Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAME nous recevons aujourd'hui dans le Grand entretien du 7/9 la Ministre de la Santé et des Solidarités. Vos questions au standard, amis auditeurs, vous avez la parole dans une dizaine de minutes au 01 45 24 7000, sur les réseaux sociaux et l'application mobile de France Inter. Agnès BUZYN, bonjour.
AGNES BUZYN
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être à notre micro. Avant d'en venir à la réforme des retraites en elle-même et au mouvement de colère que traverse l'hôpital, une réaction à la démission de Jean-Paul DELEVOYE qui pilotait, négociait la réforme des retraites. Il était mis en cause pour des activités et des mandats non déclarés auprès de la Haute autorité de la transparence de la vie publique. Vous disiez il y a peu encore que c'était un homme sincère, un homme de bonne foi. Est-ce qu'il a bien fait de quitter son poste ?
AGNES BUZYN
Ecoutez, il a commis des erreurs et il en a tiré toutes les conséquences. Il a pris ses responsabilités, il part dignement et je souhaiterais maintenant que nous puissions parler du fond en réalité puisqu'il a mené à bien un très gros travail. Le rapport qu'il a fourni au mois de juillet est loué par les organisations syndicales. Le travail de concertation a été salué également et donc maintenant il faut qu'on passe sur le fond à bien expliquer la réforme.
LEA SALAME
On va y passer dans un instant mais justement c'est ce que vous dites, c'est-à-dire que la réforme, le cas de Jean-Paul DELEVOYE il a été plébiscité par l'ensemble des forces syndicales, même ceux qui sont contre le projet, en disant que c'était le bon interlocuteur, il connaissait ses dossiers. Est-ce que son absence aujourd'hui pour porter ce texte ne fragilise pas la réforme ?
AGNES BUZYN
Eh bien nous allons, vous le savez, nous cherchons un successeur à Jean-Paul DELEVOYE pour qu'il porte la réforme qui a été prévue. Nous cherchons quelqu'un qui évidemment connaisse bien le dossier de façon à s'approprier assez rapidement ce travail nécessaire avec les syndicats et que cette personne soit capable de porter la réforme devant l'Assemblée nationale au Parlement.
LEA SALAME
Et ce ne sera pas vous ?
AGNES BUZYN
C'est avec moi puisque je suis en charge de ce dossier. Jean-Paul DELEVOYE travaillait avec moi et donc la personne qui sera nommée de nouveau avec moi. Et donc je porte évidemment cette réforme, j'en suis tout à fait… Je me sens en responsabilité mais je pense que d'avoir quelqu'un à mes côtés pour faire aussi ce travail au banc c'est-à-dire au Parlement est tout à fait nécessaire.
LEA SALAME
Mais la réforme des retraites reste au Ministère de la Santé. Parce qu'on entend ce matin que ça pourrait basculer à Bercy si jamais Gérald DARMANIN récupérait le dossier. Ça reste, vous nous le dites ce matin, au Ministère de la Santé cette réforme.
AGNES BUZYN
Ça reste au Ministère de la Santé bien sûr parce que c'est une réforme sociétale, c'est une réforme de solidarité et donc elle est intimement liée évidemment avec l'ensemble des dossiers que je porte autour du vieillissement, des familles. Et donc c'est une réforme pour nos enfants et je trouve que le Ministère des Solidarités est le mieux placé pour la porter.
NICOLAS DEMORAND
Encore un mot, Agnès BUZYN. Jean-Paul DELEVOYE donc on en parlait à l'instant, Sylvie GOULARD, François BAYROU, Richard FERRAND et d'autres, les situations ne sont pas les mêmes. Mais si on vous dit, Agnès BUZYN, qu'au fond le Nouveau monde ressemble beaucoup à l'ancien, vous répondez quoi ?
AGNES BUZYN
Ecoutez, je connaissais peu l'ancien donc je…
NICOLAS DEMORAND
Au moins comme citoyenne et téléspectatrice.
AGNES BUZYN
Comme citoyenne. Je pense qu'il faut impérativement que nous soyons irréprochables. Je pense que c'est important que les citoyens aient confiance dans leurs hommes et femmes politiques. Cela étant dit, beaucoup des affaires qui sont reprochées aux uns aux autres n'ont pas été jugées et donc aujourd'hui on traite les gens comme s'ils étaient coupables. Alors ils ont pris aussi leurs responsabilités, ils sont partis du gouvernement mais énormément d'affaires ne sont pas jugées et ces personnes seront possiblement tout à fait blanchies.
