Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France 2 le 12 décembre 2019, sur la réforme des retraites.

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Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Caroline ROUX.

CAROLINE ROUX
Je le disais à l'instant, la CFDT a annoncé qu'elle rejoignait le mouvement de contestation mardi prochain. Laurent BERGER vous demande de renoncer à l'âge d'équilibre à 64 ans. Que lui répondez-vous ce matin, Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE J
e lui propose de revenir à la table de discussions. Je lui propose de regarder toutes les avancées sociales qu'il y a dans ce projet de loi, qui est un projet de justice. Ce qui est au coeur de cette réforme des retraites, c'est la justice. Je voudrais que chaque Français comprenne, parce que vous dites que ça fait l'unanimité contre nous, je pense qu'il y a beaucoup de Français qui ont compris qu'il y avait dans cette réforme dès 2022...

CAROLINE ROUX
De la part des syndicats…

BRUNO LE MAIRE
Des avancées sociales absolument majeures. Des syndicats, oui, mais nous faisons ça pour les Français. A partir de 2022, 1.000 euros de retraite minimale, c'est une avancée sociale majeure. A partir de 2022, à chaque heure travaillée, vous gagnez des points de retraite, aujourd'hui, vous avez des dizaines de milliers de personnes qui travaillent de manière épisodique, de manière hachée, elles travaillent moins de 150 heures par trimestre, elles sont au niveau du SMIC, elles vont cotiser pour les retraites et elles ne toucheront rien, demain, elles toucheront quelque chose. Des avancées pour les familles avec une revalorisation pour les familles nombreuses, et revalorisation des retraites dès le premier enfant. Cette réforme est une réforme de justice, j'insiste là-dessus, il y a des avancées considérables. Et je crois que Laurent BERGER, qui a vocation à participer à cette réforme, à soutenir un projet qu'il a toujours soutenu, un projet de réforme par points, on n'est pas loin, il l'a dit lui-même…

CAROLINE ROUX
Ah, oui, mais on n'est pas loin, justement, la question…

BRUNO LE MAIRE
Donc qu'il revienne à la table de négociations…

CAROLINE ROUX
Qu'il revienne à la table de négociations, lui, il dit : le problème, c'est que l'arrivée de la discussion, je la connais, si c'est l'âge pivot à 64 ans, ça ne m'intéresse pas, est-ce que ce sujet-là, de l'âge d'équilibre, est renégociable ?

BRUNO LE MAIRE
Mais bien sûr, l'âge d'équilibre, les modalités pour parvenir à l'équilibre financier, c'est négociable.

CAROLINE ROUX
Les modalités, mais pas le principe même de l'âge d'équilibre ?

BRUNO LE MAIRE
On ne peut pas à la fois dire aux Français : on va vous garantir des avancées sociales majeures, on va vous garantir que votre régime de retraite par répartition, celui de 1945, va être sauvé et qu'on gardera cette singularité française à laquelle je suis très attaché, nous cotisons tous les uns pour les autres, nous sommes solidaires entre les générations, ça, c'est le modèle français, mais d'un autre côté, il faut garantir que financièrement, ça tient la route. On vit plus longtemps…

CAROLINE ROUX
C'est une réforme financière que vous avez faite…

BRUNO LE MAIRE
Absolument pas, mais on vit plus longtemps, on rentre plus tard dans la vie active. Donc il est normal que nous incitions les Français à travailler plus longtemps, quelles modalités pour parvenir à cette équilibre ?

CAROLINE ROUX
C'est la question…

BRUNO LE MAIRE
Ça, c'est négociable, Caroline ROUX. Nous, nous proposons l'âge pivot, 64 ans, avec un système de bonus et de malus, vous partez avant, vous avez un malus, vous partez après, vous avez un bonus, et vous touchez plus de retraite, est-ce qu'il y a de meilleures solutions ? Peut-être, mais venons en discuter avec Laurent BERGER…

CAROLINE ROUX
C'est important ce que vous êtes en train de dire, Bruno LE MAIRE, parce qu'on a l'impression que la situation et le dialogue s'est complètement enkysté entre la CFDT et le gouvernement…

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, je ne crois pas du tout…

CAROLINE ROUX
A partir de l'âge d'équilibre…

BRUNO LE MAIRE
Moi, je vous dis, Caroline ROUX…

CAROLINE ROUX
Et vous nous dites ce matin, c'est important, vous nous dites ce matin, en gros, si la CFDT et les autres partenaires sociaux trouvent un autre modèle pour parvenir à l'équilibre financier, oublions l'âge d'équilibre ?

