Interview de M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, à LCI le 5 novembre 2019, sur l'instauration de "quotas" fixes pour les migrations professionnelles.

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Intervenant(s) : 
  • Gabriel Attal - Secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Gabriel ATTAL.

GABRIEL ATTAL
Bonjour.

ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup d'être avec nous. Vous êtes donc chargé effectivement de la Jeunesse au gouvernement, on va en parler évidemment après ce qui s'est passé à Chanteloup-les-Vignes, il y a trois ministres qui sont attendus en ce moment même sur les lieux de l'incendie du centre culturel, mais d'abord, est-ce que vous nous confirmez l'information selon laquelle le gouvernement va annoncer l'instauration de quotas par métier pour l'immigration légale ?

GABRIEL ATTAL
Oui, c'est la décision qui a été prise à l'issue d'un travail de plusieurs mois, d'un débat au Parlement avec les différents groupes parlementaires, avec la majorité évidemment, c'est une décision qui est prise, qui sera annoncée dans un plan plus global évidemment, qui comporte d'autres séries de mesures sur la question de l'immigration, ça sera annoncé demain à l'issue d'un comité interministériel.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ce sont des quotas par métier en fonction du marché du travail, Muriel PENICAUD, sur ce plateau, il y a quelques jours, nous disait qu'effectivement, elle actualisait les métiers en tension, des quotas annuels, donc un objectif chiffré d'entrée sur le territoire français par rapport à aux besoins professionnels du marché du travail, c'est ça ?

GABRIEL ATTAL
Absolument, et surtout, une revue de ce que sont les besoins professionnels, il y a une liste de ce qu'on appelle les métiers en tension, c'est-à-dire les métiers pour lesquels les entreprises ont du mal à recruter, cette liste, elle n'a pas été actualisée depuis 2008, l'OCDE estime que seulement 15 % des métiers qui sont sur cette liste sont véritablement en tension, il y en a qui ne sont plus en tension, il y a de nouveaux métiers en tension qui ne figurent pas sur cette liste, donc l'objectif, c'est de la revoir avec les partenaires sociaux, avec les régions, c'est un travail qui va commencer, je crois, dans les prochaines semaines ; élaborer un nouvel outil statistique, définir ses besoins, et puis, l'objectif, c'est que l'année prochaine, en 2020, on fixe ces quotas après évidemment un débat au Parlement.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc, ce serait dans le cadre d'un débat parlementaire que ces quotas seraient fixés donc… ?

GABRIEL ATTAL
Oui.

ELIZABETH MARTICHOUX
Fixés par le Parlement, c'est lui qui aura la main sur les quotas annuels.

GABRIEL ATTAL
En tout cas, il y aura un débat au Parlement, je ne sais pas si ça sera fixé par le Parlement lui-même ou si ça sera un arrêté à la suite de ce débat, mais en tout cas, ça se fera après un débat démocratique au Parlement.

ELIZABETH MARTICHOUX
L'immigration économique, elle concerne une part assez mineure en fait de l'immigration légale, 11 % en 2017…

GABRIEL ATTAL
Oui, je crois que c'est 33.000, je crois, autour de ça.

ELIZABETH MARTICHOUX
Voilà, donc ça change quoi ? C'est quoi l'objectif ?

GABRIEL ATTAL
Eh bien, ça change que… mais ça change que, moi, vous savez, je me déplace plusieurs fois par semaine en province, et je rencontre systématiquement des chefs d'entreprise qui disent qu'ils ont du mal à recruter, qu'ils n'arrivent pas à recruter, à développer leur activité sur un certain nombre de métiers, évidemment face à ça, notre priorité, c'est de former les Français qui cherchent un emploi, on a mis 15 milliards d'euros pour former un million de chômeurs, un million de jeunes décrocheurs, les former à des compétences pour leur permettre de saisir ces emplois. Mais une autre solution, une autre piste, c'est aussi de fixer ces quotas, et d'avoir une immigration économique avec laquelle on travaille, c'est-à-dire qui remplit des objectifs qui sont les nôtres, et derrière ça, pour moi, il y a une idée aussi qui est importante, c'est de dire que l'immigration peut être une chance, et moi, je suis très attaché à cette idée-là, l'immigration, ça a été une chance dans notre pays, ça lui a permis de se reconstruire après des temps de guerre, ça a permis de faire venir des compétences, ça a permis de faire venir des personnes qui ont aidé à faire progresser notre pays, à faire des découvertes, à faire progresser un certain nombre d'activités, et ça doit rester une chance. Et un des éléments qui le permet, c'est cette politique de quotas.

