Interview de M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire chargé des retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé, à France Info le 20 novembre 2019, sur la réforme des retraites et la grève du 5 décembre.

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Intervenant(s) : 
  • Jean-Paul Delevoye - Haut-commissaire chargé des retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Jean-Paul DELEVOYE.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Bonjour.

MARC FAUVELLE
Est-ce que vous avez l'intime conviction que votre réforme des retraites va se faire ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Quand je vais sur le terrain, nous y sommes actuellement, il y a des dizaines et des dizaines de réunions, je vois bien que nos concitoyens aujourd'hui soutiennent le caractère universel de notre projet. Ils veulent de l'égalité, de l'équité et que ce projet porte de merveilleux principes qu'on retrouve d'ailleurs dans le Conseil national de la résistance. Une maison commune, faire en sorte que nos concitoyens se sentent responsables et solidaires de chacun. Aujourd'hui nous avons 42 régimes qui correspondent à des solidarités professionnelles et ils ont pris conscience que dans un monde qui change face à leurs enfants ou à leurs petits-enfants dire que l'avenir de la retraite passera par la sécurisation de l'avenir de leur profession au moment où tout est en train de se bouleverser. Votre profession va changer, les professions libérales, on va changer de métier, on va changer de profession. Eh bien, ils ont parfaitement compris qu'il y avait une fragilité et que dans un monde où c'est le chacun pour soi et le système assurantiel, retrouver l'espérance d'une cohésion générationnelle où les jeunes aujourd'hui doivent être embarqués, nous sommes dans un moment de grande fragilité, les jeunes ne croient plus au système des retraites, ils pensent qu'ils vont cotiser pour rien. Si nous avons une guerre générationnelle, si les jeunes ne croient plus à ce système de répartition, c'est la fin de notre cohésion nationale. Et donc, cet enjeu, cette ambition, ce souffle d'un projet de société qui renforce la cohésion nationale au moment où notre société se déchire est un moteur qui fait que nous pouvons convaincre nos concitoyens de la pertinence de ce projet par rapport à des corporatismes ou à des intérêts catégoriels qui cherchent à protéger leur périmètre au détriment d'un intérêt national.

MARC FAUVELLE
Est-ce que vous entendez aussi l'inquiétude qui monte dans de nombreux secteurs aujourd'hui en France et le fait que vous êtes peut-être – peut-être – en train de perdre la bataille de l'opinion ? C'est ce que disent en tout cas les différentes enquêtes.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors on peut avoir plusieurs interprétations. Vous savez, moi ma conviction c'est que lorsqu'un projet est bon pour le futur, bon pour nos enfants et nos petits-enfants et bon pour la nation, il faut continuer.

MARC FAUVELLE
Malgré l'hostilité d'une majorité des Français désormais.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non. L'hostilité des Français, je ne partage pas votre analyse : il y a une inquiétude. Il y a une inquiétude d'ailleurs qui est nourrie par un certain nombre de personnes qui répandent les peurs.

MARC FAUVELLE
En un mois, la part de Français hostiles à votre réforme a augmenté de quatre points. C'est douze points chez les Français qui sont en âge de travailler et il y a une majorité très nette qui se dessine désormais contre la réforme.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais on voit l'évolution. Vous savez au départ, lorsque j'ai porté le projet le 10 juillet, il y avait une majorité de Français qui soutenaient les principes d'universalité, d'égalité, de solidarité notamment envers les travailleurs précaires, envers les femmes. Il y avait une forte adhésion. Et puis est arrivée, ce qui est tout à fait logique, l'expression des conséquences avec des affirmations qui sont fausses. On va parler du rapport du Conseil d'orientation des retraites et des arguments. Vous savez, il y a des arguments qui consistent à dire : si la part du gâteau de 14 % du PIB n'augmente pas, le nombre de retraités augmente, les pensions vont baisser. Vous entendez ça, c'est rationnel, c'est totalement faux. C'est totalement faux. Et le COR lui-même dit : depuis dix ans, le nombre de retraités a augmenté de deux millions, les pensions ont augmenté de 20 % et la part du gâteau est restée identique. Pourquoi ? Parce que la croissance augmente bien plus que les pensions. Donc vous voyez, il y a un certain nombre de contre-vérités et notre combat petit à petit c'est de pouvoir retricoter à l'envers ces fausses vérités et de montrer à quel point ce projet est porteur de solidarité, de générosité et de solidité.

