Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, à CNews le 13 décembre 2019, sur la grève contre la réforme des retraites, le Brexit et la neutralité carbone à l'horizon 2050.

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Média : CNews

Texte intégral

ROMAIN DESARBRES
Tout de suite c'est l'interview politique avec Gérard LECLERC qui reçoit ce matin Elisabeth BORNE, ministre de la Transition écologique et solidaire en charge des Transports. Elle a choisi CNews pour parler ce matin.

GERARD LECLERC
Bonjour Elisabeth BORNE. Soyez la bienvenue. Vous avez entendu Laurent BRUN de la CGT SNCF : pas de trêve de Noël sans retrait de la réforme. Le gouvernement est droit dans ses bottes, la grève va durer sauf si vous retirez le projet. Vous en pensez quoi ?

ELISABETH BORNE
D'abord que le gouvernement n'est pas droit dans ses bottes puisque vous avez vu qu'Edouard PHILIPPE a proposé aux organisations syndicales de les rencontrer…

GERARD LECLERC
Négocier. On va en parler tout à l'heure.

ELISABETH BORNE
Pour améliorer encore la réforme et voilà. Annoncer qu'on veut gâcher les vacances de Noël des Français, moi je trouve ça irresponsable et je voudrais noter que ces syndicalistes, ce syndicaliste de la CGT SNCF qui prétend défendre le service public, c'est tout le contraire. Vous voyez, le service public c'est d'abord s'occuper… Enfin, avoir une priorité aux usagers, aux voyageurs qui ont besoin de se déplacer tous les jours et pour partir en vacances à Noël.

GERARD LECLERC
Alors justement, vous y pensez à ces usagers ? C'est la galère pour eux encore aujourd'hui. On annonce seulement un TGV ou un Transilien sur quatre, huit lignes de métro fermées. Ça fait plus d'une semaine que ça dure, c'est l'enfer pour eux.

ELISABETH BORNE
Oui. Je vous confirme qu'effectivement, moi je pense d'abord aux usagers comme vous le dites qui doivent se lever tôt, qui rentrent plus tard, qui peuvent être stressés parce qu'ils ont des enfants à récupérer à la crèche ou à l'école. Moi je veux dire aux conducteurs de la SNCF et de la RATP, comme nous nous y étions engagés, on a donné des garanties très fortes. Plus des trois quarts des conducteurs ne seront pas concernés par la réforme puisqu'on a prévu une transition longue. Ceux qui partent à la retraite avant 2037 ne sont pas concernés. Donc dans ces conditions, moi je les appelle à entendre les difficultés des Français.

GERARD LECLERC
Il y a des vidéos qui tournent sur les réseaux sociaux. Il y en a une qui semble indiquer que des voitures de RER seraient réservées aux femmes pour éviter les frottements. Alors à première vue, ce n'est pas tout à fait le cas. Ce n'est pas le cas.

ELISABETH BORNE
Non, non, non. Ce n'est pas le cas. Il y a effectivement des voitures qui sont réservées pour les personnes fragiles, les personnes âgées, des personnes avec enfants.

GERARD LECLERC
Pas spécialement les femmes.

ELISABETH BORNE
C'est important parce qu'il y a effectivement beaucoup de monde dans les transports en commun, dans ceux qui fonctionnent aujourd'hui. Je voudrais à cet égard rendre hommage aux agents qui travaillent et qui font leur maximum pour aider les voyageurs. Mais donc, non, c'est pour des personnes fragiles.

GERARD LECLERC
Ce n'est pour les femmes, c'est pour les personnes fragiles, notamment les personnes âgées, les handicapés, et caetera.

ELISABETH BORNE
Voilà, absolument.

GERARD LECLERC
Il y a par contre une deuxième vidéo qui celle-là est bien réelle où l'on voit des non-grévistes d'un dépôt de bus qui invectivent, qui insultent avec des propos homophobes des conducteurs qui, eux, ne sont pas grévistes.

