Texte intégral
RENAUD BLANC
Bonjour Marc FESNEAU.
MARC FESNEAU
Bonjour.
RENAUD BLANC
Ministre chargé des Relations avec le Parlement. Vous venez d'écouter Guillaume et son édito sur les retraites. Couac au gouvernement, il a parlé trop vite, pour vous, Jean-Paul DELEVOYE ?
MARC FESNEAU
Oh, je ne pense pas que l'on puisse parler de couac. Jean-Paul DELEVOYE il a exprimé une préférence, d'une certaine façon…
RENAUD BLANC
Ah, il a été très clair quand même dans le Parisien, en disant…
MARC FESNEAU
Oui, il a exprimé une préférence. La ligne du gouvernement elle est dictée par le Premier ministre et par le président de la République, le président de la République a simplement rappelé ce qu'était la ligne, c'est-à-dire à la fois les grands points de la réforme, l'universalité, le système par répartition, la convergence des régimes spéciaux. Après, dans les conditions de mise en œuvre, on ne peut pas à la fois dire, et c'est ce que nous souhaitons et c'est ce que fait je crois avec beaucoup de force Jean-Paul DELEVOYE, on veut discuter, on veut dialoguer, on veut regarder les conditions de mise en œuvre de cette réforme, et en même temps acter tel ou tel principe de mise en œuvre de la réforme. Je pense que c'est bien qu'on puisse rappeler, et qu'il était rappelé, qu'il faut laisser le temps du dialogue. Il y a 42 régimes, l'objectif c'est de les faire converger, on voit bien que c'est des régimes qui ont 70, 75, 80 ans de recul, et que donc la convergence est forcément un exercice délicat.
RENAUD BLANC
Il y a quand même une grosse colère du côté de Matignon et de l'Elysée. On a le sentiment, même si vous, vous êtes très clair, on a le sentiment que le gouvernement ne sait pas exactement jusqu'où il veut aller.
MARC FESNEAU
Si, le gouvernement il sait où il veut aller dans ses grands principes. Après, je le répète, vous ne pouvez pas dire : on veut dialoguer, regardez comme on fait les choses, et en même temps, sinon on tronquerait le dialogue d'une certaine façon, avoir déjà une idée totalement arrêtée de ce que nous voulons faire. Et moi je pense que c'est bien qu'on puisse discuter avec les syndicats, avec les responsables syndicaux des différents régimes spéciaux, en tout cas ceux qui défendent ces régimes spéciaux, pour regarder avec les conditions de mise en œuvre. Donc on parle de grosse colère, moi j'étais au Conseil des ministres hier, je n'ai pas vu une grosse colère du tout.
RENAUD BLANC
Je ne m'attendais pas à ce que vous me disiez qu'on avait vu une grosse colère.
MARC FESNEAU
Non non, mais on est quelques témoins à ne pas avoir perçu une grosse colère, simplement l'idée de rappeler de façon très forte, mais sans colère, de ce qu'était la ligne du gouvernement.
RENAUD BLANC
Il y a ce sondage Elabe - Radio Classique, qui montre qu'un Français, que près d'un Français sur deux est opposé aujourd'hui à la réforme des retraites. C'est compliqué ?
MARC FESNEAU
Eh bien c'est forcément compliqué, parce que c'est une réforme du système, on ne peut pas dire qu'elle ne soit pas ambitieuse dans ses points de démarrage, et donc forcément ça peut créer des inquiétudes, forcément un certain nombre de Français peuvent s'interroger sur les conditions de mise en œuvre, c'est bien l'objet du dialogue, mais moi je trouve assez normal que les Français puissent s'interroger sur les conditions de mise en œuvre de cette réforme. Je ne vois pas de choses étonnantes de ce point de vue-là. Puisqu'on change quelque chose. Dès qu'on transforme quelque chose dans ce pays, et globalement dès qu'on transforme quelque chose dans tous les pays du monde, il y a toujours des moments d'inquiétude et des moments d'interrogation. On est dans ce moment…
RENAUD BLANC
Mais surtout quand on ne sait pas si on change en 2025 ou si on change en 2265, donc effectivement il va falloir trancher assez vite.
