Interview de Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État, porte-parole du Gouvernement, à France Culture le 4 novembre 2019, sur le choix d'Emmanuel Macron de s'entretenir avec "Valeurs Actuelles" à propos de l'immigration.

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Intervenant(s) : 
  • Sibeth Ndiaye - Secrétaire d'État, porte-parole du gouvernement

Média : France Culture

Texte intégral

GUILLAUME ERNER
Suite à la polémique sur le port du voile durant les sorties scolaires et à l'attaque contre la mosquée de Bayonne qui a fait deux blessés, Emmanuel MACRON a donné une interview au magazine conservateur "Valeurs actuelles", le président a réaffirmé sa volonté de lutter, je cite, contre le communautarisme, sans vouloir tomber dans le piège de l'amalgame entre communautarisme et islam. Alors qu'à mi-mandat Emmanuel MACRON s'exprime sur l'immigration, le gouvernement doit relever le défi de la réforme des retraites et de possibles mobilisations sociales, 1 an après le début des Gilets jaunes. Que faut-il retenir de la première moitié du quinquennat d'Emmanuel MACRON ? Pour en parler nous sommes en compagnie de Sibeth NDIAYE, vous êtes secrétaire d'État auprès du Premier ministre et porte-parole du gouvernement. Et tout d'abord une question Sibeth NDIAYE, sur le choix de ce magazine, "Valeurs actuelles", pour cette intervention d'Emmanuel MACRON, qu'en pensez-vous ?

SIBETH NDIAYE
Bonjour tout d'abord et bonjour à l'ensemble de vos auditeurs. Ecoutez, j'ai du mal à comprendre, au fond, la polémique que fait l'objet de cette interview parce que le président de la République a vocation à parler à tous les Français, quelles que soient leurs opinions, et d'autant plus, je crois, lorsqu'il ne partage pas ces opinions, et c'est le cas, je crois, des lecteurs de "Valeurs actuelles."

GUILLAUME ERNER
Mais alors, il y a dans l'introduction de cet article un aveu prêté au chef de l'Etat lorsqu'il est question du terrain de "Valeurs actuelles", Emmanuel MACRON aurait dit "c'est celui que je préfère." Qu'est-ce que ça signifie, est-ce que justement on a affaire à un président qui s'exprime dans un titre qui ne reflète pas ses opinions, ou bien est-ce qu'il y a, comme il semble dire dans ce propos, une part de ce que dit "Valeurs actuelles", qui rejoint ses préoccupations, ses opinions ?

SIBETH NDIAYE
Le président de la République, vous l'aurez compris depuis maintenant 2,5 ans qu'il est président de la République, et sans doute bien avant lorsqu'il était ministre de l'Economie, est un combattant, un combattant des idées et un combattant de la réforme, et ça fait bien longtemps qu'il n'a de cesse de n'occulter aucun débat dans notre pays, et je crois que c'est exactement ce qu'il a fait ces dernières semaines, avec le débat sur l'immigration, qu'il avait souhaité au sortir du grand débat national après la crise des Gilets jaunes. Je crois que c'est important, dans notre pays, de n'occulter aucune question, d'affronter tous les débats et d'avoir systématiquement le même discours, quels que soient vos interlocuteurs.

GUILLAUME ERNER
Vous connaissez bien la presse, vous savez que s'exprimer dans "Valeurs actuelles" c'est forcément quelque chose qui va être interprété comme un symbole, et d'ailleurs on a pu lire qu'il y a eu des remous, des gens qui se disaient "quand même, Valeurs actuelles c'est peut-être un peu droitier", on a tout à fait le droit d'être très droitier, mais si ça correspond à désormais une inflexion de la politique d'Emmanuel MACRON, alors, justement, il est intéressant d'en parler avec vous Sibeth NDIAYE.