BRUNO LE MAIRE
Je vous dis qu'il peut y avoir de meilleures solutions. C'est à eux de nous apporter la preuve qu'il existe des meilleures solutions…

CAROLINE ROUX
A condition de l'équilibre financier soit obtenu…

BRUNO LE MAIRE
Nous avons, avec le président de la République et avec le Premier ministre, posé des principes, le système doit être universel, donc les régimes spéciaux doivent disparaître, le système doit être juste, c'est toutes les avancées sociales que nous présentons, et le système doit être à l'équilibre financier, sinon, ce serait mentir aux Français, or, nous voulons être honnêtes dans notre réforme…

CAROLINE ROUX
Sauf que dimanche dernier, vous aviez laissé entendre, Bruno LE MAIRE, qu'en réalité, l'urgence, c'était davantage de faire passer cette réforme systémique, comme on dit, avec un système universel, qu'on avait un petit peu de temps, en réalité, pour le retour à l'équilibre financier. Les choses ont un peu changé depuis dimanche ?

BRUNO LE MAIRE
Mais absolument pas, je crois qu'on a bien vu les ouvertures qu'a faites le Premier ministre, l'équilibre financier, on a beaucoup parlé de 2025, le Premier ministre a accepté que ce soit décalé à 2027, donc on prend un peu plus de temps pour aller à l'équilibre financier pour que ce ne soit pas trop dur pour les Français. Donc il y a de la marge de discussions, il y a de la place pour le dialogue. Moi, je pense à tous les salariés que l'on voit aujourd'hui qui galèrent dans le métro, qui galèrent dans le RER, qui galèrent sur les routes, je pense aux commerçants que j'ai reçus hier, qui sont profondément inquiets pour leur fête de Noël, eh bien, arrêtons avec la logique du conflit, il y a de la place pour la discussion, il y a de la place pour la négociation.

CAROLINE ROUX
C'est dit…

BRUNO LE MAIRE
Que ce soit sur la pénibilité, sur les modalités pour parvenir à l'équilibre, mais mettons-nous autour d'une table, regardons tous ces sujets, discutons, Laurent BERGER lui-même a dit que nous n'étions pas très loin d'un accord, eh bien, donnons-nous le mal de parvenir à cet accord…

CAROLINE ROUX
Est-ce que vous considérez, Bruno LE MAIRE, que la CFDT a été entendue dans les propositions qui ont été faites hier par le Premier ministre ?

BRUNO LE MAIRE
La CFDT a été largement entendue, largement, dans le principe d'une réforme par points qu'elle réclame depuis des années et des années qui, est effectivement un gage de simplicité et de justice, elle a été entendue sur la pénibilité, nous allons étendre les règles de pénibilité aux trois Fonctions publiques, Fonction publique d'Etat, Fonction publique hospitalière, Fonction publique territoriale ; ce n'est pas une avancée sociale, ça, Caroline ROUX ? Mais ça correspond parfaitement à ce que la CFDT essayait d'obtenir depuis des années, ce serait dommage, sur un point, qui est un pur point financier un pur point d'équilibre, qu'il y ait un blocage alors même que nous sommes ouverts à la négociation.

CAROLINE ROUX
Vous parlez des services publics, de la Fonction publique précisément, les professeurs sont sceptiques, on voit bien qu'il y a un sujet de confiance aujourd'hui entre vous et une partie de la population, ils demandent des précisions sur la revalorisation de leur rémunération, ils disent : très bien, on nous dit : vous verrez, plus tard, ce sera mieux, et vos rémunérations seront réévaluées, ils demandent des choses concrètes, est-ce que vous en avez, des réponses concrètes à leur apporter ?

