Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur la politique économique, à Ecully le 15 novembre 2019.

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Circonstance : Les entretiens de Valpré

Texte intégral

Bonjour à tous,

 

Je voudrais d'abord saluer le maire de Lyon, mon ami Gérard Collomb et remercier chacun des participants à ces entretiens. Avant de m'exprimer sur cette question de la responsabilité et sur le nouveau capitalisme pour le XXIème siècle, je voudrais vous dire toute l'importance que j'attache à ce type d'entretiens.

Vous dites que c'est une petite pierre. Je pense que c'est bien davantage que cela. Je me souviens que, dans mon éducation, il y a de très nombreuses années, on me demandait d'être la pierre d'angle. "Soyez la pierre d'angle" me répétaient mes professeurs. Je considère que chacun est la pierre d'angle d'une société et qu'il n'y a pas de personne plus ou moins importante.

Cette vision est dépassée. Chacun doit se considérer comme la pierre d'angle de la société. Il n'y a que de cette manière que les choses changeront véritablement en France, en Europe et dans le reste du monde. Mais pour que chacun soit la pierre d'angle, il faut ce type de débat, il faut ce type d'échange, il faut ce type de rencontre. Si chacun reste chez soi et ne s'engage pas, la société ne bougera pas. Nous avons besoin de cet engagement et les Entretiens de Valpré en font partie.

Cette tradition de l'engagement, Gérard Collomb l'a parfaitement rappelée. Il y a une tradition de l'engagement chrétien envers la société qui est parfaitement compatible avec la laïcité. Je suis un fervent défenseur de la laïcité à tel point que je refuse d'ajouter des adjectifs à la laïcité. La laïcité n'est pas ouverte, fermée ou tolérante. La laïcité est la laïcité, un point c'est tout. C'est un principe très simple qui est celui de la séparation des affaires religieuses et des affaires civiles. Un principe qui vise à ce qu'une loi religieuse ne puisse jamais l'emporter sur la loi de la République. Nous sommes construits comme cela et en étant un tout petit peu provocant, je rappelle que c'est un héritage chrétien, que c'est un héritage très ancien. Après tout, si Saint-Martin n'a donné que la moitié de son manteau à un pauvre, c'est que la moitié qui revenait au pauvre venait de son engagement chrétien, mais que l'autre appartenait à Rome.

Eh bien, n'oublions pas que nous nous sommes construits là-dessus, sur cette séparation stricte, nécessaire, qui n'exclut pas une fois encore l'engagement de chacun entre les affaires civiles et les affaires religieuses. Et quand certains veulent dire de manière parfois très autoritaire qu'une loi religieuse pourrait l'emporter sur la loi de la République, la réponse peut-être tout simplement "Non". Pas un non menaçant. Pas un non qui forcerait le ton. Un non ferme, clair et définitif. En France, aucune loi religieuse ne peut l'emporter et ne l'emportera jamais sur la loi de la République.

En France, la religion ne fait pas l'ordre politique. C'est ancré suffisamment loin dans nos traditions et dans notre histoire. Cela n'exclut pas une fois encore l'engagement de chacun, et l'engagement de ceux qui croient dans la vie de la société pour défendre leurs convictions, pour défendre leurs idées dans le respect de ce principe.

Je le dis d'autant que j'ai été formé à cet engagement de ceux qui croient dans la société. Et puisqu'on est ici aux Entretiens de Valpré, je pense qu'il n'est pas mauvais non plus dans cette tradition de l'engagement chrétien de rappeler deux figures qui me paraissent particulièrement utiles dans la réflexion philosophique d'aujourd'hui sur ce que doit être la société et sur ce que doit être l'économie.

La première, c'est Saint Augustin.

Saint Augustin est l'homme de l'engagement dans la cité. Il se dit que plutôt que de s'occuper de soi, il serait bien de s'occuper des autres. Et dans ce grand retournement, Saint Augustin qui de soi va vers les autres et de soi va vers la cité, on retrouve cette idée d'engagement auquel je crois profondément. Je suis un homme politique, un responsable politique engagé dans la cité comme Gérard Collomb. Je pense essentiel que tous les jeunes que je vois au fond prennent cette même responsabilité. Car la société d'un individualisme forcené où chacun ne s'occuperait que de soi est une société qui n'aura pas d'avenir.

