Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à Radio Classique le 4 décembre 2019, sur la mise en examen de François Bayrou et la réforme des retraites.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET Bonjour.

GUILLAUME DURAND Bienvenue.

NICOLE BELLOUBET Merci.

(…) Chronique politique de Guillaume TABARD sur François BAYROU convoqué vendredi en vue d'une mise en examen dans le cadre d'une enquête sur les assistants du MoDem au Parlement européen. (…)

GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct avec Nicole BELLOUBET qui, vous le savez, est garde des Sceaux. Les questions sont multiples. Un mot justement sur le rôle de la justice dans la vie politique, est-ce que vous avez l'impression qu'elle en fait de trop ? Alors, c'est très compliqué que vous vous prononciez sur ce sujet, puisque vous êtes effectivement la justice incarnée au gouvernement.

NICOLE BELLOUBET
La justice n'en fait jamais trop. Je crois que vis-à-vis des hommes et des femmes politiques il y a une exigence de probité, qui découle finalement de ce que veulent nos concitoyens, et cette exigence de probité elle se traduit également, parfois, par des actions en justice. Non, la justice n'en fait jamais trop. En revanche, sur un certain nombre de points je suis en accord avec ce qu'a dit Guillaume TABARD.

GUILLAUME DURAND
C'est-à-dire que BAYROU a raison de rester à la mairie de Pau et de faire trancher ce différend, s'il existe, pas les électeurs…

NICOLE BELLOUBET
Je rappelle que la mise en examen n'emporte pas une atteinte à la présomption d'innocence, et donc…

GUILLAUME DURAND

Oui, sauf que vous savez que ça a un impact médiatique, et nous en sommes responsables…

NICOLE BELLOUBET

Non mais, l'impact médiatique…

GUILLAUME DURAND
Les gens ont l'impression que le fait qu'on en parle et qu'on vous accuse…

NICOLE BELLOUBET
Oui, c'est la raison pour laquelle je dis qu'il y a d'abord la présomption d'innocence. Après, être mis en examen, c'est un statut juridique, d'ailleurs au moment où nous parlons François BAYROU n'est pas mis en examen, et je ne sais pas s'il le sera, donc je ne me prononce pas d'ailleurs sur ces affaires en cours, mais je crois que c'est important de rappeler que, être mis en examen c'est un statut juridique qui donne accès au dossier, qui permet un certain nombre d'éléments procéduraux.

GUILLAUME DURAND
Question, qui va vous faire sourire dans un contexte qui est extrêmement chargé, mais à caractère personnel, est-ce que vous serez candidate aux régionales en Occitanie en 2021 ?

NICOLE BELLOUBET Je trouve, il est inconcevable qu'un responsable politique ne s'intéresse pas aux élections, c'est mon cas. Je m'intéresse aux élections municipales, à toutes les élections, je n'ai jamais rien dit d'autre. Je ne sais pas d'où est née cette rumeur, c'est tout ce que j'ai à dire sur ce sujet.

GUILLAUME DURAND
Oui, mais c'est oui ou c'est non ?

NICOLE BELLOUBET
Mais c'est, ni oui, ni non, la question ne se pose même pas, j'ai simplement dit que je m'intéressais aux élections, c'est tout.

GUILLAUME DURAND
Question, là on entre dans le dur du sujet et on va parler ensemble du fond de la réforme des retraites évidemment. Il y a pour beaucoup de gens, si vous voulez, étant donné que les syndicats sont quand même beaucoup moins puissants et représentatifs qu'ils ne l'étaient dans le passé, y compris d'ailleurs les partis politiques, il faut voir ce qui s'est passé avec les Gilets jaunes, donc les gens se posent beaucoup de questions évidemment, de transports, de sécurisation de leurs enfants et de sécurité en général après évidemment l'épisode des Gilets jaunes. On a vu place d'Italie tous ces casseurs, Black blocs sont arrivés et qui ont détruit la stèle du Maréchal Juin sans que vraiment il y ait de présence policière. Vous êtes garde des Sceaux, vous faites un duo, d'une certaine manière, avec CASTANER et NUNEZ, plutôt un trio, sur ces affaires-là, est-ce que vous pouvez nous dire ce matin si tout a été fait pour que justement ces fameux Black blocs soient bloqués quelque part, dans les métros, de manière à ce qu'ils ne fassent pas irruption dans les cortèges, qui vont être nombreux ?

NICOLE BELLOUBET
En tant que ministre de la Justice je ne m'occupe pas des questions de maintien de l'ordre et d'organisation du maintien de l'ordre, ça c'est le travail de mes collègues.

GUILLAUME DURAND
Mais enfin ça vous concerne quand même !

