objectifs de l'accord. En soi, c'est une étape importante. Cela signifie qu'il y a une majorité pour un deal. Nous le savons depuis longtemps, mais il était bien de le réaffirmer. Là où ils ne se sont pas mis d'accord, c'est sur la rapidité d'examen du texte. Boris Johnson souhaitait se donner toutes les chances d'obtenir une ratification avant le 31 octobre : ce ne sera pas le cas.

Qu'est-ce qui est important pour nous ? Comme en avril dernier, dans une situation proche, nous devons absolument clarifier les enjeux et les échéances pour les citoyens britanniques, mais également les citoyens européens et français. Nous savons que si nous n'avons pas de délai clair, d'échéance rapprochée, la situation peut à nouveau s'enliser. Je vous rappelle qu'en avril dernier, c'est parce que le président de la République a été très ferme que nous avons réussi à poser la date du 31 octobre. Nous avons pu faire des progrès dans les derniers jours précédant cette échéance. La question est maintenant d'obtenir une réponse claire du Parlement britannique. Veut-il ou non de cet accord ?

Une sortie sans accord, un no deal, c'est un vide juridique qui peut être pénalisant à tous points de vue. Nous devons donc, de toutes nos forces, limiter ce qui crée de l'incertitude, mine des millions de familles et d'entreprises. Si la récession industrielle sévit dans certains pays européens, c'est à cause de l'incertitude liée au Brexit. Il faut que nous en soyons conscients.

Hier était donc une étape importante, avec ce vote en faveur des objectifs de l'accord. Mais une nouvelle impasse se profile. Boris Johnson a pris la décision de suspendre l'examen du texte en cours, en attendant la décision européenne sur une nouvelle extension. Je vous le redis : il faut sortir de l'incertitude. Notre position est claire : s'il y a une extension, il faut qu'il y ait une justification. Si du temps est accordé, il faut que nous expliquions pourquoi. Si un début de ratification s'engage, il n'y a pas de problème à donner quelques jours de plus, afin que la ratification puisse se poursuivre. Si rien ne se passe, une clarification démocratique doit s'imposer. Le temps seul ne résout pas les problèmes, nous le voyons depuis des mois. Faut-il des élections, un référendum, un calendrier politique ?

Il nous faut maintenant trouver une voie de sortie. Nous avons une deuxième version de l'accord et nous devons la mettre en oeuvre sans délai, afin de faire cesser cette incertitude qui pénalise des millions d'entreprises et de citoyens.

Après mon audition devant la commission des affaires étrangères, nous avons eu des échanges sur la situation dans le nord-est de la Syrie, les forages turcs en Méditerranée, condamné les actions militaires unilatérales de la Turquie en Syrie, pris note de l'annonce par les Etats-Unis et la Turquie d'une pause dans les opérations militaires, et demandé que l'on mette une fin définitive aux opérations en cours. Conformément aux propositions du Conseil des affaires étrangères du 14 octobre, tous les pays membres ont confirmé qu'ils suspendaient les licences d'exportation d'armement vers la Turquie. Quant aux forages turcs en Méditerranée, le Conseil européen a endossé les conclusions du Conseil qui prévoyait l'adoption de mesures restrictives ciblées à l'encontre des responsables de ces forages illégaux, en réaffirmant la solidarité de l'Union européenne vis-à-vis de Chypre. C'est un point important.

Je conclurai en disant que la nouvelle Commission entrera en fonction dès le 1er décembre et qu'un échange a eu lieu entre les chefs d'Etat et de gouvernement pour retrouver la confiance et donc la capacité à agir entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen. Nous le voyons bien, un agenda stratégique, des priorités, un engagement des Etats ne peuvent pas naître si aucune coalition stable ne se fait jour au Parlement européen, permettant à la Commission d'avancer.


Q - Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup, Madame la Ministre. Sur la procédure d'adhésion des nouveaux Etats membres : n'avons-nous pas une certaine tendance à placer les chapitres les plus difficiles à la fin du processus ? Quand nous parlons d'Etat de droit, par exemple, n'aurions-nous pas intérêt à inverser les chapitres et à commencer par ce qui est le plus difficile, au lieu de commencer par ce qui est plus facile ?

R - En 2006, il y a eu une réflexion sur la révision du processus d'élargissement qui a amené en 2011 à une réforme qui s'appelait "Fondamentals first", en bon français "les fondamentaux d'abord", pour mettre justement les chapitres sur l'Etat de droit en amont du processus. C'est ce qui s'est fait avec la Serbie en 2012 et le Monténégro en 2013. C'est donc déjà organisé ainsi, mais le principe des chapitres fait que nous ouvrons et fermons des sujets, sans forcément les lier de manière thématique. Dans ce système piloté depuis Bruxelles, la population ne voyait aucun bénéfice aux réformes entreprises. J'ajoute qu'elle n'exerce pas de pression ou en tout cas ne manifeste pas spécialement d'intérêt pour les négociations portant sur les marchés publics, le recrutement des fonctionnaires, l'organisation de la justice. Ce sont certes des processus essentiels de la construction d'un Etat de droit, mais ils sont très loin du quotidien des citoyens. Il y a déjà eu des tentatives. D'ailleurs, à l'époque, la France avait été extrêmement motrice, avec les Pays-Bas et l'Allemagne, sur la réforme de 2011 qui a conduit à l'ouverture des négociations de 2012 et 2013.