Donc, j'en appelle à Saint-Augustin pour dire à chacun "Tournez-vous, de vous-même vers les autres et vers la cité". Et dans un moment où certains essaient de dévaloriser l'engagement politique et de dire qu'ils sont tous corrompus, tous menteurs, tous incapables, tous inefficaces, je veux plaider exactement l'inverse. La plupart des responsables politiques que je connais sont des hommes et des femmes engagés qui croient dans ce qu'ils font, qui ne comptent pas leur temps, qui font des sacrifices considérables pour servir leurs concitoyens. Et les premiers d'entre eux, je le dis devant Gérard Collomb, ce sont les maires.

Je ne connais pas d'engagement politique plus difficile que celui de maire. Il demande un engagement sur le terrain 24 heures sur 24, il demande de faire des sacrifices, d'être à portée des reproches et des critiques de ses concitoyens à propos des moyens qui sont limités. C'est une erreur profonde de dévaloriser leur engagement politique. Il est noble et nécessaire.

La deuxième figure à laquelle je voudrais faire référence, parce qu'elle me paraît vitale au sens propre du mot, c'est Saint-Thomas d'Aquin.

Saint-Thomas d‘Aquin, au nom de sa défense de la vérité. Parce qu'aujourd'hui la vérité ne compte plus. On s'en moque. Ça n'a pas d'importance. La réalité n'a pas d'importance. Les choses n'ont pas d'importance. Ce qui compte, c'est l'opinion. C'est le réseau social. C'est la configuration parfois fantasmatique de la réalité plutôt que cette confrontation difficile, exigeante à la vérité. Saint Thomas d'Aquin disait "La vérité, c'est l'adéquation de la chose à l'esprit". Nous sommes en train de nous éloigner de cette affirmation. Comme si l'esprit pouvait fonctionner en boucle fermée dans les réseaux sociaux qui le renvoie sans cesse à ses propres certitudes.

Peu importe d'avoir à confronter nos perceptions à la réalité, de toutes façons, on en est convaincu parce que c'est dans notre boucle, c'est notre réseau social, c'est dans notre univers désincarné et dématérialisé. Il faut avoir le courage de revenir au réel, le courage de se confronter aux règles. Ça vaut d'ailleurs aussi pour nous les responsables politiques. Être sans cesse obligé de se confronter au réel, à nos résultats pour savoir si nous disons la vérité et si ce que nous faisons est juste.

Nous retrouvons le thème que vous avez décidé de développer aujourd'hui, celui de la responsabilité. Je voudrais l'élargir en m'intéressant à cette question du capitalisme, de ce qu'il a été et de ce qu'il doit devenir. Et là, si on veut se confronter à la réalité, à ce que vivent les peuples et à ce que vivent nos concitoyens, ma réponse est effectivement sans appel. Le capitalisme doit changer. Et il doit changer radicalement. Gérard Collomb a rappelé mon engagement sur ce thème-là. C'est une conviction que nous partageons avec le président de la République. Le capitalisme doit faire son examen de conscience et changer radicalement.

Pourquoi doit-il changer radicalement ? D'abord parce qu'il repose sur des inégalités qui sont croissantes à travers la planète.

Personne ne doit accepter d'un strict point de vue éthique l'augmentation de ces inégalités. Ceux qui souffrent de cette inégalité ne l'acceptent pas.

Le capitalisme doit changer parce que ces inégalités sont inefficaces. Si le capitalisme veut réussir, il faut qu'il réussisse pour tous, pas pour une partie d'entre nous. Et chacun le voit bien aujourd'hui en France, s'il y a tant de crispations, tant d'inquiétudes, tant de nervosité, c'est parce que beaucoup de nos compatriotes ont le sentiment d'être laissés au bord du chemin. Ils ont le sentiment que, dans le fond, le modèle économique que nous construisons est peut-être bon pour certains, mais pas pour tous. Et notre responsabilité première, c'est d'arriver à faire en sorte que le modèle économique que nous construisons réussisse, donne des résultats, mais donne des résultats pour tous. Et c'est ce pourquoi nous nous battons avec le président de la République.

