Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, à France Inter le 18 décembre 2019, sur la grève contre la réforme des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invitée ce matin est ministre de la Transition écologique et solidaire.

LEA SALAME
Bonjour à vous Elisabeth BORNE.

ELISABETH BORNE
Bonjour.

LEA SALAME
Et merci d'être avec nous ce matin. Troisième journée de mobilisation hier, il y avait un peu plus de 600 000 personnes dans les rues de France, selon la police. Vous retenez quoi ce matin ? Que c'est beaucoup de monde, 600 000 personnes, ou que c'est moins que le 5 décembre ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez, moi je ne vais pas faire la météo de la mobilisation. Il y a eu effectivement une mobilisation hier, avec des gens qui portaient des revendications très différentes, pour certains le retrait de la réforme et puis pour d'autres, des demandes d'amélioration sur un certain nombre de points. Je pense que ce qui est important maintenant c'est que les négociations se tiennent cet après-midi, comme c'est prévu, pour répondre à ceux qui demandent des améliorations, puisque ce système il peut toujours être amélioré dans le dialogue social.

LEA SALAME
On va y venir aux négociations, mais d'abord des questions très précises. D'abord, la CGT a revendiqué hier des coupures de courant volontaires, qui ont touché des dizaines de milliers de foyers, en Gironde, à Lyon, à Nantes, à Orléans, dans deux quartiers de Paris. La CGT explique que ces coupures s'inscrivent je cite dans la bagarre contre votre réforme des retraites, qu'elles sont un avertissement avant des coupures de courant plus massives. Vous répondez quoi ce matin ?

ELISABETH BORNE
Que c'est grave, que ce qui s'est passé est grave. Vous voyez, quand on a des dizaines de milliers de foyers qui ont été privés d'électricité, 50 000 en Gironde, 40 000 à Lyon, et puis à Lyon, cinq cliniques, une station de métro, une caserne de pompiers. Donc moi je condamne évidemment très fermement, j'ai demandé aux dirigeants de RTE et d'ENEDIS de déposer plainte systématiquement, et puis moi je demande aussi à Philippe MARTINEZ de clarifier sa position sur ce sujet. Je l'entends dire qu'on coupe les entreprises du CAC 40, les préfectures, les centres commerciaux, c'est déjà assez discutable, mais là je le redis, des cliniques, des stations de métro, des casernes de pompiers, et puis des milliers de Français comme vous et moi, qui se retrouvent privés d'électricité. Donc je pense qu'on est vraiment très loin des modes d'action normaux, de ce qu'on peut attendre d'un grand service public. Alors, je ne confonds pas tout, c'est quelques... heureusement c'est une toute petite minorité, et je ne confonds pas avec tous les agents qui effectivement sont au service du public, comme on peut l'attendre d'un grand service public qu'est EDF.

LEA SALAME
Alors, je ne sais pas si vous êtes au courant, on vient de l'apprendre là, des cheminots ont installé plusieurs barrages dans la région de Nice, en ce moment, des camions sont bloqués, ne peuvent pas faire leurs livraisons, des bus ont bloqués également dans la région de Nice contre la réforme des retraites. Qu'est-ce que vous en pensez ?

ELISABETH BORNE
Je pense qu'on a, dans notre pays, un droit de grève garanti par la Constitution, un droit de manifester, mais qu'il n'y a pas de droit aux blocages, aux menaces, aux coupures sauvages. Voilà. Donc je pense qu'il faut que chacun prenne ses responsabilités, et je condamne très fermement ce type d'actions.

LEA SALAME
Madame la Ministre, les fêtes de Noël approchent, beaucoup de Français veulent fêter cela en famille, mais auront-ils un train ? Hier, votre secrétaire d'Etat Jean-Baptiste DJEBBARI, a promis – je cite – que "l'ensemble des Français qui ont un billet auront un train garanti ce week-end". A-t-il dit une bêtise ?

ELISABETH BORNE
C'est bien ce que la SNCF veut faire. La SNCF s'est vraiment démenée pour permettre à chacun de partir pour les vacances de Noël. Il y a 850 000 billets qui avaient été vendus, il y aura 850 000 places. Pour certains ce sera simple, c'est leur train qui circule, pour d'autres ils seront replacés automatiquement sur un autre train, et d'autres auront à échanger leurs billets. Mais vraiment la SNCF est sur le pont pour permettre que tous ceux qui ont pris un billet puissent circuler.

