Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de recevoir aujourd'hui Josep Borrell en qualité de haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne.
Je suis heureux de le recevoir, d'abord parce que c'est un ami et que nous avons, dans le passé, eu de nombreuses occasions de collaborer et de nous estimer, et puis je suis heureux aussi de le recevoir parce que nous avons ensemble à relever de nombreux défis, dans un monde de plus en plus instable et de plus en plus incertain. Si l'Union européenne veut rester maîtresse de son destin et ne pas sortir de l'Histoire, elle doit défendre et affirmer sa souveraineté dans de nombreux domaines. Elle doit aussi s'en donner les moyens financiers, capacitaires, technologiques et politiques. Elle ne pourra le faire qu'en restant unie et elle ne pourra le faire qu'en restant ambitieuse. Le rôle du haut représentant sera à cet égard essentiel et j'ai toute confiance en Josep Borrell pour remplir cette mission avec détermination et volonté.
Ce n'est d'ailleurs pas une coïncidence si Josep Borrell a été, pour son premier jour de fonction, présent à la cérémonie d'hommage à nos treize soldats morts au Mali. Ce n'est pas une coïncidence s'il participera au sommet de Pau sur le Sahel lundi. Ce sera à la fois un symbole, mais c'est aussi une évidence, parce que le rôle de l'Union européenne est clé dans de nombreuses crises, et en particulier au Sahel.
Je voudrais simplement, avant de lui donner la parole, rappeler, mais il le sait, et vous rappeler, mais vous le savez aussi, combien c'est notre sécurité collective qui se joue là-bas. C'est notre frontière de sécurité en vérité.
C'est aussi la sécurité des pays concernés, bien sûr, c'est aussi la condition du développement de ces régions, bien sûr, mais c'est aussi la sécurité de l'Union européenne. L'Union en fait beaucoup déjà, en termes de développement et de formation, avec, en particulier les missions européennes, la "EUCAP". Elle fait aussi beaucoup en soutien de la force conjointe, elle fait aussi beaucoup dans la présence des pays européens dans la MINUSMA, dans la présence de pays européens dans la force Barkhane. L'annonce de la participation de plusieurs pays européens dans la task force Takuba. Mais la dégradation sécuritaire, et en particulier au Mali et au Burkina, fait qu'il faut une présence renforcée.
Nous devons, je pense, faire plus et mieux. Mieux assurer le déploiement et la coordination des forces de défense et de sécurité au Mali, plus près de la zone d'engagement, mieux former et accompagner les forces armées du G5, mieux faire évoluer les missions de la PSDC sur l'ensemble du Sahel, et avoir les moyens de génération de forces suffisants pour assumer ces missions.
Nous en reparlerons beaucoup lundi je pense, et je voudrais saluer, en particulier, la volonté du haut représentant exprimée déjà hier devant les ministres des affaires étrangères, de mettre en oeuvre le partenariat pour la sécurité et la stabilité du Sahel, le P3S.
Il s'agit, à la fois d'élargir le champ de la coordination et de la coopération, le champ géographique mais aussi le champ des lieux et du périmètre d'action vers, à la fois l'ensemble de l'appareil sécuritaire des pays concernés, et de faire en sorte que ce soit un cadre de mobilisation et de coordination globale. Je pense que Josep en parlera dans un instant.
Nous avons évoqué la situation en Iran, la situation dans le Golfe, la situation en Ukraine. Tout cela fait partie des conversations de transparence que nous souhaitons avoir tous les deux au cours du mandat qui a été confié à Josep Borrell, dont je suis sûr qu'il l'assurera avec beaucoup de force.
Je voulais à nouveau le saluer et lui redire à la fois mon amitié mais aussi notre volonté déterminée de travailler ensemble.
Q - Question sur le Liban. Demain, vous accueillez des hauts fonctionnaires sur le Liban. Vu que la situation économique se dégrade et la situation politique ne s'améliore pas, qu'est-ce la communauté internationale, dont la France, peut faire pour stabiliser le secteur bancaire en particulier au Liban ? Et quel message avez-vous pour les autorités libanaises qui n'avancent pas vraiment pour résoudre leurs problèmes ? Et une autre question, sur l'Iran : est-ce que vous envisagez de mettre des sanctions sur le volet "Droits de l'homme" dans les prochaines semaines vu ce qui s'est passé les dernières semaines en Iran ? Merci beaucoup.