RENAUD DELY
Jean-Paul DELEVOYE, si jamais ces contrevérités comme vous dites elles prospèrent et si vous ne parvenez pas à les éradiquer, c'est d'abord de la faute du gouvernement. C'est qu'il y a un déficit au moins de pédagogie, d'explications, qu'il y a un flou une, incertitude qui entourent cette réforme aujourd'hui.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors ce n'est pas la faute du gouvernement, c'est la mienne. Moi, vous savez, j'assume mes responsabilités. Si mon projet n'est pas bien perçu, c'est que je suis un mauvais avocat ou que le projet doit être modifié, ce que des avons fait. A la rencontre de nos concitoyens, nous avons modifié un certain nombre de propositions pour aller vers plus de solidarité, notamment pour donner dès le premier enfant - dès le premier enfant - une majoration, ce qui n'existe pas dans le système actuel.

RENAUD DELY
Vous avez commis des erreurs au départ ? Vous vous en êtes rendu compte ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non. Je pense que d'abord, vous savez, moi je suis homme à reconnaître mes erreurs. Mais il est évident que lorsque nous avons écrit cette page blanche à la demande du président de la République, nous l'avons faite avec les syndicats, avec les journalistes, avec les parlementaires. C'est la première fois qu'on associait des parlementaires deux ans ou trois ans avant même que la loi soit écrite puis les citoyens. Et sur toutes nos rencontres citoyennes, nous avons effectivement fait modifier un certain nombre d'analyses, un certain nombre de propositions qu'à la rencontre des citoyens nous nous sommes rendu compte qu'on n'était pas tout à fait en phase par rapport à leurs attentes. Donc je ne pense pas que… Vous savez, moi je ne suis pas homme à détenir la vérité. On est dans un pays où chacun que pense qu'il détient la vérité. Je suis quelqu'un qui, au contraire, souhaite la controverse, la confrontation, les critiques et je continue aujourd'hui sur les rencontres citoyennes à apporter des améliorations à notre projet.

RENAUD DELY
Ça signifie, Jean-Paul DELEVOYE, que vous tiendrez compte de la mobilisation de la journée de grève qui commencera le 5 décembre.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Tout dépend de la lecture que l'on en a. Si la lecture, et je veux défendre mon intérêt catégoriel et je refuse de rentrer dans un régime universel, on retrouve l'esprit qui a présidé au fait que Pierre LAROQUE a dit à un moment donné : « Les solidarités professionnelles ont apporté sur les solidarités collectives en 45. » Or mon analyse et celle de l'ensemble du gouvernement et du président est de montrer qu'aujourd'hui, nos sociétés ont besoin d'une protection sociale qui, comme en 45, protège travailleurs de l'incertitude du lendemain.

RENAUD DELY
Mais si ce mouvement du 5 décembre est très suivi, puisque vous tenez compte de l'avis des Français vous en tiendrez compte pour éventuellement à modifier à la marge votre réforme.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors est-ce qu'ils sont le reflet de la vie des Français ou est-ce que…

MARC FAUVELLE
A combien de manifestants vous estimez qu'il y aura un message de la rue ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Attendez, ce n'est pas du tout l'équation. L'équation c'est qu'on voit bien…

MARC FAUVELLE
Ce n'est pas le chiffre qui va compter le 5 décembre ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, c'est la nature. On voit bien que si nos amis cheminots, RATP, cherchent à mobiliser pour dire : le blocage du pays nous permet de pouvoir préserver nos systèmes de retraite…

MARC FAUVELLE
Donc si ça va au-delà de la SNCF et de la RATP, si ça gagne par exemple les salariés du privé, là vous bougerez.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors regardons mais on est toujours attentif à un mouvement social. Toujours. Parce que soit il est porteur d'intérêts catégoriels et privés, et si c'est contre l'intérêt général, eh bien non, moi je n'entends pas. S'il est l'expression d'une souffrance, d'une attente, d'une espérance, d'un projet pour leur entreprise, ça c'est quelque chose de…

MARC FAUVELLE
Mais à quoi vous jugerez ce critère ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Attendez…

MARC FAUVELLE
Vous irez compter le nombre de cheminots dans les cortèges le 5 décembre ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Je suis assez quand je suis assez fasciné par la capacité que vous avez de prévoir l'avenir. Moi je suis quelqu'un de pragmatique. J'analyserai les choses telles qu'elles se dérouleront et je proposerai de nous adapter par rapport à ce que nous vivrons.