ELIZABETH MARTICHOUX
Il a changé d'avis le président, vous vous rappelez ? Enfin, je vous le rappelle, parce que vous l'avez peut-être oublié, même si vous étiez dans la campagne évidemment, mars 2017, interview, l'hebdomadaire Réforme à l'époque, je cite : je ne crois pas, en revanche, aux politiques de quotas, parce qu'on ne sait pas les faire respecter, déciderions-nous demain d'avoir un quota de Maliens ou de Sénégalais d'un côté, d'informaticiens et de bouchers, de l'autre, comme certains le proposent, un tel dispositif serait quasiment impossible à piloter, fin de citation Emmanuel MACRON, mars 2017.

GABRIEL ATTAL
Oui, ce qu'il y a derrière cette citation, c'est que la question des quotas, elle est revenue régulièrement dans le débat démocratique, elle a été proposée, envisagée même à plusieurs reprises, et à chaque fois, je crois qu'on s'est rendu compte que c'était très compliqué à mettre en oeuvre, notamment pour l'exemple qui était cité dans la citation, des Maliens, Sénégalais…

ELIZABETH MARTICHOUX
Par nationalité…

GABRIEL ATTAL
C'est-à-dire de fixer un quota limitatif par nationalité. Et c'est vrai que, du coup, ça a, je crois, beaucoup été un frein pour envisager d'avancer dans cette direction, et le choix qui est fait, ça n'est pas d'aller dans cette direction-là, mais de s'inspirer du modèle canadien où on fixe un objectif par profession, par métier et non pas par nationalité, et c'est vrai qu'il y avait cette citation et ce doute sur la capacité à le faire, mais ça montre bien que le débat sur l'immigration qu'on a organisé et cet exercice démocratique de mettre ce sujet au Parlement et de permettre aux parlementaires et à la représentation nationale de contribuer, ça montre bien qu'il est utile et qu'on prend en compte…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous nous dites : ça montre bien que le président écoute le Parlement, ça montre bien qu'il ne décide pas tout seul…

GABRIEL ATTAL
Oui, c'est aussi une démonstration de l'acte 2…

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça montre bien aussi que c'est un président de droite, c'est une proposition de droite…

GABRIEL ATTAL
Mais enfin, moi, vous savez…

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que c'est une proposition de droite ?

GABRIEL ATTAL
Eh bien, moi, je discute avec beaucoup de gens, beaucoup de Français, je regarde aussi les études d'opinion, et ce dont je me rends compte, c'est que quand on dit qu'on veut être à la fois efficace et humain en matière d'immigration, je n'ai pas le sentiment que ça polarise beaucoup entre la gauche et la droite. Les Français, dans leur majorité, le sentiment que j'ai, c'est qu'ils veulent qu'on soit efficace et humain, qu'on respecte nos valeurs, qu'on respecte les valeurs qui ont toujours été celles de la France, et en même temps, qu'on soit clairs sur nos objectifs et clair sur notre manière de les appliquer, et c'est ça qui va être annoncé demain, c'est une série de mesures qui permettent de répondre à ces enjeux.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc pour finir sur ce sujet, vous nous confirmez l'instauration de quotas qui seront discutés au Parlement, tous les ans, de quotas par métier, donc un nombre fixe, par exemple, on a besoin de 400 ingénieurs pour la France…

GABRIEL ATTAL
L'objectif, oui, des carrossiers automobiles, voilà, des métiers qui sont en tension aujourd'hui…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et ensuite, la nationalité, peu importe, l'important, c'est le diplôme, et à partir de 403, ferme le robinet ?

GABRIEL ATTAL
On transmet ses objectifs aux autorités consulaires, parce que l'objectif, c'est aussi d'aller chercher des compétences, on transmet ses objectifs aux préfets, et effectivement, une fois qu'ils sont en atteints, on considère qu'ils sont…

ELIZABETH MARTICHOUX
On ferme le robinet ?

GABRIEL ATTAL
Oui.