C'est très simple de faire un système efficace. C'est très simple. Je veux vous dire qu'arriver à 3 ou 4% de taux de chômage, d'une certaine façon, ce n'est pas le plus difficile. Mais si ça doit se payer par des contrats sous-payés, par des jobs à l'heure ou par des mini jobs, comme ça peut exister en Europe, le prix à payer sera exorbitant et les gens le refuseront. C'est un équilibre à trouver entre le succès économique et le partage de ce succès avec tous.

Enfin, un changement radical du capitalisme est nécessaire, parce qu'un capitalisme qui reposerait sur l'épuisement des ressources de la planète est inacceptable et ne peut pas être soutenu. L'un des défis majeurs du capitalisme au XXIème siècle, c'est évidemment d'avoir un capitalisme durable. Ce nouveau capitalisme pour le XXIème siècle, je l'appellerai justement, reprenons les termes de votre entretien, "un capitalisme responsable", c'est un capitalisme qui soit juste, un capitalisme qui soit participatif et un capitalisme qui soit durable.

Juste parce que la justice, c'est précisément, pour reprendre le mot que je disais en introduction, "la pierre d'angle de toute politique". Il n'y a de politiques acceptables que de politiques justes. Cette obsession de la justice doit nous guider dans chacune de nos décisions. L'efficacité ne suffit pas. Vous n'arrivez pas à convaincre les gens uniquement par l'efficacité. Les gens veulent de l'efficacité, mais ils veulent surtout de la justice. C'est au coeur de ce que nous sommes comme Français que les décisions politiques soient justes et qu'elles puissent passer cet examen de justice quand elles sont présentées devant nos compatriotes. Cette justice passe par la dignité dans le travail.

Et c'est là que le défi est encore plus difficile que ce que nous pensions. Il ne suffit pas de donner du travail pour tous. C'est notre objectif, c'est prioritaire. Il est temps que nous sortions de ce chômage de masse qui est un véritable scandale français qui dure, je le rappelle, depuis un demi-siècle.

Cela fait un demi-siècle qu'il n'y a pas d'emploi en France. Nous, nous voulons y arriver. Nous nous mettons la barre encore plus haute. Nous voulons non seulement arriver au plein emploi pour tous les Français, mais nous voulons aussi que cet emploi donne de la dignité aux gens. Inutile de vous dire que, dans les circonstances actuelles, s'il y a un message à retenir de ce mouvement des gilets jaunes, c'est que nos compatriotes veulent de la dignité dans leur travail. Ils veulent qu'avec leur travail, ils puissent se déplacer, se nourrir, se chauffer, partir en vacances. Et pour des millions de nos compatriotes, ça n'est pas le cas.

Donc, il faut créer du travail et le travail doit payer. C'est la ligne de force de la politique économique que nous conduisons avec le Premier ministre et avec le président la République.

Il faut que le travail paie plus. Il faut que le travail donne de la dignité, il faut que le travail donne de la considération. C'est indispensable. Et comme il n'est pas possible de prendre le curseur du SMIC et de le monter parce que si vous faites ça, vous mettez tout le monde au chômage.

Plus la peine de chercher la dignité dans le travail, puisqu'il n'y aura pas travail du tout. Il faut trouver d'autres solutions plus imaginatives.

Au XXIème siècle, c'est l'imagination qui doit prendre le pouvoir, pour justement trouver des solutions qui soient nouvelles, audacieuses, qui répondent aux défis que je viens d'indiquer.

Toutes les mesures que nous avons prises avec le Gouvernement visent précisément depuis plusieurs mois à ce que le travail soit mieux rémunéré sans détruire l'emploi par une augmentation massive du SMIC. Les heures supplémentaires défiscalisées, c'est de la dignité dans le travail. Vous voulez travailler une heure de plus dans la semaine, vous travaillez une heure, deux heures, trois heures de plus par semaine, mais les 150 ou 200 euros que vous allez vous faire, ils sont pour vous, ils ne sont pas pour le Trésor public.

C'est regrettable pour le ministre des Finances que je suis, mais c'est bon pour le ministre de l'Economie qui défend l'idée de la dignité dans le travail. La baisse de l'impôt sur le revenu qui va commencer au 1er janvier - nous avons décidé et nous assumons cette décision - de la concentrer sur les salaires les plus modestes.

Enfin, dans cette volonté d'avoir un capitalisme juste qui récompense mieux le travail, il y a un sujet qui me tient très à coeur, c'est celui de l'intéressement.