RENAUD DELY
Mais comment on distingue un gréviste légitime d'un gréviste illégitime à vos yeux ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais tout dépend. Si vous voulez, c'est très curieux cette capacité que vous avez de vouloir… C'est toujours la bataille des chiffres, etc. Ce qui est en cause aujourd'hui, c'est un projet de société. Qu'il y ait des crispations par rapport aux conséquences, moi je distingue très clairement la qualité du projet que nous portons, la solidarité qu'il a, l'attente et le soutien qu'il porte sur la réduction de l'écart des pensions entre les hommes et les femmes, sur le fait que l'on puisse favoriser la redistribution pour les pensions les plus petites, et puis de l'autre côté, j'entends celles et ceux qui veulent s'y opposer. Et donc la clarification du conflit sera de dire argument contre argument, étude contre étude, montrons à quel point les raisons pour lesquelles vous vous opposez à ce projet universel qui est un facteur de cohésion au moment où la société se déchire. Et donc ce n'est pas une question de nombre, c'est une question des raisons pour lesquelles… Dites-nous réellement les raisons pour lesquelles vous manifestez contre ce projet universel.

MARC FAUVELLE
Il y a la question de votre réforme des retraites, Jean-Paul DELEVOYE, qui est censée entrer en vigueur en 2025. On va se demander d'ailleurs si c'est toujours le cas dans quelques minutes. Et puis il y a l'urgence avec le rapport du Conseil d'orientation des retraites qui a été remis cette semaine au gouvernement, c'est-à-dire les finances des retraites à très courte échéance d'ici 2025. Et ça on va en parler, si vous le voulez bien, dans un instant. (…)
- Jean-Paul DELEVOYE, le Conseil d'orientation des retraites estime que notre système de retraite sera en déficit de 8 à 17 milliards d'euros en 2025, c'est-à-dire quasiment demain. D'abord est-ce que vous allez, vous, combler ce déficit ou le laisser ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Nous avons pris un engagement pour notre projet : comment rétablir l'équilibre des générations puisque le système par répartition que nous allons mettre à un plafond le plus élevé de tous les pays développés, donc c'est vraiment un acte de solidarité optimal pour tous les actifs, c'est les actifs payent le poids des retraités. Et donc nous avons pris l'engagement vis-à-vis de ce pacte envers les jeunes de ne pas rajouter au poids des retraites le poids d'un déficit ou le poids d'un endettement.

MARC FAUVELLE
On vous a aussi dit que la réforme ne serait pas comptable au sens économique et que c'était une réforme de justice sociale.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Absolument. Mais la justice sociale, c'est de ne pas faire payer aux actifs le poids des retraites plus le poids des dettes. D'où l'idée que nous avions dès le départ de mettre en place une règle d'or qui fait que pour les futurs gouvernants, dans lequel le président de la République a indiqué qu'il souhaitait avoir la place des partenaires sociaux, il ne pourrait pas y avoir de déficit sur une période de cinq ou dix ans.

MARC FAUVELLE
Il va y avoir des mesures d'économies immédiates avant votre réforme.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Nous avons dit dès le départ qu'il était hors de question d'imaginer que la mise en place d'un régime universel puisse se faire sur une base d'un déficit. Il fallait donc qu'il soit équilibré au moment de sa mise en heures. C'est un engagement que le président de la République a pris, que le Premier ministre a pris et que moi-même j'ai réaffirmé à plusieurs reprises. Le 19 septembre, le Premier ministre a sollicité le COR puisqu'il ne vous a pas échappé qu'entre la campagne présidentielle où le COR disait qu'il n'y avait pas de problème de déficit, et donc le candidat MACRON à l'époque avait dit : prenons donc notre temps pour mettre en place un régime systémique qui correspond à la société moderne, à la mobilité professionnelle et à la solidité de la nation par rapport à la fragilité des professions. Eh bien quelques mois plus tard, le COR dit : si, il y a un déficit, puis quelques mois après il augmente le déficit avec d'ailleurs des raisonnements qui fait que plus on diminue le nombre d'emplois publics et plus le solde négatif du système augmente.

