Texte intégral
Bonjour et bienvenue dans "Questions politiques", merci d'être fidèles au rendez-vous du dimanche de France Inter, du journal "Le Monde" et de France Info.
Notre invité jusqu'à 13 heures c'est le ministre le plus capé du Gouvernement, indispensable sous le quinquennat de François Hollande il a choisi de rempiler avec Emmanuel Macron. Il était ministre de la défense, il est depuis 2017 le chef de la diplomatie française, il avait engagé la France sur plusieurs terrains de guerre notamment en Afrique contre Daesh et les jihadistes, il nous dira où en est cette guerre que les soldats français mènent au Sahel, avec quels alliés, quels moyens, quels objectifs et quels espoirs de victoire aussi. Et puis l'Europe, l'OTAN sur laquelle il prononçait un discours important il y a quelques jours à peine à Prague, les relations avec la Russie, bref, la place de la France dans le nouvel ordre ou le nouveau désordre mondial.
"Questions politiques" est en direct avec le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Pour intervenir l'application mobile d'Inter et les réseaux avec le QuestionsPol.
Bonjour Jean-Yves Le Drian, et bienvenue.
R – Bonjour.
Q - Beaucoup de sujets à aborder avec vous et pour vous interroger l'équipe de "Questions politiques". (...) Partons d'abord de l'actualité, de ce sommet de Pau qui n'aura finalement pas lieu demain. Le G5 Sahel devait se tenir en France à l'initiative du président de la République, il a été reporté après une attaque djihadiste à Inates dans l'ouest du Niger, 71 morts, des disparus, et encore une fois, Jean-Yves Le Drian, le doute qui s'installe sur la capacité de l'armée française et de ses alliés au Sahel à lutter contre les groupes djihadistes, vous comprenez ce doute qui est présent dans de très nombreuses têtes, à la fois en France et dans les pays du Sahel ?
R - Il peut y avoir un doute, mais il y a aussi une grande détermination parce que ce qui se joue au Sahel c'est d'une part et la sécurité et la stabilité des cinq Etats du Sahel mais même au-delà la stabilité et la sécurité des Etats voisins. Et ce qui se joue au Sahel c'est notre propre sécurité parce que, plus on avance, plus cet espace géographique devient la frontière sud de la sécurité de l'Europe, donc c'est notre sécurité qui est en jeu.
C'est un territoire qui est aussi grand que l'Europe, dont la maîtrise militaire n'est pas simple, mais c'est un territoire sur lequel il faut poursuivre l'action commune, pas uniquement celle de la France, l'action commune, avec les armées des pays du Sahel, l'action commune de la communauté internationale pour enrayer ce qui est pour moi aujourd'hui, ministre des affaires étrangères, le risque, la menace la plus grave, qui est permanente, c'est la menace des groupes terroristes, qu'ils viennent Sahel, qu'ils viennent de Syrie, qu'ils viennent d'ailleurs, nous sommes confrontés à ce défi qui serait sans doute le défi sécuritaire le plus important de ce début de XXIème siècle.
Q - Monsieur Le Drian, vous avez dit "la France repensera son positionnement militaire si certains malentendus demeurent", quelles sont les malentendus auxquels vous faites allusion, est-ce que notamment il n'y a pas une faiblesse du côté des chefs d'Etat africains, de leur organisation et de leur détermination à travailler avec la France et les pays qui sont impliqués ?
R - Ecoutez, après ce qui s'est passé à Inates au Niger où il y a eu 71 morts, après les morts français, auxquels la Nation a rendu hommage il y a peu de temps…
Q - Le 25 novembre dernier.
R - Le 25 novembre, après les morts qui ont eu lieu au Mali au cours de l'année 2019, ils sont nombreux…
Q - Et dont on parle très peu.