NICOLAS DEMORAND
Allez, venons-en donc à la réforme des retraites. Le gouvernement et les syndicats sont en boucle depuis une semaine. Chacun campe sur ses positions. Alors Agnès BUZYN, n'est-ce pas maintenant de la responsabilité du gouvernement de débloquer la situation et permettre notamment aux Français de fêter Noël en famille et dans de bonnes conditions ?
AGNES BUZYN
C'est de la responsabilité de tous et moi j'ai confiance. J'ai confiance dans notre capacité collective - je parle des partenaires sociaux et du gouvernement - à dialoguer et à trouver une voie de sortie qui permette cette trêve. Cette trêve est indispensable, les Français ont besoin de se reposer. Je suis inquiète de l'état d'exaspération et de fatigue, notamment en région parisienne. Je veux d'ailleurs dire un mot au personnel soignant qui, eux, ne peuvent pas faire autrement que de venir à l'hôpital s'occuper des malades et qui fournissent un effort supplémentaire par rapport aux difficultés que connaît l'hôpital aujourd'hui. Et donc chapeau parce que beaucoup d'entre eux partent très, très tôt le matin pour être à l'heure. Et donc il est nécessaire que nous arrivions à un accord et, de toutes les façons, il est impératif que les Français soient tranquilles pour les fêtes de Noël et qu'on les laisse fêter Noël en famille.
LEA SALAME
Oui. Alors ça dépend beaucoup…
AGNES BUZYN
C'est ce que souhaite…
LEA SALAME
Oui, très bien. Tout le monde le souhaite mais ça dépend beaucoup de vous. Vous dites « ça dépend de tout le monde » mais ça dépend surtout du gouvernement. Beaucoup du gouvernement, de votre capacité à négocier. Laurent BERGER ce matin le répète clairement dans La Croix : « l'âge pivot, c'est non. L'âge pivot à 64 ans, c'est une verrue, un plombage. Plombage de la réforme » dit-il. Il dit que c'est une hausse déguisée de l'âge légal minimum de 62 à 64 ans. Il propose une hausse des cotisations ou le fait d'aller puiser dans les réserves des régimes excédentaires pour revenir à l'équilibre. Est-ce que l'une de ces deux propositions vous semble bonne ?
AGNES BUZYN
Ecoutez, il les fera demain puisque nous rencontrons les partenaires sociaux demain après-midi avec le Premier ministre ET jeudi également donc nous aurons l'occasion évidemment de négocier. De concerter, de négocier à partir de demain avec eux donc je ne vais pas évidemment commenter plus que cela pour l'instant. Laurent BERGER d'abord souhaite la trêve de Noël et ça n'empêche pas de concerter. De dire qu'on fait une pause n'empêche pas de négocier et de concerter. Donc il est impératif que les syndicats prennent leurs responsabilités et relâchent cette pression parce que, de toute façon, ça ne peut pas être comme le demande la CGT un retrait complet de la réforme. Personne ne le comprendrait. C'est une forme de chantage qui est au-delà de ce que peut entendre un gouvernement. Parce qu'un gouvernement est là pour gouverner, il a été élu, le président a été élu sur cette réforme qui était dans son programme. Beaucoup de Français comprennent l'intérêt de cette réforme pour leurs enfants. Ils savent que ça donnera lieu à un régime plus robuste, plus juste et plus simple.
LEA SALAME
Pour l'instant, ils ne le savent pas, Agnès BUZYN. On ne va pas se mentir, le niveau d'inquiétude des Français et d'incompréhension est total.
AGNES BUZYN
A l'échelon individuel, à l'échelon individuel les gens sont inquiets pour leur propre retraite. Pour autant, ils commencent à concevoir que le format général de la réforme est un format de justice sociale et qu'il va permettre à des gens qui ne sont pas représentés par des syndicats. Je pense notamment aux femmes. On en parle beaucoup mais c'est une réalité : les femmes, les femmes seules avec enfants, aujourd'hui les familles monoparentales c'est plus de deux millions de familles. Aujourd'hui elles ont souvent des carrières très hachées, elles n'ont pas de bonus lors du premier ou du deuxième enfant. Cette réforme, elle leur est favorable. Il n'y a aucun syndicat pour les défendre. Je pense aux agriculteurs. Les agriculteurs, ils ont été les oubliés des politiques publiques depuis plusieurs dizaines d'années. Aujourd'hui cette réforme, elle est aussi pour eux avec le minimum contributif à 1 000 euros et ils savent évidemment l'intérêt que ça peut avoir pour eux.