SIBETH NDIAYE
Donc ça veut dire quoi, ça veut dire que si vous vous exprimez dans "Libération" vous êtes forcément de gauche ? Ça veut dire que si vous vous exprimez dans "Le Figaro", vous êtes forcément de droite ? Enfin, ça n'a absolument aucun sens. Qu'il puisse y avoir un lectorat qui soit adossé à des journaux, qu'il puisse y avoir des lignes éditoriales, c'est une évidence, et c'est bien normal, c'est bien la liberté de la presse, mais je pense que c'est aussi important que les responsables politiques parlent à tous les Français et parlent à tous les médias. Que dirait-on du président de la République considérant qu'il ne faut pas parler à BFM parce qu'ils ont traité de telle ou telle manière la crise des Gilets jaunes ? Qu'il ne faut pas parler…

GUILLAUME ERNER
De mauvaise manière ?

SIBETH NDIAYE
Je ne porte aucun jugement sur cette manière ; qu'il ne faut pas parler à CNEWS par exemple, parce que sur CNEWS vous avez Eric ZEMMOUR, mais où va-t-on ?

GUILLAUME ERNER
Il paraît que le président aurait qualifié Eric ZEMMOUR de "personne très intelligente", qu'en pensez-vous ?

SIBETH NDIAYE
Moi ce n'est pas ce que je lis dans l'interview, donc…

GUILLAUME ERNER
Non, ça n'y est plus.

SIBETH NDIAYE
Comme je n'étais pas présente au moment de cet échange, je ne peux pas vous le confirmer, moi ce que je considère c'est qu'effectivement Eric ZEMMOUR est quelqu'un d'assez malin, suffisamment malin pour entraîner une partie, hélas non négligeable, de nos concitoyens dans des aventures xénophobes, dans des aventures qui ont vocation, au fond, à dire qu'en fait il y a une partie des Français qui ne sont pas des bons Français, par exemple comme moi.

GUILLAUME ERNER
Alors justement, aventures xénophobes – oui, il dit beaucoup de mal de vous – et, plus généralement, Sibeth NDIAYE, il y a aujourd'hui tout un discours sur l'immigration – et alors juste pour en terminer sur cette interview dans "Valeurs actuelles" - "Valeurs actuelles" dit qu'Emmanuel MACRON a tenté - je cite "Valeurs actuelles" - "de les déborder par la droite" en évoquant le nombre de personnes qui auraient été expulsées, et avec un décompte assez précis, tenu par Emmanuel MACRON, du nombre d'expulsions. Qu'est-ce que ça suscite en vous ?

SIBETH NDIAYE
Ecoutez, je pense qu'il faut, dans notre pays, avoir la capacité d'avoir un débat serein sur l'immigration. On a aujourd'hui un débat qui consiste à dire, 1) parler d'immigration c'est honteux, moi je ne crois pas du tout, je suis issue de l'immigration, et je pense au contraire que c'est important qu'on en parle, la question c'est évidemment qu'est-ce qu'on met derrière. La deuxième chose c'est, est-ce que vous considérez, normal ou pas, de vous interroger sur votre capacité à accueillir des gens ? Moi je trouve ça complètement légitime. Qu'on se pose la question de qui vient, dans quelles circonstances, comment on peut accueillir les gens, comment on s'assure que quand ils sont accueillis, ils sont bien intégrés, mais c'est des débats qui sont éminemment importants dans notre pays. Et donc, moi je ne sais pas si le président de la République il déborde "Valeurs actuelles" par leur droite ou par leur gauche, ce que…

GUILLAUME ERNER
C'est "Valeurs actuelles" qui parle !

SIBETH NDIAYE
Ce que je constate c'est que le président de la République il fait face à un sujet, qui est un sujet de préoccupations pour nos concitoyens, ce n'est peut-être pas le premier des sujets de préoccupations, il n'en demeure pas moins que quand je vois les attaques racistes, dont j'ai fait l'objet, quand je vois que Nadine MORANO explique que, comme je suis française depuis 3 ans, en fait ma place au gouvernement elle n'est pas complètement assurée, elle n'est pas complètement légitime, c'est bien que dans notre pays il y a matière à discussions. Et moi je préfère que ce soit En Marche et la majorité qui portent ce débat de manière sereine, en expliquant concrètement ce qu'est notre pays, ce qu'est son histoire, ce qu'est la mosaïque que forment toutes les cultures qui ont fondé notre pays, pour forger la communauté nationale, je préfère que ce soit En Marche et le président de la République qui mènent ce débat-là, et avec panache.

