Texte intégral
Monsieur le Préfet,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le chef d'état-major de l'armée de terre,
Mesdames et messieurs les officiers généraux,
Officiers, sous-officiers, spahis du 1er régiment de spahis,
Mesdames et messieurs,
Brigadier-chef Ronan Pointeau,
La route s'étendait à perte de vue, vers l'horizon brouillé de chaleur. Dans la poussière ocre de la région de Ménaka, vous étiez, il y a quelques jours, aux côtés de vos frères d'armes, fier d'accomplir la mission qui vous était confiée : protéger les autres, escorter un convoi à bon port dans le désert.
Fidèle à votre mission, fidèle à la France, vous avez, une fois de plus, affronté avec vaillance les dangers et l'hostilité des routes maliennes.
Mais ce samedi 2 novembre, votre route s'est soudainement arrêtée alors que vous étiez frappé par un ennemi invisible, emportant vos rêves et votre avenir. Ce samedi 2 novembre, vous êtes tombé pour la France, en vous battant pour elle jusqu'au dernier souffle.
Brigadier-chef Ronan Pointeau,
Servir la France, prendre les armes pour défendre notre pays, c'était un rêve qui vous habitait depuis longtemps, une flamme qui vivait au fond de votre coeur. Votre goût prononcé pour l'action, votre envie de vivre intensément et de vous dépasser vous mène à réaliser ce rêve à tout juste 20 ans, lorsque vous vous engagez au 1er régiment de spahis.
Ce jour-là, vous avez choisi d'embrasser la France sans retenue, de faire de cette flamme qui vivait en vous un grand feu, et de toujours protéger les vôtres.
Ce jour-là, vous avez aussi choisi l'armée de Terre, l'action, la chaleur de la fraternité d'armes. Vous avez choisi les spahis, le courage et l'audace, la grandeur de leur histoire et de leur héritage auquel vous avez fait honneur.
Au quartier Bacquet, vous vous distinguez dès les premiers jours, en vous classant parmi les meilleurs de votre formation initiale. Vos chefs louent votre goût de l'effort, votre endurance et votre ténacité.
L'excellence était votre idéal. Vous avez sans cesse démontré la volonté de progresser, de vous surpasser, de mettre à profit les conseils de vos aînés ou de vos frères d'armes les plus aguerris. Lors de votre formation de tireur de précision comme lors des tests pour intégrer le peloton d'élite de votre régiment, vous faites preuve d'une détermination qui impressionne vos chefs.
Vous confirmez vos excellentes qualités militaires au Tchad, où vous êtes déployé au sein de l'opération Barkhane en février 2018. Après l'attaque du 21 février de cette même année qui coûta la vie à vos frères d'armes, l'adjudant Mougin et le maréchal des logis Dernoncourt, vous n'avez qu'un seul but : « garder au coeur une invincible ardeur » pour rejoindre le combat de vos camarades au Mali.
Vos frères d'armes sont chanceux d'avoir pu s'entraîner, combattre et vivre à vos côtés. Ce sont d'ailleurs eux, vos plus proches camarades, qui vous ont accompagné ce jour-là en patrouille. Ce sont eux, vos plus proches camarades, qui ce jour-là ont accompli leur devoir et fait tout ce qui était en leur pouvoir pour vous sauver. Ce sont eux, vos plus proches camarades qui veulent honorer la mémoire de leur ami, ici à Valence ou là-bas au Sahel, en continuant à patrouiller pour remplir la mission, comme l'aurait voulu « Pointu » : c'est ainsi qu'ils vous surnommaient affectueusement en hommage à votre sens du détail et à votre exigence.
Mais vous étiez avant tout bienveillant, sensible, doué pour épauler vos camarades, vos amis, et leur donner naturellement confiance. Confiance en vous, confiance en les autres et confiance en eux. Toujours enjoué, vous étiez un artisan de cohésion et de convivialité, le véritable ciment du groupe. Toujours le ton juste, toujours le bon mot, vous étiez attentif aux autres et doté d'une bonne humeur à toute épreuve, appréciée de tous. Appréciée de tous, bien au-delà de Valence, à tel point qu'en seulement 3 années de service, vous avez rassemblé une collection impressionnante d'insignes d'autres régiments où vous aviez lié des amitiés.
