Texte intégral
GUILLAUME DURAND
Julien DENORMANDIE, bienvenu.
JULIEN DENORMANDIE
Merci.
GUILLAUME DURAND
Alors, d'abord, justement, dans cette phrase de DARMANIN, comment peut-on l'expliquer, puisqu'au fond, elle est assez symptomatique de la position du gouvernement, c'est-à-dire qu'on ne retirera rien, mais le texte n'est pas écrit, et en même temps, on veut discuter, ça signifie quoi en clair, pour des gens qui sont inquiets ?
JULIEN DENORMANDIE
Non, mais ça signifie qu'on fera la réforme des retraites, que cette réforme, elle est importante, et d'ailleurs, elle est même souhaitée par beaucoup de Français. Pourquoi elle est importante ? Parce que, aujourd'hui, vous avez un système qui est inégalitaire et un système qui est très peu lisible. Parce que, aujourd'hui, vous avez par exemple des personnes qui ne gagnent que quelques centaines d'euros à la retraite, alors que dans la réforme, on imposera que le minimum de la retraite sera 1.000 euros. Parce que vous avez une injustice qui est criante entre les hommes et les femmes, une différence de 40% du montant des retraites, donc cette réforme des retraites, elle est essentielle, pas pour le gouvernement, pour les Français, pour le pays. Donc on la fera. En revanche, il y a – et c'est tout l'objet du moment – beaucoup de concertations, de travail en commun avec les organisations syndicales et puis les Français, sur les périodes de transition, comment faisons-nous en sorte pour créer les mêmes règles pour tous, c'est l'objet de cette réforme des retraites, ce qui veut dire mettre fin aux régimes spéciaux. Mais comment on organise cette période de transition pour toutes celles et ceux qui bénéficient aujourd'hui de ces régimes spéciaux. Donc on a un cap qui est très clair, une réforme des retraites juste, équitable, et une période de transition qui est en cours de discussion…
GUILLAUME DURAND
Mais les conversations avec la CGT et Force ouvrière qui sont très représentées dans ces catégories, qui sont celles des régimes spéciaux, pour l'instant, ça ne donne rien, ils n'en veulent pas, enfin, ils ne sont pas prêts à négocier, soyons clairs ce matin, ils ne sont pas prêts à discuter une seule seconde ?
JULIEN DENORMANDIE
Ça dépend des organisations syndicales, et puis…
GUILLAUME DURAND
La CFDT, oui, mais la CGT…
JULIEN DENORMANDIE
Oui, mais, enfin, si, à la fin des fins, vous avez un système où vous avez ces régimes spéciaux, ces régimes spéciaux, ils impliquent quoi, ils impliquent que tous les Français n'ont pas les mêmes règles, que chaque euro cotisé par chacun des Français ne donne pas ouverture aux mêmes droits, est-ce que c'est compréhensible, est-ce que c'est encore justifié, tel que cela l'était, il y a plusieurs dizaines d'années, quand ils ont été instaurés, évidemment, non, il faut avancer là-dessus. Bon, maintenant, qu'il y ait des organisations qui défendent des régimes spéciaux, qu'il y ait des personnes qui aillent manifester en faveur de ces régimes spéciaux, c'est bien normal. Nous, notre rôle, notre responsabilité, ce n'est jamais de pointer du doigt les gens, c'est de dire : ces régimes spéciaux, il faut y mettre fin pour arriver aux mêmes règles pour tous, pour lutter contre ces inégalités et donner ce minimum de 1.000 euros à chacun. Eh bien, ça, ça se fera dans la discussion, la négociation, mais avec un cap très clair, encore une fois, le gouvernement…
GUILLAUME DURAND
Mais il y a un argument qui pourrait être simple, c'est de dire qu'il y a des gens par exemple qui sont de conditions sociales plus modestes que les gens qui bénéficient des retraites des régimes spéciaux, qui cotisent pour ces régimes spéciaux, il ne s'agit pas simplement de la droite classique ou de la bourgeoisie qui a les régimes spéciaux en ligne de mire depuis de nombreuses campagnes électorales, il y a aussi des gens qui sont très modestes qui, par leurs cotisations à la retraite cotisent pour les régimes spéciaux.