GUILLAUME ERNER
Mais, est-ce que vous vous dites que c'est sans tabous, ou alors que c'est plutôt de l'enfumage, puisque vous savez que dans les périodes compliquées, la France traverse une période compliquée, c'est toujours facile d'évoquer une bouc-émissaire Sibeth NDIAYE, et là l'immigration est parfaitement trouvée.

SIBETH NDIAYE
Quand je regarde tous les débats que pose la majorité, toutes les réformes qui ont été réalisées depuis le début du quinquennat, celles qui sont encore devant nous, je pense en particulier à la réforme des retraites, il n'y a pas de tabous, il n'y a pas de sujets que nous n'évoquerions pas. Moi je viens d'un parti, le Parti socialiste, initialement, qui est un parti qui a refusé, qui a refusé, d'aborder un certain nombre de sujets…

GUILLAUME ERNER
Lesquels ?

SIBETH NDIAYE
En particulier les sujets de l'immigration, c'est un parti dans lequel on disait parler d'immigration c'est sale, forcément vous êtes un droitier, forcément…

GUILLAUME ERNER
Manuel VALLS en a parlé.

SIBETH NDIAYE
Manuel VALLS en a parlé, mais l'âme du Parti socialiste ça a toujours été de considérer qu'on ne pouvait pas avoir de débats dessus, parce que c'était des débats qui, au fond, étaient des débats sales, des débats qui n'étaient pas dignes, on connaît le résultat. On connaît le résultat, pardon de vous le dire.

GUILLAUME ERNER
Je ne sais pas à quel résultat vous faites référence, mais…

SIBETH NDIAYE
Le résultat c'est un Parti socialiste, aujourd'hui, qui peine à atteindre les 10 % aux élections européennes.

GUILLAUME ERNER
Ah bon, donc c'est de la politique !

SIBETH NDIAYE
Non, ce n'est pas que de la politique, c'est évidemment de la politique. Faire de la politique – pardon, je me suis mal exprimée – faire de la politique c'est discuter de ce qui a du sens pour nos compatriotes. Ce qui a du sens pour nos compatriotes c'est aussi bien parler de l'avenir du système de retraite que de parler du sujet migratoire. Aujourd'hui, quand vous avez des gens qui sont heurtés par le fait que je porte des couleurs vives et qu'on me renvoie au fait que finalement je devrais me balader en boubou parce que je suis d'origine africaine, mais enfin, c'est bien qu'il y a un problème ! Donc, moi, j'ai envie de discuter avec les gens qui ont cette opinion-là, j'ai envie de leur expliquer ce qu'est l'histoire de notre pays, j'ai envie de le partager avec eux, et puis je pense aussi qu'il faut qu'on se pose collectivement des limites et qu'on discute des limites que l'on pose à l'immigration.

GUILLAUME ERNER
Mais, Sibeth NDIAYE, sur certains sujets vous avez appelé à la raison, alors par exemple sur LUBRIZOL, je ne sais pas si vous avez raison, mais vous avez dit "voilà, il faut raison garder et donc il faut attendre les analyses." Est-ce que vous ne pensez pas que, par exemple, évoquer l'AME, l'Aide Médicale d'État, évoquer un certain nombre de sujets qui touchent à l'immigration, c'est justement ne pas parler à la raison, mais plutôt à l'émotion, parce que ce sont des parts extrêmement minces du budget de la Santé, on polarise sur des thèmes qui ne sont pas en réalité des thèmes essentiels pour la santé du pays ? Enfin c'est une question, je vous la pose.

