Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à BFM Business le 20 novembre 2019, sur le tourisme en France, les tensions commerciales internationales et le futur accord commercial entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

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Média : BFM

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Hedwige CHEVRILLON, c'est l'heure de retrouver votre invité, Jean-Baptiste LEMOYNE, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.

HEDWIGE CHEVRILLON
Merci, bonjour Jean-Baptiste LEMOYNE.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour.

HEDWIGE CHEVRILLON
Merci d'être avec nous, vous êtes surtout en charge du Commerce et du Tourisme, donc c'est un point important, surtout qu'il y a les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis, c'est un feuilleton sans fin, on pensait qu'on allait vers peut-être une forme d'issue, en l'occurrence on n'y va pas. On va y revenir mais peut-être d'abord, puisqu'hier vous étiez devant le Congrès annuel de l'Union des métiers et des industries hôtelières, un peu le temps, on est quasiment fin novembre, si on pouvait faire un bilan de cette année jaune, avec les Gilets jaunes, mouvement de contestation encore le week-end dernier, le 5 décembre, forcément un impact sur le tourisme.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors écoutez, c'est une année 2019 qui effectivement avait commencé avec quelques nuages, on se souvient effectivement du phénomène Gilets jaunes, et du coup des images terribles qui avaient été véhiculées dans le monde entier. Nous avons fait un gros travail avec Atout France, avec la destination, avec nos ambassadeurs dans les grands pays émetteurs de touristes internationaux, et au total on a une année qui se présente bien. Ce que je peux vous dire d'ores et déjà en termes de chiffres, c'est que sur le premier semestre 2019, nous avons 500 millions d'euros de recettes supplémentaires générées par les touristes. Ça veut dire que nous allons, je l'espère, dépasser le record qui était celui de l'année dernière. En termes de fréquentation, on l'a vu, les ailes de saison, comme on dit, septembre, octobre, ont été de bons mois, donc là aussi je pense qu'on est globalement dans un trend positif. Et j'étais hier aux côtés de nos amis restaurateurs, au Congrès de l'UMIH qui se tenait à Biarritz, et je voyais en tous les cas des professionnels qui prennent tous les défis à bras-le-corps.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, il n'en demeure pas moins qu'il y a le 5 décembre, là, donc avec, on redoute peut-être, enfin vous redoutez le fait qu'il y ait une manifestation importante, après qu'il y ait une, ça tombe en période de Noël, est-ce que vous redoutez l'impact que ça peut avoir ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Naturellement, on va être très vigilant par rapport à tout ça. A ce stade, les réservations aériennes pour les semaines et les mois à venir, restent orientées à la hausse par rapport à l'année dernière, donc voilà, vigilance naturellement permanente.

HEDWIGE CHEVRILLON
Les tensions commerciales, vous partez demain à Bruxelles où se déroule une Conférence ministérielle de tous les ministres en charge du Commerce, au niveau de l'Union européenne. On voit que les tensions commerciales, on n'arrive pas à un accord entre la Chine et les Etats-Unis, et en plus le Sénat américain a adopté hier soir à l'unanimité un texte qui soutenait les droits de l'homme et la démocratie à Hong-Kong, du coup évidemment réaction extrêmement violente de Pékin. C'est... on ne voit pas le bout, l'issue en fait de ces tensions, de cette guerre commerciale.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois que, en sous-jacent, il y a aussi l'affrontement stratégique qui se joue entre la Chine et les Etats-Unis, entre un numéro 1 mondial qui se trouve challengé par une puissance qui émerge à vitesse grand V, et c'est ça la toile de fond. Je pense que, le président de la République l'a dit d'ailleurs lorsqu'il revenait de son voyage officiel en Chine, les Français, les Européens peuvent peut-être être des tiers de confiance pour chacune des parties, parce que nous comprenons un certain nombre de griefs faits par les Etats-Unis, en matière par exemple de propriété intellectuelle, en matière de subventions versées par le capitalisme d'Etat chinois à un certain nombre de l'industrie. Et donc il y a quand même des vrais sujets à adresser. Je pense que l'on ne peut pas décemment laisser la Chine ne pas rentrer dans les clous d'un certain nombre de règles internationales, et même un certain nombre de règles internationales doivent elles-mêmes être édictées, parce qu'elles ne prennent pas en compte la situation.