R - Sur le Liban, nous avons souhaité prendre l'initiative de la réunion du groupe international de soutien au Liban qui va se réunir ici demain. Le but, il est d'inciter les autorités libanaises à la fois à prendre conscience de la gravité de la situation, de leur proposer d'avancer vers les réformes, puisque le gouvernement libanais sera représenté. Mais aussi de prendre conscience de l'appel de la rue et des manifestants qui se réunissent régulièrement depuis maintenant le 17 octobre. Donc, c'est un mouvement de protestation qui s'installe dans la durée. Il faut écouter et faire en sorte aussi que les autorités libanaises puissent aboutir à former un gouvernement rapidement. Parce que tout retard va continuer à aggraver la situation et faire en sorte que ce gouvernement puisse engager les réformes dont ce pays a besoin. Nous nous étions déjà réunis ici en avril 2018. C'était également sous l'initiative de la France, dans le cadre de ce qu'on appelait "CEDRE 2" avec beaucoup d'acteurs. Et nous avions à ce moment-là mobilisé des montants significatifs de mobilisation financière, sous réserve que les réformes nécessaires puissent se mettre en oeuvre et puissent être constatées. Il y avait, je crois, dix milliards de dollars qui avaient été mobilisés et annoncés. Et pour l'instant, on en est resté là, puisque ni les réformes, ni la stabilité n'ont été au rendez-vous. Donc, c'est une espèce d'appel fort que nous allons formuler demain à destination de tous ceux qui peuvent agir pour que le Liban puisse retrouver de la stabilité.
Sur la question iranienne, notre préoccupation immédiate, mais peut-être que Josep pourra compléter, c'est de faire en sorte que nous agissions pour le maintien du JCPoA, pour alerter les autorités iraniennes du danger que représente les violations successives de l'accord de Vienne qui, si elles étaient encore renforcées au mois de janvier pourraient remettre en cause l'accord lui-même. Nous considérons que c'est une mauvaise réponse à certes une mauvaise décision américaine sur laquelle nous avons eu l'occasion déjà de nous prononcer, mais c'est une mauvaise réponse qui est apportée aujourd'hui. Ici, il importe de garder l'essentiel de l'accord de Vienne pour permettre à la sérénité et la stabilité de la région d'avoir cette configuration. Toute rupture majeure entraînerait une instabilité menaçante. Donc, nos efforts vont dans cette direction.
Q - Bonjour. Deux questions : pour vous, est-ce que vous considérez que la réunion qui a eu lieu hier, M. Borrell, en format "Normandie", représente un progrès significatif ? Est-ce que cela pourrait éventuellement amener à une levée des sanctions européennes vis-à-vis de la Russie ? Et la France a le projet d'avoir une nouvelle architecture de sécurité et de stabilité pour l'Europe et qui se dirige notamment vers la Russie, avec un travail diplomatique vers la Russie. Quelle est votre opinion sur cette architecture proposée par le président français ? Est-ce que c'est quelque chose que vous souhaitez défendre également, est-ce que c'est quelque chose que vous soutenez ? Merci.
R - Je commence sur la première partie concernant ce qui s'est passé hier. D'abord, ça s'est passé ! Parce qu'une réunion en format Normandie n'avait pas eu lieu depuis trois ans. Parce qu'à chaque initiative prise, proposition faite, à la fois par l'Allemagne et la France, il n'y avait pas de possibilité, de l'autre côté. Donc cette réunion s'est passée. Elle a sans doute été facilitée par les initiatives qu'avait prises le président Zelensky, en particulier, de permettre l'ouverture de trois points de passage. Il y a eu aussi des échanges de prisonniers. Donc il y avait des petits gestes qui s'accumulaient et qui renforçaient d'autres petits gestes qui créaient les conditions pour que cette rencontre ait lieu.
Ensuite, elle a permis des avancées, vous l'avez rappelé, cher Josep, tout à l'heure, dans le domaine quasiment de la vie immédiate des Ukrainiens, à la fois sur le cessez-le-feu d'abord, sur les échanges de prisonniers, sur le déminage, sur l'ouverture de trois points de passage supplémentaires. Donc nous sommes rentrés dans une logique positive, avec à chaque fois des avancées. Il importe maintenant que sous le contrôle de l'OSCE ces avancées puissent être concrétisées et il y a une certaine urgence puisqu'il y a l'engagement en particulier à ce que l'échange des prisonniers dans le concept "tous identifiés pour tous identifiés", se fasse avant la fin de l'année. Au-delà, il faudra continuer à aborder les questions politiques liées à la fois au statut des deux régions de Donetsk et de Louhansk, liées aussi à la mise en oeuvre de la partie politique et sécuritaire des accords de Minsk, liées aussi à l'intégration de la formule Steinmeier dans la législation ukrainienne, liées aussi au recouvrement des frontières par les autorités politiques ukrainiennes.
Tout cela, évidemment, c'est devant nous, mais nous sommes dans un chemin positif pour les aborder, d'autant plus qu'il a été décidé d'avoir à nouveau une réunion en format Normandie dans quatre mois. Donc il y a une relative accélération du processus qui fait que nous sommes dans une spirale positive. Il faut la préserver.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2019