BRUNO LE MAIRE
Ils ont raison. Ils ont parfaitement raison, enfin, nous avons des enseignants, notamment dans le primaire, qui sont parmi les moins bien payés de l'OCDE. Enfin, c'est l'avenir de nos enfants, c'est la clé de l'unité de la nation, les professeurs et les enseignants, en particulier, les enseignants du primaire, donc nous avons ouvert la voie à une revalorisation des enseignants, mais là, encore, si on veut arriver à avancer, il ne faut pas bloquer, il faut se mettre autour d'une table, et puis, nous allons regarder qu'est-ce qui est possible financièrement, qu'est-ce que c'est que cette revalorisation, elle concernerait quels professeurs ?

CAROLINE ROUX

Ils disent : on va nous demander de travailler plus pour gagner plus…

BRUNO LE MAIRE
Mais pas ce qui a été dit, moi, je n'ai rien entendu de tout cela, j'ai entendu au contraire un discours qui consistait à dire : ce n'est pas normal que les enseignants du premier degré en particulier soient parmi les moins bien payés de l'OCDE, c'est eux qui construisent l'avenir de nos enfants, qui apprennent à lire, à écrire, à compter, ils sont vitaux pour l'avenir de notre société, ils doivent être revalorisés, et en plus, on doit leur garantir qu'il n'y perdent pas dans cette réforme des retraites. Mais mettons-nous autour d'une table, Jean-Michel BLANQUER a dit qu'il était prêt à cette discussion. C'est un autre sujet de discussion, vous voyez c'est quand même dommage, quand on a un si beau projet, qui peut garantir de telles avancées sociales, qu'on ne soit pas capable de se mettre autour d'une table pour regarder les points qui bloquent et les lever le plus vite possible, là encore, pour que ça bénéficie à tous les Français.

CAROLINE ROUX
Vous savez, Bruno LE MAIRE, il y en a qui vous écoutent ce matin et qui disent : si c'est un si beau projet, si c'est si juste, pourquoi ne pas l'appliquer plus tôt, pourquoi attendre de l'appliquer à la génération 75 ?

BRUNO LE MAIRE
Mais on l'applique à partir de 2022 pour ceux qui auront 18 ans, qui se mettront à travailler à ce moment-là, donc c'est bien la preuve que nous croyons dans notre projet, ensuite, qu'on fasse les choses progressivement, et notamment pour les régimes spéciaux, c'est un choix qu'on a fait et que nous assumons totalement, il y a des personnes, elles ont signé leur régime spécial, bon, elles ont droit à ce régime spécial, donc on va le faire progressivement, je pense que là aussi, c'est responsable.

CAROLINE ROUX
Deux questions très rapides, que dites-vous à ceux qui galèrent depuis 8 jours et qui vous en veulent, qui en veulent au gouvernement en disant : maintenant ce qu'on attend du gouvernement surtout, c'est de pouvoir prendre nos trains, nos bus, nos métros, et que ce soit le retour au calme et la fin du mouvement de grève ; qu'est-ce que vous leur dites à eux ?

BRUNO LE MAIRE
Je leur dis que nous tendons la main à tous les syndicats, et en particulier la CFDT. Vous voyez bien que tout ce que je vous dis ce matin, c'est : je crois dans cette réforme, je pense qu'elle est bonne pour le pays, et nous tendons la main, il y a un point de blocage, sur lequel nous sommes ouverts à la négociation, eh bien, négocions, discutons.

CAROLINE ROUX
Vous avez évoqué les commerçants, on peut évoquer aussi les professions du tourisme qui sont particulièrement impactées par le mouvement de grève, qu'est-ce que vous faites pour les accompagner dans ces moments douloureux ?

BRUNO LE MAIRE
Nous avons déjà… j'ai reçu hier tous les professionnels du tourisme, les hôteliers, les restaurateurs, j'ai reçu les commerçants, nous serons à leurs côtés, ils n'ont pas à trinquer à nouveau en 2019, alors qu'ils ont déjà subi les conséquences du mouvement des gilets jaunes, nous les accompagnerons, nous prendrons des mesures d'étalement des charges fiscales, des charges sociales, nous serons à leurs côtés, parce que je comprends parfaitement leurs inquiétudes…

CAROLINE ROUX
Parce que la grève a un coût ?

BRUNO LE MAIRE
On ne les laissera pas tomber. Oui, la grève a un coût. Elle a un coût sur les nuitées, sur les réservations, sur toutes les manifestations de fin d'année, tout ça a un coût pour les commerçants que nous sommes en train de chiffrer, donc nous serons à leurs côtés.

CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 décembre 2019