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord. Des quotas annuels. C'est un tabou qui tombe en France, puisque ça a longtemps été, comme vous l'avez dit, discuté, et jamais mis en oeuvre, ce sera annoncé demain par Edouard PHILIPPE…

GABRIEL ATTAL
Edouard PHILIPPE, à l'issue…

ELIZABETH MARTICHOUX
Dans le cadre d'un plan plus large sur l'immigration ?

GABRIEL ATTAL
Un comité interministériel qui réunit des ministres qui travaillent sur ces questions-là, il y aura plusieurs mesures sur différents sujets, sur cette question l'immigration économique, et probablement aussi sur d'autres.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et notamment l'idée aussi en tout cas de limiter l'accès aux soins pour les personnes qui sont en situation irrégulière en France.

GABRIEL ATTAL
Alors, là-dessus, notre objectif, il est très clair, on l'a dit, notre principe, ça n'est pas de limiter l'accès aux soins, c'est de prévenir des dérives et des abus, c'est qu'on est attaché à ce que toute personne qui est dans une situation grave…

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc au final, on limite l'accès à certains soins, notamment l'instauration, pardon, d'un délai de carence effectivement pour les demandeurs d'asile, c'est dans les tuyaux, vous pouvez nous le confirmez ce matin ?

GABRIEL ATTAL
Alors, moi, je ne peux rien vous confirmer, parce que le Premier ministre va l'annoncer demain…

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord, mais c'est dans les tuyaux, vous laissez la main au Premier ministre pour le confirmer ou pas. Les associations sont très inquiètes, vous allez – disent-elles – encore ajouter à la précarité des demandeurs d'asile en France, ils arrivent, ils sont pour beaucoup épuisés après des périples qui sont extrêmement pénibles, et pendant trois mois, ils n'auront pas accès à des soins.

GABRIEL ATTAL
Non, alors, je ne crois pas du tout que c'est vers ça qu'on aille, l'idée, si cette mesure venait à être confirmée, ce n'est pas de dire que pendant trois mois, il n'y a accès à aucun soin, ça veut dire qu'aujourd'hui, quand vous êtes demandeur d'asile, vous accédez immédiatement à la protection universelle maladie, c'est-à-dire le droit commun de tous les Français pour l'accès aux soins, et qu'il y a des abus qui ont été identifiés, il y a des rapports qui ont été remis, je crois qu'un rapport doit être remis aujourd'hui ou demain sur ces sujets et sur celui de l'aide médicale d'Etat, et que si on veut préserver notre modèle qui consiste à dire que, précisément, quand vous arrivez en France, que vous avez vécu une situation très difficile, que vous êtes en situation de détresse, que vous avez des graves problèmes de santé, si on veut continuer à dire que vous pouvez être soigné, il faut prévenir et limiter les abus qui dévoient ces…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous nous dites, ce n'est pas ça l'intention, est-ce que ce ne sera pas ça la conséquence ?

GABRIEL ATTAL
Je ne crois pas…

ELIZABETH MARTICHOUX
Gabriel ATTAL, forcément, si pendant trois mois, les personnes n'ont pas accès aux soins, sauf en cas d'urgence absolue, évidemment…

GABRIEL ATTAL
Mais encore une fois, l'objectif et si cette mesure venait à être confirmée, ça ne reviendrait pas…

ELIZABETH MARTICHOUX
Délai de carence, ça veut dire pas d'accès…

GABRIEL ATTAL
Pour l'accès à la protection universelle maladie, et pas pour l'accès à des soins, les soins urgents, l'aide médicale d'Etat, on parle de la protection universelle maladie, c'est-à-dire d'un régime de Sécurité sociale, qui est le régime de Sécurité sociale de droit commun.

ELIZABETH MARTICHOUX
Gabriel ATTAL, trois ministres sont en passe d'arriver à Chanteloup-les-Vignes, sur le lieu d'un centre culturel, ils sont arrivés d'ailleurs, regardez, on peut voir l'image, Julien DENORMANDIE, Christophe CASTANER, Nicole BELLOUBET sur place, donc c'est après ces incidents ou ces… comment vous les qualifiez d'ailleurs ?

GABRIEL ATTAL
Inadmissibles, insupportables, inacceptables…

ELIZABETH MARTICHOUX
Imbéciles ?