MARC FAUVELLE
Qu'est-ce qui vous interdit, Jean-Paul DELEVOYE, de laisser filer ce déficit qui est - en milliards, c'est très impressionnant – mais en pourcentage c'est 0,3 à ,7 % du PIB, là où Emmanuel MACRON si j'ai bien compris a expliqué il y a quelques jours que les 3 % de déficit c'était une règle d'un autre âge ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais c'est incroyable ce que vous dites ! C'est incroyable !

MARC FAUVELLE
Si les 3 % de déficit c'est un autre âge, pourquoi 0,3 c'est une priorité ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Le 3 % de déficit, ça n'a rien à voir. Le 3 % de déficit était de dire : s'il y a des dépenses d'investissement qui permettent de pouvoir avoir un retour d'investissement par rapport à ce qui va se passer par exemple sur le plan hôpital dans lequel il y a à l'évidence une asphyxie par dix ans, quinze ans, vingt ans. C'est-à-dire qu'on s'aperçoit qu'aujourd'hui le poids de la dette des hôpitaux, ce n'est pas dû au gouvernement. C'est dû à dix, vingt ans d'asphyxie progressive du monde hospitalier qui n'a pas pu investir. Donc le fait de pouvoir libérer de certaines contraintes normatives ou comptables la capacité d'investir avec un retour d'investissement au moment où les taux d'intérêt sont relativement faibles, c'est une très bonne décision. Par contre, sur un système de protection sociale dans lequel ce qui est en construction, c'est la confiance des jeunes : plus de la moitié des jeunes n'ont pas confiance au système des retraites et ils pensent qu'à partir de ce moment-là, ils ont intérêt à capitaliser pour eux, nous devons réembarquer la confiance des jeunes. Et donc la responsabilité des politiques, c'est de dire aux jeunes : nous prendrons l'engagement 1 : que le système des retraites ne sera pas en déséquilibre, donc c'est la solidité et donc la fiabilité et donc la pérennité du système qui est en cause. Et nous avons dit dès le départ : nous prenons l'engagement devant votre génération pour nos enfants et nos petits-enfants que nous partirons sur une base 0. Le Premier ministre a donc saisi le Conseil d'orientation des retraites le 19 septembre pour leur dire : faites-nous la part très exacte de la situation financière du système des retraites et que dit le COR ? Le Conseil illustration va débattre demain donc laissons…

MARC FAUVELLE
Il a largement fuité.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Pardon ?

MARC FAUVELLE
Il a largement fuité.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Oui, mais peu importe sur la fuite. Mais on voit bien que le Conseil va dire qu'il n'y a pas de problème de dépenses, il y a un problème de ressources, et que selon les conventions on va de 8 à 17 milliards ;

RENAUD DELY
Donc il y a urgence à combler ce déficit à vos yeux aujourd'hui ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ce n'est pas une urgence, c'est une responsabilité vis-à-vis de la jeunesse.

MARC FAUVELLE
Où est-ce qu'on trouve 17 milliards d'euros, Jean-Paul DELEVOYE ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Eh bien, il y a un certain nombre de solutions qui sont proposées au Premier ministre. Je pense qu'il aura manifestement la volonté, d'affirmer la volonté du gouvernement de refuser certaines solutions qui sont complètement…

MARC FAUVELLE
Lesquelles sont bannies pour vous ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Eh bien écoutez, je laisserai le soin au Premier ministre de s'exprimer.

MARC FAUVELLE
Une augmentation des cotisations par exemple patronales et salariales, est-ce que c'est exclu ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Vous avez suffisamment un esprit logique pour comprendre à quel point, si certaines propositions sont en contradiction totale avec la politique du gouvernement, c'est des solutions que nous ne retiendrons pas.

RENAUD DELY
Est-ce que vous pouvez puiser dans le fonds de réserve des retraites qui est abondé aujourd'hui à hauteur d'un peu plus de 35 milliards d'euros ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ça n'est pas non plus… Si les fonds de réserve c'est pour essayer de garantir les droits du passé et les droits acquis et de faire face aux aléas, je pense qu'il n'est pas non plus responsable…

RENAUD DELY
Il a été créé il y a une vingtaine d'années justement pour faire face au papy-boom qu'on pronostiquait pour les années 2020 à 2040 justement.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Oui. Sauf qu'aujourd'hui, le Conseil d'orientation des retraites montre qu'il n'y a pas de problème de dépenses, il y a un problème de ressources. Et qu'à partir de ce moment-là, je crois qu'il est important que nous réfléchissions. Vis-à-vis des jeunes, vis-à-vis de ce pacte générationnel qu'il faut reconstruire, que nous prenions nos responsabilités politiques qui consistent à affronter les difficultés même si elles sont quelquefois… Vous savez, j'entends des tas de discours, ce n'est pas électoral. Nous ne sommes pas là pour construire, moi je ne suis pas là pour construire un plan électoraliste.