HEDWIGE CHEVRILLON
Vous êtes en train de donner raison à Donald TRUMP, Jean-Baptiste LEMOYNE.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce que je veux dire, c'est que l'on peut partager un diagnostic, en revanche nous sommes en désaccord sur les méthodes. Parce que le fait de vouloir taxer à qui mieux mieux, tant les alliés que les rivaux, en mettant des droits de douane à hauteur de 10 ou 25%, ce que nous on connaît aussi depuis 18 mois avec l'acier et l'aluminium, je vous le rappelle, n'est pas la bonne méthode, parce que du coup ça crée de la défiance, c'est l'escalade et nous, nous sommes en tant que Français et Européens, de fervents défenseurs d'un vrai multilatéralisme. Alors, pardon, le mot fait un peu techno, mais l'idée c'est de dire…

HEDWIGE CHEVRILLON
Totalement techno, surtout il parait dépassé, parce qu'on n'est plus dans ce schéma-là.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais le schéma c'est quand même de se dire : si on veut qu'il y ait un contexte favorable aux entreprises, il faut qu'il y ait des règles qui soient partagées par tous, et que ces règles puissent être respectées et que nous les fassions respecter. C'est ça l'idée et donc c'est la réforme de cette OMC, qui effectivement est un peu à bout de souffle, il faut le dire hélas, 25 ans après avoir vu le jour.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, mais enfin l'OMC, excusez-moi, est en panne de gouvernance, il ne se passe rien puisque les Américains doivent nommer un juge d'ici le 4 décembre, je crois, et en l'occurrence il y en a toujours pas, donc ça veut dire que l'OMC est vraiment en panne de gouvernance.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais c'est pour ça que je vous dis qu'il y a ce besoin de refonte, de reforme de l'Organisation, pour appréhender les défis du XXIème siècle. Je vous prends un cas très concret. Besoin de mettre à jour les règles de l'OMC, de prendre en compte les situations de type Chine, et donc pour cela nous faisons des propositions. Les Européens sont force de propositions, on a mis en place un certain nombre de groupes de travail avec Cecilia MALMSTRÖM, la commissaire au Commerce, d'une part avec les Chinois d'autre part avec les Américains, pour essayer de…

HEDWIGE CHEVRILLON
Mais, pour l'instant personne n'écoute l'Union européenne, pardon, je veux dire, sur l'OMC ça n'avance pas, ça ne bouge pas, il y a les Américains qui bloquent sur tout.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ils bloquent sur tout, et c'est pour ça que nous, nous nous mettons aussi en situation, eh bien de pouvoir avoir des plans B dès le 11 décembre, parce que vous avez raison, le 11 décembre, donc le règlement des différends de l'OMC sera bloqué, enfin l'organe d'appel, et donc ça veut dire que nous-mêmes par exemple, en tant qu'Européens, il faut... on se met en situation de pouvoir frapper de sanctions des pays qui auront été « reconnus coupables » de subventions indues, avant qu'il y ait un appel qui puisse tomber, puisqu'aucun appel ne pourra désormais plus tomber. Donc, on ne va pas regarder sans rien faire, et on travaille avec les Canadiens, à des plans B de systèmes d'appel. C'est très important, parce qu'on ne peut pas, encore une fois, se laisser ballotter par les évènements.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, donc le 11 décembre, et même pour les entreprises, les pays, il n'y aura plus d'OMC, il n'y aura plus de recours.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il n'y aura plus de recours, c'est ça le problème, donc nous on travaille à la mise en place d'un système d'arbitrage, finalement, avec un certain nombre de partis qui accepteraient de rentrer dans ce dispositif, pour avoir un système alternatif, et puis également encore une fois se doter des moyens juridiques pour, nous-mêmes, une fois qu'une Première décision est tombée, eh bien mettre en place un certain nombre de sanctions consécutives à cela.