GABRIEL ATTAL
Imbéciles évidemment ! On ne peut pas considérer que ça soit…

ELIZABETH MARTICHOUX
Des jeunes imbéciles, est-ce que la formule utilisée par Edouard PHILIPPE, elle a choqué, notamment les forces de l'ordre, sur place, c'était un peu léger ?

GABRIEL ATTAL
Est-ce qu'on considère que c'est intelligent d'avoir fait ça ? Non, donc c'était imbécile, c'était inacceptable, il ne peut pas y avoir de doutes sur notre fermeté et sur notre capacité à condamner ces actions et chercher à punir ceux qui en sont les auteurs…

ELIZABETH MARTICHOUX
Ce n'était pas la bonne qualification pour la première prise de parole du Premier ministre sur ce sujet…

ELIZABETH MARTICHOUX
Moi, je pense que c'est une bonne qualification de dire que ce sont des actes imbéciles et inacceptables, encore une fois, l'inverse serait assez étonnant…

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc imbéciles et criminels, vous ne trouvez pas qu'il y a une distorsion quand même, une sorte de décalage de vocabulaire, là, qui peut laisser entendre un petit décalage dans la prise en compte de la gravité ?

GABRIEL ATTAL
Moi, personnellement, les débats de sémantique, je trouve que, souvent, ils nous font perdre un peu de temps, l'enjeu, c'est quoi, c'est de dire que c'est inacceptable, que c'est condamnable, que ce sera condamné, que les auteurs seront retrouvés et qu'ils seront punis, un autre enjeu pour moi important, c'est aussi de dire que ça ne résume pas ce qu'est la jeunesse, que ça n'incarne pas la jeunesse, ni la jeunesse de France, d'une manière générale, ni la jeunesse de certains quartiers, moi, encore une fois, je vous l'ai dit, je me déplace énormément, je rencontre des jeunes qui ont envie de s'en sortir qui ont envie de se construire une vie, une famille, de trouver un emploi, de se former, et ça, ce qu'on a vu, ça n'incarne pas ce qu'est la jeunesse aujourd'hui en France.

ELIZABETH MARTICHOUX
Une jeunesse sur laquelle vous avez des mea-culpa, la maire qu'on entendait à l'instant d'ailleurs s'exprimer, madame ARENOU, a dit : on n'a jamais essayé de trouver un moyen de les accompagner dans leur réussite, ces jeunes…

GABRIEL ATTAL
Mais c'est le sens de notre action, c'est-à-dire que…

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais là, pour l'instant, elle dit : on n'a jamais essayé de trouver un moyen, donc elle, elle acte le fait que ça n'est pas fait.

GABRIEL ATTAL
Oui, en même temps, je pense que quand on l'interroge sur ce qui est fait en matière scolaire à Chanteloup, comme dans les territoires difficiles, c'est-à-dire de dédoubler les classes en CP et en CE1, je pense que si on l'interroge, elle voit très bien l'impact que ça a sur les enfants de son territoire, d'ailleurs, des évaluations ont été publiées très récemment sur le sujet qui montrent que ça fonctionne, et quand vous voulez changer les inégalités de destin, quand vous voulez permettre aux jeunes de s'émanciper, c'est-à-dire de sortir de leur condition sociale, de mesurer qu'ils ont les mêmes chances que les autres et qu'ils ont les mêmes possibilités que les autres de réussir, eh bien, forcément, ça prend un peu de temps, c'est des réformes de fond, des réformes structurelles qu'on a engagées, ce qu'on fait aussi sur l'accès à l'emploi, sur la formation des jeunes, encore une fois, 15 milliards d'euros pour former à des compétences, ça vise à cet objectif…

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais vous vous souvenez de l'appel des maires, il y a deux ans et demi, des maires de banlieue, ils ont été reçus ensuite par Emmanuel MACRON qui avait fait ou pas fait des annonces, en tout cas, à l'époque, il avait annoncé des mesures qui ont été précisées. Ces maires-là, ils le disent aujourd'hui, le désarroi est le même dans les quartiers…