Nous voyons bien, six ou sept ans après, cette frustration d'un processus lent, qui n'apporte pas sur le terrain ce que l'Europe est censée représenter. Nous devons faire autrement.

(Interventions des parlementaires)

Sur le Brexit, certains me demandaient une appréciation sur le délai présenté par le président du Conseil, d'autres s'interrogeaient sur les délais courts ou longs.

Notre position est qu'il faut que nous voyions ce qui se passe d'ici la fin de la semaine au Parlement britannique. Nous pourrons prendre une décision, si le processus de ratification s'enclenche. Si le processus de ratification s'enclenche, cela nous amènera à prendre une forme de décision qui serait plutôt une extension de quelques jours. S'il ne s'enclenche pas, il faudra qu'il y ait une discussion politique plus serrée, plus musclée. Si le processus de ratification s'enclenche dans les prochaines heures et avance, vous voyez bien que nous n'aurons pas la même position, que si ce processus ne s'enclenche pas. C'est vraiment la base de la position.

M. Bourlanges a pleinement raison lorsqu'il rappelle que le 31 janvier correspond au Benn Act. Ce n'est pas une date sortie de la tête de n'importe quel dirigeant européen. Elle est là parce qu'elle a été approuvée par le Parlement britannique. Il faut que nous soyons clairs sur la justification que nous aurions d'une telle date. Une date intermédiaire importante est celle de l'entrée en fonction de la nouvelle Commission. La date du 31 octobre proposée par le président de la République en avril dernier n'est pas une date sortie de nulle part. C'était la date qui permettait que la Commission puisse entrer en fonction sans être impactée par le Brexit.

Je crois que face au Brexit, le pire est de faire de la politique-fiction. Il faut prendre les choses de manière extrêmement calme, mais prendre les décisions qui s'imposent. Aujourd'hui, 23 octobre, y a-t-il une décision à prendre ? Non. Aujourd'hui, le Parlement a voté l'accord en deuxième lecture. Nous devons attendre de voir ce qui se passe.

Vous m'avez interrogée sur les amendements sur l'union douanière britannique. Là aussi, il faut que nous prenions un peu de recul. Il y a plein de façons d'imaginer la relation future. Ce que nous avons mis dans la déclaration politique est que nous voulions au minimum un accord de libre-échange, une forme de convergence des normes sur un certain nombre de points, ce qui veut dire un contrôle des divergences éventuelles entre nos deux blocs économiques, afin que le cas échéant, nous restreignions le libre-échange. C'est comme cela que sont signés tous les accords de libre-échange de nouvelle génération par l'Union européenne. Tant que cette négociation n'a pas commencé, beaucoup d'acteurs diront qu'ils veulent négocier plein de choses, mais il vaut mieux savoir ce que nous négocierons, au moment où nous le négocierons. L'amendement Corbin sur l'union douanière est peut-être le premier élément de la négociation future, mais il faut faire les choses par étapes. Avant de négocier le futur, il faut déjà que nous arrivions à avoir un Brexit, c'est-à-dire une sortie politique du Royaume-Uni des instances européennes. Voilà ce que je peux vous dire. Les consultations sont en cours mais la France aimerait pouvoir réfléchir à la réponse à donner à cette demande d'extension, en fonction de ce qui se passe au Parlement britannique et pas selon un scénario fiction.

Vous m'avez également interrogée sur l'élargissement et je vais essayer de faire une réponse collective. Oui, monsieur Holroyd, le sujet clé est qu'aujourd'hui, ce processus est binaire. Un jour, on dit oui et comme le dit M. Bourlanges, c'est le toboggan. À la fin, soit cela se passe bien ou cela ne se passe pas bien et cela s'appelle un enlisement permanent. Je ne crois pas qu'il faille réfléchir en termes de statut et d'institution. Aujourd'hui, nous avons un instrument qui s'appelle instrument de pré-adhésion. Il permet d'investir de l'argent européen dans ces pays, avant qu'ils ne soient membres de l'Union européenne. Cet argent est géré avec des programmes spécifiques, une espèce de comptabilité spécifique faisant que les citoyens ne voient pas bien le lien entre ce programme de pré-adhésion et leur vie quotidienne. Ce à quoi nous pensons, monsieur Bourlanges, c'est de prendre les chapitres et de les regrouper par thématiques. J'en ai six ou sept en tête. Quand vous avez achevé la négociation d'une thématique, en tant que pays, vous avez accès à une politique européenne.

Je vais vous donner un exemple, mais c'est vraiment putatif. Nous y avons réfléchi, cela a été partagé avec des pays membres. Cela intéresse et ensuite, il faut que nous voyions les détails avec la Commission européenne. Par exemple, vous avez accès à la politique agricole, puis dans une deuxième étape, vous avez par exemple accès à la politique de cohésion. Vous avez une troisième étape et vous avez accès à la politique d'innovation. Pourquoi est-ce intéressant pour la réversibilité ? Un pays candidat qui fait des réformes, connaît un changement de majorité : le nouveau gouvernement peut décider de ralentir ou d'arrêter le processus. Dans ce cas, nous avons un levier et pouvons décider de retirer le bénéfice d'une politique. L'avantage est que par ce modèle, nous pouvons avoir une entrée graduelle dans les politiques européennes, avant de rejoindre le Conseil, le Parlement européen, les institutions. Au départ, comme on dit en bon anglais, vous êtes role taker. Le pays peut participer à des réunions, des colloques, mais ne participe pas à l'édiction de la norme. C'est un fonctionnement, un processus qui change significativement la façon dont les populations vivraient les années de négociation. Pour la Serbie, le processus a débuté en 2012 et nous sommes encore très loin du but.