MARC FESNEAU
Mais on tranchera dans les temps qu'il faudra, mais en prenant le temps du dialogue.
RENAUD BLANC
Et le vote, toujours prévu pour le mois de juin ?
MARC FESNEAU
Mais l'idée c'était d'avoir un texte pour le printemps, pour qu'effectivement dans ces horizons-là on puisse aboutir sur la réforme.
RENAUD BLANC
"L'idée c'était", ça veut dire que cette idée a du plomb dans l'aile ?
MARC FESNEAU
Non non, ça reste…
RENAUD BLANC
Ça reste l'objectif.
MARC FESNEAU
L'imparfait était un retour dans le temps, mais ça reste cette idée-là, puisque je suis chargé des Relations avec le Parlement, je peux vous le dire.
RENAUD BLANC
Mais justement, c'était pour ça que je vous posais la question. 5 décembre, ça sent la poudre pour vous, ou pas ?
MARC FESNEAU
C'est un moment de mobilisation et c'est normal. Moi je l'ai dit il y a quelques temps, d'ailleurs je regrette que, au moment où on dialogue, au moment où on a, vous venez de le dire d'ailleurs, pas forcément sur les conditions de mise en œuvre, arrêté toutes les choses, on pratique d'une certaine façon la grève préventive. Si la simple idée de réforme provoque la grève, moi je trouve qu'il y a quelque chose d'assez regrettable. Le droit de grève est un droit constitutionnel, garanti d'une certaine façon, et c'est très bien que certains puissent exprimer des choses au travers de la grève, mais je pense que le temps, plutôt que de la grève, est plutôt au dialogue. La grève se justifie quand on est dans une situation d'impasse, et je ne vois pas, dans ce que dit le gouvernement, de ce que nous faisons, dans ce que nous mettons sur la table, aujourd'hui, une situation d'impasse avec les syndicats. On peut ne pas être d'accord, mais en tout cas on essaie de trouver des voies de convergence avec eux.
RENAUD BLANC
Et la comparaison 1995/2019, on en parle beaucoup en ce moment.
MARC FESNEAU
Oui, d'une certaine façon certains le manient comme un rêve, une espèce de convergence ou d'une espèce de blocage général du pays. D'abord il n'y a pas à se réjouir d'une perspective comme celle-là, je pense que depuis 25 ans, et ça pour le coup, si on interrogeait les Français, ils le diraient j'imagine, l'idée de faire converger les systèmes et l'idée parfois de l'injustice des systèmes qui sont divergents, les uns avec les autres, a largement progressé dans le pays, et donc je ne pense pas du tout qu'on soit dans les mêmes conditions que celles de 95. En même temps il y a des inquiétudes et il faut essayer de les lever.
RENAUD BLANC
Marc FESNEAU, l'immigration et les quotas économiques, c'est la fin d'un tabou ? Parce que le mot quota, pendant des années, il ne fallait surtout pas le prononcer.
MARC FESNEAU
Oui, il était une forme de tabou. C'était une forme de tabou qui était... Il n'y a pas de tabou à dire que l'on peut réguler de manière quantitative l'immigration professionnelle. La vérité c'est qu'il y a de l'immigration professionnelle, il y a ailleurs beaucoup de Français aussi qui travaillent à l'extérieur des frontières, et qu'on puisse en faire un outil pour essayer de régler les problèmes de tensions sur un certain nombre de métiers, ça ne me paraît pas une chose invraisemblable. Ce n'est pas un outil de régulation de la migration, c'est un outil qui permet aussi, sur l'immigration professionnelle, d'avoir des cadres. Et l'idée de ce plan, sur l'immigration, c'est d'avoir des outils qui soient à la fois mieux pour l'intégration, et pour faire en sorte que ceux qui doivent bénéficier du droit d'asile, ou ceux qui veulent venir travailler en France, puissent le faire dans un cadre qui soit défini, et en même temps que l'on puisse réguler un certain nombre de flux.
RENAUD BLANC
C'est du "en même temps" ?
MARC FESNEAU
C'est du "en même temps", et d'ailleurs, quand on regarde les réactions des oppositions, on a le sentiment qu'on est bien dans le "en même temps", parce que chacun y trouve, d'un côté ou de l'autre, des choses à redire, mais des choses différentes.