L'intéressement, c'est de dire que dans une communauté de salariés, dans une entreprise, que ce soit une entreprise de 5, 10, 15 ou 250 salariés, "vous êtes intéressés aux résultats de l'entreprise". C'est une façon de dire "Vous n'êtes pas des machines. Vous êtes le capital humain de cette entreprise et ce qu'il y a de plus précieux pour le succès de l'entreprise. Donc, si elle réussit, c'est d'abord grâce à vous. Donc, il est juste, il est légitime que vous soyez associés aux résultats de cette entreprise".

Alors, très concrètement, l'intéressement aujourd'hui, vous avez 1,4 million de salariés qui en bénéficient. Ils sont tous ou presque dans des grandes entreprises. Dans les grandes entreprises il n'y a aucun sujet et je les en remercie. Elles ont quasiment toutes signé un accord d'intéressement. Mais pour les plus petites, c'est compliqué. Pour les moins de 50 salariés, c'est compliqué. Pour les moins de 10, 11 salariés, c'est encore plus compliqué. Donc on a décidé de simplifier.

Aujourd'hui, s'il y a des chefs d'entreprise dans la salle, vous allez sur le site internet du ministère de l'Economie, vous tapez "intéressement", et vous trouverez des accords d'intéressement clé en main. J'ai dit à mes équipes, ça fait 6 pages, c'est bien par rapport à un accord d'intéressement classique, mais c'est encore trop long. Faites-moi un accord d'intéressement en 2 pages, que ça prenne 10 minutes dans la journée d'un chef d'entreprise qui a autre chose à faire pour le lire, le comprendre et le faire signer.

Il y a également des chefs d'entreprise qui m'ont dit "On ne veut pas s'engager pour trois ans, c'est trop long". Alors on a ramené l'accord d'intéressement à un an. Il y a des chefs d'entreprise qui me disent maintenant "Ecoutez, moi, je suis boulanger, j'ai mes quatre salariés, je n'ai pas envie de faire des réunions spécifiques, de faire un référendum pour savoir si on va adopter l'accord d'intéressement. Je voudrais l'adopter tel quel, le signer et dire à mes salariés : vous bénéficiez désormais d'un plan d'intéressement".

Je suis ouvert à cette simplification. S'il faut aller encore plus loin dans la simplification des accords d'intéressement pour que tous les salariés des très petites entreprises françaises soient eux aussi associés aux résultats de l'entreprise, aient un meilleur salaire et que cela fasse de l'unité sociale entre les Français, j'y suis prêt, j'y suis totalement ouvert. Il suffit que nous décidions ensemble.

Enfin, toujours dans cette meilleure rémunération, dans cette justice, je pense qu'il y a un point qui est très important : la transparence.

Il y a des salaires qui choquent nos compatriotes et je pense que, dans cette idée de la société et plus que jamais - je le redis, monsieur le Président en vous remerciant de cet entretien - plus que jamais, on a besoin de philosophie, de réflexion et de débat pour éviter l'immédiateté, l'impulsion qui, en général, conduit à de mauvaises décisions. Réfléchissons à ce qu'est une communauté de travail où un ensemble de personnes, hommes et femmes, travaillent dans une entreprise qui fait de résultats, qui voudrait faire des profits, qui doit être profitable.

Il y a une personne qui dirige, elle est vitale. Elle est vitale parce que le chef d'entreprise est vital et que les décisions qu'il prend c'est ce qui fera ou non le succès de l'entreprise et de cette communauté. Et puis, il y a des salariés qui ont un niveau de responsabilité plus ou moins important. Il est tout à fait juste que certains soient mieux payés que d'autres, c'est tout à fait acceptable et je ne pense pas qu'on puisse contester qu'en fonction de la responsabilité certains seront mieux payés que d'autres. En revanche, que ces écarts salariaux atteignent des limites absolument vertigineuses et que le chef d'entreprise soit payé 200, 250, 300 fois plus que le salarié le plus modeste de son entreprise, là, ça devient injuste et inacceptable. C'est une question de décence.

La décence ce n'est pas quelque chose qui se mesure au millimètre près, il n'y a pas une règle de décence. La décence c'est quelque chose qu'on doit sentir au plus profond de soi : qu'est-ce qui est décent, qu'est-ce qui ne l'est pas ?