R - On n'en parle pas assez, parce qu'ils sont tous dans le même combat. Après cela je pense qu'il faut aujourd'hui à la fois clarifier et remobiliser. Il faut clarifier, c'était l'objet de la rencontre que le président de la République a souhaitée à Pau qui va être repoussée en raison du drame qui vient de se produire au Niger et qui aura lieu au mois de janvier avec les cinq chefs d'Etat, pas uniquement d'ailleurs avec les cinq chefs d'Etat, aussi avec le président de la Commission africaine, M. Moussa Faki, et aussi avec le nouveau haut représentant de l'Union européenne, M. Borrell, et aussi le représentant des Nations unies.
Il faut clarifier à mon avis sur trois sujets avec nos partenaires, d'abord est-ce qu'on est tous bien d'accord sur le fait que nous combattons ensemble contre un ennemi commun qui sont les groupes terroristes ?
Q - Ce n'est pas évident ?
R - Il faut le dire, il faut se le redire !
Q - Ce n'est pas évident ?!
R - Attendez, on se l'est dit en 2013 lorsque j'étais à ce moment-là ministre de la défense, lorsque la France a été appelée au secours par les autorités intérimaires à l'époque du Mali. On se l'est redit de manière peut-être pas suffisamment forte au cours des dernières années, il faut se le redire très fortement. Cela veut dire aussi que les chefs d'Etat concernés le disent à leurs propres populations, nous sommes dans un combat commun pour notre sécurité, c'est la première clarification à faire.
Q - Ils le font ça ou ils ne le font pas assez ?
R - C'est l'objet des discussions que nous aurons, que le président de la République aura avec ses collègues du G5 Sahel. Ensuite, la deuxième orientation de cette rencontre c'est de remobiliser et de faire en sorte qu'il y ait une réelle adaptation de l'effort de guerre entre ce qui est la présence de la France…
Q - 4500 soldats.
R - 4500 soldats mais sur un espace…
Q - Sur un territoire aussi grand que l'Europe, vous venez de le dire.
R - Un territoire grand comme l'Europe, avec l'action de ce qu'on appelle la force conjointe, c'est-à-dire les éléments militaires que les pays du G5 Sahel mettent en commun pour agir contre les groupes terroristes, et aussi avec le renforcement de l'action européenne. Et puis, troisièmement, troisième remobilisation, troisième clarification, il faut que les enjeux politiques soient mis sur la table, c'est-à-dire que nos amis maliens disent comment est-ce que nous allons faire pour aboutir à ce que les accords d'Alger qui datent de 2015 et qui n'ont pas encore été mis en application pour toutes sortes de raisons, comment est-ce qu'on va faire pour qu'on mette en place ces accords d'Alger très concrètement, parce que les populations les attendent. Et comment est-ce que dans d'autres pays on organise un dispositif inclusif pour que les rendez-vous politiques soient aussi tenus. Il y a besoin de ces trois clarifications, le président de la République a souhaité que cela soit dit ainsi pour qu'on puisse remobiliser. Parallèlement à cela nous avons à poursuivre notre action pour le développement, nous avons lancé il y a maintenant deux ans ce qu'on appelle l'Alliance pour le Sahel, c'est-à-dire la réunification de l'ensemble des outils qui aident au développement dans l'ensemble de la zone, il faut que cela soit plus concret, plus fluide, plus efficace, plus permanent. Cela fait partie aussi de l'ensemble du scénario de remobilisation que j'ai évoqué et je serai d'ailleurs amené à présider l'Alliance pour le Sahel à Nouakchott dans peu de temps pour faire en sorte qu'à côté de la lutte militaire indispensable il y ait aussi la lutte pour le développement qui est tout aussi indispensable.
Q - Je voudrais vous faire préciser les choses parce qu'on parle beaucoup effectivement d'assurer la sécurité de la France contre ces groupes terroristes, on parle de quoi exactement, est-ce qu'il y a la possibilité d'actions en France, est-ce que c'est simplement des actions locales ? Vous parlez de développement économique, est-ce qu'on n'est pas là aussi pour protéger un peu nos propres intérêts économiques sur place ?
R - Je connais bien la région, j'y vois relativement peu d'intérêts économiques français, en tout cas pas d'intérêts économiques qui nécessiteraient une intervention militaire et ce n'est pas notre genre.