RENAUD BLANC
La droite et l'extrême droite parlent d'escroquerie lexicale. Qu'est-ce que vous répondez Marc FESNEAU ?
MARC FESNEAU
Oui, enfin moi je veux bien toujours parler d'escroquerie, en tout cas, pour ce qui est de la droite, qu'ont-ils fait depuis des années, au-delà de parfois faire des moulinets et de dire de choses qu'ils n'ont jamais faites ? Donc je ne crois pas du tout qu'il y ait d'escroquerie lexicale. On regarde avec pragmatisme les choses, et on essaie d'avancer sur des sujets qui permettront d'améliorer les conditions d'accueil et d'améliorer les conditions de migration, c'est-à-dire de faire en sorte que ceux qui ont droit, restent sur le territoire français, et ceux qui ne doivent pas avoir droit au droit d'asile par exemple, soient reconduits aux frontières.
RENAUD BLANC
Mais vous parlez de pragmatisme, le MEDEF par exemple, estiment que les besoins réels sont d'environ 300 000 personnes dans les secteurs qui ne sont pas pourvus, or les quotas, on est à peu près à 30 000, c'est-à-dire 10 % de ce que souhaiterait le MEDEF. Est-ce que ce n'est pas finalement, j'allais dire, excusez-moi le mot, mais presque un gadget ?
MARC FESNEAU
Pardonnez-moi de dire... D'abord on n'est pas obligé forcément de s'aligner sur les positions du MEDEF…
RENAUD BLANC
C'est sûr, non mais sur ce chiffre de 300 000 ?
MARC FESNEAU
Et deuxième chose, il y a aussi tout un plan de formation professionnelle, d'orientation des Français vers les métiers qui vont être en tension, et c'est aussi là qu'on a des gisements. On a quand même aussi un certain nombre de métiers sur lesquels on peut pourvoir aux postes, dans le périmètre national, et sans sortir, et sans qu'on ait besoin d'avoir recours à l'immigration professionnelle. Donc c'est un équilibre entre les deux. Il y a des tas de métiers qui sont en tension, mais il y a aussi des dispositifs de formation qu'on a souhaité renforcer, je crois que le plan de réforme de la formation professionnelle a été très loin, et commence à porter ses fruits, et c'est là aussi qu'on trouvera les moyens de répondre aux besoins des entreprises. C'est vrai que quand on discute avec les entreprises, il y a un certain nombre de métiers qui sont en tension, et qui d'une certaine façon freinent la croissance, donc, enfin pas que d'une certaine façon, qui freinent objectivement la croissance, et là le travail qu'on a à faire, c'est aussi de pourvoir ces postes avec des Français.
RENAUD BLANC
Alors, on va changer de sujet avec cette interview d'Emmanuel MACRON dans The Economist : "La règle des 3 % de déficit, un débat d'un autre siècle", assure le chef de l'Etat. Voilà c'est assez cash.
MARC FESNEAU
C'est assez cash, pourquoi ? D'abord elle est d'un autre siècle au sens que le président de la République dit qu'on ne peut pas simplement caler notre politique économique sur l'idée qu'il faudrait simplement être à 3 %. Ceci étant, il faut regarder les actes et les faits. Le gouvernement se tient depuis le début du quinquennat à essayer de tenir cette barre des 3 %, et on est d'ailleurs en dessous, on est très largement en-dessous cette année, mais l'exercice budgétaire, la nécessité d'être rigoureux dans l'exercice budgétaire, n'empêche pas qu'on puisse se poser des questions, et qu'on ne résume pas une politique économique à une politique budgétaire. Or, on voit bien que l'Europe est plutôt enfreinte d'investissement. Les Allemands, qui ont un exercice budgétaire très vertueux, quand vous interrogez les collectivités locales, ou quand vous interrogez les entreprises allemandes, ils voient bien qu'ils ont un retard d'investissements, et donc le budget ce n'est pas simplement pour tenir le cran de 3 %, c'est aussi pour aller au service d'une politique, et une politique d'investissements. Bien sûr on a des sujets transition écologique qui vont nécessiter des investissements de très grande ampleur, et il faut tenir ces deux leviers, et une politique économique qui se tiendrait simplement à une politique de rigueur budgétaire, ne suffirait pas, c'est ce qu'a voulu dire le président de la République, et je crois qu'il a eu raison de le dire, parce qu'au fond, pour les citoyens français, on a résumé la politique économique de l'Europe à une politique très rigoureuse en termes budgétaires, mais au fond ce qu'il faut, c'est du développement économique, de la croissance et de l'emploi.