Qu'il y ait des écarts salariaux, c'est juste, c'est nécessaire, c'est décent. Que ces écarts salariaux deviennent absolument vertigineux et que certains chefs d'entreprise s'augmentent de 10 ou 15 % quand ils ont gelé les salaires de leurs propres salariés - pardonnez-moi de vous le dire - je considère ça comme indécent.

C'est bien pour cela que nous avons introduit dans la loi PACTE un système de ratio d'équité qui permet de faire la transparence sur la médiane des salaires pour que cet instrument de transparence serve à remettre de la décence dans les écarts salariaux au sein de l'entreprise. Je ne suis pas devenu, je vous rassure tout de suite, je ne suis pas devenu marxiste comme ça du jour au lendemain en disant "Il faut lutter contre..." Non. C'est une question d'équilibre et de rassemblement de la société. Parce que comme ministre de l'Economie et des Finances, j'ai cette obsession que les Français travaillent ensemble et soient rassemblés.

Nous sommes une nation qui est heureuse quand elle est unie. Notre unité dépend de choses qui sont très concrètes. Elle dépend du respect de certains principes qui sont ancrés dans notre histoire la plus profonde, la laïcité. Toucher à la laïcité et vous verrez les divisions et les fractures en France comme nous en avons rarement connu dans notre histoire. La décence, la décence et l'égalité. C'est ce que je propose sur cette question salariale. Faisons-en sorte que ces écarts salariaux soient décents. Le respect du travail, c'est ce que je propose et c'est ce que nous mettons en place avec l'intégralité des mesures qui permettent d'atteindre de la dignité par le travail.

Tout cela, toutes ces décisions sont prises, non seulement pour des raisons économiques, mais surtout pour des raisons politiques.

Parce que Gérard Collomb le disait très bien tout à l'heure, l'économie ne se suffit pas à elle-même. L'économie n'est pas une fin en soi et c'est le ministre de l'Economie qui vous le dit. L'économie n'est pas un but en soi, elle est au service d'une ambition politique. Et notre ambition politique, c'est le succès de la France et le rassemblement des Français. Les deux doivent aller ensemble. Donc, voilà comment nous pouvons lutter contre les inégalités et avoir un capitalisme juste.

C'est vrai au niveau national. C'est vrai aussi entre les nations.

Nous avons porté avec Gérard Collomb et avec le président de la République une augmentation de l'aide publique au développement à 0,55 % de notre richesse nationale. C'est un effort qui est considérable mais c'est très facile de céder au populisme. “C'est de l'argent jeté par les fenêtres, qu'est-ce que vous allez faire à donner cet argent à des pays du Sahel qui sont à des milliers de kilomètres de chez nous ?".

Le ministre de l'Intérieur qu'a été Gérard Collomb sait parfaitement que c'est juste, nécessaire et que c'est un bon investissement d'augmenter l'aide publique au développement pour réduire les inégalités entre les pays européens et les pays du Sud.

Ce capitalisme, il doit également être participatif et cela rejoint la question de la responsabilité que vous avez déjà abordée tôt ce matin, notamment avec Serge Papin et je salue – je ne sais pas s'il est encore dans la salle – l'engagement très fort de Serge Papin dans ce domaine. Si chacun ne prend pas ses responsabilités, nous n'y arriverons pas. Il n'y aura pas de nouveau capitalisme au XXIème siècle si ce sont uniquement les responsables politiques et les Etats qui le décident. Il faut que les citoyens s'engagent, il faut que les chefs d'entreprise s'engagent et ne s'engagent pas à moitié, s'engagent totalement.

Qu'est-ce qui change la vie de la société aujourd'hui ?

Ce sont les entreprises : l'entreprise qui fait des produits, l'entreprise qui produit de l'énergie, l'entreprise qui fait de l'éclairage public, qui fait du mobilier public, elle change notre quotidien ; l'entreprise qui fait des voitures, elle change notre quotidien ; l'entreprise qui fait fonctionner votre smartphone, elle change notre quotidien beaucoup plus que je ne le fais. J'ai la lucidité et l'humilité de le reconnaître.