NICOLAS DEMORAND
Agnès BUZYN, je vous repose la question que vous posait Léa à l'instant. Quand Laurent BERGER dit hausse de cotisations ou aller puiser ponctuellement dans les réserves des régimes excédentaires, est-ce que vous entendez ? Est-ce que vous récusez ? On ne peut pas simplement dire on verra.
AGNES BUZYN
Alors je vais rentrer dans les détails.
NICOLAS DEMORAND
Voilà. Vous dites oui ou non à ça ?
LEA SALAME
Vous voyez bien que c'est ça qui bloque. D'ailleurs la CFDT est dans la rue aujourd'hui.
AGNES BUZYN
On va discuter évidemment avec Laurent BERGER parce que beaucoup de sujets sont sur la table et des sujets qui sont très importants pour la CFDT comme le sujet de la pénibilité.
NICOLAS DEMORAND
Mais ceux-là ?
AGNES BUZYN
Il fait des propositions. Le gouvernement pense qu'il ne faut pas baisser le pouvoir d'achat ni des retraités, ni des gens qui travaillent aujourd'hui. C'est pour ça qu'une hausse des cotisations sociales baisserait le pouvoir d'achat des actifs.
NICOLAS DEMORAND
Donc exit.
AGNES BUZYN
Donc effectivement, ça n'est pas évidemment ce que souhaitent la plupart des Français qui travaillent d'ailleurs. Alors après, Laurent BERGER peut souhaiter une augmentation des cotisations patronales. Mais là, nous savons que ça renchérirait le coût du travail, nous perdrions en compétitivité et donc tout le travail que nous faisons aujourd'hui pour réduire le chômage qui est aussi très important pour équilibrer notre système de retraite : nous avons besoin de gens actifs, et donc nous voyons bien que c'est un jeu de vases communicants sur lequel on doit être extrêmement attentif.
LEA SALAME
Soyons clairs. Vous nous dites ce matin : ni la hausse des cotisations sociales, ni la hausse des cotisations patronales ne sont une bonne idée.
AGNES BUZYN
Non. J'explique aujourd'hui les risques, les risques…
LEA SALAME
OK.
AGNES BUZYN
Et puis puiser dans les réserves, je rappelle que les réserves aujourd'hui dans le régime général permettent de couvrir un an ou deux de déséquilibre. Je rappelle que le déséquilibre potentiel est autour de dix milliards par an, les réserves sont autour de trente milliards. Donc même si on en utilisait les réserves, en plus il ne faut pas tout utiliser : les réserves, elles servent à contrecarrer un coup dur démographique, un coup dur financier et donc on est obligé de garder des réserves dans un système de retraites. Eh bien, on voit bien que ça réglerait le problème pour un an ou pour deux ans.
LEA SALAME
Si Laurent BERGER écoutait ce matin – je sais qu'il écoute souvent cette matinale – vous lui dites en gros : vos deux idées ne sont pas bonnes.
AGNES BUZYN
Non. J'explique aux Français pourquoi elles posent aujourd'hui des questions et pourquoi ça n'a pas été le choix du gouvernement, sachant que ce que nous avons proposé aux partenaires sociaux dans la réforme, c'est qu'ils soient en charge de la gouvernance et qu'ils s'emparent de ce dossier de l'équilibre financier.
NICOLAS DEMORAND
Ils disent chiche, ils disent chiche. Mais si on nous dit quoi faire avant même qu'on ait commencé à travailler ou être installé, le jeu est faussé.
AGNES BUZYN
Donc nous en discuterons demain. Aujourd'hui ce qu'a fait le gouvernement, c'est un choix par défaut entre guillemets. C'est-à-dire qu'il inscrira dans la loi par défaut une façon d'équilibrer le système, et si les partenaires sociaux se mettent d'accord dans la gouvernance pour une autre façon d'aboutir à l'équilibre, évidemment cette mesure par défaut sera supprimée de la loi.
LEA SALAME
Vous vous rendez compte de ça veut dire de dire « par défaut » ? C'est-à-dire que vous gouvernez… On a l'impression que depuis deux mois, vous êtes dans l'improvisation.