NICOLE BELLOUBET
Non, attendez. D'abord moi je voudrais dire une chose, c'est que, en France, la liberté de manifester existe, et c'est sain, il faut que les gens puissent exprimer leurs colères, leurs revendications, leurs oppositions, c'est sain, ce qui n'est pas normal c'est effectivement l'irruption de Black blocs, d'ultra-jaunes, d'ultra-noirs, je ne sais, ça ce n'est pas normal parce que l'ordre public c'est, évidemment, pour nos concitoyens, une exigence forte, ça c'est un premier point. CASTANER et NUNEZ ont pris les mesures nécessaires, évidemment, je crois même qu'ils sont tout à fait arc-boutés sur cette exigence de sécurité, et de ce point de vue-là c'est vraiment, je crois, les mesures ont été prises.

GUILLAUME DURAND
Donc la scène de la place d'Italie on ne la reverra pas ?

NICOLE BELLOUBET
Non mais…

GUILLAUME DURAND
Ou celle de l'Arc de Triomphe…

NICOLE BELLOUBET
Je ne peux pas vous écrire noir sur blanc ce qui va se passer demain, je dis simplement que les mesures de sécurité ont été prises, ça c'est un point sur lequel le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur sont très arc-boutés. Pour ma part, je le redis, liberté de manifester ses opinions, s'il y a des débordements, évidemment la justice sera prête à répondre.

GUILLAUME DURAND
Alors, il y a une sorte de passe d'armes, si je puis dire, entre BLANQUER ce matin dans Le Parisien, et les syndicats, concernant le monde enseignant. Bruno LE MAIRE était à votre place hier, et il a dit, au fond, pour certaines carrières les portes sont ouvertes. Alors, il y a une question de fond, sur la méthode, et il y a une question pratique qui est justement celle des pensions. Oui ou non, est-ce que les pensions des enseignants, comme le disent les syndicats, vont baisser ?

NICOLE BELLOUBET
Les retraites ?

GUILLAUME DURAND
Oui.

NICOLE BELLOUBET
L'idée, vraiment, c'est qu'il n'y ait pas, de manière générale, qu'il n'y ait pas de diminution des pensions, c'est même exactement le contraire que nous sommes en train de construire puisque nous sommes en train de construire un système où il y aura des garanties qui feront qu'il n'y aura pas de pension inférieure à 1000 euros, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Pour les femmes, vous le savez, il y aura des améliorations substantielles, puisque dès le premier enfant elles auront des points supplémentaires, que les pensions des femmes, qui sont aujourd'hui inférieures de 42 % en moyenne, à celle des hommes, seront revalorisées, je pourrai… que les pensions des agriculteurs bénéficieront également de ces améliorations, donc… nous sommes dans un système qui est un système beaucoup plus juste et beaucoup plus favorable. Les enseignants, on l'a dit clairement, et c'est ce sur quoi Jean-Michel BLANQUER va travailler avec DELEVOYE et avec le Premier ministre, on va reconsidérer globalement le traitement des enseignants, y compris leur salaire, donc c'est, au fond, une appréhension globale du système.

GUILLAUME DURAND
Mais Madame, vous employez à plusieurs reprises le conditionnel, il y aura, il y aura, mais comme le disait Françoise FRESSOZ dans Le Monde d'hier, qui est une journaliste expérimentée, les journalistes ne sont pas supérieurs aux responsables politiques qui font la loi…

NICOLE BELLOUBET
Ni inférieurs.

GUILLAUME DURAND
Ni inférieurs ; elle dit, mais le problème c'est que justement, dans cet "il y aura", c'est que le texte n'existe pas vraiment, c'est là où il y a une incertitude.

NICOLE BELLOUBET
Non, mais le texte n'existe pas… non, mais, Guillaume DURAND, le texte n'existe pas pour une raison très simple. Nous avions…

GUILLAUME DURAND
Donc, s'il n'y a pas de texte, comment on peut dire ça… ?

NICOLE BELLOUBET
Mais non, mais écoutez…

GUILLAUME DURAND
Oui, je vous écoute, mais je peux poser une petite question.

NICOLE BELLOUBET
Oui, mais je vous réponds. Il a toujours été clair, depuis très longtemps, que nous serions prêts fin décembre, ce n'est pas nous qui avons posé la date du 5 décembre comme une date de manifestations, il a toujours été dit que nous serions prêts fin décembre. Depuis lors, d'ailleurs, des dates ont été précisées, puisque DELEVOYE interviendra…

GUILLAUME DURAND
Mais Conseil des ministres après les vacances.

NICOLE BELLOUBET
Oui, mais on aura connaissance des grandes orientations avant la fin décembre, et nous sommes dans une période de négociations intenses avec les organisations syndicales. J'ai reçu, avec DELEVOYE, les avocats, les notaires, les magistrats, etc., actuellement le Premier ministre a reçu les grandes organisations syndicales, DELEVOYE continue les négociations, nous aurons ces résultats la semaine prochaine, et donc, dès lors, nous aurons des éléments qui seront vraiment affichés comme tels.