SIBETH NDIAYE
Bien sûr, c'est important, je crois, quand il y a des choses qui questionnent. Aujourd'hui on a un débat fantasmé autour de l'Aide Médicale d'Etat, on a l'impression qu'il y a des hordes de millions d'étrangers – et d'ailleurs quand vous posez la question aux Français de savoir combien il y a d'étrangers en France, ils surévaluent systématiquement le nombre d'étrangers en France par rapport à la réalité – et donc on voit bien que sur un certain nombre de débats il y a des fantasmes. Sur l'AME on a l'impression qu'il y a des gens qui utilisent à mauvais escient le système et que c'est un système, qui est généralisé, de fraudes. La réalité du débat que nous avons posé à l'Assemblée nationale c'est de dire concrètement combien nous dépensions, c'est un peu moins de 850 millions d'euros par l'AME chaque année, comment c'était utilisé, est-ce que c'était efficace ou pas, et oui, quand vous avez des maladies infectieuses qui risquent de se répandre dans la population entière, dans la population en général, il faut soigner les gens pour s'assurer que ces maladies ne se répandent pas. Mais, si nous constatons qu'il y a des fraudes, qu'il y a des filières qui conduisent à ce qu'il y ait un dévoiement fort de l'AME, évidemment qu'il faut le dénoncer, parce que sinon plus personne n'a confiance dans le système et tout le monde a l'impression que son voisin est un profiteur.

GUILLAUME ERNER
Et puis il y a une dernière chose qui est très étonnante dans ce numéro de "Valeurs actuelles", juste après les 12 pages consacrées à Emmanuel MACRON, il y a un portrait de Yassine BELATTAR, et on se dit quand même que ce président est assez étrange parce qu'on a du mal à voir où est la synthèse entre d'un côté ce discours qui est porté, qui est plutôt un discours dur sur l'immigration, et de l'autre cet homme, Yassine BELATTAR, qui est présenté comme un proche d'Emmanuel MACRON, qui lui ne tient évidemment pas le même discours sur l'islam, il se situe où d'après vous… ?

SIBETH NDIAYE
Je ne suis pas d'accord avec vous parce que je ne considère pas qu'Emmanuel porte un discours dur sur l'immigration, je pense qu'il porte au contraire un discours qui est équilibré. Quand Emmanuel MACRON dit que le droit d'asile est un droit qui est fondamental, que nous devons tout faire pour le préserver, quand Emmanuel MACRON dit qu'il faut qu'on fasse en sorte que les gens qui sont immigrés en France soient bien intégrés, quand ce gouvernement met de l'argent, comme jamais, sur l'intégration, sur le parcours d'intégration à travers le travail, c'est une vision, je crois, qui est équilibrée, de l'immigration. Donc dire que c'est une vision dure parce que simplement il s'adresse à "Valeurs actuelles", je n'adhère pas du tout à ce que vous dites.

GUILLAUME ERNER
Pour l'autre partie, lorsqu'on a Yassine BELATTAR qui est présenté – à tort ou à raison, je vous pose la question – comme étant un proche d'Emmanuel MACRON et que celui-ci explique que l'islam est aujourd'hui une composante de la France, ça c'est évident mais qu'il y a beaucoup de gens dans l'entourage d'Emmanuel MACRON qui devraient en finir avec une vision aussi… où est le barycentre de la macronie Sibeth NDIAYE ?

SIBETH NDIAYE
Le barycentre de la macronie, c'est de considérer qu'en matière de laïcité comme en matière d'immigration, comme en matière de communautarisme ou de radicalisation, on doit veiller à séparer les débats et à ne pas faire d'amalgame. Le président de la République a eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, les musulmans ne sont pas des ennemis de notre pays. Il ne l'a pas forcément formulé comme ça, mais il a eu à plusieurs reprises l'occasion de dire qu'il ne fallait pas stigmatiser nos compatriotes musulmans, qu'ils avaient parfaitement leur place dans la République, que nous devions avoir une discussion apaisée sur ce qu'est d'un côté le communautarisme, c'est-à-dire le fait que certaines personnes fassent sécession au nom d'une idéologie politique, parce qu'on parle bien là de islamisme, d'islam politique, que certaines personnes s'engageaient dans une voie de radicalisation qui pouvait se traduire par la commission d'actes terroristes, que cela nous devions lutter fortement contre ça, mais que nous avions aussi avoir une attention particulière à l'intégration. Parce qu'au fond, quand on a aujourd'hui des Français dont le nom et le prénom à consonance musulmane les conduisent à avoir 5 fois moins de chance de franchir l'étape du CV, lorsqu'ils recherchent un emploi et qu'ils font des démarches en ce sens auprès d'employeurs, on voit bien qu'il y a des discriminations importantes vis-à-vis d'une partie de nos compatriotes. Et on voit bien que le fait qu'on ait entassé dans des quartiers de relégation des personnes qui sont d'origine immigrée, des personnes qui partagent une culture ou une foi musulmane, on voit bien les difficultés que cela peut poser. Ça n'excuse rien, ça n'excuse pas le fait qu'il y ait de la radicalisation ni du communautarisme, mais il est important de regarder les choses sereinement, de les poser à plat et de pouvoir y répondre avec la même sérénité.