AGNES BUZYN
Non, au contraire. Au contraire.
LEA SALAME
Mais si. Vous ajustez en permanence. Vous dites : on va faire l'âge pivot jusqu'à 64 ans mais c'est par défaut. Comment on vend une réforme en disant « c'est par défaut » ? On a l'impression que vous peignez un tableau impressionniste, par petites touches.
AGNES BUZYN
C'est exactement le contraire, Madame SALAME. Exactement le contraire. Ce qui aurait été simple, c'est de dire il faut un équilibre, on laisse tout aux partenaires sociaux et puis on verra s'ils arrivent à se mettre d'accord, et on espère qu'ils se mettent d'accord et que ce soit un équilibre atteint en 2025, et on prend le risque de laisser une dette à nos enfants. Là ce qu'on dit, c'est qu'on laisse les partenaires sociaux trouver une solution mais que, de toutes les façons, même si les partenaires sociaux n'arrivent pas à un accord, le gouvernement prend ses responsabilités. Et sa responsabilité, c'est de ne pas laisser de dettes à nos enfants et ça, effectivement, ça fait partie intrinsèquement de la réforme. L'équilibre, je le rappelle Madame SALAME, n'est pas un objectif en soi. C'est un moyen de faire cette réforme. Parce que cette réforme, elle apporte des droits nouveaux. Des droits nouveaux, notamment le minimum contributif à mille euros pour toutes les carrières complètes. C'est énorme, c'est très attendu. Des droits nouveaux pour les femmes, pour les familles et donc ça, ça nécessite évidemment qu'on le finance.
NICOLAS DEMORAND
Ce serait un échec ou un recul de dire : on oublie les 64 ans, on a bien compris que ça bloquait tout, on passe à autre chose ?
AGNES BUZYN
Ecoutez, nous verrons demain. Nous verrons demain avec les partenaires sociaux. Je ne souhaite pas qu'il y ait des gagnants et des perdants dans cette négociation. Je pense qu'il est très important, parce qu'il est important d'apaiser aujourd'hui et de rassurer les Français, il est important que tout le monde sorte gagnant de cette négociation. En tous les cas, c'est comme ça que je l'aborderai parce qu'aujourd'hui ce qui compte, c'est que les Français sachent que cette réforme est bien pour eux, bien pour leurs enfants, qu'elle est redistributive et qu'ils soient apaisés.
NICOLAS DEMORAND
Mais alors comment vous avez fait, Agnès BUZYN, pour transformer ce que vous venez de dire : une réforme que vous décrivez comme juste, équitable, lisible, en un texte qui fait désormais la quasi-unanimité syndicale contre lui ? Qu'est-ce que vous avez raté ?
AGNES BUZYN
Alors ce n'est pas du tout une quasi-unanimité syndicale. Nous avons deux grands syndicats, FO et la CGT, qui ne veulent pas d'une réforme par points et d'une retraite par points. Ils sont contre la réforme. Et vous avez au contraire trois syndicats réformistes, c'est la CFDT, l'UNSA, la CFTC qui adhèrent complètement…
NICOLAS DEMORAND
Dans la rue aujourd'hui.
AGNES BUZYN
Ils sont dans la rue sur l'âge pivot. Ils ne sont absolument pas dans la rue sur la réforme. La réforme, c'est la réforme dont la CFDT a toujours rêvé, qu'elle souhaite depuis 2003 ou 2004 et donc en réalité, le contenu de cette réforme convient aux syndicats réformistes.
LEA SALAME
Est-ce un secret de dire que vous êtes contre, vous à titre personnel, l'âge pivot à 64 ans ?
AGNES BUZYN
Moi, je suis pour dire la vérité aux Français, Madame SALAME, et je suis persuadée qu'il nous faudra travailler plus longtemps. Je crois que tous ceux qui disent aux Français qu'on va revenir à la retraite à 60 ans mentent. Mentent aux Français. Aujourd'hui je rappelle que l'âge moyen de départ à la retraite déjà en France, c'est 63,5 ans. Et donc ce que nous disent la plupart des syndicats, c'est qu'en réalité avec les réformes antérieures qui augmentent le nombre de trimestres nécessaires pour partir à taux plein, des réformes qui ont été votées dans le quinquennat précédent, en réalité tout le monde sait que l'âge pivot sera atteint dans cinq ans pour la majorité des retraités du secteur… du régime général. En fait qu'est-ce qu'on nous dit ?
