Texte intégral
PASCALE DE LA TOUR DU PIN
Il est huit heures et demie, Elizabeth MARTICHOUX, deux invités aujourd'hui, vous commencez par Agnès BUZYN…
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, qui est ministre de la Santé, acteur central de cette réforme des retraites, bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour Elizabeth MARTICHOUX.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup d'être avec nous, on va progresser encore dans la compréhension de cette réforme et la justification de vos choix. D'abord ça fait quelle impression ce matin d'avoir tous les syndicats contre votre réforme, c'est impressionnant, tous les syndicats de salariés ?
AGNES BUZYN
Ils le sont tous pour des raisons différentes, en réalité il n'y a pas du tout de front uni, quand vous les interrogez, FO et la CGT, ils ne veulent aucune réforme, ils ne veulent pas d'une retraite par points. La CFDT c'est la réforme dont elle rêvait quelque part, c'est vraiment une belle réforme sociétale, c'est une réforme de progrès avec beaucoup plus de droits nouveaux notamment pour les femmes ou pour les plus précaires. Et ce que la CFDT conteste c'est qu'on mette une mesure d'équilibre du système parce que notre système va perdre de l'argent dans les années qui viennent. Donc on voit bien qu'en réalité la contestation n'est pas du tout unie, évidemment quand on regarde les manifestations tout le monde sera peut-être mobilisé mais en réalité chacun pour des raisons différentes.
ELIZABETH MARTICHOUX
En tout cas tout le monde est contre vous du côté des syndicats de salariés, c'est factuel, vous avez été surprise par la réaction de Laurent BERGER hier, très en colère ?
AGNES BUZYN
Je l'ai trouvé un peu au-delà de ce que j'imaginais parce que nous avons fait énormément de pas en avant vers la CFDT, il demandait des choses dans les concertations, nous avons concerté énormément, vous le savez, et énormément de points d'attention de la CFDT ou de la CFTC sur les droits familiaux par exemple ont été pris en compte et sont maintenant dans la réforme. Sur la pénibilité dans la fonction publique par exemple c'est vraiment quelque chose de très important.
ELIZABETH MARTICHOUX
Lui il dit qu'il n'y a pas assez sur la pénibilité, est-ce que vous êtes prêts à aller plus loin ?
AGNES BUZYN
Justement ça ça fait partie des sujets sur lesquels nous allons travailler avec les partenaires sociaux pour définir ce que sera la pénibilité dans la fonction publique et notamment dans la fonction publique hospitalière. Pour les aides-soignantes, les infirmières qui travaillent de nuit aujourd'hui elles n'ont pas le droit à la pénibilité, ça n'existe que dans le secteur privé, il faut qu'on adapte les critères pour que ça s'applique bien dans la fonction publique. Ça c'est sur la table et c'est vraiment quelque chose qui était demandé par les syndicats réformistes.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et par la CFDT en particulier…
AGNES BUZYN
En particulier.
ELIZABETH MARTICHOUX
…d'où votre incompréhension quand même ?
AGNES BUZYN
Oui parce que c'est la réforme dont la CFDT rêvait et quelque part la CFDT ne veut juste pas qu'on trouve collectivement les moyens de ne pas faire payer à nos enfants ce que nous allons faire pour la retraite des 50 prochaines années.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ils ne veulent pas que vous trouviez collectivement les moyens de pérenniser le système, il y a une absence de bonne volonté ?
AGNES BUZYN
Je pense qu'ils considèrent que les Français ne sont pas prêts, or moi je considère que les Français même s'ils n'en ont pas envie, et personne n'en a envie, globalement tout le monde a envie de partir à la retraite tôt, je pense que les Français ont du bon sens et savent aujourd'hui qu'avec le vieillissement de la population, le fait que nous soyons le pays dans lequel on reste à la retraite le plus longtemps, entre 22 et 27 ans selon qu'on est un homme ou une femme, avec le fait qu'il y ait moins d'actifs nous n'avons pas d'autre choix. Si nous ne voulons pas creuser la dette et faire en sorte que nos enfants payent deux fois parce qu'en réalité ils paieront nos retraites et la dette, nous sommes obligés d'avoir un système à l'équilibre. Et donc ce que nous posons sur la table c'est un âge d'équilibre, un âge d'équilibre c'est factuel, c'est scientifique, c'est l'âge auquel le système ne crée pas de la dette pour les autres.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous permettez, on écoute Bruno LE MAIRE, il en a parlé il y a quelques minutes sur France 2.
BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES – DOCUMENT FRANCE 2 « LES 4 VERITES »
L'âge d'équilibre, les modalités pour parvenir à l'équilibre financier c'est négociable, on ne peut pas à la fois dire aux Français « on va vous garantir des avancées sociales majeures, on va vous garantir que votre régime de retraite par répartition, celui de 1945, va être sauvé et qu'on gardera cette singularité française à laquelle je suis très attaché, nous cotisons ont tous les uns pour les autres, nous sommes solidaires entre les générations, ça c'est le modèle français, mais d'un autre côté il faut garantir que financièrement ça tient la route !
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est négociable l'âge pivot, ça veut dire quoi ?
AGNES BUZYN
Ce n'est pas ça, c'est les modalités d'arriver, il a dit…
ELIZABETH MARTICHOUX
Pardon ?
AGNES BUZYN
Il a dit les modalités d'arriver à l'âge pivot et c'est ça que nous avons proposé. Aujourd'hui…
ELIZABETH MARTICHOUX
Pardon, il ne dit rien de plus que ce qu'a dit le Premier ministre ?
AGNES BUZYN
Que ce qui est exactement écrit, absolument.
ELIZABETH MARTICHOUX
Quand il dit « il y a de la place pour la négociation ça veut dire que l'objectif de l'âge pivot, lui, pour vous ne bouge pas…
AGNES BUZYN
L'âge d'équilibre c'est un fait scientifique, c'est l'âge auquel le système est équilibré. Nous avons trouvé que d'arriver à cet âge d'équilibre de 64 ans en 2025 était brutal et peut-être trop brutal pour les Français et donc nous l'avons repoussé en disant « il faut que nous soyons à l'équilibre en 2027 », nous avons donc donné un peu plus de temps au système pour être équilibré, 2027. Ce que nous mettons sur la table, nous disons à la gouvernance du système, donc aux partenaires sociaux qui auront en charge la gouvernance…
ELIZABETH MARTICHOUX
Dont la CFDT bien sûr.
AGNES BUZYN
Dont la CFDT en 2020 de trouver les moyens d'aboutir à cet âge d'équilibre en 2027.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est de cela dont parlait Bruno LE MAIRE quand il dit qu'il y a de la négociation, c'est la négociation pour arriver à cette date que vous ne bougez pas en revanche de 2027 pour l'âge pivot pour la majorité des salariés.
AGNES BUZYN
Absolument parce qu'il y a beaucoup de droits nouveaux dans cette réforme, énormément de droits nouveaux notamment pour les femmes, nous ne voulons pas qu'il y ait de perdants et donc ceci coûte de l'argent.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais l'âge pivot c'est le sujet qui fâche, on voit bien qu'il y a une incompréhension qui demeure, maintenant vous l'avez confirmée. On va prendre un cas, Agnès BUZYN, d'un homme ou d'une femme qui aurait calculé aujourd'hui ses droits et qui saurait qu'aujourd'hui elle pourrait partir à 62 ans et demi disons, 62 ans et demi avec tous ses trimestres, cette personne qui pourrait partir dans cinq ans à 62 ans et demi est-ce qu'elle sera impactée par l'âge pivot que vous décidez ?
AGNES BUZYN
Evidemment tout dépend de l'âge, aujourd'hui si les partenaires sociaux ne trouvent pas de chemin, ne nous proposent rien pour aboutir à cet âge d'équilibre du système en 2027 sachant que tout le monde aura toujours le droit de partir à 62 ans mais qu'il y aura un bonus ou un malus selon qu'on part avant 64. Donc 64 ans c'est en 2027, si les partenaires sociaux ne trouvent pas le chemin alors le Gouvernement propose par défaut de commencer à augmenter de quatre mois tous les ans l'âge d'ouverture…
ELIZABETH MARTICHOUX
A partir de quand, 2022 ?
AGNES BUZYN
A partir de 2022 nous mettrons un âge d'équilibre, un âge pivot, de bonus-malus augmenté de quatre mois, donc en 2022 ce sera 62 ans et quatre mois en 2022, 62 ans et huit mois en 2023, etc., et ça c'est par défaut si les partenaires sociaux ne nous proposent pas un schéma pour arriver à l'équilibre du système.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour répondre à ma question précise pour ceux qui nous écoutent et qui font leurs calculs, ça veut dire que la personne qui voulait partir dans cinq ans, c'est-à-dire en 2024 à 62 ans et demi elle devra rajouter quatre mois…
AGNES BUZYN
Exactement, elle devra rajouter quatre mois de plus.