MARC FAUVELLE
Vous êtes prêt à assumer l'impopularité qui va avec.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais parce que j'estime que notre rôle politique, c'est de penser à nos futures générations.

RENAUD DELY
Justement, évoquons ces futures générations. Quand cette réforme des retraites, ce système universel par points entrera-t-il en vigueur ? Est-ce que ce sera bien dès 2025 comme le gouvernement en avait affiché l'objectif jusque-là ? Valérie PECRESSE, la présidente de la région Ile-de-France, qui était notre invitée ici-même à votre place, elle plaide pour un report de cette réforme pour les futurs nouveaux entrants sur le marché du travail. Ecoutons-la.

VALERIE PECRESSE, PRESIDENTE DE LA REGION ILE-DE-FRANCE
Je crois qu'il faudrait que la réforme à points, on ne l'applique qu'aux nouveaux entrants. Qu'on arrête d'aller toucher aux droits acquis pendant des années et des années par des Français qui ont travaillé et qui ont un contrat de confiance avec le gouvernement. Cette réforme sera injuste si elle change en cours de route les règles du jeu et c'est pour ça qu'il y a autant d'opposition.

RENAUD DELY
C'est la fameuse clause dite du grand-père, la réforme ne s'appliquerait qu'aux futurs entrants sur le marché du travail. Vous n'y étiez pas favorable, le Premier ministre Edouard PHILIPPE vous a corrigé sur ce point. Est-ce que vous vous êtes rallié à cette clause du grand-père ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
J'entends madame PECRESSE qui dit : on ne remet pas en cause les droits acquis Si je prends toute l'histoire de la droite et de la gauche depuis 1993, est-ce que les conditions, les systèmes de retraite n'ont pas changé depuis 93 ?

RENAUD DELY
Donc on continue à changer les règles du jeu ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Quand j'entends cet argument…

MARC FAUVELLE
C'est votre ancien camp, Valérie PECRESSE, Chiraquienne comme vous.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Peu importe. Moi je ne suis pas là pour faire des critiques, je suis là pour faire des constats.

MARC FAUVELLE
Vous entendez ce qu'elle dit.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Quand on pensait partir à 60 ans, les gens qui pensaient partir à 60 ans ont pu partir à 62 ans, réforme de la droite. Et puis les gens qui disaient qu'il fallait cotiser 37 ans et demi, aujourd'hui ils sont à 42 ans, réforme de la gauche.

MARC FAUVELLE
Pour les cheminots, on a fait l'inverse. On a changé le statut mais uniquement pour les nouveaux entrants.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Pour les cheminots…

MARC FAUVELLE
Pour la SNCF.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Pour les régimes spéciaux, il y a eu une réforme Woerth qui avait des points de convergence. Personne ne le sait. Aujourd'hui les régimes spéciaux vont vers les 42 ans de cotisation. La preuve, c'est que lorsqu'ils ont la capacité de partir à 52 ans, ils partent cinq ans plus tard. Notre système à nous, c'est qu'à partir du moment où nous sommes convaincus de la pertinence et de l'importance de ce projet de société, il faut le faire, peut-être le plus tôt possible pour essayer d'apporter des solidarités auxquelles tout le monde attend. Pour le monde paysan, pour le monde artisan, pour le monde commerçant, relever le minimum contributif à 1 000 euros est une attente formidable. Pour les femmes, la majoration pour le premier enfant est une attente formidable.

MARC FAUVELLE
Donc ce sera 2025 pour tout le monde, Jean-Paul DELEVOYE ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
C'est en débat.