LEA SALAME
Donc vous y êtes favorable.
AGNES BUZYN
Non. On nous dit : de toute façon, on l'aurait atteint et donc ça n'est pas la peine de le mettre dans la loi. Et nous nous disons : on dit la vérité aux Français et donc ce que tout le monde sait, c'est qu'en fait de toute façon l'augmentation du nombre de trimestres requis pour partir à taux plein aboutirait à un âge pivot à 64 ans et pour beaucoup à 67 ans puisqu'on sait qu'aujourd'hui les femmes travaillent jusqu'à 67 ans pour aboutir au taux plein. En réalité, nous nous mettons dans la loi qu'on s'arrêtera à 64 ans, qu'il n'y aura plus de décote après 64 ans. C'est énorme pour les 20 % des femmes qui travaillent jusqu'à 67 ans, il n'y aura plus de décote à partir de 64 ans, et donc il y a un bonus dans cette réforme.
LEA SALAME
Oui. Il y aura une décote entre 62 et 64.
AGNES BUZYN
Oui, mais il n'y aura plus de décote après 64. Vous vous rendez compte le nombre de personnes qui aujourd'hui travaille après.
LEA SALAME
Alors les questions d'auditeurs avant de parler de l'hôpital.
NICOLAS DEMORAND
Oui. On ouvre même le chapitre de l'hôpital avec effectivement, Léa, un certain nombre d'auditeurs et d'auditrices au standard. Catherine, bonjour.
CATHERINE, AUDITRICE
Bonjour. Je suis donc infirmière anesthésiste en centre hospitalier. J'ai exercé pendant quarante-trois ans je dois dire avec passion, mais évidemment j'ai constaté un certain nombre d'éléments très, très délétères. Madame la Ministre…
AGNES BUZYN
Bonjour Madame.
CATHERINE
Bonjour Madame. Tous mes respects.
AGNES BUZYN
Moi aussi.
CATHERINE
Que comptez-vous faire pour améliorer l'organisation et la qualité de tous les soins à l'hôpital public ? Que comptez-vous faire pour donner un sens à l'engagement du personnel soignant, tout confondu, face notamment au management parfois délétère de la direction en général ?
NICOLAS DEMORAND
Merci Catherine. Je vous entends en colère, je vous entends émue aussi.
CATHERINE
Les deux parce que j'ai déjà appelé plusieurs fois et Madame BUZYN a reçu de ma part et de la part d'un délégué syndical qui m'a soutenue une affaire tout à fait dramatique dans laquelle j'ai déclaré des maltraitances volontaires de la part de collègues et notamment délégués syndicaux, et évidemment j'ai été éjectée de mon poste. On a appelé ma famille, on m'a fait passer pour une malade psychiatrique et cela perdure.
NICOLAS DEMORAND
Merci Catherine. Merci Catherine pour votre question et pour ce témoignage. Agnès BUZYN vous répond.
AGNES BUZYN
Alors oui, on sent beaucoup d'émotion. Il y a beaucoup d'émotion et de colère chez les soignants aujourd'hui et, évidemment, je comprends. Je le comprends parce que j'ai beaucoup vécu avec eux et j'ai vu cette dégradation au fur et à mesure que les années se sont écoulées, et notamment les dix dernières années à l'hôpital avec une baisse des budgets qui a abouti à une contraction du personnel soignant et à une diminution des investissements. Donc aujourd'hui mon but, il est triple. D'abord c'est de réinvestir dans l'hôpital public, de redonner aux soignants du matériel qui fonctionne, une qualité de vie au travail qui leur permette déjà d'être respecté, des locaux qui leur conviennent et donc redonner des financements dédiés à leur quotidien. Faire en sorte qu'ils aient du matériel tous les jours pour travailler de qualité. Ensuite il faut qu'on soit capable de reconnaître l'investissement et l'engagement des personnels. Et pour cela, nous avons mis en place un budget dédié à énormément de primes différentes qui vont permettre d'accompagner les personnels quand ils travaillent plus, quand ils ont par exemple des conditions de travail particulièrement dégradées, quand ils travaillent sur deux sites, et caetera. Ensuite je reprends la dette des hôpitaux parce que ça va permettre aux hôpitaux de réinvestir dans des projets, de recruter du personnel, de réouvrir des lits. Ils ont besoin de cela et ça, je l'ai entendu. Enfin sur le management, il est impératif de redonner du sens au management de proximité dans les services, qu'il y ait de nouveau des surveillants qui soient au contact des soignants et notamment des infirmières, et que les services aient toute leur place dans la gouvernance.