Q - Et institutionnellement ?

R - Institutionnellement, je crois qu'il faut garder l'idée que l'on soit en dehors ou dedans. Il peut y avoir une phase où vous prenez les normes et avez accès aux politiques européennes concrètes, comme la cohésion ou l'agriculture. Pour moi, l'avant-dernière étape est le marché intérieur et la dernière étape est de rejoindre la table du Conseil.

C'est là-dessus que nous travaillons. J'ai eu des échanges avec Johannes Hahn qui est l'actuel Commissaire à l'élargissement. Ce n'est pas quelque chose qu'il trouve aberrant. Simplement, pour les Etats européens, cela implique l'idée d'une vraie réversibilité, c'est-à-dire que des Etats peuvent aller dans un sens ou dans un autre et qu'au fond, il y a un prix à payer en cas d'inaction. C'est un modèle qui crée une forme de consensus avec nos partenaires parce qu'ils voient bien l'intérêt que cela a pour l'Europe, notamment pour faire face à la question des influences étrangères. Pourquoi y a-t-il de l'influence étrangère ? Parce que nous n'investissons rien que les populations voient comme étant tangible. Nous mettons de l'argent sur la table, mais n'allons pas au bout de nos politiques européennes qui ont été faites pour arriver jusque dans les cours de ferme, chez les élus locaux, les entreprises, les universités, etc. Aujourd'hui, nous avons un engagement budgétaire, mais il ne se traduit pas sur le terrain. C'est là-dessus qu'il faut que nous arrivions à travailler.

Vous voyez à mon ton et mon énergie que pour moi, c'est essentiel pour la crédibilité de ce que nous faisons sur l'élargissement. Le risque est que nous nous communiquions sur l'ouverture des négociations et qu'après, tout le monde rentre chez soi, en disant qu'il a fait son travail. Ce n'est pas en envoyant 6 000 questions aux gouvernements de ces pays que nous aurons arrimé économiquement, socialement et culturellement cette zone géographique qui est au coeur de l'Europe et a beaucoup de défis à relever.

Vous savez que nous avons une stratégie française dans les Balkans, que le président de la République a détaillée quand il est allé en Serbie. Elle consiste à mobiliser massivement l'Agence française de développement (AFD), afin d'avoir des prêts, des subventions, toute une politique de développement économique tangible. Avec le Premier ministre, nous étions à Poznan pour le sommet des Balkans occidentaux, avec une vraie stratégie de développement économique. La France n'est pas partie des Balkans, n'y est pas absente, mais essaie d'y investir, afin que cela bénéficie aux populations, aux entreprises, et de contribuer au développement de la région.

Monsieur Holroyd, concernant l'objectif neutralité carbone en 2050, c'était une étape intermédiaire de discussion, en vue du Conseil de décembre, où nous aurons notamment un échange sur les cibles 2030 et 2050. Nous y déciderons des efforts que nous consentons, fixerons les objectifs chiffrés que nous nous assignons, afin de savoir si la pente est crédible d'ici 2050. Si nous pensons que nous allons faire tous les efforts entre 2045 et 2050, c'est moins crédible que si nous nous donnons des horizons ambitieux pour 2030. Vous le savez, nous étions neuf pays à être réunis autour des objectifs 2050. Au Conseil européen du mois de juillet, nous avons progressé et étions 24. Aujourd'hui, nous sommes 25, puisque l'Estonie nous a rejoints. La Pologne, la Hongrie et la République tchèque n'ont pas rejoint cet objectif. Je ne crois pas qu'ils y soient opposés de manière brute, entière et non négociable. Ils posent une question tout à fait légitime. Ce sont des pays, notamment la Pologne, qui sont plus loin de la neutralité carbone que nous. Leur mix énergétique est très lié au charbon et il y a un coût social et économique très fort pour eux. Il faut que nous reconnaissions que pour eux, économiquement et socialement, il est beaucoup plus compliqué de faire cette transition vers la neutralité, que pour d'autres pays. C'est pour cela qu'Ursula Von der Leyen a proposé un fonds de transition afin de revoir comment, dans le cadre de la cohésion et du cadre financier pluriannuel, nous pouvons donner les moyens d'y parvenir à ceux qui sont loin de l'objectif.

Dans le cadre du Green New Deal, nous aurons également des objectifs présentés par la Commission, dont la neutralité carbone 2050, des objectifs pour 2030, une méthode basée sur la transversalité, par la mise en cohérence des politiques européennes dans tous les secteurs : bâtiment, transport, agriculture. Il y aura un vice-président de la Commission pour coordonner ces efforts. Ils devront se traduire par la mise en place de la banque du climat, du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, d'une feuille de route d'une économie circulaire européenne, que vous aurez bientôt à étudier ici, dans cette assemblée. Il faudra également que le marché ETS puisse couvrir de nouveaux secteurs pour améliorer la prise en compte du prix du carbone. Enfin, le budget européen devra tenir compte de ces nouvelles priorités.