MARC FAUVELLE
C'est en débat. Il n'y a pas eu de recadrage de la part du Premier ministre après vos propos ? En tout cas pas de position…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais moi, j'ai vu ce feuilleton médiatique intéressant. Je pense que vous cherchez en permanence à créer des conflits où il n'y en a pas. Alors aujourd'hui c'est le Premier ministre, demain ce sera avec le président. Moi, je suis totalement insensible à ce genre de feuilleton médiatique. Par contre ce qui m'intéresse, c'est comment offrir à nos concitoyens un projet juste, un projet lisible, un projet de redistribution en faveur des 40 % des retraites les plus faibles en-dessous de 1 500 euros, un combat pour réduire les inégalités en faveur des femmes et quelque chose qui permette aujourd'hui de pouvoir apporter une espérance pour nos jeunes parce que leur système sera simple, juste et redistributif. Et solide, et solide. (…)
- Jean-Paul DELEVOYE, vous évoquiez tout à l'heure certaines des idées fausses selon vous qui circulent au sujet de votre réforme des retraites. Il se trouve qu'un syndicat d'enseignants, le SNES-FSU, a publié il y a quelques jours un calculateur pour calculer le montant des futures pensions des enseignants. Il tombe sur des résultats qui ont inquiété nombre d'enseignants : des baisses de pension de retraite de 30 %. Est-ce qu'ils se sont trompés ou est-ce que c'est votre réforme qui pour l'instant n'est pas claire ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il ne vous a pas échappé que nous avions très rapidement, et le président de la République et le Premier ministre et Jean-Michel BLANQUER l'avaient signalé, qu'il fallait si nous appliquions le système sans correction, il y avait une injustice pour le monde des enseignants. Et je vais vous dire pourquoi. Les enseignants sont des cadres A. Lorsque vous êtes cadre A non-enseignant, vous faites toute votre carrière avec une prime moyenne de 30 %. Lorsque vous êtes enseignant, la prime est à peu près de 9 %. Et pourtant, à la fin de votre carrière vous touchez la même retraite. Sauf que l'un, l'enseignant pendant toute la carrière a touché 20 % de salaire en moins. Et donc nous avions très clairement indiqué qu'à partir du moment où il y avait une application qui créait une injustice, il fallait que nous réfléchissions aux mesures d'accompagnement qui permettent de pouvoir revaloriser les salaires et peut-être de repenser la façon de l'école du XXIème siècle, et donc si vous appliquez sans correction, vous obtenez peut-être ce type de résultat. Mais on a eu la même chose pour l'ensemble des artisans, des commerçants, ce qui fait que sans la modification de l'assiette sociale…

MARC FAUVELLE
Des avocats.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Les avocats, sans la modification…

RENAUD DELY
Quelles seront ces corrections alors, Jean-Paul DELEVOYE ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Eh bien écoutez, vous savez que le monde économique…

RENAUD DELY
Pour les enseignants ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors c'est tout le débat de la valorisation et de la discussion que nous avons avec les syndicats. Chaque profession, chaque situation telle que les enseignants font l'objet aujourd'hui d'une discussion approfondie pour voir quelles sont les pistes qui permettent de pouvoir adhérer au régime universel en tenant compte de leur acceptabilité sociale.

RENAUD DELY
Est-ce que ces corrections, elles seront intégrées dans votre projet de loi de réforme des retraites ? Elles seront directement liées à la réforme des retraites et donc à la mise en oeuvre de celle-ci ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ça fait partie d'un sujet de clarification. Il est clair que le Premier ministre a déjà indiqué qu'il souhaitait avoir une loi cadre mais qui ne soit pas une loi bavarde, et que dans cette loi il puisse aussi y avoir la lisibilité, la confiance sur les mesures d'accompagnement. On voit bien qu'il y a des basculements qui peuvent se faire tout de suite, mais si vous prenez un certain nombre de sujets comme l'intégration des primes de la fonction publique, puisque nous voulons que les fonctionnaires puissent cotiser sur les mêmes assiettes que les salariés du privé, donc sur la totalité de leurs salaires primes comprises. On voit bien que rien que cette mesure nécessite probablement cinq ans, dix ans ou quinze ans et saison.

MARC FAUVELLE
Donc tout le monde n'entrera pas dans la réforme en 2025.