NICOLAS DEMORAND
Retour au standard toujours sur l'hôpital. Florian est en ligne. Bonjour.
FLORIAN, AUDITEUR
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
On me dit au casque que vous êtes urgentiste.
FLORIAN
Alors je suis urgentiste sur Nantes et Saint-Nazaire. Madame BUZYN, bonjour.
AGNES BUZYN
Bonjour.
FLORIAN
Ça fait maintenant neuf mois qu'on est mobilisé. Vous avez commencé par un premier plan à soixante-dix millions puis sept cent cinquante millions, et puis vous avez annoncé fièrement dix milliards le 20 novembre dernier. Madame BUZYN, vous savez, on a tous compris que ce n'était que du transfert de fonds et que vous maintenez un Ondam contraint à 2,4 %. Madame BUZYN, ça fait dix ans que les hôpitaux sont sous contraintes budgétaires. Vous avez annoncé quand vous avez pris votre poste vouloir sauver le joyau de la République que sont les hôpitaux français. Aujourd'hui les hôpitaux sont à nouveau dans la rue puisqu'on a bien compris que vos annonces dont vous êtes si fière de toute façon ne régleront aucun problème puisque notre problème il est systémique. Il y a un an et demi à votre place, il y avait un ministre qui s'appelait Nicolas HULOT qui a bien compris qu'il ne pourrait pas faire ce pourquoi il avait été mis à son ministère. Madame BUZYN, aujourd'hui vous êtes devant le même problème : vous ne pouvez pas répondre et vous ne pourrez absolument pas sauver les hôpitaux publics avec le gouvernement auquel vous appartenez. Qu'attendez-vous Madame BUZYN, qu'attendez-vous pour démissionner ?
NICOLAS DEMORAND
Merci Florian pour cette question. Agnès BUZYN vous répond.
AGNES BUZYN
Je pense que je suis la personne la mieux placée pour aujourd'hui redonner du sens à l'hôpital public. Je pense d'abord que je me bats pour l'hôpital public, que je suis la première ministre depuis dix ans qui ai réaugmenté les tarifs et qui ai redonné des budgets à l'hôpital public et que je me suis engagée pour les trois ans qui viennent à avoir ce qu'on appelle les tarifs en hausse, c'est-à-dire des budgets en hausse pour tous les hôpitaux. La reprise de la dette, c'était absolument impossible. Tout le monde disait que c'était impossible techniquement. Nous avons réussi à ancrer dans les mesures que nous avons prises cette reprise de la dette de dix milliards d'euros. C'est énorme. Aujourd'hui quand je me déplace dans les hôpitaux et qu'ils me montrent leurs budgets, on voit que tout ce qu'ils gagnent au quotidien part dans les banques pour rembourser des dettes qui ont en fait été créées par la baisse successive des tarifs depuis dix ans. Moi j'en veux beaucoup à mes prédécesseurs de m'avoir laissé l'hôpital dans cet état-là. Je les ai vus faire, je suis extrêmement en colère mais je pense que je suis la mieux placée parce que je veux du bien aux hôpitaux. Je veux sauver l'hôpital public.
LEA SALAME
Mais alors, pardon, d'un regard extérieur vous êtes effectivement… Vous avez fait votre carrière à l'hôpital public, on entend l'auditeur…
NICOLAS DEMORAND
Florian.
LÉA SALAME
Florian. Pourquoi ça ne marche pas, Madame la Ministre ? Vous avez présenté un plan avant l'été, vous avez présenté un plan après l'été…
AGNES BUZYN
C'est le même.
LEA SALAME
Non, ça a été élargi puisque vous avez touché la dette après l'été, la reprise partielle de la dette des hôpitaux. Ça ne marche pas, ils sont toujours dans la rue. Il y a six cent soixante chefs de service qui ont menacé de démissionner dans une lettre, dans une tribune au Journal du Dimanche en disant que l'hôpital se meurt, que vous lui administrez des soins palliatifs. Ils disent que le véritable Ministère de la Santé, c'est à Bercy et pas chez vous à la santé. Pourquoi… Enfin, je veux dire, ils ne sont jamais contents ? Vous dites quoi ? C'est des ingrats, je leur donne et ils ne comprennent pas ?