ELISABETH BORNE
Oui. Enfin moi, je pense qu'il faut avoir en tête que la grève c'est un droit donc on peut tout à fait l'exercer, mais il faut vraiment respecter aussi le droit de ceux qui veulent aller travailler de le faire.

GERARD LECLERC
Mais au-delà de ça, c'est des insultes homophobes

ELISABETH BORNE
Oui. Ecoutez, il y a des débordements ; moi je ne peux que le déplorer et d'autant plus que, je le redis, pour ces conducteurs de la RATP, de la SNCF, ils ont des garanties, donc maintenant il faut se mettre à la table des discussions. On a demandé aux présidents des deux entreprises de recevoir les syndicats. Plus de 75 % des conducteurs ne sont pas concernés par la réforme. Pour les 25 % qui sont concernés, là aussi on est ouvert à donner le maximum de garanties sur le maintien des droits acquis avant le basculement dans le système universel de retraite.

GERARD LECLERC
Vous évoquez effectivement ces négociations à la SNCF et à la RATP pour voir la transition. Pourquoi aller si vite et puis il y a quand même un petit problème : c'est qu'hier ni la CGT ni SUD ne sont venus à la négociation.

ELISABETH BORNE
Pourquoi aller si vite ? Je pense que c'est important que les discussions se tiennent puisqu'il y a tous les éléments sur la table pour rassurer. Moi je peux comprendre que le régime de retraite c'est quelque chose qui est une préoccupation pour tous les Français. C'est un élément très fort pour les agents de la RATP et de la SNCF. Ils peuvent considérer que ça fait partie de leur contrat avec l'entreprise. C'est bien pour ça qu'on a prévu des transitions longues et que tous ceux qui partiront à la retraite avant 2037 ne sont pas concernés. Donc maintenant il faut s'asseoir à la table de discussion et reprendre le travail.

GERARD LECLERC
Alors des négociations il va y en avoir au niveau national. Le gouvernement d'une certaine façon a rectifié le tir avec la CFDT. Tout a été fait hier pour renouer le lien. Mais pour négocier sur quoi ? Ce sera la semaine prochaine, c'est un vrai cycle de négociations et sur quoi ?

ELISABETH BORNE
Je pense que ce qui est important, c'est de noter qu'il y a effectivement des positions très différentes parmi les syndicats. On a la CGT : depuis le début, elle ne veut pas discuter. Il faudra qu'elle explique pourquoi elle ne veut pas qu'on mette en place un système de retraite qui assure une solidarité entre tous les Français.

GERARD LECLERC
Elle n'en veut pas. Elle l'a dit : « On ne veut pas de régime universel par points. »

ELISABETH BORNE
Ecoutez, on a du mal à comprendre. Qui donne des vraies avancées sociales. Et par ailleurs, il y a effectivement les syndicats comme la CFDT, la CFTC ou encore l'UNSA qui sont favorables. Pour la CFDT, c'est même depuis des années qu'elle plaide pour un système universel.

GERARD LECLERC
Oui, mais ils ne voulaient pas de du fameux âge d'équilibre, âge pivot. Alors éventuellement on ne va pas le mettre, cet âge pivot ?

ELISABETH BORNE
Ils ont des demandes d'améliorer la réforme sur la pénibilité, sur les fins de carrière et puis, effectivement, ils veulent discuter des modalités d'équilibre du système de retraite. Ce qui est important pour le gouvernement, c'est de dire que le système de retraite doit être équilibré et équilibré dans la durée. Donc le Premier ministre a proposé un chemin tout en disant que ça sera aux partenaires sociaux d'assurer…

GERARD LECLERC
Donc ce ne sera pas forcément l'âge pivot. C'était l'autre proposition du Premier ministre mais il pourrait y en avoir d'autres si les syndicats sortent une autre idée.

ELISABETH BORNE
Si les syndicats ont une autre idée, ce qui nous importe c'est que le système de retraite soit à l'équilibre dans la durée.

GERARD LECLERC
Donc sur le principe, l'équilibre, mais la façon d'y arriver il y a discussion.