GABRIEL ATTAL
Mais, il y a un désarroi qui date de plusieurs décennies dans les quartiers, j'entendais d'ailleurs le précédent maire de Chanteloup, je crois, sur votre antenne, sur LCI hier qui a été maire pendant 25 ans. Il expliquait bien, je crois, que c'est un désarroi qui dure depuis plusieurs décennies, il disait aussi d'ailleurs qu'il y a quelques années, peut-être dix ans, ça aurait été sans doute 400 jeunes émeutiers qui auraient commis ces actions, et évidemment, on cherche à y répondre, évidemment, ça prend du temps, vous parliez des mesures qu'avait annoncées Emmanuel MACRON. Moi, quand je me déplace, je me rends compte que ces mesures, elles sont devenues concrètes, elles commencent à devenir très concrètes, il avait annoncé notamment qu'on allait mettre en place une banque pour permettre aux enfants de 3ème de ces territoires d'accéder à des stages de 3ème, parce que c'est une inégalité énorme…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et il y en a combien ?

GABRIEL ATTAL
30.000, on a mis en place une bande de 30.000 stages pour des jeunes qui sont dans des territoires où, avant, c'était ce qu'on appelle le stage kebab, c'est-à-dire le stage au commerce en bas de la rue, parce que contrairement à des jeunes qui ont du réseau, qui vivent dans un territoire mieux doté…

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'il y a 30.000 jeunes aujourd'hui qui ont bénéficié de cette banque de stages ?

GABRIEL ATTAL
Oui.

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord. Donc ça, c'est déjà effectivement une mesure qui a été prise, effectuée…

GABRIEL ATTAL
Qui est très concrète…

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'on peut réécouter ensemble une déclaration qui avait beaucoup marqué, que vous n'avez forcément pas oubliée, celle de Gérard COLLOMB, quand il a quitté le ministère, place Beauvau.

GERARD COLLOMB, ANCIEN MINISTRE DE L'INTERIEUR
On vit côte à côte, et, je le dis toujours, moi, je crains que demain, on vive face-à-face, la situation est très dégradée, parce que, oui, aujourd'hui, c'est plutôt la loi du plus fort qui s'impose des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République.

ELIZABETH MARTICHOUX
Gérard COLLOMB, il avait vu juste hélas ?

GABRIEL ATTAL
Mais moi, je suis totalement d'accord avec lui, je l'étais, à l'époque, sur le risque qu'on vive côte-à-côte et face-à-face, et je suis en charge notamment au gouvernement du service national universel, qui vise précisément à répondre à ce constat qui a été fait par Emmanuel MACRON dès l'élection présidentielle, oui, on vit trop souvent côte-à-côte en France, oui, notamment chez les jeunes, il y a une assignation à résidence qui fait que…

ELIZABETH MARTICHOUX
On vit côte à côte, le risque, c'est de vivre face-à-face…

GABRIEL ATTAL
Oui, c'est un risque, mais c'est pour ça qu'on agit…

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais de ne pas savoir prévenir ce face-à-face qui s'instaure, dit-il, entre des communautés, entre des trafiquants et des résidents, voilà, c'est ça qu'il et il le disait, ça se dégrade.

GABRIEL ATTAL
Mais c'est pour ça qu'on agit, vous savez, sur les narcotrafiquants, par exemple, sur la question des stups que vous évoquiez, on a présenté, le gouvernement, un plan extrêmement complet, extrêmement fort, il y a quelques semaines…

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, pourquoi l'autorité de l'Etat – pardon – Gabriel ATTAL… je comprends bien que vous défendiez la politique du gouvernement…

GABRIEL ATTAL
Non, ce que je veux dire, c'est que je veux aussi expliquer que ce qui se passe, c'est peut-être aussi une conséquence de notre action qui porte ses fruits…

ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que vous dérangez l'ordre établi ?

GABRIEL ATTAL
Eh bien, bien sûr, évidemment, on dérange l'ordre établi quand on lutte contre les stupéfiants.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ce serait la preuve de votre efficacité.

GABRIEL ATTAL
Mais, en tout cas, on a engagé une lutte résolue contre le trafic de drogue, notamment dans les quartiers. Elle porte ses fruits, et évidemment ça dérange un certain nombre de dealers, un certain nombre de réseaux. Evidemment que c'est une réalité.

ELIZABETH MARTICHOUX
Comment voulez-vous que les forces de l'ordre qui vous entendent, et qui sont sur place, et qui subissent cet ordre établi dans les quartiers, comprennent ce que vous dites ? Parce que, elles, elles ne le vivent pas comme une espèce de réussite, si vous voulez, comme preuve de la réussite d'une politique, quand l'autorité de l'Etat est à ce point défiée.