Concernant les règles budgétaires et la question de la députée Karamanli, le constat partagé par tous est que c'est très compliqué, mais aujourd'hui, cela permet tout de même une certaine flexibilité. Il y a un avantage et un inconvénient à la complexité, à savoir que lorsque l'on sait la manier, on y trouve un peu d'agilité. Des travaux techniques sont en cours à la Commission, notamment sur une règle de suivi de la dépense et du rythme de croissance de la dépense qui nous semble être un indicateur qui n'est peut-être pas regardé avec autant d'intérêt qu'il devrait l'être. À nos yeux, l'urgence n'est pas d'ouvrir la boîte de Pandore ou de changer le thermomètre, mais d'approfondir d'abord la zone euro, de lui donner un budget, de soutenir l'investissement. Il y a un déficit chronique d'investissement dans les infrastructures, notamment en Allemagne. C'est également dans l'innovation, les fonds propres des entreprises, la formation. Bien sûr, cela concerne d'autres pays que l'Allemagne. Pour le respect des règles budgétaires, c'est au fond ce qu'a proposé Bruno Le Maire en faveur d'un nouveau pacte de la zone euro : un budget, de l'investissement et un respect des règles pouvant trouver leur cohérence et leur équilibre.

Monsieur Bourlanges, sur la date et les perspectives quant à la nomination d'un commissaire français, si nous visons une entrée en fonction de la Commission au 1er décembre, les choses devront s'accélérer. Il y a un portrait-robot de ce commissaire. Il faut que ce soit quelqu'un qui puisse porter le portefeuille, gagner rapidement la confiance du Parlement...

Q - C'est un deuxième portrait-robot, madame la ministre.

R - C'est le même portrait-robot : il faut un candidat capable de travailler collégialement sur tous les sujets : industrie, numérique, défense, qui sont des sujets transverses.

Q - Y a-t-il une obligation de genre ?

R - Sur l'obligation de genre, Ursula Von der Leyen et le président s'en parlent.

Gagner la confiance du Parlement est un élément clé non seulement pour l'étape de la nomination, mais surtout pour la suite. La présidente Ursula Von der Leyen mène une consultation qui s'apparente à un pacte de majorité et de responsabilité. Ce n'est pas un accord de coalition en bonne et due forme. Il faut que sur les grandes priorités qu'elle s'est fixées, elle puisse avoir un socle de soutien acté depuis le départ. Ensuite, tout le monde examinera les détails, mais vous imaginez que si chacune des propositions de la Commission fait l'objet d'un travail circulaire politique, ce n'est intéressant ni pour ceux qui siègent au Parlement ni pour les citoyens européens.

Monsieur Chassaigne, votre question sur la PAC est très légitime : vous avez exprimé des inquiétudes sur une PAC qui ne se rénoverait pas ou qui serait tellement chamboulée, que nous n'en verrions plus les contours ni ne retrouverions les principes qui sont les nôtres. Je ne commenterai pas ici le modèle agricole polonais, pour des raisons que vous comprendrez aisément. Sur ce sujet, si cela peut vous rassurer, j'étais au Parlement européen à Strasbourg, comme tous les mois. J'ai notamment rencontré des membres de la commission Agri et des membres de la commission environnement. Le Parlement européen est bien mobilisé pour s'assurer que nous ayons une PAC ambitieuse pour les agriculteurs. Je le rappelle, les terres agricoles représentent 80% de l'espace. Pour qu'un espace devienne territoire, il faut qu'il soit occupé, organisé et productif. C'est la condition pour qu'un espace devienne politique. Un espace productif est un espace où il y a des travailleurs qui peuvent vivre de leur travail, et donc des agriculteurs pouvant vivre de leurs revenus. Au Parlement européen, vous avez beaucoup de soutien, Monsieur Chassaigne. Si vous y allez, vous aurez beaucoup d'amis et d'alliés, que ce soit sur la transition en termes alimentaires, écologiques, mais également sur la subsistance et la survie d'un modèle agricole à échelle humaine, qui est le modèle français. C'est un modèle où il y a une bonne démographie agricole, avec des agriculteurs nombreux, des fermes et des exploitations de taille raisonnable. En complément, des revenus sont assurés face à des risques nombreux. Aujourd'hui, les agriculteurs sont soumis à des risques climatiques, des risques de marché et des risques de production. C'est autour de cela que la PAC doit évoluer.

Par exemple, sur le premier pilier, nous voulons avoir des schémas écologiques obligatoires. Cela veut dire que nous soutenons les revenus des agriculteurs, mais pas pour ne rien changer. Pour moi, il est important que nous ayons surtout un soutien à l'investissement. Il faut donner aux agriculteurs les moyens d'investir pour changer, assurer les nouveaux revenus. C'est dans cette direction que nous travaillons.

Je tiens à dire que c'est une bonne nouvelle d'avoir un commissaire venant d'un pays dit "ami de la PAC" faisant partie de coalitions auxquelles nous participons. Notre proposition est vraiment que nous puissions garder un système humain qui valorise les exploitations familiales. Personnellement, je me bats pour le budget, l'enveloppe, et je crois qu'il faut garder un équilibre entre le premier pilier et le deuxième pilier, mais je serais ravie d'avoir des discussions plus en détail avec vous et que vous puissiez échanger avec Didier Guillaume sur ce qu'il défend dans le règlement de la PAC, au-delà des montants dont j'ai la charge.

Concernant la Turquie, l'accord migratoire avec ce pays fonctionne, à nos yeux. Tous les Etats membres y sont attachés. Aujourd'hui, aucun Etat membre ne veut le remettre en cause. Je crois qu'il n'y a pas d'alternative non plus à court terme. Je comprends ce que vous dites sur ce que cela peut provoquer en termes de réaction, mais il n'y a pas d'alternative.

