Texte intégral
ALBA VENTURA
Bonjour Frédérique VIDAL.
FREDERIQUE VIDAL
Bonjour.
ALBA VENTURA
Tout d'abord, avez-vous des nouvelles du jeune homme qui s'est immolé par le feu à Lyon, il y a 12 jours, est-ce que vous savez dans quel état il se trouve ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, oui évidemment, nous prenons des nouvelles très régulièrement, il est toujours dans un état critique, il est en coma artificiel pour pouvoir être soigné, et évidemment, c'est une situation qui est extrêmement difficile pour tous ses proches, sa famille, et que je tiens évidemment à assurer une fois de plus de tout mon soutien.
ALBA VENTURA
Vous avez pu les rencontrer ses proches ?
FREDERIQUE VIDAL
Je ne les ai pas rencontrés personnellement, je leur ai proposé de le faire, mais voilà, je veux aussi respecter leur choix de communiquer ou de ne pas communiquer, je pense que c'est un drame humain extrêmement intime, perdre un enfant, c'est toujours quelque chose de terrible, voir son enfant se suicider, c'est terrible, donc voilà, je suis à leur entière disposition, et ce sera quand ils le souhaiteront…
ALBA VENTURA
Là, il est entre la vie et la mort.
FREDERIQUE VIDAL
Son état est stabilisé, et les 72 premières heures ont été effectivement extrêmement critiques. Et là, son état est stabilisé, mais il reste très, très gravement atteint, oui.
ALBA VENTURA
Frédérique VIDAL, vous vous étiez rendue sur place au lendemain de cette tentative de suicide avant de vous envoler en Arctique, sur les bases de recherche françaises. Est-ce que vous avez obtenu des informations sur le cas précis de sa situation, on a appris que sa bourse lui avait été retirée parce qu'il triplait sa licence, est-ce qu'il était informé qu'on allait lui retirer sa bourse ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, oui, informé qu'on allait lui retirer sa bourse, ça, effectivement, il avait été informé de cela, j'ai demandé une inspection, en fait, de manière à comprendre exactement quelle était sa situation, donc en plus de l'enquête judiciaire, j'ai demandé à l'Inspection générale de me remettre un rapport sur sa condition particulière en termes de financement…
ALBA VENTURA
Est-ce que vous savez s'il travaillait, s'il avait un engagement à côté qui pouvait obérer ses chances de réussite à l'université ?
FREDERIQUE VIDAL
Il avait un engagement syndical très, très fort, il était…
ALBA VENTURA
Qui prenait beaucoup de place, donc…
FREDERIQUE VIDAL
Qui prenait probablement de la place, il était élu à la fois dans son conseil d'UFR, et il était élu au conseil de l'université, donc c'est un jeune qui a été décrit à la fois par ses professeurs, par la présidente de l'université, par tous les personnels, que j'ai pu rencontrer, comme effectivement quelqu'un d'engagé, de constructif, et avec lequel, il était possible de discuter et d'avancer sur des sujets.
ALBA VENTURA
Mais d'une manière plus générale, quand un étudiant a des difficultés financières, qu'il est obligé de travailler à côté ou bien s'il a un engagement syndical, mais qu'il se met en difficulté pour ses études, est-ce qu'à un moment, on ne doit pas le réorienter, est-ce qu'il n'y a pas un processus d'accompagnement pour ne pas qu'on en arrive à des drames pareils ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, évidemment, ça, c'est un sujet qui est extrêmement important, qui est aujourd'hui autorisé avec le nouvel arrêté de licence, puisqu'on peut faire des parcours spécifiques pour ces jeunes engagés ou ces jeunes salariés en leur prescrivant finalement des unités d'enseignement particulières, en reconnaissant aussi l'engagement étudiant, qui apporte évidemment des compétences. Donc tout ça, c'est possible. Maintenant, une fois de plus, comme tout nouveau dispositif, puisque ça date de l'été 2018, il faut que les gens se l'approprient, le mettent en place, etc., mais j'ai discuté avec la conférence des présidents d'université, justement, pour qu'on avance plus vite là-dessus, qu'on puisse mettre en place des bureaux d'aide psychologique…
ALBA VENTURA
Mais on est bien d'accord, Frédérique VIDAL, qu'un engagement syndical, ou même un travail à côté, ne doit pas être plus important en termes de temps, ou en tout cas chronophage par rapport aux études qu'on est en train de faire ?