ELIZABETH MARTICHOUX
…et plus quatre mois à peu près, elle a un an et demi, donc elle sera impactée…
AGNES BUZYN
Impactée de quatre mois par rapport…
ELIZABETH MARTICHOUX
De quatre mois ou six mois, donc c'est une réponse.
AGNES BUZYN
Madame MARTICHOUX, juste pour préciser, aujourd'hui avec la réforme de Marisol TOURAINE c'est une réforme où en réalité pour avoir droit à une retraite à taux plein, la totalité de ses droits, on a rajouté le nombre de trimestres nécessaires. Les salariés du privé qui représentent aujourd'hui 70 % des Français qui ont le droit à la retraite, ces salariés du privé aujourd'hui partent déjà à un âge moyen de plus de 63 ans et dans cinq ans en raison de la réforme précédente, celle du gouvernement précédent, dans cinq ans l'âge moyen de départ sera déjà de 64 ans pour les salariés du privé. Donc en réalité…
ELIZABETH MARTICHOUX
A cause de la hausse des trimestres.
AGNES BUZYN
A cause de la hausse des trimestres qui a été décidée avant. Donc en réalité ce que nous faisons c'est simplement d'aligner cela pour la totalité des Français sauf les carrières longues, sauf les carrières notamment des forces de l'ordre, on l'a dit, toutes les fonctions régulières…
ELIZABETH MARTICHOUX
Sauf les régimes spéciaux…
AGNES BUZYN
Notamment les régimes spéciaux puisqu'ils vont avoir une durée…
ELIZABETH MARTICHOUX
Qui resteront spéciaux.
AGNES BUZYN
Ils resteront spéciaux pendant une durée, nous l'avons dit, de transition et donc effectivement il va y avoir des adaptations sur lesquelles aujourd'hui nous allons travailler branche par branche, profession par profession pour voir comment se fait la bascule, dans quel délai et les périodes de transition seront probablement assez longues.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous dites d'une certaine façon « on n'était pas obsédés par la recherche de l'équilibre » mais c'était tellement important que vous n'y avez pas renoncé, vous auriez pu dire « il faut travailler plus longtemps mais on confie la responsabilité totale de cet objectif aux syndicats ». Alors que là vous leur dites, vous venez de le confirmer, « on leur laisse la responsabilité mais s'ils ne trouvent pas nous on a notre plan B et on l'imposera exactement comme ce fut le cas pour l'assurance-chômage ».
AGNES BUZYN
Mais on ne peut pas prendre le risque, Madame MARTICHOUX, de mettre sur la table énormément de mesures positives comme la bonification de 5 % des retraites des femmes dès le premier enfant, 5 % de nouveau au deuxième enfant, etc.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous avez besoin de remplir les caisses pour financer vos mesures que vous dites être des progrès pour les Français…
AGNES BUZYN
Non, nous savons de toute façon, et ça n'est pas nous qui le disons, ce sont les partenaires sociaux eux-mêmes puisque c'est le Comité d'orientation des retraites qui a fait des estimations et ce sont les partenaires sociaux qui siègent à ce comité, eux-mêmes ont dit « en réalité nous nous sommes trompés en 2017, le régime n'est pas durablement à l'équilibre, il perdra entre huit et 17 milliards d'euros par an dans les années qui viennent, à partir de 2025 » et donc les partenaires sociaux eux-mêmes savent que le régime actuel nécessite une réforme. Donc de toute façon même si nous n'avions pas fait la réforme…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous auriez pu le faire en deux temps ! Laurent BERGER dans Les Echos ce matin, « on a une réforme qui est censée corriger les injustices du système actuel et qui va commencer par les accroître en contraignant les salariés ayant tous leurs trimestres de cotisation à travailler plus longtemps »,,. vous en avez fait la démonstration.
AGNES BUZYN
Non, Madame MARTICHOUX, parce que la vraie injustice…
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ils disent « ça serait facile de faire les deux ».