Sur les paiements liés à l'accord, il faut que nous ayons un dialogue ferme et franc avec la Turquie : les paiements que vous évoquez sont liés à des engagements concrets. Il faut bien le voir, nous soutenons également les pays voisins qui accueillent d'autres réfugiés syriens, que ce soit la Jordanie ou le Liban. L'accord que nous avons avec la Turquie est un accord qu'il faut rendre effectif. C'est pour cela que nous n'avons pas versé les trois milliards en une seule fois, qu'il y a un dialogue, mais sur ce sujet comme sur le reste, il faut absolument avoir un dialogue franc et ferme. Je ne veux pas rentrer dans un chantage, parce que ce serait donner trop de crédit à la stratégie de M. Erdogan que d'ouvrir un schéma où nous mettrions en balance un accord qui n'a pas d'alternative aujourd'hui et ouvrirait potentiellement des difficultés.

(Interventions des parlementaires)

Si vous le permettez, par amitié familiale, je vais commencer par la dernière question de M. Leclabart. Vous le savez, sur la plaine picarde, nous avons une solidarité immuable. Je suis totalement d'accord avec vous, Monsieur le Député, sur le fait qu'opposer des cultures n'est ni productif ni sain, puisque toutes les agricultures ont besoin les unes des autres. L'élevage a besoin de la production céréalière. Quand on fait un plan protéines, on parle de toutes les agricultures. Ce que vous dites sur l'agriculture de conservation et les pratiques agricoles qui peuvent permettre de réduire le bilan carbone et de faire de l'agriculture un puits de carbone, un lieu de stockage de CO2, ce sont des choses sur lesquelles la PAC cherche à intervenir aujourd'hui. Il faut que nous arrivions à montrer des exemples à beaucoup de personnes qui, au-delà de nos discussions, ne voient pas du tout de quoi nous parlons et ne voient pas comment, par une agriculture de grande culture, nous pouvons renforcer notre transition écologique et climatique.

Il est également intéressant de parler de méthanisation. C'est un autre élément permettant de boucler une agriculture circulaire. Grâce au cycle de production, les intrants des uns sont les déchets des autres. Nous arrivons donc à boucler. Je crois que les chambres d'agriculture et même des experts mènent des expériences très intéressantes dans beaucoup de nos territoires. Ce sont des choses très positives, sur lesquelles il faut renforcer nos investissements et notre pédagogie. Beaucoup de choses se font déjà, dont personne ne connaît l'existence et c'est très dommage, parce que ce sont de bonnes pratiques à soutenir. Quand je dis que la PAC doit devenir un outil d'investissement, c'est typiquement pour ce genre de choses.

Monsieur le Député, je vous remercie pour vos alertes et je ferai le lien avec les propos de Liliana Tanguy sur la pêche. Bien sûr, le Brexit crée une inquiétude légitime. Cela crée de l'incertitude et, pour moi, c'est le pire poison du Brexit. Nous sommes mobilisés à fixer des échéances courtes sur l'accord en cours de ratification, et il faut que nous laissions ce processus se poursuivre. Si un accord est appliqué, nous ouvrirons une période de transition, pendant laquelle les pêcheurs pourront continuer leur activité dans les mêmes cadres qu'aujourd'hui. Ensuite, s'ouvrira une nouvelle période, avec un accord de relations futures. Il est essentiel pour nous que l'accès aux eaux britanniques soit maintenu. Je vous rappelle que 70% à 80% de la pêche dans les eaux britanniques sont transformés en France, à Boulogne-sur-Mer. La pêche dans les eaux britanniques est massivement exportée vers l'Europe et le marché intérieur.

Dans cette affaire, nous avons non pas de la rétorsion, mais nous avons des leviers de négociation. Néanmoins, nous savons que si nous isolons la pêche de tout reste, l'Union européenne ne sera pas dans une bonne posture. C'est pour cela que nous voulons agir à 27 et en faire l'un des piliers de l'accord des relations futures, qu'il nous faudrait négocier en tant que tel. Si nous mettons la pêche à côté, cela ne fonctionnera pas.

Vous savez que nous avons tout de même pris des mesures de court terme, notamment pour le soutien, par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), par des mesures de contingence, de stabilisation, notamment sur le droit du travail, afin de négocier avec la Commission. Un conseil a été dédié à ces sujets en septembre, avec la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, l'Irlande, l'Espagne et l'Allemagne, tous les pays les plus concernés. Il faudra également que nous veillions aux questions de report de pêche. La problématique est bien identifiée. Aujourd'hui, il est difficile pour moi d'avoir un message clair, puisque le scénario et les dates d'entrée en vigueur d'un nouveau régime éventuel ne sont pas connus. Il est extrêmement important que nous puissions rassurer les pêcheurs sur le fait que nous négocierons d'une seule voix. Ce n'est pas un sujet que nous allons isoler. La mobilisation est totale, parce que nous connaissons le fait que c'est le secteur qui est le plus directement impacté dans ses activités quotidiennes.

Sur la présence du méga chalutier, je sais que Didier Guillaume a lui-même été saisi de cette question, il y a quelques semaines. Ses services d'inspection vétérinaire et de pêche cherchent à comprendre si toutes les normes européennes sont respectées, avec des pratiques très éloignées de celles que nous avons dans nos ports.