FREDERIQUE VIDAL
Bien sûr que quand on est étudiant, le principal, c'est de réussir ses études, mais d'un autre côté, c'est vrai que l'engagement étudiant, c'est aussi quelque chose qui est important…
ALBA VENTURA
Et qui construit…
FREDERIQUE VIDAL
Parce que ça forge sa personnalité, ça construit. Et donc il faut qu'on puisse évidemment travailler aussi sur ce statut d'étudiant engagé de manière plus formelle.
ALBA VENTURA
Vous prévoyez un statut spécial du coup ?
FREDERIQUE VIDAL
Oui, on a déjà beaucoup avancé avec les organisations syndicales depuis deux ans sur cette question de l'étudiant engagé, de la reconnaissance de l'engagement étudiant, de la reconnaissance des compétences que ça apporte…
ALBA VENTURA
C'est pour quand ?
FREDERIQUE VIDAL
Eh bien, c‘est déjà autorisé dans les textes, il faut simplement que ça devienne une réalité dans les faits et dans les établissements.
ALBA VENTURA
Alors, Frédérique VIDAL, les syndicats d'étudiants réclament de revaloriser les bourses, est-ce qu'il faut donc les augmenter, ces bourses étudiantes ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, en fait, nous venons d'augmenter les bourses étudiantes…
ALBA VENTURA
De 1,1 %, ce n'est pas beaucoup…
FREDERIQUE VIDAL
Nous venons de remettre 46 millions d'euros supplémentaires sur les bourses étudiantes. Et moi, je pense qu'il faut être, là, dans le pragmatisme et dans l'efficacité, c'est 5,7 milliards d'euros en tout qui sont consacrés aux aides étudiantes sur le budget de l'Etat. Il y a les bourses sur critères sociaux, il y a aussi ce qu'on appelle les aides spécifiques, les aides d'urgence, elles ne sont pas consommées en réalité…
ALBA VENTURA
C'est-à-dire ?
FREDERIQUE VIDAL
Elles sont sous-consommées, il reste chaque année un peu plus de 15 millions d'euros d'aides d'urgence non consommés…
ALBA VENTURA
C'est-à-dire que les étudiants ne vont pas chercher ces aides-là ?
FREDERIQUE VIDAL
Absolument, ça signifie que c'est compliqué…
ALBA VENTURA
Mais est-ce qu'on leur dit qu'ils ont…
FREDERIQUE VIDAL
Bien sûr, on leur dit, mais visiblement, on ne leur dit encore pas assez. Donc je veux vraiment mettre en place un numéro d'appel, embarquer les organisations syndicales pour qu'elles nous aident à repérer les jeunes en situation de précarité, de manière à ce qu'il y ait un véritable fonds d'aide d'urgence qui puisse être mobilisé par ces étudiants en situation de précarité, voilà, ça, c'est quelque chose de très concret, c'est quelque chose qui peut être fait tout de suite…
ALBA VENTURA
C'est pour quand ce numéro d'appel ?
FREDERIQUE VIDAL
C'est un numéro d'appel qui sera mis en place au plus tard à la fin de l'année, de manière à ce qu'il puisse y avoir ce numéro d'appel pour prendre…
ALBA VENTURA
Fin d'année, là, maintenant, 2019 ?
FREDERIQUE VIDAL
Oui, pour prendre un rendez-vous, pour voir une assistante sociale, mais une fois de plus, comme il y a des jeunes qui hésitent à passer par des assistantes sociales, qu'on travaille aussi avec les associations étudiantes pour qu'elles soient aussi le relais, et pas forcément des syndicats étudiants, mais vraiment des associations étudiantes, les présidents d'université proposent aussi de créer des emplois étudiants spécifiques pour avoir des étudiants relais qui puissent parler à ceux qui se trouvent en situation de précarité et qui n'osent pas le dire. Il y a aussi beaucoup de retenue chez les étudiants qui n'osent pas souvent dire qu'ils sont dans une situation précaire et difficile.
ALBA VENTURA
Le logement, c'est aussi un problème, la vie chère, c'est aussi un problème, à combien on estime d'ailleurs le nombre d'étudiants en situation de précarité, pauvres ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, pour l'Observatoire de la vie étudiante, c'est à peu près 5 % des étudiants qui sont en situation de précarité…
ALBA VENTURA
Ça fait combien ?
FREDERIQUE VIDAL
C'est sur 2,6 millions, donc, voilà, c'est à peu près…
ALBA VENTURA
5 %…
FREDERIQUE VIDAL
5 % de 2,6 millions, donc ça doit faire 125.000…
ALBA VENTURA
125.000 étudiants pauvres.
FREDERIQUE VIDAL
Et c'est justement à peine 50.000 qui demandent à bénéficier des aides d'urgence.