JULIEN DENORMANDIE
Oui, mais l'objectif, ça n'est jamais de créer un nouveau régime pour lutter contre les inégalités du système actuel, vous imaginez, ce serait un réflexe, on dirait : bon, eh bien, le plus simple serait de créer un énième régime, mais précisément, le système des retraites aujourd'hui se meurt du fait d'avoir autant de régimes différents, une illisibilité aussi forte, et surtout, des inégalités aussi criantes. Encore une fois, l'exemple que je donne entre les hommes et les femmes, mais qui peut comprendre cela…
GUILLAUME DURAND
Il y a beaucoup de gens qui considèrent que les mères de famille vont par exemple être très impactées par la réforme…
JULIEN DENORMANDIE
… Oui, mais vous savez, il y a beaucoup de personnes qui préemptent ce que la réforme des retraites pourrait dire…
GUILLAUME DURAND
Donc c'est faux ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, ça va être quoi le processus, aujourd'hui, on a les discussions qui sont en cours. Jean-Paul DELEVOYE va remettre au Premier ministre le 8, le 9 ou le 10 décembre, la date n'est pas encore calée, de nouvelles propositions. Ensuite…
GUILLAUME DURAND
Il est encore crédible après la gaffe…
JULIEN DENORMANDIE
Oui, je pense, mais monsieur DELEVOYE, il est connu depuis longtemps par beaucoup…
GUILLAUME DURAND
Pour les gaffes…
JULIEN DENORMANDIE
Non, pour sa compétence, évidemment, et pour son expertise. Et vous citez Les Républicains, vous avez mentionné la droite, vous citez Les Républicains, mais, voyez, leur position aujourd'hui, elle est très étonnante, ils le disent eux-mêmes, ils sont dans une forme de « ni-ni », ils ne soutiennent ni le gouvernement, ni les manifestants…
GUILLAUME DURAND
C'est ce qu'a exprimé Gérard LARCHER…
JULIEN DENORMANDIE
C'est ce qu'a exprimé Gérard LARCHER, mais d'autres. Les Républicains aujourd'hui, ils sont dans une situation où, en fait, ils ne soutiennent pas une refondation de ce système alors même qu'ils savent que cela va dans le bon sens et que c'est important parce que, précisément, ils n'ont jamais eu le courage de le faire. Et donc…
GUILLAUME DURAND
… Réforme des retraites, pardonnez-moi…
JULIEN DENORMANDIE
Mais qui était une réforme purement paramétrique, où la seule question, c'était la durée d'âge uniquement. Mais Les Républicains n'ont jamais eu le courage de faire ce que nous sommes en train de faire, c'est-à-dire un régime universel, les mêmes règles pour tous, donc mettre fin aux régimes spéciaux, c'est-à-dire lutter contre les inégalités, c'est-à-dire, pas simplement faire une réforme de paramètre, mais faire une réforme qui à la fin lutte contre les inégalités et sauve ce système des retraites. Les Républicains n'ont jamais eu le courage de la faire, et aujourd'hui, ils ne soutiennent ni le gouvernement parce qu'ils n'osent pas faire, ils n'osent pas le faire, parce que, ce que nous sommes en train de faire, ils ont toujours voulu le faire, mais ils n'ont jamais eu le courage de le faire, ni les manifestants, parce qu'ils leur reprochent cela…
GUILLAUME DURAND
Julien DENORMANDIE, vous connaissez le risque politique, alors, évidemment, les médias en rajoutent dans la perspective du 5 décembre, mais ils en rajoutent parce qu'ils sentent l'inquiétude du gouvernement. Si vous avez Les Républicains qui sont dans le « ni-ni », comme vous l'expliquiez tout à l'heure, le Rassemblement national qui est contre, La France Insoumise qui est vent debout contre, la CGT qui est contre, Force ouvrière qui est contre, des catégories sociales qui s'inquiètent comme par exemple les avocats. Le MEDEF, qui considère qu'au fond, ils étaient pour un âge pivot, mais que la modification de l'ensemble du système ne lui paraissait pas une évidence, en tout cas, il ne la réclamait pas ; ça fait quand même beaucoup de gens qui risquent de se retrouver le 5 décembre dans la rue, il ne s'agit pas simplement de dire : ils ont tort, ils ont raison, mais ils y seront dans la rue.