Mais les entreprises ne peuvent pas avoir toujours plus de pouvoir et toujours moins de responsabilités. Cela ce n'est pas possible. Plus vous avez de pouvoir, plus vous avez de responsabilités. Alors si vous ne voulez pas de responsabilités, il ne faut pas de pouvoir mais ne demandez pas le pouvoir sans les responsabilités. L'un va avec l'autre. Donc oui, parce que les entreprises ont toujours plus de pouvoir dans notre vie quotidienne, elles doivent avoir plus de responsabilités. Elles doivent définir ce qui fait leur raison d'être. Ce sont les modifications que nous avons introduites dans la loi Pacte qui reconnaît que chaque entreprise doit se doter d'une raison d'être.

C'est nécessaire parce qu'elles ont plus de responsabilités.

Je redirais d'ailleurs au passage à toutes celles qui continuent à critiquer cette idée-là que je leur souhaite bien du courage pour recruter des jeunes de 20 ou 25 ans si elles n'arrivent pas à expliquer le sens de leur activité.

Parce qu'un jeune de 20 ou 25 ans - là aussi, j'ai quatre enfants et je vois bien quelles sont leurs attentes - ce n'est pas uniquement de l'argent, ce n'est pas uniquement de réussir. Ils veulent faire des choses qui ont du sens, c'est la première chose qu'ils vont demander à une entreprise, c'est de savoir si leur activité a du sens. Si elle correspond à une ambition de société dans laquelle ils peuvent se retrouver.

Un capitalisme participatif, c'est aussi un capitalisme qui fait plus de place aux salariés dans l'entreprise.

Ce n'est pas la tradition française, c'est la tradition allemande. Ce n'est pas la tradition française mais nous sommes en train de faire évoluer les choses. Nous le faisons progressivement mais je pense que nous allons dans la bonne direction. Nous avons augmenté, toujours grâce à la loi PACTE, le nombre d'administrateurs salariés dans les conseils d'administration de nos entreprises et je pense que c'est mieux d'avoir des salariés informés qui participent à la vie de l'entreprise que des salariés qu'on traite comme des enfants. Vous ne pouvez plus traiter personne comme des enfants.

Les citoyens sont responsables, ils sont adultes, c'est une nouvelle formidable. C'est une nouvelle merveilleuse. Et sans aucune naïveté, j'accueille ce XXIème siècle avec beaucoup d'enthousiasme et beaucoup de volontarisme parce que je pense que ce qui se traduit parfois par des colères, des humeurs, des difficultés, traduit en fait un changement profond vers quelque chose qui peut être bénéfique. Des salariés responsables, informés, qui veulent le succès de leur entreprise, qui veulent participer aux décisions, c'est plutôt une bonne nouvelle, c'est plutôt une bonne chose pour chacun d'entre nous.

La participation des salariés, c'est aussi le fait que les salariés deviennent actionnaires : nous avons développé l'actionnariat salarié. C'est aussi leur permettre de prendre possession d'une partie de l'économie française.

Nous, nous souhaitons que le plus grand nombre de Français investissent dans l'économie française, investissent dans les PME. Nous avons des taux d'intérêt qui sont faibles, nous avons des placements qui rapportent moins, raison de plus pour inciter les Français à financer l'économie française par toutes sortes de produits.

Ça peut être l'investissement dans La Française des Jeux, mais enfin, là, dépêchez-vous, parce que vu le succès de l'opération, j'ai peur que tout le monde ne puisse pas être servi autant qu'il l'aurait souhaité. Chacun sera servi, mais pas forcément à hauteur de ce qu'il aurait souhaité parce que c'est un vrai succès populaire. C'est la participation au PEA pour les PME ou les TPE. Tout ce qui permet de financer notre économie est une façon de s'engager au service de l'économie.

Enfin, cela doit être un capitalisme durable. C'est évidemment l'enjeu majeur. Notre économie doit être décarbonée, c'est une question de survie. Plus je consulte les climatologues, les scientifiques, les experts, plus je suis déterminé à accélérer la transition écologique de notre pays.