ALBA VENTURA
Dans ces aides d'urgence, il y a donc des aides au logement en plus ou… ?
FREDERIQUE VIDAL
Ce sont des sommes d'argent qui sont données aux étudiants pour les aider là où ils en ont le plus besoin. On a un vrai sujet sur le logement, ça, c'est très clair, on y a travaillé avec Julien DENORMANDIE, la caution Visale fonctionne extrêmement bien, c'est ce qui permet à des étudiants d'être cautionnés par Action Logement, ils n'ont pas besoin d'avoir des cautions de leurs parents. On va faire en sorte que la trêve hivernale s'applique dans les cités universitaires, ça, dès à présent aussi, c'est une décision qui est prise…
ALBA VENTURA
C'est-à-dire ? Ça se traduit comment ça ?
FREDERIQUE VIDAL
Ça veut dire qu'on ne peut pas expulser un étudiant d'une cité universitaire, parce que les cités universitaires, jusqu'à présent, n'était pas dans le droit commun.
ALBA VENTURA
Le journal La Croix nous apprend ce matin que le nombre d'étudiants a été multiplié par neuf depuis 1960, c'est pour ça que je vous posais la question du logement, parce que, finalement, tout le monde ou presque a accès à des études, et tant mieux, mais du coup, quand on est un étudiant à situation financière modeste et qu'on déboule dans une métropole, le logement étudiant coûte cher, est-ce qu'il est question de construire des logements étudiants ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors oui, le plan soit 60.000 – que nous portons avec Julien DENORMANDIE – est en cours de déploiement, il faut qu'on y travaille encore beaucoup plus fort, puisque pour tenir ces engagements, il faut vraiment qu'on se mobilise tous, mais c'est aussi pour ça qu'on a mis en place une aide à la mobilité. Et c'est aussi pour ça qu'on a ouvert des campus connectés partout sur le territoire pour que les jeunes puissent aussi étudier sans forcément être obligés de rejoindre les métropoles, on a un problème de concentration des jeunes dans les métropoles, on a un problème de hausse des loyers, voilà. Donc tous les efforts sont faits, y compris pour que maintenant les villes puissent encadrer les loyers.
ALBA VENTURA
Et la piste du revenu universel d'activité, ça, c'est en cours ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, ça, nous y travaillons avec la FAGE, avec l'UNEF, depuis plusieurs mois, avec Gabriel ATTAL, qui porte…
ALBA VENTURA
Donc ça regroupe toutes les aides, c'est ça ?
FREDERIQUE VIDAL
Absolument, et puis, surtout, ce que nous avons proposé à la FAGE et à l'UNEF avec Gabriel ATTAL, c'est de tout remettre sur la table, les barèmes, les montants des bourses, qui peut en bénéficier, comment est-ce qu'on déclenche ces bourses, et comment est-ce qu'on fait pour qu'il y ait une demande à faire pour bénéficier de toutes les aides existantes, ce qui n'est pas le cas actuellement.
ALBA VENTURA
Frédérique VIDAL, le CROUS de Caen a été incendié, dans la nuit de dimanche à lundi. La grille de votre ministère avait été arrachée, François HOLLANDE avait été empêché de tenir une conférence à Lille, et son livre avait même eu des pages arrachées devant tout le monde. Les auteurs des violences, est-ce que vous les avez identifiés ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, ils ne sont pas identifiés nominativement, là encore, à chaque fois, des enquêtes sont en cours, moi, ce que je considère, c'est que ce jeune homme, en faisant cet acte, a très clairement voulu faire un acte à portée politique, on voit, dans les écrits qu'il a laissés, qu'il accuse tous les présidents de la République encore vivants, sauf Valéry GISCARD D'ESTAING, Marine LE PEN, les médias, l'Europe, donc on sent qu'il a voulu faire de cet acte un acte politique. Moi, ce que je condamne, c'est la récupération par la violence qui en est faite, parce que, ce n'est pas parce qu'on va incendier un CROUS qu'on va améliorer la vie des étudiants.
ALBA VENTURA
Vous pensez qu'ils veulent que la contagion gagne le 5 décembre contre la réforme des retraites ?
FREDERIQUE VIDAL
Moi, je pense que toute récupération politique d'un drame humain qui se traduit par des actions de violence est à condamner.
ALBA VENTURA
Merci beaucoup Frédérique VIDAL.
FREDERIQUE VIDAL
Merci à vous.
YVES CALVI
Frédérique VIDAL, qui annonce sur RTL la mise en place d'un numéro d'appel pour l'utilisation des 15 millions d'aides à charge non utilisés par nos étudiants.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2019