JULIEN DENORMANDIE
Oui. Alors après, il faut différencier.
GUILLAUME DURAND
Pas le MEDEF, mais…
JULIEN DENORMANDIE
Oui. Vous avez ceux qui manifestent parce qu'ils craignent la fin des régimes spéciaux. Encore une fois, moi je peux totalement le comprendre. On ne vise jamais les personnes, on vise ces régimes spéciaux qui ne sont pas la ligne. Après vous en avez d'autres qui clairement font de la politique et je ne peux pas le leur reprocher. Mais enfin, ils font de la politique. Guillaume TABARD tout à l'heure disait : « Certains critiquent le fait que le Front national et le Parti socialiste manifestent au même moment dans la même rue. »
GUILLAUME DURAND
Ça s'appelle le Rassemblement national. Je fais la même gaffe tout le temps.
JULIEN DENORMANDIE
Le Rassemblement national. Mais la vérité, c'est que ces deux partis politiques n'ont même pas les mêmes projets sur les retraites. Ils n'ont pas les mêmes projets ! Regardez ce que le Parti socialiste a fait en termes de réforme des retraites qui étaient là aussi des réformes paramétriques de mesure d'âge, là où le Front national a une position…
GUILLAUME DURAND
Il veut revenir à 60 ans.
JULIEN DENORMANDIE
Voilà. Pour autant, vous avez les deux qui manifestent. Mais pourquoi ? Mais parce qu'ils manifestent contre la volonté de réussite de ce gouvernement.
GUILLAUME DURAND
Mais il peut y avoir, vous le savez très bien, un arc électrique qui désigne Emmanuel MACRON. C'est-à-dire qu'à un moment, cette affaire peut devenir – parce que vous avez une jeune expérience politique…
JULIEN DENORMANDIE
Un sujet politique vous voulez dire.
GUILLAUME DURAND
C'est-à-dire que c'est une réforme, comme vous l'avez expliqué, mais en même temps ça devient un référendum pour ou contre MACRON et tout le monde s'y engouffre. Même s'ils n'ont rien à se dire.
JULIEN DENORMANDIE
Oui. Mais je crois que notre responsabilité, notre responsabilité en tant que responsable politique mais aussi en tant qu'acteur représentant les Français, c'est de voir qu'est-ce qui fait avancer notre pays. Qu'est-ce qui est bon pour notre pays. La réforme des retraites telle qu'elle est conçue pour lutter contre ces inégalités, pour donner ces 1 000 euros, pour apporter une soutenabilité de ce système qui est encore en déficit, notre responsabilité c'est de la faire avancer très clairement. Et d'ailleurs encore une fois, j'insiste dessus, les Français aujourd'hui quand vous les interrogez sont en faveur de cette réforme.
GUILLAUME DURAND
Oui. Mais ils ont peur qu'à un moment ou à un autre, si la crise mondiale se déclenche comme en 2008, les cotisations finissent par baisser. Vous vous souvenez probablement que dans les années 90, la Suède qui avait monté un système comme ça justement qui était extrêmement complexe a été obligée de l'arrêter parce que plus personne ne pouvait payer.
JULIEN DENORMANDIE
Mais c'est là où moi, je veux être très rassurant. Vous savez, la réforme va consister à garder le système de répartition, c'est-à-dire que les actifs d'aujourd'hui financent la retraite des retraités. Mais en même temps, il va passer à un régime par points. C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'on travaille, on va accumuler des points plutôt que ces systèmes de trimestres, d'annuités, etc à la fois incompréhensibles et injustes. Mais des systèmes par points, il s'avère que dans notre pays ça existe et beaucoup les connaissent. C'est par exemple les systèmes de régime de retraite complémentaire comme AGIRC-ARRCO. Est-ce que le régime fonctionne mal ? Non, et les Français le connaissent très bien.