AGNES BUZYN
Non, pas du tout. Vous comprenez que pour renverser la tendance, il faut du temps. Il faut un peu de temps et ils n'en peuvent plus et je l'entends. Et donc l'urgence pour moi, c'est que les crédits arrivent. L'urgence pour moi, c'est qu'ils voient qu'on peut recruter des infirmières. L'urgence pour moi, c'est qu'ils puissent acheter le matériel dont ils ont besoin. C'est ça l'urgence, c'est-à-dire que ces crédits…
LEA SALAME
L'urgence pour eux, c'est cette augmentation de salaire que vous ne donnez pas, les trois cents euros que vous ne donnez pas. Vous répondez « des primes pour les Parisiens ».
AGNES BUZYN
Alors soyons clairs. Si on augmentait l'ensemble des fonctionnaires de la Fonction publique hospitalière, c'est-à-dire un million deux cent mille personnes, la totalité des crédits de ce qu'on appelle l'Ondam, des crédits de la santé à l'hôpital, irait vers ces augmentations de salaires. Or les hôpitaux ont besoin d'investir. On a besoin de rénover les hôpitaux, de reconstruire des services, on a besoin d'ouvrir les lits, on a besoin de recruter du personnel, on a besoin d'acheter des robots chirurgicaux, on a besoin d'acheter du matériel qui fonctionne pour donner envie aux gens de rester.
LEA SALAME
Pourquoi n'avoir pas annoncé l'ouverture des lits ? Par exemple dans le Grand plan qu'Edouard PHILIPPE a annoncé avec vous ?
AGNES BUZYN
Mais c'est dedans.
LEA SALAME
Non, il n'y a pas d'ouverture des lits. Il n'y a pas d'ouverture chiffrée.
AGNES BUZYN
Mais à quoi sert de l'argent ? A votre avis, à quoi sert de l'argent ? L'argent il sert à acheter du matériel, à recruter des gens, ouvrir des lits. Ce n'est pas juste acheter des lits et ouvrir des salles. Il faut des infirmières et des médecins. Des médecins, on n'en a pas beaucoup. Des infirmiers ou des infirmières, il faut les recruter. L'argent sert à ça. Alors je n'ai pas dit : ça va ouvrir X lits. J'ai dit : je reprends dix milliards d'euros de dette. Dix milliards. Ça va donner à tous les hôpitaux français entre huit cent millions et neuf cents millions d'euros par an pour réinvestir en plus de tout ce que j'ai mis, c'est-à-dire 1,5 milliard sur trois ans. J'ai mis cent cinquante millions dès aujourd'hui pour acheter du matériel tous les ans pendant trois ans. En réalité ce qui leur manque, c'est de voir la concrétisation de ces sommes. Ces sommes, c'est abstrait. Moi ce que je veux…
LEA SALAME
Ils la verront quand, la concrétisation ? Dans six mois, dans un an ?
AGNES BUZYN
Alors moi j'ai demandé aux directeurs d'hôpitaux déjà d'animer dans les services, de me faire remonter tout ce dont ils ont besoin au quotidien : des appareils d'échographie, des brancards qui roulent, la rénovation de telle ou telle salle. Ça c'est urgent, je les veux pour la fin de l'année. D'ailleurs j'aurai une réunion avec les fédérations hospitalières cette semaine. Je veux pour la fin de l'année que tout me remonte, qu'on puisse dès le mois de janvier délivrer, c'est-à-dire faire des chèques pour acheter ce dont ils ont besoin. L'argent qui est prévu dans l'Ondam, c'est-à-dire qui a été voté dans le budget de la Sécurité sociale, il sera disponible à partir du mois de janvier. Les crédits sont en hausse. J'ai redonné tout ce qu'on avait gelé c'est-à-dire quatre cent quinze millions d'euros que j'ai redonnés au mois de novembre. Alors on me dira c'est normal, c'est un dû. Le gel, c'est ce qu'on met en réserve au cas où les budgets seraient dépassés, c'est normal de le rendre.
LEA SALAME
C'est ce que disait Florian.