GABRIEL ATTAL
Oui, et c'est pour ça qu'on renforce aussi leurs moyens dans ces territoires. On crée 10 000 postes de forces de l'ordre en France, on a identifié 60 quartiers qu'on a appelés de reconquête républicaine. Reconquête républicaine c'est un mot très fort, ça répond encore une fois à ce que disait aussi Gérard COLLOMB. La République c'est quoi ? C'est le même droit commun pour tous, sur tous les territoires, il ne faut pas qu'il y ait de zones de non-droit en France. 60 quartiers de reconquête républicaine, on crée 1 200 postes de forces de l'ordre, fléchés sur ces quartiers, précisément pour épauler les forces de l'ordre qui font face…

ELIZABETH MARTICHOUX
Encore un mot là-dessus par exemple, sur votre politique. Quand vous diminuez d'emblée les emplois aidés. Les emplois aidés ils ne sont pas dans les quartiers riches, les emplois aidés ils aident précisément dans les quartiers défavorisés. Bon, eh bien, est-ce que ça, ça n'a pas accéléré la dégradation dont parlait Gérard COLLOMB ?

GABRIEL ATTAL
Moi je ne crois pas, moi j'assume totalement la décision qui a été prise sur les emplois aidés. Les emplois aidés, sur le papier ils avaient vocation à insérer dans l'emploi des personnes qui étaient bénéficiaires de ces contrats.

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais vous n'avez peut-être pas vu les conséquences sur le terrain.

GABRIEL ATTAL
Et de qu'on voyait, c'est qu'évidemment ça arrivait, et heureusement, que certains effectivement s'insèrent ensuite dans l'emploi. Mais dont la grande majorité, ce n'était pas le cas, et la précarisation elle se maintenait plusieurs années ensuite, et donc le travail qu'on a fait c'est de dire : on passe de ces emplois aidés à des parcours emplois compétences qui visent vraiment à insérer dans l'emploi, à former les bénéficiaires. Pour moi il est totalement légitime. Encore une fois, si on veut régler la difficulté qu'il y a dans certains territoires, le sentiment qu'ont des Français d'habiter dans le même pays que les autres mais de pas vivre le même pays que les autres, eh bien il faut les aider à trouver un emploi durable, à pouvoir avant les conditions de fonder une famille, de s'émanciper, de s'autonomiser, et ça, ça passe par des mesures beaucoup plus fortes.

ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a un an débutait, ou presque, le mouvement des Gilets jaunes, on voit arriver à cet anniversaire. Est-ce que vous trouvez que le climat est bon en France, un an après ?

GABRIEL ATTAL
Le climat reste évidemment tendu. Il y a eu en mouvement des Gilets Jaunes qui était le couvercle d'une cocotte-minute qui bouillait depuis plusieurs dizaines d'années, qui a sauté, et évidemment ça a été extrêmement fort, extrêmement violent.

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais aujourd'hui, vous la voyez venir la convergence ? Est-ce que vous la voyez venir la convergence ?

GABRIEL ATTAL
La convergence de quoi ?

ELIZABETH MARTICHOUX
Entre l'appel à la grève générale de la CGT le 5 décembre, et les Gilets jaunes ?

GABRIEL ATTAL
Moi, écoutez, je souhaite évidemment que le travail qu'on mène, notamment sur la question de la réforme des retraites, avec les partenaires sociaux, avec les Français, qui incarnent ce qui est l'acte 2 de ce quinquennat, qui est une suite directe de ce qui a été le mouvement des Gilets jaunes est le Grand débat national, eh bien je souhaite qu'il porte ses fruits et qu'il permette de pacifier le climat dans le pays, évidemment. Il faut continuer à réformer, c'est pour ça qu'on a été élus, e c'est ce que les Français attendent.

ELIZABETH MARTICHOUX
La France se sent abandonnée, a dit par exemple Ségolène ROYAL, qui lance une offensive, là, ces derniers jours, dans les médias. Elle se sent abandonnée, c'est son modèle français, et elle pense à la réforme des retraites qu'on attaque.

GABRIEL ATTAL
Moi, j'ai beaucoup de respect pour Ségolène ROYAL, et j'écoute toujours avec beaucoup d'attention ce qu'elle dit, mais j'avoue que ça devient difficile de suivre.