ELISABETH BORNE
S'il y a des propositions, évidemment on les écoutera.

GERARD LECLERC
La grève est donc, on le disait tout à l'heure, très dure pour les usagers. Bruno RETAILLEAU, qui est Républicain, a déposé une proposition de loi pour un service minimum garanti avec possibilité de réquisition aux heures de pointe des salariés. Il ne faut pas regarder cette proposition ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez, moi je pense que c'est vraiment de la communication, vous voyez.

GERARD LECLERC
Pourquoi ? C'est une bonne idée, non ?

ELISABETH BORNE
On ne va pas voter une proposition de loi. Une proposition de loi, ça ne se vote pas en trois jours. Il y a des règles qui permettent effectivement aux salariés… Enfin qui demandent aux salariés de se déclarer 48 heures à l'avance pour qu'on ait une prévisibilité du système, voilà. Et maintenant il y a une question de responsabilité pour ces agents, ces conducteurs de la RATP et de la SNCF qui ne sont pas concernés pour la réforme. Ça va devenir assez peu compréhensible pour les Français de savoir qu'ils ne peuvent pas se déplacer alors même que plus des trois quarts des conducteurs ne sont pas concernés par la réforme.

GERARD LECLERC
Donc on ne regarde pas cette proposition pour l'instant. Ce n'est pas d'actualité. Il y a le blocage des huit raffineries en France, il y aussi parfois des blocages de dépôts et il y a la crainte de pénurie d'essence. Est-ce que les Français vont pouvoir se déplacer notamment au moment des fêtes avec leur voiture parce qu'ils ne pourront pas prendre le train ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez, il n'y a aucun problème d'approvisionnement des stations-service. Je veux le dire très clairement et ceux qui disent le contraire veulent créer des paniques dans les stations-service donc je le dis : on a des raffineries qui tournent, la plupart…

GERARD LECLERC
Oui mais elles sont bloquées.

ELISABETH BORNE
Non. Des raffineries qui tournent ; la plupart, les expéditions se font normalement et de toute façon, l'approvisionnement des stations-service se fait à partir de deux cents dépôts dont les stocks sont bons donc il n'y a pas de problème d'approvisionnement. L'objectif de ceux qui propagent ces rumeurs, ces fausses nouvelles comme on dit, c'est évidemment de créer de la panique. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

GERARD LECLERC
Il paraît qu'il y a quand même deux cents stations qui, pour l'instant, ne seraient pas approvisionnées, en rupture.

ELISABETH BORNE
Non. Enfin, je peux vous assurer qu'à 99 % les stations sont correctement approvisionnées.

GERARD LECLERC
Et elles le resteront ?

ELISABETH BORNE
Elles le resteront.

GERARD LECLERC
Les gens pourront utiliser leur voiture ?

ELISABETH BORNE
On a des stocks, elles resteront approvisionnées. Il n'y a pas de problème. Voilà, c'est vraiment les fausses nouvelles que certains veulent propager pour créer de la panique. Les stations sont approvisionnées et elles le resteront.

GERARD LECLERC
Il y a également eu hier le blocage des ports et des installations portuaires du Havre et de Marseille par la CGT. Vous en pensez quoi ?

ELISABETH BORNE
Moi j'appelle à la responsabilité. Le droit de grève, il existe ; le droit de blocage, il n'existe pas.

GERARD LECLERC
Boris JOHNSON l'emporte largement aux élections en Grande-Bretagne donc la voie est libre pour le Brexit. Qu'est-ce que vous en pensez et quelles conséquences ça peut avoir pour la France ?

ELISABETH BORNE
Effectivement ça veut dire que l'accord de sortie du Royaume-Uni va pouvoir se mettre en oeuvre. Vous savez qu'on est très bien préparé maintenant puisque la sortie aurait pu intervenir il y a quelques mois. Donc maintenant…

GERARD LECLERC
Il n'y aura pas des problèmes de fil à la frontière ?