AGNES BUZYN
Oui, c'est normal. Ils ont raison, c'est normal. Sauf que personne ne l'avait fait avant moi. Ça fait dix ans que le gel n'est jamais rendu aux hôpitaux publics et je suis la première ministre à dégeler la totalité.
LEA SALAME
Vous en avez un peu ras-le-bol ?
AGNES BUZYN
Non, je me bats. Je suis auprès d'eux. Toute ma famille travaille à l'hôpital public. Mes enfants, mon mari, toute ma famille. Je sais pourquoi je me bats, je sais, je suis venue pour cela.
NICOLAS DEMORAND
Jean-François est au standard. On repasse, si je ne m'abuse, à la question des retraites. Bonjour Jean-François, on vous écoute.
JEAN-FRANÇOIS, AUDITEUR
Ma question est simple. D'abord, bonjour Madame la Ministre.
AGNES BUZYN
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS
Et bonjour à toute l'équipe de manière générale.
NICOLAS DEMORAND
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS
Voilà. Depuis longtemps, je pense que cette réforme c'est pour privatiser les retraites et avant le départ de Monsieur DELEVOYE, on a entendu les assureurs se féliciter. Je voudrais une réponse de Madame la Ministre.
NICOLAS DEMORAND
Merci Jean-François pour cette question qui revient très souvent au standard et sur l'application de France Inter. Agnès BUZYN ?
AGNES BUZYN
En réalité, c'est l'inverse. Je pense que c'est une réforme inouïe. C'est-à-dire que je pense que personne ne pouvait imaginer, et même Thomas PIKETTY qui est, on le sait, un économiste très à gauche pensait qu'on allait s'arrêter dans cette universalisation du système à deux plafonds de la Sécurité sociale, c'est-à-dire à des gens qui gagnent autour de soixante mille euros par an. Et en réalité, nous sommes montés à trois plafonds de la Sécurité sociale donc à des gens qui sont jusqu'à cent vingt mille euros par an. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, toutes les personnes qui ont un salaire qui va jusqu'à dix mille euros par mois - c'est-à-dire quand même des salaires très conséquents - vont cotiser dans le système universel des retraites qui est donc un système par répartition, par points où les assureurs n'ont rien à voir. Et en réalité, les assurances seront complètement exclues du système jusqu'à dix mille euros par mois. Alors pour des salaires bien au-dessus de dix mille euros par mois, ça représente 2 % des Français. Ils auront une part de cotisation qui ne leur apportera aucun point à eux. Ça sera une cotisation solidaire de 2,8 % en plus de leurs cotisations jusqu'à dix mille euros.
NICOLAS DEMORAND
C'est ce que critique vertement Thomas PIKETTY.
AGNES BUZYN
Non. C'est au-delà. Justement, c'est au-dessus. C'est une cotisation solidaire.
NICOLAS DEMORAND
Ce n'est pas assez pour lui.
LEA SALAME
Lui dit que ce n'est pas assez.
NICOLAS DEMORAND
Ce n'est pas 2,8 qu'il aurait fallu, c'est plus.
AGNES BUZYN
Aujourd'hui c'est à 2,3 %. Nous l'augmentons.
NICOLAS DEMORAND
Oui, mais il dit encore plus. Il faudrait le faire encore plus.
AGNES BUZYN
Non, c'est une réforme où les assureurs n'ont rien à voir. Ça n'est pas une réforme par capitalisation, c'est une réforme par répartition.
LEA SALAME
J'ai une petite question rapide. Vous avez reconnu il y a deux jours qu'il y avait en ce moment des opérations qui sont reportées d'une semaine ou de deux semaines à cause de la grève. De combien d'opérations parle-t-on ? Est-ce qu'il y en a des dizaines, des centaines qui sont reportées à l'hôpital à cause de la grève ? Est-ce que ça concerne les pathologies graves ? Est-ce que cela concerne les cancers ? Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ce matin ?
AGNES BUZYN
Alors aujourd'hui les remontées de terrain qui m'arrivent des hôpitaux, ce sont des hôpitaux essentiellement parisiens. Parce qu'en réalité l'impact de la grève est réel en région parisienne, des soignants ont beaucoup de mal à arriver à l'hôpital donc c'est un report de tout ce qui est hospitalisations non urgentes. Evidemment les urgences sont traitées.
NICOLAS DEMORAND
Merci Madame la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès BUZYN, d'avoir été au micro de France Inter ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 décembre 2019