Cela tient sans aucun doute à votre générosité. Vous partagiez à coeur ouvert vos passions avec ceux que vous aimiez. Le football, le skateboard, la photographie : vous aviez le goût de transmettre et de vivre vos émotions avec les autres.
Il y avait votre vie ici, à Valence, une ville liée d'amitié à son régiment, à ses spahis. Mais il y avait aussi votre vie et votre attachement à Montpellier. Les rues de Montpellier que vous aimiez sillonner. Le quartier des Beaux-Arts, dont vous aimiez l'animation et les terrasses des cafés. Demain, le comptoir du Spot, où vous étiez connus de tous, paraîtra vide sans vous.
Mais pour ceux qui voient avec le coeur, pour vos amis et vos proches, ces endroits seront habités de votre souvenir, de ce supplément d'âme que vous donniez avec une authentique générosité. Car certains liens ne se brisent jamais. Les liens d'amitié, les liens d'amour que vous avez tissés, ni le temps, ni les épreuves ne pourront les effacer.
De votre famille, vous avez appris le sens du devoir et du service de la France, mais aussi celui de l'accueil, du sourire et du partage. C'est ainsi que le brigadier Souété, accueilli chez vous avec chaleur, mentionne avec affection "sa famille de métropole" lorsqu'il pense à vous.
"Family first", c'était une devise que vous aviez dans la peau. Avant d'être un frère d'armes, vous étiez un frère, un fils, un petit-fils et un ami fidèle sur qui l'on peut compter.
Et je veux dire à votre famille qu'elle pourra toujours compter sur nous. Elle pourra compter sur la grande famille des Armées, sur la famille du 1er régiment de spahis. Elles seront là pour vous, pour vous aider à traverser la peine et reconstruire la vie. Vous n'êtes pas seuls car la France, reconnaissante, se tiendra toujours à vos côtés.
Brigadier-chef Ronan Pointeau,
Vous incarniez le souffle de nos Armées. Ce souffle puissant, fait de passion, d'enthousiasme, et de volonté. Ce souffle qui porte "haut et fier le beau drapeau de notre France entière". Ce souffle que, j'en suis certaine, vos frères d'armes ont retenu aujourd'hui en pensant à vous, avant de repartir plus déterminés que jamais, accomplir leur mission dans le vent et la poussière du Sahel.
"Faire face", telle est la devise des spahis ; une devise qui prend tout son sens en un jour comme celui-ci.
C'est une épreuve de plus pour le 1er régiment de spahis, mais pour vous, nous allons faire face.
C'est une épreuve de plus pour la France, mais pour vous et pour les nôtres, nous allons faire face à l'ennemi dont l'acte n'a que renforcé notre détermination.
C'est une épreuve que nous surmonterons ensemble, rassemblés, unis dans la douleur mais reconnaissants. Reconnaissants envers ceux qui honorent la France de leur engagement. Reconnaissants envers ceux qui sont convaincus que la liberté vaut que l'on se batte et que l'on donne sa vie pour la défendre. Reconnaissants envers ceux qui ne reculent devant rien pour protéger les leurs.
Votre nom rejoint ceux de l'adjudant Mougin, du maréchal-des-logis Dernoncourt et de vos aînés dont le souvenir vit ici, sur cette place d'armes. Car sur ces murs, ce ne sont pas seulement les noms de courageux spahis qui sont inscrits. De la Marne à Uskub, ce sont des histoires que nous ferons toujours vivre ; des Balkans à l'Afrique, ce sont des vies de passion et d'engagement que nous continuerons de raconter ; de Paris à Strasbourg, c'est la mémoire de la grandeur de ce régiment dont nous raviverons sans cesse le souvenir.
Brigadier-chef Ronan Pointeau,
C'est aujourd'hui toute la Nation qui s'incline devant votre courage. Nous n'oublierons jamais le sens de votre engagement. Nous n'oublierons jamais la profondeur de votre dévouement. Nous n'oublierons ni la noblesse de votre humilité, ni la beauté de votre âme.
Et puisant dans la mémoire de vos gestes, de vos mots, de vos éclats de voix, nous trouverons la force de nous relever.
Sans jamais oublier ce pour quoi vous vous êtes battu, ce en quoi vous avez toujours cru, ce pourquoi vous êtes tombé.
Vive le 1er régiment de spahis,
Vive la République, vive la France.
Source https://www.defense.gouv.fr, le 20 novembre 2019