Monsieur Dumont, le président de la République a été très clair sur le projet d'une haute autorité de la transparence de la vie politique européenne. Il s'agit de pouvoir juger de la probité des responsables politiques de manière indépendante, comme nous connaissons cela en France. Dans cette pièce, nous avons tous rempli des formulaires destinés à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et répondu à leurs questions. Avec des personnes qui ont justement cette indépendance, nous mesurons l'intérêt qu'il y a à donner la situation patrimoniale, à la fois au début et à la fin de l'exercice d'une fonction publique.

Je l'ai dit récemment, le Parlement européen n'est pas un tribunal. Il faut que nous arrivions à remettre du droit là où il y a du droit et des jugements où il faut du jugement. Il ne faut pas substituer au rôle des juges celui des parlementaires. À la fois institutionnellement et politiquement, il y a là un grand risque. Je vous rassure, nous n'allons pas créer cette nouvelle autorité en deux semaines. Ce serait d'ailleurs très dangereux de le faire. Nous pourrions tous douter de la viabilité et de la solidité d'une telle organisation. Je pourrais citer beaucoup d'exemples qui viennent de pays ayant montré dans le passé que nous avons des progrès à faire sur la confiance que nous avons à générer auprès des citoyens. Il est essentiel que nous puissions avancer, que la politique fasse de la politique, que les juges rendent des jugements et que les personnes indépendantes rendent des avis indépendants sur les situations que vous décrivez.

Je crois également qu'il faut que cette autorité s'articule avec l'agence de protection des démocraties, que nous voulons mettre en place. Il s'agit d'une institution qui protégerait notamment l'information politique des manipulations, des fake news, des ingérences extérieures, notamment lors des périodes électorales. Dans beaucoup de pays, les périodes électorales sont le moment où notre souveraineté d'Européens et notre souveraineté démocratique sont mises à mal.

Monsieur le Député Michels, oui, il faut rendre la transition écologique désirable. Il faut surtout la rendre possible. Pour moi, le plus grand défi n'est pas forcément que l'Europe soit le fer de lance de l'écologie au quotidien. Elle doit surtout être le fer de lance de l'investissement, de la mobilité durable, de l'agriculture. Elle doit aider les collectivités locales à rénover leurs bâtiments. Nous parlons d'un mur de financements, mais nous avons un énorme montant d'investissement à consentir. L'Europe doit nous permettre d'innover et de faire des économies par la mutualisation des moyens. C'est pour cela que nous voulons une banque européenne du climat. C'est surtout par la norme, notamment de l'investissement privé, que nous pourrons mobiliser plus d'argent. Nous ne pourrons pas tout financer, mais vous voyez que nous travaillons sur la taxonomie et la finance durable, afin que les masses d'épargnes privées soient allouées au service de la transition. Je trouve que c'est la bonne échelle pour travailler sur ces sujets. Ensuite, vous dites que la mobilisation citoyenne est essentielle. C'est le cas. Je ne suis pas sûre que ce soit à l'Europe de le faire, que c'est davantage sur le terrain. Nous parlons de politique de cohésion et je suis certaine que nous pouvons financer des activités et des développements, mais menés par le terrain et ne partant pas de Bruxelles. Sinon, ce sera toujours un peu décalé par rapport à l'attente des citoyens.

Monsieur Herbillon, sur l'élargissement, je vous rejoins. C'est un sujet devenu à la fois épidermique, caricatural et totalement illisible, pour des raisons très différentes. C'est pour cela que nous avons eu un message fort. Je vais essayer de clarifier les positions des uns et des autres, mais depuis 2006, la France pense que les processus de négociation sont illisibles pour les citoyens européens et les citoyens des pays candidats. C'est pour cela qu'en 2011, nous avons fait une première réforme. Elle n'est pas totalement satisfaisante, vu ce qui se passe en Serbie et au Monténégro. De manière informelle, j'ai proposé le mécanisme d'accès graduel à des politiques européennes, avant de pouvoir accéder à la table du Conseil. Conceptuellement, ces idées intéressent, y compris dans les pays candidats. Les gouvernements voient bien que si nous arrivons à avoir un mécanisme qui apporte plus rapidement des effets concrets des politiques européennes dans leur pays, c'est une situation bénéfique à tous.

Quand j'ai pris la parole sur ce point, personne n'a pris le micro pour faire part de son opposition à une révision du processus. Je ne vais pas dire qu'il y a eu l'unanimité, mais une petite dizaine de pays a fortement appuyé cette proposition. Ensuite, un travail précis est à mener, dont celui sur la réversibilité. Vous avez accès à une politique, si vous continuez vos réformes ; si vous vous arrêtez, vous perdez l'accès à cette politique. Vous imaginez bien qu'il faille définir les modes de décision. Tout un travail plus fin est à faire, mais conceptuellement, cet axe est bien compris.

Sur les décisions prises au Conseil européen sur la Macédoine et l'Albanie, globalement, une dizaine de pays était prête à ouvrir les négociations d'adhésion pour un seul des pays. Trois ou quatre étaient opposés à ce que nous ouvrions pour l'Albanie. Avec le Danemark et les Pays-Bas, la France était sur des positions très similaires. Quand il s'est agi de réfléchir à un texte commun dans les couloirs du Conseil européen, sept ou huit chefs d'Etat et de Gouvernement ont essayé de réfléchir ensemble, afin de trouver une position de consensus. De ce que j'ai vu de mon travail pendant cette semaine au Conseil européen, je n'ai pas du tout vécu ce qui se lit aujourd'hui dans les journaux. Il reste que nous sommes bien l'aiguillon moteur de la réforme du processus d'élargissement, et nous avons des alliés.