RENAUD BLANC
Bon, je pense qu'ils vont beaucoup en parler ensemble, Angela MERKEL et Emmanuel MACRON…
MARC FESNEAU
J'imagine dimanche.
RENAUD BLANC
... qui se retrouvent dimanche. Je ne suis pas persuadé que Berlin apprécie ce type de déclaration. Les municipales, Marc FESNEAU, le plan B proposé par François BAYROU à Paris, vous en pensez quoi ? C'est, vous estimez vous aussi que GRIVEAUX et VILLANI ne feront pas le poids face à Anne HIDALGO ?
MARC FESNEAU
Moi je pense qu'il y a eu un choix qui a été fait par la République En Marche, et que nous partageons un objectif avec la République En Marche, c'est d'offrir une alternative à Anne HIDALGO. Il y a des discussions entre le MoDem et la République En Marche, il nous appartient d'essayer de trouver des voies de convergence pour que…
RENAUD BLANC
Enfin on a parlé clairement, François BAYROU a parlé clairement d'un plan B, donc c'était ni GRIVEAUX, ni VILLANI.
MARC FESNEAU
Non non, mais il ne m'a pas échappé que François BAYROU... Mais il n'a pas, en tant que tel, cité des noms. Enfin, il a cité des noms en disant lui-même d'ailleurs que c'était des choses qui ne paraissaient pas envisageables à ce stade. On a collectivement intérêt à offrir une alternative aux Parisiens, et donc je pense que c'est avec cette ligne-là qu'il faut le faire, dès lors qu'on est d'accord sur cet objectif, je suis sûr qu'on trouvera les moyens de la convergence.
RENAUD BLANC
Le 6 décembre, François BAYROU, Marielle de SARNEZ et Sylvie GOULARD seront devant la justice pour une probable mise en examen. Coup très dur quand même pour le MoDem.
MARC FESNEAU
Moi je ne vais pas commenter, il y a quelque chose qui me, je vais vous le dire, qui me choque comme ministre, et de toute façon comme responsable public, je pense qu'on n'a pas à commenter les procédures judiciaires. Donc je me tiendrai strictement à cette ligne-là. En revanche, que des procédures, des dates, des lieux préalablement, au moment où les choses se passent, soient déjà dans la Presse, il y a quelque chose qui me paraît enfreindre une règle simple, c'est le secret de l'instruction, et je pense qu'on le doit aux personnes qui sont nommées. Parce que depuis des mois et des années, depuis 2017 en particulier, François BAYROU et d'autres, et Marielle de SARNEZ, on lit beaucoup de choses dans la Presse, ils n'ont pas forcément d'ailleurs accès à toutes ces déclarations, je trouve qu'il y a quelque chose qui ne va pas, dans un système où au fond, tout ce qui relèverait du secret de l'instruction est dévoilé dans la Presse, puisqu'à la fois il faut respecter l'indépendance de la justice…
RENAUD BLANC
Ce n'est PS pas la première fois, Marc FESNEAU.
MARC FESNEAU
Non non, mais c'est une règle générale. Je trouve qu'à la fois il faut respecter l'indépendance de la justice, que c'est une des conditions de l'équilibre des pouvoirs, mais en même temps il faut qu'on garantisse à tous de pouvoir exercer le contradictoire, et deux, que ne se retrouvent pas dans la Presse, des choses sur lesquelles on ne peut pas répondre au fond. Et donc c'est quelque chose de très injuste, pour le reste chacun connaît les relations d'amitié que j'ai avec l'un et avec l'autre, et voilà, ils se défendront et je pense qu'ils attendent aussi ce moment du contradictoire.
RENAUD BLANC
Merci Marc FESNEAU d'avoir été ce matin l'invité de Radio Classique, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, l'invité de Radio Classique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 novembre 2019