LEA SALAME
Alors, ce n'est pas exactement les chiffres que j'ai, mais démontez-moi, la SNCF promet que 2/3 des passagers auront un train, soit qu'il est maintenu, soit qu'ils peuvent échanger leurs billets qui seront remboursés, c'est bien ça, ils seront bien remboursés, il n'y a pas de frais en plus ?

ELISABETH BORNE
Ah non, il n'y a pas de frais, ça je peux vous le confirmer.

LEA SALAME
Il y a parfois un peu de frais, mais…

ELISABETH BORNE
Non, non non, je pense qu'il n'y aura pas de frais du tout.

LEA SALAME
Je l'ai fait ce matin, il y a un peu de frais.

ELISABETH BORNE
Bon, on va demander à la SNCF.

LEA SALAME
Voilà. Donc, ça c'est un, deuxièmement il resterait 15 % des voyageurs qui n'ont rien, qui n'auront pas de train, qui n'ont pas de solution alternative. Est-ce que vous confirmez ce chiffre-là ? 15 % ça veut dire un peu plus de 100 000 voyageurs qui, si j'ose dire, permettez-moi la crudité, sont à poil, là, pour…

ELISABETH BORNE
Non, ce que je peux vous dire, c'est que vraiment les équipes de la SNCF sont sur le pont, et moi je voudrais leur rendre hommage. On parle beaucoup des grévistes, il y a tous ceux qui sont effectivement très mobilisés pour apporter des réponses. L'objectif c'est bien que tous ceux qui avaient pris un billet, puissent avoir une solution. Je ne vous dis pas qu'elle est idéale, évidemment si 100 % des TGV circulaient, ce serait plus simple, mais les équipes de la SNCF sont sur le pont pour apporter une réponse à chacun.

LEA SALAME
Donc tout le monde ira, tous les gens qui ont acheté un billet iront en famille fêter Noël.

ELISABETH BORNE
Alors, ils iront, soit simplement si leur train est maintenu ou s'ils sont automatiquement replacés sur un autre train, soit de façon moins simple, mais la SNCF, vraiment, les équipes sont sur le pont pour répondre à tous ceux qui avaient acheté un billet.

LEA SALAME
Alors, les négociations elles reprennent aujourd'hui à Matignon. Le Premier ministre recevra chaque leader syndical, seuls, puis tous ensemble demain. Laurent BERGER maintient sa position ce matin : "il faut retirer l'âge pivot", vous dit-il, c'est son préalable pour discuter. Vous lui répondez quoi ? Que ce n'est pas recevable, que l'âge pivot à 64 ans restera dans le texte ?

ELISABETH BORNE
Je pense qu'il ne faut pas réduire cette réforme à ce sujet. On a une réforme très importante, pour mettre en place un système qui assure une solidarité entre tous les Français, les mêmes droits pour tous les Français, des avancées sociales importantes, c'est ce qu'était porté depuis des années par la CFDT. Ensuite il y a des points de désaccord. Il y a un accord sur le fait que le système doit être à l'équilibre, ensuite le Premier ministre l'a dit, on est ouvert au dialogue sur les modalités du retour à l'équilibre. Je pense que les Français ne comprendraient pas qu'on leur dise : on vous met en place un nouveau système, avec des nouveaux droits, mais on ne vous dit pas comment ça sera financé.

LEA SALAME
Laurent BERGER est très clair, il dit : il faut retirer l'âge pivot du texte. Est-ce que c'est un préalable ? En gros, il ne faut pas dire : on discute et si on trouve une solution, on fera, on la prendra peut-être, et sinon on appliquera l'âge pivot, il vous dit de retirer le mot l'âge pivot.

ELISABETH BORNE
Ecoutez, s'il a d'autres propositions…

LEA SALAME
Il en a ?

ELISABETH BORNE
... le Premier ministre l'a dit, on prendra des propositions qui permettent d'arriver au même résultat.

LEA SALAME
La hausse des cotisations.

ELISABETH BORNE
Non, pas celle-là. Vous voyez, je pense que celle-là ça serait soit des pertes de pouvoir d'achat pour les Français, et je pense que là ils ne seraient pas d'accord, soit effectivement des charges supplémentaires pour les entreprises, mais des propositions qui permettent de revenir à l'équilibre, sans baisser les pensions, sans peser aussi sur la compétitivité des entreprises, on est vraiment ouvert…

LEA SALAME
Donc pas de hausses de cotisations, pas aller prendre dans les régimes excédentaires, alors quoi ? Il reste l'âge pivot en fait, c'est-à-dire qu'ils ont le droit de discuter mais en fait la décision est faite.