Il faut que les familles politiques arrivent, justement parce qu'elles sont présentes dans tous les pays, à construire cette pédagogie dont vous parlez. Les alliés du Parti populaire européen (PPE) veulent également pouvoir expliquer à leur famille politique ce qu'est l'élargissement pour eux. Dans toutes les familles politiques, je constate que nous avons beau appartenir au même groupe, avoir des positions communes à Strasbourg ou Bruxelles, chacun revient dans son pays avec des positions totalement différentes.

De manière bienveillante, je voudrais vous dire là que oui, les gouvernements, la Commission et les institutions européennes vont travailler à rendre tout cela beaucoup plus lisible et crédible, mais je vous dis également qu'un travail supplémentaire sera à faire dans l'écosystème politique. Je vois parfois de grands écarts entre ce que les membres d'une famille politique vont dire dans leur pays et ce qui sera défendu par la même famille politique au Parlement européen. Cela contribue au sentiment de défiance et de confusion sur ce sujet.

Q - Il arrive également au gouvernement de ne pas avoir la même position à Paris qu'à Bruxelles. C'est arrivé.

R - À mon échelle, depuis que j'occupe le bureau qui est le mien, je peux vous dire que j'essaye d'être avec vous d'une transparence telle, que je dis la même chose ici, qu'à Strasbourg ou à Bruxelles.

Sur le commissaire européen, c'est une question de jours. Je ne connais pas le lieu et l'heure, mais je peux vous dire que cela va arriver, puisqu'il faudra qu'au 1er décembre, les choses se mettent en place.

Sur le Brexit, nous sommes d'accord : si le processus de ratification s'enclenche, vous ne trouverez pas dans notre pays d'homme politique à un quelconque niveau qui stopperait le processus enclenché de ratification. C'est pour cela que je vous dis qu'à la fin de la semaine, nous ferons un bilan, afin de voir où nous en sommes. Si l'on nous demande cinq jours ou dix jours de plus pour ratifier, vous imaginez bien que nous n'allons pas refuser. Maintenant, je vous répète que donner du temps sans visibilité ne peut pas être une stratégie de l'Europe. Il nous faut des justifications et un calendrier. Il faut être capable d'expliquer à nos concitoyens ce qui se passe. C'est pour cela que nous ferons le bilan à la fin de la semaine.

Monsieur Jerretie, M. Moscovici a rappelé les choses factuellement. J'ai un certain nombre de points à vous communiquer. C'est une procédure qui est la réponse à l'envoi du plan budgétaire, le 15 octobre. Avec les fonctions qui sont les siennes, Bruno Le Maire va y répondre, apporter les éclaircissements nécessaires sur le fait que nous étions sur un ajustement structurel nul, mais pas un désajustement structurel et que c'est pour nous une priorité. Les 2,2% de déficit en 2020, il faut les remettre en perspective. Cela fait tout de même longtemps que la France n'a pas réussi à ce niveau. Ce n'est pas la fin de l'histoire et vous connaissez mon regard sur ce sujet. Il est important que sur ce sujet, la Commission ait un discours de vérité sur les errances structurelles profondes que nous connaissions, le rythme et le maintien de la dépense publique, le rythme de croissance de la dépense publique, qui doit également être rapporté à notre croissance. Sur ce sujet, je crois que les éclaircissements seront convaincants.

Sur les conditionnalités, c'est intéressant, parce que vous me parlez de "la" conditionnalité. Il y en a beaucoup. Un budget est un outil politique et quand nous dépensons de l'argent, c'est politique. Sur les enjeux sociaux, nous voulons notamment pouvoir nous appuyer sur le socle des droits sociaux et le rendre d'une certaine manière incitatif. La bonne application de ce socle doit donner accès à des fonds importants. Une question juridique se pose et nous sommes en train d'y travailler très précisément. Tout est encore ouvert, mais lors du semestre européen, nous pouvons opérer des vérifications régulières.

Sur la conditionnalité relative à l'Etat de droit, les choses ont bien progressé, notamment sous la présidence finlandaise. Il n'y a pas de rejet absolu autour de la table du Conseil. Il y a des discussions sur la méthode, les critères, l'organisation, mais sur le principe, je crois que tous les pays ont compris l'intérêt d'avancer. Nous sommes assez confiants. La conditionnalité migratoire est plus complexe. Parfois, elle n'est pas très bien comprise non plus. En revanche, nous aimerions que dans le nouvel instrument de développement et de coopération interrégionale, 10 % de l'enveloppe soit destiné à ce que l'on appelle de l'aide capacitaire pour les pays. Ce serait notamment mettre en place des systèmes d'état civil, des passeports biométriques, la police aux frontières, la gestion active des frontières dans les pays avec lesquels nous avons des accords de partenariat et de développement. Cela me semble être une étape importante.

Enfin, concernant la citation de la résolution parlementaire du Parlement européen sur le CFP, elle est à prendre très au sérieux. Vous le savez, le Parlement doit dire oui ou non. Il y a des points sur lesquels il peut amender, mais quand arrive la proposition générale, c'est oui ou c'est non. Il faut intégrer dès maintenant les propositions du Parlement européen. J'ai moi-même rencontré les rapporteurs des deux groupes, à la fois PPE et socialistes, au Parlement européen, ces derniers jours, afin d'échanger sur les points de convergence que nous pourrions avoir, également sur leurs points d'alerte. Nous avons des points de convergence très forts, que ce soit sur les ressources propres, l'objectif climatique, les flexibilités, certaines priorités, notamment la biodiversité ou la jeunesse. Ce sont des négociations qui seront complexes, parce que les intérêts de chaque pays sont différents, mais je crois que le président a tracé un chemin très intéressant : cela fait budgétairement sens que nous financions les politiques actuelles avec les ressources liées aux contributions nationales et que nous financions les nouvelles politiques en mettant en place des ressources propres. Politiquement, cela peut permettre de remettre autour la table les contributeurs nets et les bénéficiaires, afin de bien montrer que c'est un effort substantiel de solidarité qui doit être financé par d'autres éléments que les seuls contribuables, les ménages et les entreprises.