JEAN-PAUL DELEVOYE
C'est la difficulté que vous posez, il n'y a pas de difficulté. Parce qu'il faut que vous distinguiez le basculement pour cotiser au régime universel au même moment, et c'est là où il faut qu'au 1er janvier d'une année, 2025, chacun cotise au nouveau régime universel et les conséquences de la construction des droits qui, elles effectivement, peuvent prendre cinq ans, dix ans, quinze ans. Parce que c'est impossible ce que vous dites. Ce que vous dites, c'est quand il y a des situations… Je pense à tous ces libéraux indépendants sur lequel on a proposé une rectification de l'injustice fiscale qu'ils subissaient parce qu'ils payaient de l'impôt sur l'impôt et donc en modifiant leur assiette sociale, on permet de pouvoir augmenter leur taux de cotisation donc leurs droits à retraite sans qu'il n'y ait de charges supplémentaires. Ce genre de transition ne peut pas se faire du jour au lendemain. Il y a donc un temps nécessaire de la transition pour remonter en puissance par rapport à l'adhésion du régime universel Donc tout le monde à mes yeux, c'est ma proposition, doit basculer le même jour pour les cotisations, pour rentrer dans le système et ensuite que nous prenions le temps nécessaire de la convergence. Et donc tout est sur la table pour faire en sorte de pouvoir dans la diversité des situations de départ arriver à un point final : le régime universel.

RENAUD DELY
Ce régime universel, justement, Jean-Paul DELEVOYE, il suppose donc que vous supprimiez tous les régimes spéciaux, les régimes dits spéciaux, sans aucune exception ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Le régime universel met un terme à tous les régimes spéciaux.

RENAUD DELY
Y compris par exemple celui des policiers que Christophe CASTANER, le ministre de l'Intérieur, s'est engagé à défendre ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Sauf certaines spécificités que nous revendiquons.

MARC FAUVELLE
Lesquelles ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Et que nous assumons. C'est-à-dire les artisans, les commerçants, les indépendants, qui jusqu'à – puisque c'est un peu technique là – vous savez que l'on a un système universel qui jusqu'à 120 000 €, va proposer les mêmes taux de cotisation, les mêmes assiettes, les mêmes rendements, sauf pour le monde des indépendants, des commerçants, puisque ceux-ci ont des revenus qui sont plutôt faibles, en dessous de 40 000 €, et ont des taux de cotisation qui ne vont pas jusqu'au 28 que nous préconisons. Donc là il y aura des spécificités, des adaptations, profession par profession. Et puis, il y a…

MARC FAUVELLE
Pour les policiers par exemple ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il y a des professions qui garantissent la sécurité des citoyens et qui, à ce titre-là, nous devons tenir compte que, comment imaginer qu'un militaire puisse à 64 ans continuer à faire des opérations militaires ? Comment imaginer qu'un policier puisse jusqu'à 64 ans, etc. ? Donc pour ces professions, et nous le justifions…

MARC FAUVELLE
Ce sera donc 64 ans l'âge pivot.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Pardon ?

MARC FAUVELLE
Ce sera donc 64 ans l'âge pivot.

JEAN-PAUL DELEVOYE
L'âge de référence et l'âge équilibre. Vous savez, il y a cinq types d'âge : il y a 62 ans qui est l'âge légal, que nous maintenons, il y a l'âge d'équilibre 64 ans, que j'ai proposé, il y a l'âge d'annulation de la décote qui est de 67 ans, que nous voulons rapprocher, parce que c'est 20 % des femmes qui vont jusqu'à…

RENAUD DELY
64 ans pour toucher une retraite à taux plein, donc 64 ans pour toujours toucher une retraite à taux plein.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ça c'est une des propositions que j'ai faites en taux d'équilibre. Et aujourd'hui vous savez que le taux plein c'est 42 ans de cotisations. Si vous démarrez à 22 ans, c'est à 64 ans, et si vous avez aujourd'hui, nous améliorons le système. En réalité, ce qui est intéressant c'est qu'on part du système futur, moi ce que j'invite c'est de comparer nos propositions par rapport au système actuel. Et vous verrez que nous réduisons la précarité, nous augmentons les retraites pour les plus précaires et les plus faibles, et nous réduisons les inégalités en faveur des femmes et des enfants.

MARC FAUVELLE
Merci infiniment Jean-Paul DELEVOYE.

RENAUD DELY
Merci beaucoup.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Merci à vous.

MARC FAUVELLE
J'espère qu'on a été clairs et quelque chose me dit que vous reviendrez sur ce plateau expliquer la réforme, quand on y verra tous un peu plus clair, nous y compris.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Je suis à votre disposition, vous savez que nous avons invité des journalistes à être informés et nous avons aujourd'hui une quarantaine de journalistes dont le sens critique nous intéresse, et qui s'informent avec les mêmes niveaux d'information que les partenaires sociaux, sur la difficulté technique de cette réforme et ce merveilleux projet politique.

MARC FAUVELLE
Merci beaucoup Jean-Paul DELEVOYE.

RENAUD DELY
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2019