GUILLAUME DURAND
Mais, vous savez, j'ai retrouvé dans une interview d'Alain JUPPE qui était du 29 août 95, en plein milieu des grèves, j'étais déjà là, sur TF1, et il me répond à un moment "mais moi je ne parle pas au conditionnel Monsieur Guillaume DURAND, je suis Premier ministre."

NICOLE BELLOUBET
Oui, mais le Premier ministre…

GUILLAUME DURAND
Voyez, il y avait déjà le même problème.

NICOLE BELLOUBET
Non, ce n'est pas un problème, le Premier ministre ne parle pas au conditionnel, lorsque le Premier ministre parle d'un système qui est juste, qui est équitable, lorsqu'il demande un régime équilibré, il ne parle pas au conditionnel, il affirme des principes, la semaine prochaine nous serons en mesure de les préciser, encore qu'il y ait déjà beaucoup de précisions.

GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi mais, on voit, dans cette affaire, étant donné le rassemblement qui se dessine demain, qu'il y a quand même un contexte politique, c'est tout à fait normal, qui est assez important, vous avez à la fois les syndicats dans la rue, les syndicats de police, ce qui est inquiétant pour la sécurité, une grande partie de l'opposition politique, même toute l'opposition politique contre Emmanuel MACRON, donc il y a une sorte d'arc électrique qui est en train de se mettre en place.

NICOLE BELLOUBET
Oui, mais il y a aussi beaucoup de gens, qui ne seront pas demain dans la rue, et qui sont…

GUILLAUME DURAND
Et le sondage de ce matin – pardonnez-moi et après je vous laisse – 58% des Français – BFM/ Elabe – sont contre la réforme.

NICOLE BELLOUBET
Vous savez, il y a des sondages chaque semaine, qui disent à peu près tous l'inverse de ce que dit le précédent. J'exagère, je caricature, mais globalement on est quand même dans une situation où il y a beaucoup de Français qui se rendent compte que le système des retraites, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, ne pourra pas perdurer. C'est-à-dire que nos enfants, si nous ne faisons rien, ne seront plus en mesure, parce que la courbe démographique évolue, parce que les situations individuelles évoluent, nous ne serons plus en mesure de financer la retraite de nos parents, et ça c'est un drame, et c'est la raison…

GUILLAUME DURAND
On aurait pu le faire par du paramétrique avec un âge pivot.

NICOLE BELLOUBET
Mais non, mais justement, c'est ce que nous refusons, nous refusons le paramétrique, nous voulons refondre un système, pour mettre en place ce système, dit universel, un système universel ça veut dire que 1 euro que vous cotiserez vaudra la même chose que celui que je cotiserai, cela veut dire plus de justice et d'équité dans la répartition, et c'est vraiment ces bases-là que nous voulons promouvoir.

GUILLAUME DURAND
Dernière question, merci d'être en direct avec nous Madame BELLOUBET, cette profanation qui vient d'avoir lieu en Alsace, « l'antisémitisme sera combattu » a dit le président de la République…

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous êtes favorable à cette proposition de Sylvain MAILLARD qui consiste justement, député la République en marche, à étendre l'antisémitisme à l'antisionisme dans certains cas ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, c'est un peu plus subtil que cela…

GUILLAUME DURAND
Je suis confus.

NICOLE BELLOUBET
Non, non, non, ce n'est pas ça que je veux dire…

GUILLAUME DURAND
J'ai essayé de résumer.

NICOLE BELLOUBET
Voilà, c'est ça ; la proposition a été adoptée hier, c'est une proposition de résolution qui a été adoptée par le Parlement hier, qui vise à reprendre, de manière non contraignante, une définition de l'antisémitisme qui a été adoptée déjà par une organisation internationale, à laquelle la France était partie prenante, donc c'est finalement une définition qui vient compléter un système juridique qui existe déjà puisque, aujourd'hui déjà, la jurisprudence de la Cour de cassation permet d'aller rechercher sous l'antisionisme des manifestations d'antisémitisme, qui seul est pénalement condamnable. Mais vous voyez, parfois il y a des manifestations antisionistes qui en fait recèlent des traces d'antisémitisme qui sont porteuses de haine et qui doivent être condamnées.

GUILLAUME DURAND
Voilà pour ce contexte. Est-ce que vous avez l'impression, finalement j'en ai trouvé une autre dernière question, mais c'est important, est-ce que vous avez l'impression que ce gouvernement et le président de la République sont dans une situation, comment dirais-je, fragile, très fragile, ou que vous allez passer à la fois cette épreuve, et puis après les fêtes et le début de l'année tranquillement ?

NICOLE BELLOUBET
Nous sommes dans une situation, qui est une situation tendue, il faut le reconnaître, mais le gouvernement, je puis vous l'assurer, nous l'avons vu lors du séminaire gouvernemental qui a eu lieu dimanche, le gouvernement est tout à fait calme, déterminé, parce que je crois que les enjeux que nous portons sont tout à fait essentiels pour l'avenir de nos concitoyens.

GUILLAUME DURAND
Merci mille fois.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 décembre 2019