Q - Madame la Ministre, vous avez apporté des précisions sur la manière dont il faudrait réviser le processus de négociation avec les Etats candidats. Au début de votre propos, vous avez dit que ces Etats avaient un destin européen. Je n'ai pas eu la réponse concernant le message livré à ces pays qui sont aujourd'hui découragés. Ils s'étaient engagés dans une dynamique, au prix de gros efforts, y compris politiques, en termes de situation interne. Qu'avez-vous à leur dire, afin qu'ils retrouvent confiance ?

R - Il est essentiel de leur dit que la perspective européenne n'est pas un leurre. La France n'est pas opposée à ce qu'un jour puissent débuter les négociations d'adhésion et qu'ils deviennent un jour des pays membres. En revanche, nous croyons qu'il faut faire les choses dans le bon ordre et les réformes que nous avons demandées en juin 2018 sont dans leur intérêt : la lutte contre la corruption, la fin des tribunaux spéciaux, la mise en place d'un système judiciaire qui fonctionne. La France n'a pas ajouté de nouvelles conditions. Il s'agit des conditions que nous avons fixées. Rappelons la perspective européenne, cherchons à avoir un processus de négociation qui est dans l'intérêt des citoyens, pour que plus rapidement, ils aient accès au bénéfice des politiques européennes.

Notre position n'est pas cynique, mais entièrement centrée sur la crédibilité. Il est dangereux pour eux et pour nous de ne pas respecter les critères que nous nous fixons nous-mêmes, sur lesquels des pays ont dit qu'ils allaient faire des réformes. J'ai vu que certains pays prévoyaient des élections, d'autres des débats intenses et qu'il y a des difficultés. C'est une étape qui montre l'importance de continuer. Il faut que les réformes nécessaires soient faites, pas parce que cela nous plaît à nous, Européens, mais parce que c'est une étape essentielle pour le développement de ces pays. Tous les efforts que la France a engagés, en détachant des personnels, des experts, du soutien administratif, nous allons les poursuivre. C'est vraiment en faisant ces réformes, que nous aidons les pays à avancer et que les négociations pourront être ouvertes.

Q - Pour rebondir sur ce que vous venez de dire sur le processus d'élargissement, si avec d'autres pays, la France estime qu'un pays comme l'Albanie n'est actuellement pas en mesure d'avoir une destinée européenne et d'être intégré au sein de l'Union européenne, pourquoi continuons-nous à vouloir exempter les ressortissants d'Albanie de visa ? Cela pose un vrai problème, notamment au niveau du traitement des demandes d'asile. Il faut être cohérent. Si la France estime que l'Albanie ne respecte pas les critères, est en retard sur le tableau de marche nécessaire pour intégrer l'Union européenne, il faut revenir sur cette libéralisation des visas.

R - Monsieur Dumont, vous avez peut-être entendu la conférence de presse du président de la République. Nous croyons que faire les choses dans le bon ordre, c'est par exemple commencer à libéraliser les visas, lorsque les pays sont en processus de négociation, plutôt qu'avant. En 2010, quand le président Sarkozy a ouvert la libéralisation de voyages sans visa depuis l'Albanie, je crois que nous étions complètement à contre-courant du processus. Aujourd'hui, nous le payons, parce que la coopération migratoire avec ce pays ne fonctionne pas. C'est bien parce que nous devons faire les choses dans le bon ordre que nous croyons que nous avons parfois mis la charrue avant les boeufs. Avec l'Albanie, nous avons la liberté de circulation, avant d'avoir la coopération judiciaire, la coopération migratoire et la coopération dans beaucoup d'autres domaines. Si nous regardons ce qui s'est passé depuis dix ans, c'était une façon très étrange de concevoir les étapes à franchir, avant de pouvoir ouvrir les négociations d'adhésion.

Q - La France est-elle prête à revenir sur cette libéralisation ?

R - C'est une décision européenne, sur laquelle il y a eu un accord avec un président de la République qui avait pourtant une vision assez stricte des questions migratoires. Aujourd'hui, nous cherchons à nous assurer d'une meilleure coopération, d'une facilité de retour, afin que les laissez-passer consulaires soient délivrés dans les plus brefs délais. Nous avons notamment échangé avec nos partenaires allemands qui ont mis en place un système avec l'Albanie, dans des conditions assez similaires à ce que nous connaissons en France, depuis quelques mois. Cela fonctionne et nous sommes en train de travailler sur le fait d'éventuellement dupliquer ce système.

Q - Vous ne revenez donc pas sur cette libéralisation.

R - Je ne peux pas revenir dessus, Monsieur Dumont.

Q - La France peut défendre cette proposition.

R - Elle peut le faire, mais quand une décision a été prise à l'unanimité, il est compliqué de revenir en arrière. Beaucoup de pays candidats aimeraient avoir une libéralisation de visas et sur ce sujet, la France défend une position très ferme.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2019