ELIZABETH MARTICHOUX
Pourquoi ?

GABRIEL ATTAL
Bon, il y a quelques semaines, elle ne tarissait pas d'éloges sur la politique du gouvernement, et aujourd'hui elle explique que tout va mal. Il y a quelques semaines elle expliquait qu'il fallait, je cite, réprimer un mouvement pour le climat, et aujourd'hui elle parle de brutalités contre les mouvements sociaux. Ça devient assez difficile de suivre. Je pense que l'important c'est ce qu'on fait, et ce qu'on fait c'est tenir compte de ce qui s'est passé dans le pays précisément avec le mouvement des Gilets jaunes. Et vous parliez de la poursuite d'inquiétudes, de doutes, de critiques de la part de personnes qui se sont mobilisées dans le mouvement des Gilets jaunes. Moi, il y a un élément sur lequel je trouve on insiste trop peu, c'est ce qu'on a mis en place, la Convention citoyenne sur le climat. Il y a 150 Français…

ELIZABETH MARTICHOUX
150 personnes tirées au sort.

GABRIEL ATTAL
Oui, tirées au sort et qui se réunissent le week-end, au Haut Conseil économique social et environnemental, ils sont représentatifs des Français. Ils ont été tirés au sort et ils vont faire des propositions qui seront sur le bureau des Assemblées, sur la table du gouvernement…

ELIZABETH MARTICHOUX
On en parlera à ce moment-là, Gabriel ATTAL, pour l'instant ils travaillent à bas-bruit, dans le silence du Conseil économique et social.

GABRIEL ATTAL
Oui, mais je trouve ça important de montrer que 150 Français tirés au sort, sont en train de travailler et de faire des propositions qui répondent précisément à ce qui a été exprimé dans le mouvement des Gilets jaunes.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc vous dites aux Français : attendez, attendez les mesures, elles vont venir, par exemple sur le climat, avant de protester ?

GABRIEL ATTAL
Non, ce que je leur dis c'est qu'on a installé une nouvelle méthode qui vise précisément à tenir compte de ce qui a été exprimé dans le pays, et il faut en tenir compte. On peut évidemment faire part d'inquiétudes, de critiques, de doutes, mais il faut tenir compte aussi de cette nouvelle donne en termes de dialogue social et de dialogue démocratique.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous trouvez qu'il y a une forme d'injustice à l'égard du gouvernement aujourd'hui ?

GABRIEL ATTAL
Je ne dirais pas ça, par définition à toutes les critiques contre l'action du gouvernement doivent être entendues et ont une légitimité. Donc par principe dans la démocratie, c'est le principe de notre République et…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous êtes serein Gabriel ATTAL, 2 ans et demi de gouvernement, des conflits qui se multiplient, des fronts qui sont très chauds, sociaux, sécuritaires, identitaires, vous êtes serein ?

GABRIEL ATTAL
Celles et ceux qui se sont engagés avec Emmanuel MACRON dès le premier jour, dont je fais partie, n'ont jamais imaginé une seule seconde que ce serait facile.

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, d'accord, mais ça c'est la formule…

GABRIEL ATTAL
Non, ce n'est pas une formule, c'est la réalité, je veux dire, personne…

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais votre sentiment, vous, de jeune ministre ?

GABRIEL ATTAL
Mais moi, mon sentiment c'est qu'en tenant sur notre objectif qui est de transformer le pays, précisément pour répondre à ce que vous évoquiez tout à l'heure sur le fait qu'il y a des Français qui ont le sentiment de ne pas vivre la même, dans le même pays que les autres, qui habitent dans un pays, mais qui ne vivent pas la même réalité, eh bien il faut qu'on continue ce mouvement pour répondre à ces inquiétudes, à ces angoisses, et il faut pour cela adapter notre méthode, c'est ce qu'on fait à ce qui s'est exprimé dans le pays. On a trop donné le sentiment qu'on réformait, peut-être contre les Français, et ce qu'on veut aujourd'hui c'est réformer avec eux, et c'est-ce qu'on met en oeuvre au quotidien.

ELIZABETH MARTICHOUX
On n'est plus contre, on est avec les Français. Merci beaucoup Gabriel ATTAL d'avoir été ce matin sur LCI.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 novembre 2019