Je ne viens pas de cette tradition. Je le reconnais là aussi avec beaucoup d'humilité, je ne suis pas un fervent défenseur de la transition écologique depuis que j'ai 15 ans. Ce n'est pas vrai. J'ai plutôt été du côté de ceux qui disent qu'il faut réussir économiquement pour que le pays s'en sorte. Et plus ça avance, plus je regarde les chiffres, plus j'observe notre réalité quotidienne, le réchauffement, l'impact pour les paysans, les périodes de sécheresse, les périodes d'instabilité climatique que nous connaissons, plus je me dis qu'il y a urgence. Il y a le feu au lac. Et désormais, chacune des décisions que nous prenons en matière économique doit être pesée à l'aune de son efficacité, mais aussi à l'aune de son impact environnemental.

Nous devons aller beaucoup plus loin, et je suis décidé, dans le deuxième temps du quinquennat, à ce que nous accélérions la transition écologique de l'économie française.

Nous avons fixé un objectif : zéro carbone en 2050. Nous ne le tenons pas pour le moment. Eh bien, on va se donner les moyens de tenir cet objectif. On va se retrousser les manches, et surtout, on va, je le répète, faire preuve d'imagination. Nous devons être capables de penser les choses différemment pour que nous arrivions véritablement à cet objectif. Et Dieu sait que c'est difficile quand le ministre de l'Economie doit aller voir l'ouvrier qui est chez Bosch à Rodez, qui fait des injecteurs Diesel depuis 25 ans, et quand on lui dit "Le diesel, c'est fini, il faut que vous vous transformiez", il dit "Très bien, vous proposez quoi ? Vous me proposez quel métier ? Vous me proposez quelle qualification ?" Il faut répondre à ça. Il faut réussir cette transition. Il ne s'agit pas de dire, en un claquement de doigt, on ferme, on passe à autre chose. Ça, ce serait trop facile. Il faut remettre, je le redis, de la raison, du dialogue, de la responsabilité pour réussir cette transition tout en l'accélérant, et on en a les moyens.

Le premier moyen, c'est l'innovation.

Plus vous investissez dans l'innovation, mieux vous réussirez la transition écologique. À tous ceux qui me reprochent de privatiser La Française des Jeux sur des cessions d'actifs, je dis, "je continue", pour une raison qui est simple, c'est que nous avons besoin d'argent pour investir dans les énergies renouvelables, dans le secteur de ces énergies, dans la transition écologique, si nous voulons vraiment aller vers une économie décarbonée.

J'estime que l'argent de l'Etat, votre argent, est mieux placé dans les investissements plutôt qu'à toucher les dividendes d'une activité commerciale qui n'est pas de la responsabilité de l'Etat.

Ma responsabilité économique n'est pas de penser à demain, c'est de penser aux 25 années qui viennent et de me dire que les décisions que nous prenons maintenant auront un impact dans 20, 25, 30 ans, et que donc ça doit être les bonnes décisions. Nous devons investir massivement dans l'innovation et dans ces énergies renouvelables.

Un exemple : ce que nous avons fait sur les batteries électriques avec nos partenaires allemands.

Hier, toutes les batteries électriques de toutes nos voitures étaient chinoises. Demain, toutes les batteries électriques de toutes nos voitures seront européennes et françaises. Dans le premier cas, c'est 5 fois plus de rejet de CO2 que lorsque les batteries sont produites en France. C'est quand même mieux d'avoir des batteries électriques qui sont produites en émettant 5 fois moins de CO2, sur notre territoire. Dans le premier cas, vous dépendez de la Chine ; dans le deuxième, de vous-même.

Dans le premier cas, vous ne créez pas d'emplois. Dans le deuxième, vous créez, à horizon de 2 ans, 2 000 emplois industriels. Donc, ça vaut le coup d'investir, ce que nous faisons, plus d'un milliard d'euros sur cette filière de batteries électriques pour notre souveraineté, pour l'emploi et pour le succès écologique. Le modèle que nous avons construit depuis 20 ans, de ce point de vue-là, est un modèle stupide et suicidaire.

C'est le modèle de la délocalisation de masse de nos activités industrielles qui nous vaut la double peine. On a fermé nos usines, on les a installées ailleurs, on a perdu des emplois et on a augmenté le CO2. Joli bilan. Nous, nous voulons inverser cette tendance, réindustrialiser le pays pour avoir une production industrielle décarbonée et créatrice d'emplois.