Q - Peut-être pas dans ces pays-là, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Mauritanie, le Tchad, je parle…
R - Ce sont précisément les pays concernés !
Q - Oui, je sais bien, c'est pour cela que je les précise parce qu'on parlait tout à l'heure des cinq pays du Sahel mais sans les préciser, donc j'en profite, mais juste derrière, il y a des pays intéressants, la façade atlantique, le Sénégal, la Guinée, on a des ressources naturelles qu'on apprécie en France !
R - Ce sont des pays qui sont aussi soucieux de leur propre stabilité et de leur propre souveraineté et qui ont…
Q - Oui, bien sûr mais l'idée qu'il y a de l'uranium au Niger vous ne pouvez pas l'enlever de la tête des Nigériens et vous ne pouvez pas l'enlever de la tête de beaucoup de personnes qui pensent que la France est là-bas aussi pour veiller à ses intérêts économiques…
Q - Merci Ali !
R - Pour pas qu'il y ait d'ambiguïté, nous sommes là-bas essentiellement, uniquement pour combattre le terrorisme.
Q - Justement est-ce que vous vous êtes quand même inquiet de cette montée d'un sentiment anti-français et y compris non seulement des ambiguïtés de toute une partie de l'opinion sur les réseaux sociaux et tout, mais même, en partie, des chefs d'Etat qui ne font pas peut-être tout ce qu'il faut pour justement bloquer ces rumeurs et ces interprétations ?
R - Je reviens au sujet, avant de répondre à votre question, oui, le combat contre les groupes terroristes est majeur pour notre sécurité. Vous avez bien voulu citer les pays au sud du Sahel, je vais vous en citer d'autres, il y a aussi les risques d'extension de l'action de ces groupes terroristes vers le Tchad, vers le Nigeria où il y a l'action de deux groupes terroristes qui sont Boko Haram et ISWAP qui se réclament, au moins pour l'un d'entre eux, de Daech, il y a aussi les groupes terroristes qui fonctionnent en Libye, tout cela fait un arc des groupes terroristes qui peuvent remonter jusqu'au Levant. Donc, il faut que nos concitoyens s'en rendent compte, il y a vraiment ces risques-là et notre combat c'est le combat pour notre propre sécurité. Je voudrais rajouter un point puisque vous l'aviez évoqué, l'attentat, est-ce que c'est un attentat ou plus largement une attaque insurrectionnelle qui a eu lieu à Inates, a été revendiqué par Daech, il ne faut pas l'oublier parce que Daech n'est pas morte. Daech a subi des défaites, les groupes terroristes ont subi aussi des défaites au Mali et dans le Sahel, il ne faut pas dire qu'il ne s'est rien passé, au contraire, il y a eu beaucoup d'actions positives menées par nos propres forces et par les forces du G5 Sahel mais il n'empêche que cette menace est là permanente et il y a un arc des groupes terroristes qui est en train de se constituer.
Q - Et sur la montée de ce sentiment anti-français…
R - Sur la montée moi je suis à la fois attristé de constater cela, ça se voit sur les réseaux sociaux, je suis…
Q - Et pas seulement, même dans la presse…
Même dans la presse, même au niveau des officiels !
R - Quand je parlais de clarification, cela en fait partie !
Q - Mais est-ce qu'il y a eu une maladresse du président de la République lorsqu'il a "convoqué" les pays du G5 Sahel à Pau ?
R - C'est le mot qui a été utilisé.
Q - C'est le mot qui a été utilisé, cela a été très, très mal perçu.
R - Il a provoqué une réunion, il me paraît logique à un tel moment le président de la République dise autour de la force Barkhane il faut quand même qu'on fasse une clarification. Je vous invite à venir à Pau, on a eu avant des tests pour vérifier de la disponibilité des uns et des autres. Je vous rappelle que les autres réunions dans le passé se sont tenues en Afrique, moi j'ai assisté moi-même…
Q - Non bien sûr mais la diplomatie c'est aussi une question de mots !