HEDWIGE CHEVRILLON
Sur l'augmentation des droits de douane, ou est-ce qu'on en est exactement ? Parce que c'est difficile de s'y retrouver.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors là, vous faites allusion au différend entre AIRBUS et BOEING.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui. Entre autres, oui.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Voilà. Parce qu'effectivement les Européens ont été condamnés par l'OMC, mais il se trouve que dans 6 mois, les Américains vont l'être aussi. Et donc nous, depuis le début, on a tendu la main aux Américains pour leur dire : écoutez, essayons de trouver ensemble enfin des disciplines pour les subventions aux industries aéronautiques, parce que pendant qu'on se chicane, nos amis chinois ils sont en train de préparer leur arrivée sur le marché aéronautique, et dans 10 ans ils y seront et ils seront des concurrents de poids. Donc je pense que la voie de la sagesse c'est d'arriver à mettre tout ça à plat et à se mettre d'accord. Je comprends que Robert LIGHTHIZER, qui a eu des échanges avec Cécilia MALMSTROM, est plutôt favorable à cette idée, mais pour l'instant nous n'avons pas eu de réponse concrète à des propositions, écrites noir sur blanc, que nous avons envoyées aux Américains. C'est regrettable. Alors, en attendant, effectivement, il y a eu ces représailles faites sur le secteur des vins et spiritueux, notamment français, enfin surtout des vins, pour 3,2 milliards d'euros, c'est considérable. Je tire mon chapeau…

HEDWIGE CHEVRILLON
Est-ce que ça a un impact ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors voilà, je tire mon chapeau aux professionnels, parce que pour l'instant, ce que je constate c'est que beaucoup travaillent sur leurs marges, pour essayer de maintenir cet accès au marché américain, et de ne pas se voir mis à l'écart. Donc je dois dire chapeau, parce que ce sont des efforts qu'ils font, et puis naturellement on continue à suivre avec les filières très attentivement.

HEDWIGE CHEVRILLON
Vous avez parlé du 11 décembre, le 12 décembre il se passe quelque chose de très important, les élections en Grande-Bretagne, pour savoir s'il y aura un deal ou pas de deal, en l'occurrence sur le Brexit. Le négociateur européen, Michel BARNIER, est en train de préparer, un peu deux types d'accord, un accord s'il y a un deal, donc de voir quelles sont les conditions des relations commerciales entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne, dans le cadre d'une union douanière, ou sinon un accord de libre-échange justement, sous la coupelle, la coupe pardon, de l'OMC. Où sont les lignes rouges pour la France sur cet accord ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, le futur accord commercial, qui devra voir le jour entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, il doit s'assurer qu'il y a de l'équité dans la concurrence, parce qu'on voit qu'un certain nombre de personnes, en Grande-Bretagne, veulent faire une sorte de Singapour sur Tamise, et donc nous on ne saurait accepter, compte tenu de la proximité géographique, de la proximité de nos marchés, eh bien d'avoir un accord qui ne mette pas un certain nombre de garanties, pour les producteurs européens, afin que, tout simplement, ils puissent être dans une compétition qui soit équitable.

HEDWIGE CHEVRILLON
Et donc les garde-fous ils sont où, pour vous Jean-Baptiste LEMOYNE ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Les garde-fous ils sont sur un certain nombre de normes, de règles là aussi. Les Britanniques font le choix de quitter l'Union européenne, c'est une chose, mais nous, après, dans les accords bilatéraux, on a la force d'être un marché de 450 millions de consommateurs, et donc, face aux Britanniques, eh bien je crois qu'on est, du coup, en position de force pour aussi obtenir des garanties très fortes.

HEDWIGE CHEVRILLON
Comment empêcher le dumping social notamment, ça devait être un point important ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui. Ce que nous demandons, d'ailleurs, dans les accords commerciaux, est la référence à un certain nombre de conventions de l'OIT, désormais nous voulons renforcer ses chapitres liés aux droits sociaux, aux droits environnementaux aussi, parce qu'aujourd'hui le commerce, nos concitoyens ne souhaitent pas un commerce qui ne respecte pas la planète, le climat, et donc nous serons exigeants également avec le Royaume-Uni sur tous ces sujets-là.

HEDWIGE CHEVRILLON
Juste, toute dernière question, puisque ça y est, la Commission européenne, la nouvelle Commission européenne est quasiment en ordre de bataille, c'est un des gros défis pour cette Commission toutes les tensions commerciales ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, d'ailleurs nous on se réjouit que la feuille de route de Phil HOGAN reprenne énormément d'éléments que la France a mis sur la table, le fait par exemple d'avoir un véritable procureur commercial européen, quelqu'un qui va s'assurer que les accords que nous avons conclus, eh bien ils sont respectés, pouvoir lancer des procédures contre ceux qui ne les respectent pas, bref, une vraie souveraineté européenne en matière commerciale aussi.

HEDWIGE CHEVRILLON
Merci beaucoup, merci Jean-Baptiste LEMOYNE d'avoir été avec nous.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2019