ELISABETH BORNE
Non non, d'une façon ou d'une autre, les Français ont bien en tête qu'on va devoir travailler plus longtemps, parce qu'on passe aujourd'hui plus de temps à la retraite, deux fois plus que dans les années 50, donc il faut bien s'occuper de l'équilibre du système de retraite. Des propositions qui tournent autour de cette idée sont les bienvenues et évidemment le Premier ministre les écoutera avec attention.

LEA SALAME
Tous les régimes spéciaux seront supprimés par votre réforme, les 42 régimes spéciaux ?

ELISABETH BORNE
Eh bien écoutez, quand on dit qu'on veut un système qui assure la solidarité entre tous les Français, ça veut dire qu'il n'y a plus de régime à part. Et je pense que ces régimes ils ont eu leur légitimité à une époque. Aujourd'hui, quand on voit que l'on a deux retraités pour un actif, dans les régimes spéciaux, qu'il y a donc 7,5 milliards de financements des autres Français, je pense qu'on voit qu'on est arrivé un peu au bout d'un système et que c'est important qu'il y ait cette solidarité entre tous les Français et donc un régime unique.

LEA SALAME
Un régime unique, sauf avec des exceptions. Alors il y a plein d'exceptions : les policiers gardent leur régime spécial, les routiers – vous l'avez confirmé – les routiers gardent leur régime spécial. En gros, votre réforme, elle est…

ELISABETH BORNE
Non, ce n'est pas ça du tout. Les routiers…

LEA SALAME
Alors, je vous les cite : "Le congé de fin d'activité qui leur permet de partir à 57 ans, sera maintenu".

ELISABETH BORNE
Ce que j'ai dit, c'est qu'effectivement on maintiendra ce congé de fin d'activité, qui est un régime conventionnel, mis en place par les partenaires sociaux. Ça, tout le monde est libre de le faire, mais effectivement, le régime général, assuré par la solidarité nationale, demain il sera le même pour tous les Français.

LEA SALAME
L'entrée en vigueur de la réforme pour les cheminots, à la génération 85, comme l'a annoncé Edouard PHILIPPE la semaine dernière, est-ce que c'est négociable ça ?

ELISABETH BORNE
On a fait une avancée très importante, puisque tous ceux qui partent à la retraite avant 2037, resteront dans le système actuel. Il faut avoir en tête que c'est plus des 3/4 des conducteurs qui sont dans cette situation. Par exemple sur les RER de la RATP, c'est 98 % des conducteurs. Je le dis, parce que les Français pourraient finir par ne pas comprendre pourquoi ils sont dans la galère, alors que 98 % des conducteurs de RER, leur situation ne change pas. Donc c'est ce qu'on avait dit, on est attentif à avoir des transitions longues, ensuite il y a des champs de discussions dans les entreprises, pour ceux qui vont rentrer dans le nouveau système, sur la façon dont on va maintenir…

LEA SALAME
Qui va rentrer dans... En fait Elisabeth BORNE, c'est difficile à comprendre, votre réforme, et alors quand on parle des cheminots en réalité, pourquoi vous ne dites pas plus simplement que la réforme ne s'applique pas aux cheminots et ne s'appliquera qu'aux nouveaux entrants ? En fait ceux qui rentreront en 2022, la génération 85, vous l'abandonnez, parce que c'est ça, en fait c'est la clause du grand-père pour les cheminots. Essayons de clarifier les choses ce matin.

ELISABETH BORNE
Parce qu'il y a une règle simple qui a été posée, c'est tous ceux qui sont à 17 ans du départ à la retraite, ne sont pas concernés, c'est la génération 85 pour les cheminots. Je crois que les Français aspirent à de la justice, donc tous ceux qui sont à 17 ans, qu'ils soient dans ces régimes spéciaux ou dans le régime général, ne sont pas concernés par la réforme, c'est une avancée très importante…

LEA SALAME
Ce n'est pas clair.

ELISABETH BORNE
... puisque je vous dis, plus des ¾ des conducteurs ne sont pas concernés et qu'il y a un champ de discussions dans les entreprises, sur la façon dont on va garantir des pensions de haut niveau.

LEA SALAME
Donc vous êtes prêts à lâcher sur les cheminots beaucoup de choses et notamment la clause du grand-père.

ELISABETH BORNE
On est prêt à leur garantir leurs droits, pour ceux qui rentreront donc, qui partiront à la retraite après 2037.

LEA SALAME
Merci beaucoup Madame la Ministre, et belle journée à vous.

ELISABETH BORNE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 décembre 2019