GUILLAUME ERNER
Alors ça se sont pour les musulmans, pour les femmes voilées vous en pensez quoi, puisque là aussi on a entendu beaucoup de discours au sein de la République en marche, donc j'aimerais savoir où vous vous situez. Est-ce que pour vous par exemple, une femme voilée c'est souhaitable ?

SIBETH NDIAYE
Alors je pense que si on a justement des approches qui sont aussi réductrices face à la complexité d'un certain nombre de sujets…

GUILLAUME ERNER
Ce n'est pas moi qui ai dit ça, c'est le ministre de l'Éducation…

SIBETH NDIAYE
Mais c'était à replacer dans un contexte et il a eu l'occasion à de multiples reprises de s'en expliquer depuis. De quoi parlons-nous sur le voile ? On parle d'abord d'une première question qui est celle de la laïcité. Comment est-ce que la laïcité doit s'entendre en France ? C'est ce que les révolutionnaires de 1789 ont marqué dans la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, c'est ce que nous avons fait dans la loi de 1905. L'Etat se doit d'être neutre vis-à-vis de la religion et vis-à-vis des convictions politiques. La société française (elle) ne l'est pas, on peut parfaitement dans l'espace public porter un voile, une kippa, une croix, on peut parfaitement aller à l'église, à la mosquée, au temple ou à la synagogue sans aucune difficulté. Seul l'État est neutre, seuls les agents du service public sont neutres. Des parents qui accompagnent à une sortie scolaire ne sont pas des agents du service public, ils n'ont donc pas vocation à être soumis à cette neutralité-là. Après, on a une question qui… ça c'est la laïcité, les principes en sont clairs et on sait parfaitement – compte tenu de notre arsenal juridique aujourd'hui – gérer ces sujet-là. Et Jean-Michel BLANQUER a d'ailleurs souhaité qu'il y ait une sorte de Haut conseil des sages qui permette d'aider les rectorats, les académies à chaque fois en France quand il y a des sujets un peu difficiles qui se posent à venir les résoudre. Les choses sont de ce point de vue-là claires. Après il y a une autre question qui se pose, c'est est-ce que au fond l'islam est une religion qui est compatible avec les valeurs républicaines ? Moi je le crois très profondément. Qu'il puisse y avoir du dévoiement, qu'il puisse y avoir des gens qui font un pas de côté et parfois un très gros pas de côté qui les mène vers la radicalisation, il faut le condamner. Mais de l'islam est profondément compatible avec les valeurs de la République. Est-ce qu'une femme voilée est compatible avec les valeurs de la République ? Mon sentiment personnel, c'est que le voile est plutôt en lien avec quelque chose qui tient de l'ordre de l'oppression de la femme, c'est ma conviction de féministe. Mais je sais aussi parce que j'ai vécu très longuement en Seine-Saint-Denis, où vous avez une communauté musulmane importante, je sais aussi qu'il y a des femmes qui ne le ressentent pas comme tel. Quel est mon devoir politique ? C'est de m'assurer que les femmes qui font le choix de porter le voile le font en toute liberté. Et donc je crée les conditions à l'école de l'apprentissage des valeurs républicaines ; et les femmes qui font ce choix-là le fond en conscience parce que c'est leur choix. Mais ça je veux m'en assurer, je veux être certaine qu'elles ne sont pas contraintes.

GUILLAUME ERNER
L'une des explications au voile, c'est que finalement c'est une réaction à une situation de stigmatisation et qu'il s'agit en quelque sorte de récupérer le stigmate et de l'assumer. Sur toute la question des discriminations, qu'est-ce que le gouvernement a fait, qu'est-ce qu'il a fait contre les violences policières, c'est un gros sujet les violences policières contre les gilets jaunes mais aussi contre les jeunes et pas n'importe quels jeunes, il y a une part de ces violences qui s'explique tout simplement par des actes racistes ou racistoïte (phon), qu'est-ce que vous en pensez et qu'est-ce que vous comptez faire concrètement, alors que pas grand-chose n'a été fait jusqu'ici contre cela Sibeth NDIAYE ?