GUILLAUME DURAND
Mais ce n'est pas une manière de répondre totalement, j'entends l'argument, à justifier cette espèce d'arc électrique qui se dessine. Si le gouvernement communique, si vous êtes là ce matin, s'il y a eu ce séminaire gouvernemental hier, c'est que quand même il est assez conscient du risque. L'année écoulée n'a pas été une année calme, il y a même eu des violences considérables. On se souvient encore de la place d'Italie il y a quelques jours donc tout si tout ça se mélange, ça devient un problème politique.
JULIEN DENORMANDIE
Vous avez raison. Le gouvernement est très déterminé. Il est très déterminé à aller au bout de cette réforme. Enfin, le gouvernement veut agir avec la méthode, la méthode qu'on lui connaît maintenant depuis deux ans. C'est-à-dire qu'effectivement, on va le faire en concertation, en discussion.
GUILLAUME DURAND
Mais jusqu'à quand ?
JULIEN DENORMANDIE
Jusqu'au moment où on aura un projet de loi qui sera présenté en conseil des ministres et puis qui ensuite sera…
GUILLAUME DURAND
Le projet de loi sera sur la table avant la fin de l'année ?
JULIEN DENORMANDIE
Monsieur DELEVOYE remet des propositions les 8, 9, 10 décembre. Le Premier ministre à ce moment-là de ces propositions va présenter les axes d'ici la fin de l'année et suite à ces axes présentés, le projet de loi pourra être écrit et présenté en conseil des ministres.
GUILLAUME DURAND
Ça laisse quand même peu de temps pour la concertation.
JULIEN DENORMANDIE
Oui. Mais enfin, attendez, ça fait deux ans que la concertation a commencé et au moment même où on se parle, la concertation continue. Donc non, il y a eu beaucoup de temps pour la concertation ; d'ailleurs beaucoup nous le reprochent. Beaucoup nous disent : « Au final, vous devriez aller plus vite et mettre d'ores et déjà sur la table tout le contenu de la réforme sans même faire la concertation. » Non, ce n'est pas comme ça que ça se passe. Donc on va le faire dans le bon ordre avec une seule boussole : c'est un bien fondé pour les Français. Une méthode, la détermination mais dans la concertation.
GUILLAUME DURAND
Nous étions avec Julien DENORMANDIE, chargé notamment du Logement. Mais là, nous parlions évidemment d'un sujet beaucoup plus large ce matin qui est celui effectivement de cette réforme des retraites avec en point de mire donc le milieu de la semaine, comme vous le savez, les transports puisque vous connaissez bien ce sujet. Les transports seront assurés, il va y avoir un service minimum, quelque chose ?
JULIEN DENORMANDIE
Il y a dans la loi ce qu'on appelle les services garantis. C'est-à-dire qu'on est en train d'en discuter. Vous avez à la fois la SNCF mais aussi la RATP ou les autres organisations qui doivent transmettre à leur organe supérieur et puis au gouvernement le nombre de personnes qui seront en grève pour organiser ce trafic garanti. Donc mon collègue Jean-Baptiste DJEBBARI est aujourd'hui à la table avec l'ensemble de ces organisations pour faire en sorte que l'impact…
GUILLAUME DURAND
Qu'il y ait un service minimum.
JULIEN DENORMANDIE
Que l'impact de cette grève soit le minimum pour les Français même si évidemment jeudi ne sera pas une journée comme les autres d'un point de vue du transport. Puis je crois que tout le monde en a conscience.
GUILLAUME DURAND
Julien DENORMANDIE était l'invité politique de la Matinale. Bonne journée à vous. Merci d'être venu.
JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.
Source Service d'information du Gouvernement, le 3 décembre 2019