ELISABETH BORNE
Enfin franchement, on était prêt au mois de mars dernier donc on est à fortiori près maintenant. Le sujet qui va venir sur la table maintenant, c'est l'accord futur, la relation future entre l'Europe et le Royaume-Uni au plan commercial, en termes de sécurité. En tout cas ce qui est bien, c'est que l'accord de Brexit va pouvoir se mettre en oeuvre comme prévu.

GERARD LECLERC
Les choses sont claires. Greta THUNBERG qui a 17 ans est personnalité de l'année pour le magazine Time. C'est bien sûr la plus jeune personne qui a ce titre de personnalités de l'année. C'est mérité ?

ELISABETH BORNE
Je pense que c'est mérité parce que Greta THUNBERG, elle porte la voix d'une partie de notre jeunesse qui exprime ses préoccupations sur le dérèglement climatique, qui nous appelle à agir et cette mobilisation de la jeunesse, je pense que c'est effectivement un des événements les plus importants de cette année.

GERARD LECLERC
Alors justement puisqu'on parle du climat, cette nuit il y a eu un accord sur le pacte Vert qui a été présenté par la présidente de la Commission Ursula VON DER LEYEN. Donc l'idée, c'est que l'Europe en 2050 soit le premier continent neutre en émissions de CO2. C'est vraiment important, c'est vraiment historique ? Et concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ?

ELISABETH BORNE
Cette annonce que l'Europe sera le premier continent neutre en carbone au milieu du siècle, c'est effectivement une annonce historique. Ça veut dire qu'on s'engage à ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que ce que la planète peut en absorber. C'est une réponse à l'urgence climatique. Je pense que c'est une très bonne chose que l'Europe soit le premier continent à s'engager dans cette neutralité carbone. C'est aussi un signal très fort qui est envoyé aux autres pays. Vous savez que la COP25 se clôture aujourd'hui et, voilà, on montre le chemin pour lutter contre le dérèglement climatique. C'est une question de survie.

GERARD LECLERC
Oui. On montre le chemin, le principe est très bien mais maintenant il faut y arriver. Ça veut dire qu'il va falloir des investissements massifs pour réduire les émissions de carbone, pour également pouvoir les absorber puisque la neutralité ça veut dire que donc on est neutre en émissions de carbone. 2050, ce n'est pas très loin. C'est des sommes gigantesques. Concrètement où on va trouver cet argent et comment on fait pour arriver à ce résultat ?

ELISABETH BORNE
Alors, ce n'est pas une promesse en l'air. A partir du début de l'année prochaine, la Commission européenne va présenter tous les outils pour arriver à cette neutralité carbone. C'est effectivement revoir les règles sur les émissions par exemple des voitures. C'est beaucoup d'investissement et l'Europe a annoncé qu'une part très importante de notre budget européen prendra en compte, sera consacrée à la lutte contre le dérèglement climatique. Il y a aussi des choses très importantes, notamment un fonds de transition juste pour accompagner les pays qui sont le plus éloignés de cette neutralité.

GERARD LECLERC
Les pays de l'Est notamment.

ELISABETH BORNE
Notamment les pays de l'Est. Et puis aussi un point important qui est de mettre en place une sorte de taxe carbone aux frontières pour qu'on ne demande pas à nos industriels de faire des efforts pour émettre moins de gaz à effet de serre, ce qui peut coûter un peu plus cher, en important des produits qui viendraient de pays qui ne prennent pas ces engagements. Donc c'est un ensemble de mesures qui va venir à l'appui de cet objectif de neutralité carbone.

GERARD LECLERC
Et la France sera à la pointe de ce combat ?

ELISABETH BORNE
Et la France avait poussé très fortement, et elle l'a fait dans la négociation qui est intervenue cette nuit, pour qu'on aille bien vers cette neutralité carbone qui est déjà inscrite dans notre loi Neutralité carbone au milieu du siècle.

GERARD LECLERC
Merci Elisabeth BORNE. Bonne journée, bon week-end.

ELISABETH BORNE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 décembre 2019