SIBETH NDIAYE
Alors je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur la politique vis-à-vis de la jeunesse. Je pense que depuis le début du quinquennat, il y a un certain nombre de choses qui ont été réalisées, en particulier dans la jeunesse des banlieues. Précisément, il y a eu des emplois francs… je ne vais pas faire un catalogue de ce qui a été réalisé, mais c'est évidemment un sujet pour nous de préoccupation. Je pense qu'il faut distinguer plusieurs choses, vous évoquiez les violences policières, moi je récuse ce terme parce qu'on est dans une démocratie dans laquelle les seuls titulaires de la violence…

GUILLAUME ERNER
Il y a plein de photos à votre disposition !

SIBETH NDIAYE
Mais c'est le terme de violences policières sémantiquement parlant, qu'il y ait de la violence qui s'exerce par l'Etat, c'est une violence qui est légitime parce qu'il faut bien dans un Etat qu'il y ait des policiers pour poursuivre les voleurs…

GUILLAUME ERNER
Quand celle-ci est proportionnée !

SIBETH NDIAYE
Et donc évidemment, la question c'est l'usage de la force, est-ce que c'est bien discriminé, c'est-à-dire est-ce qu'on fait les bons choix quand on fait usage de la force ; et ensuite est-ce que quand ces choix-là sont faits est-ce que les choses sont bien proportionnée ? Et ça, c'est un débat qu'on peut avoir et d'ailleurs vous savez quoi, depuis la crise des gilets jaunes nous l'avons. Parce que cette crise des gilets jaunes…

GUILLAUME ERNER
Est-ce qu'il y a eu des condamnations de policiers ?

SIBETH NDIAYE
Il y a des enquêtes qui ont eu lieu, elles se font sous l'autorité du parquet, le service enquêteur qui a été désigné c'est l'IGPN dans la grande majorité des cas et, donc, il y a des enquêtes qui sont menées. Le pouvoir politique n'a pas vocation à s'immiscer dans ces enquêtes pour dire au juge allez plus vite, allez moins vite, faites ceci ou faites cela, c'est le principe d'indépendance de la justice en France. Mais il y a des enquêtes, ces enquêtes elles sont menées et elles iront évidemment à leur terme s'il y a lieu ; et si, il y a des condamnations ces condamnations auront évidemment lieu. Ça c'est une première chose. Il y a une deuxième chose que je voudrais dire, c'est que dans la crise des gilets jaunes, on a connu une violence pour le coup politique légitimée telle que nous n'en avions pas connue depuis extrêmement longtemps, et je ne suis même pas sûre qu'on l'ait déjà connue de cette manière-là. On voit aujourd'hui que beaucoup de sommets internationaux, c'est le cas en France comme ailleurs, mais que beaucoup de sommets internationaux sont perturbés par des Black Blocs. On voit même qu'en France on a eu ce qu'on appelle les ultras Jose (phon), et on se rappelle des images de violence qu'on a eues à travers le pays, des centres villes qui ont été saccagés. Face à cette violence-là, il y a eu une réaction, une adaptation de la stratégie de maintien de l'ordre. Peut-être qu'il y a eu des erreurs, mais nous avions à faire face à une violence de ce point de vue-là inédite. Nous avons aujourd'hui une réflexion qui est menée au ministère de l'Intérieur, ce qu'on appelle le Livre Blanc de la sécurité, pour adapter notre posture de maintien de l'ordre à ces nouvelles formes de menaces et à ces nouvelles formes de manifestation. Nous verrons dans les semaines à venir comment ça se résout.

GUILLAUME ERNER
On va continuer d'évoquer ce thème et je vous reposerai une question sur les violences d'État et sur ce que l'on peut qualifier comme relevant du racisme d'Etat. Vous nous donnerez votre point de vue Sibeth NDIAYE sur ce thème, vous êtes porte-parole du gouvernement, on vous retrouve dans une vingtaine de minutes.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 novembre 2019