AGNES BUZYN
Non parce qu'il y autre chose qu'on va faire de très favorable, nous savons aujourd'hui que toutes les personnes qui ont des carrières hachées et notamment les femmes qui n'ont pas assez de trimestres sont obligées d'aller jusqu'à 67 ans, 20 % des femmes aujourd'hui travaillent jusqu'à 67 ans pour avoir le droit au taux plein, et en même temps que nous augmentons l'âge d'équilibre progressivement nous diminuerons l'âge de la retraite à taux plein. Ce qui veut dire qu'en 2027 il n'y aura plus personne qui ne pourra pas partir avec une retraite à taux plein à 64 ans, plus personne, plus aucune femme ne sera obligée de travailler au-delà…
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est un progrès pour elles.
AGNES BUZYN
C'est un progrès énorme pour une femme sur cinq et pour beaucoup de cadres qui rentrent tard dans la carrière et qui en fait n'ont pas tous les trimestres à 64 ans et qui sont obligés d'aller au-delà. Donc en réalité…
ELIZABETH MARTICHOUX
Madame la Ministre, une question simple parce que ça se joue aussi là-dessus, sur la compréhension du système, quand est-ce que les Français auront un simulateur ou un dispositif qui permettra de calculer exactement l'impact de la réforme ?
AGNES BUZYN
Donc le simulateur est long à construire, mais dès la semaine prochaine, il y aura des simulations de cas types, c'est-à-dire que nous mettrons des cas, des cas types, c'est-à-dire plein d'exemples, nous allons mettre plein d'exemples, selon les professions, selon les âges…
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc il faudra trouver le profil qui se rapproche le plus du sien…
AGNES BUZYN
Exactement, le profil qui se rapproche…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais ce ne sera pas vraiment personnalisé…
AGNES BUZYN
Non, parce que tout n'est pas inscrit encore dans la loi, il y a encore, vous le savez, il y a encore des choses à négocier, notamment la pénibilité, comment nous allons faire pour partir à la retraite de façon progressive, tout cela est en discussion, parce que nous voulons permettre plus de liberté dans les départs à la retraite avec des temps partiels par exemple, donc tout n'est pas totalement calé…
ELIZABETH MARTICHOUX
Quand la semaine prochaine ?
AGNES BUZYN
Donc aujourd'hui, nous travaillons à définir tout un tas de cas types, profession par profession, âge par âge, pour que les Français puissent se repérer, et évidemment, au fur et à mesure que nous définirons plus précisément la réforme, les simulateurs seront de plus en plus précis.
ELIZABETH MARTICHOUX
Si ça dure des semaines, Agnès BUZYN, une hypothèse que personne ne peut écarter à ce stade, personne…
AGNES BUZYN
Non, moi, je veux dire…
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous en tirerez les conséquences ?
AGNES BUZYN
Ecoutez, aujourd'hui la porte est ouverte au travail de négociation avec les partenaires sociaux, on voit bien que selon le syndicat avec lequel on parle, il souhaite qu'on travaille sur tel ou tel point, donc la porte est ouverte, le Premier ministre l'a dit, moi, je dois dire que je suis vraiment solidaire de tous les Français qui aujourd'hui marchent des heures pour aller travailler, il est évident que cette situation de blocage ne doit pas durer, ça n'est pas conforme à l'idée que je me fais…
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est ce que vous dites à Laurent BERGER, ce matin, précisément ?
AGNES BUZYN
Alors Laurent BERGER appelle à faire grève le 17…
ELIZABETH MARTICHOUX
A la mobilisation.
AGNES BUZYN
A la mobilisation, pardon. A la mobilisation, c'est-à-dire, à défiler et à manifester le 17. Aujourd'hui, je dois dire que la porte du ministère est ouverte, moi, je vais recevoir toutes les professions dont j'ai la charge, par exemple, les infirmières libérales, les kinésithérapeutes, les médecins, également le secteur public hospitalier, parce que je veux rassurer les aides-soignantes, les infirmières sur comment ça va se passer pour elles. Et donc aujourd'hui, nous travaillons, nous continuons à travailler et ça va éclaircir…
ELIZABETH MARTICHOUX
Et donc vous dites à Laurent BERGER : n'allez pas à la rupture…
AGNES BUZYN
N'allez pas à la rupture, parce que c'est une très, très belle réforme de progrès social, c'est une réforme…
ELIZABETH MARTICHOUX
Et on a besoin de vous ?
AGNES BUZYN
On a besoin de vous. C'est une réforme de solidarité…
ELIZABETH MARTICHOUX
Et ou on la fera sans vous ?
AGNES BUZYN
On la fera parce que je crois que les Français en ont envie et en ont besoin.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup Agnès BUZYN d'avoir été sur le plateau de LCI. Merci pour toutes ces précisions.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 décembre 2019