C'est un changement systémique, lourd, difficile, mais que nous allons réussir, parce que la voie dans laquelle nous nous étions engagés, délocalisations massives pour des raisons de coûts, qui conduisent une fois encore à produire dans des endroits où il y a plus de production de CO2, plus d'émissions de CO2, et qui conduit à fermer des usines et des emplois en France, cette voie-là, je le redis, elle est suicidaire, suicidaire économiquement et suicidaire politiquement.

Donc, nous voulons inverser cette tendance et dans le capitalisme durable que j'appelle de mes voeux, bâtir cette réindustrialisation française en une industrie décarbonée et créatrice d'emplois.

Il faut aussi continuer avec des choses qui sont de la vie quotidienne et qui rejoignent cette idée de responsabilité. On ne réussira la transition écologique que si chacun des 65 millions de citoyens français y est engagé et incité. Vous allez chez votre concessionnaire aujourd'hui, vous achetez un véhicule électrique, ça reste très cher. On vous donne une prime de 6 000 euros. Ça vaut le coup et je considère que c'est de l'argent bien employé.

Je préfère que se développent massivement les achats de véhicules électriques plutôt que les achats de SUV, dont je rappelle qu'ils sont aujourd'hui un des facteurs de pollution majeurs dans notre pays.

Même chose sur les engagements européens, car nous devons inscrire ce capitalisme durable décarboné dans une perspective européenne sans laquelle cette ambition n'aurait pas de sens.

La mise en place de la finance verte, la Banque européenne d'investissements, dont vous avez vu ce matin que nous avons décidé qu'elle ne financerait plus de projets fossiles, la taxation du transport aérien au niveau européen parce qu'il n'y a pas de raison qu'on oblige le transport automobile à se soumettre à des normes CO2 et que le transport aérien, je ne sais pas pour quelle raison, on dirait "non, lui, il est exempté." Non.

Au niveau européen, cela a du sens de dire que nous allons taxer aussi le transport aérien. La taxation du carbone aux frontières, à partir du moment où vous réimportez des produits, s'ils sont très carbonés, je ne vois pas pourquoi on ne vous taxerait pas ces produits alors même que vous taxez vos propres producteurs en Europe et en France pour qu'ils respectent des engagements carbones. Toutes ces décisions vont nous permettre d'atteindre ce troisième objectif du capitalisme du XXIème siècle, un capitalisme durable qui nous permet de réussir notre transition écologique.

Voilà les quelques éléments de réflexion que je voulais vous présenter ce matin, un capitalisme responsable qui reposera sur la justice, sur la participation de tous à la définition de ce capitalisme, entreprises comme salariés, et un capitalisme durable qui permet de promouvoir une économie décarbonée.

Vous me direz, c'est difficile, mais je pense que c'est aussi l'intérêt de ces Entretiens de Valpré. Tant qu'on a une ambition, tant qu'on a un cap, tant qu'on sait qu'on veut aller quelque part et qu'on n'est pas à tourner en rond, à ressasser toujours les mêmes vieilles idées, c'est bon signe.

Je vais peut-être vous surprendre, en ces temps de très grandes tensions sociales où chacun s'inquiète de ce qui va se passer le lendemain sur les hôpitaux ou sur la SNCF, sur la RATP, sur les gilets jaunes. Moi, je voudrais vous passer un message de confiance.

La France est un pays exceptionnel, et les Français sont des gens exceptionnels. Ils sont exigeants, les aides-soignants sont exigeants, ils disent "On veut mieux, on veut faire mieux notre travail." C'est bon signe.

Nous avons des Français qui disent "Vous n'allez pas assez vite sur la transition écologique." C'est bon signe. Vous avez des salariés qui disent "On veut participer plus à la définition de ce que doit être l'entreprise et le fonctionnement de l'entreprise." C'est bon signe.

Nous sommes un pays merveilleux, un pays qui réussit, un pays qui a une grande histoire, un pays qui est leader aujourd'hui en Europe, un pays qui a le meilleur niveau de croissance quasiment de tous les pays de la zone euro, un pays qui, hier, était la lanterne rouge de l'Europe, et qui, aujourd'hui, est celui qui fixe un cap et qui tire la croissance de la zone euro.

Donc, un pays qui a autant de qualités, autant d'atouts, plutôt que de ressasser sans cesse ses inquiétudes, doit se tourner vers l'avenir, se fixer un horizon et rassembler ses forces pour essayer de l'atteindre.


Merci à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 26 novembre 2019