Q - Mais est-ce qu'on "convoque" les présidents d'Etats souverains, c'est ça la question, est-ce qu'on convoque les présidents d'Etat souverains ?
R - On n'a pas convoqué, on a provoqué cette réunion, on n'a pas convoqué.
Q - Jean-Yves Le Drian, quels sont les pays européens qui sont les plus mous pour essayer de nous aider parce qu'on a bien l'impression qu'on est un peu solitaire et que c'est nous qui sommes au combat, c'est-à-dire qu'ils sont au plus près, alors que d'autres, certes, sont présents mais plus pour des tâches moins dangereuses, pourquoi vous ne réussissez pas, pourquoi on ne réussit pas à les convaincre de s'y mettre ?
R - Je pense que la préoccupation sécuritaire par le Sud commence à être largement partagée par mes collègues européens. Je pense aussi qu'on sous-estime la présence européenne aujourd'hui, vous avez la Grande-Bretagne, vous avez le Danemark, vous avez l'Estonie.
Q - Dans quelle proportion ?
R - J'étais en République tchèque il y a quelques jours, la République Tchèque va faire participer des forces spéciales dans le dispositif qu'on va mettre en place.
Q - Il y a des Danois, mais ils sont très peu nombreux, Jean-Yves Le Drian !
R - Il y a dans d'autres instances, il n'y a pas que la force Barkhane, il y a aussi l'outil de formation de l'armée malienne qui est organisé par l'Union européenne avec une participation extrêmement large de différents pays européens. Vous avez la présence dans la force des Nations unies d'éléments européens mais, oui, ce n'est pas suffisant.
Q - Mais, Monsieur le Ministre, la force "Takuba" qui est censée regrouper les forces spéciales de plusieurs pays européens, ce qui serait quand même essentiel sur le terrain, quand pensez-vous qu'elle sera prête et opérationnelle ?
R - Il y a déjà beaucoup de pays qui se sont manifestés pour participer à cette force "Takuba", qui est une force qui se veut à la fois d'intervention et d'accompagnement des forces du G5 Sahel. Elle est en train de se constituer et je trouve que les réponses sont assez positives aujourd'hui.
Q - Elle sera opérationnelle quand, selon vous ?
R - A mon avis dans quelques mois, il faut le temps de la coordination et le temps de la mobilisation des différents pays mais je pense qu'au cours de l'année 2020 elle sera mise en oeuvre.
Q - Question importante également que vous vouliez également soulever, Marc, c'est celle de ce qui se passe au Levant autour des djihadistes français qui sont sur place emprisonnés…
Voilà, il y a donc les djihadistes français, il y en a une soixantaine au niveau des hommes, combattants, qui sont actuellement emprisonnés au nord-est syrien, dans le Kurdistan syrien, sous le contrôle des forces démocratiques syriennes. Est-ce que vous pensez qu'une telle situation est tenable longtemps et surtout l'idée qui reste celle de la France qu'ils soient jugés là où ils ont commis leurs crimes, c'est-à-dire sur place, avec un transfert vers l'Irak, est-ce qu'elle est, aujourd'hui, encore réalisable alors que Bagdad traîne les pieds et que la situation même en Irak devient de plus en plus chaotique en rappelant simplement que la répression des dernières semaines a fait quasiment plus de 800 morts ?
R - Je trouve qu'on sous-estime beaucoup en ne parlant que des combattants étrangers français le risque et les dangers que représentent aujourd'hui les combattants étrangers djihadistes de Daech qui sont en prison ou dans des camps depuis la défaite territoriale de Daech qui n'est intervenue, je vous le rappelle, qu'au mois de mars dernier, c'est tout récent, et il y a là aux environs de 10.000 combattants qui sont en prison dont quelques Français, dont quelques Belges, dont quelques Marocains, mais 10.000 combattants, qui sont en majorité syriens et irakiens, et qui sont prêts à reprendre le combat parce que Daech n'est pas morte ! Daech existe là, elle existe aussi de manière clandestine en Irak, d'où les interrogations sur la situation instable qui existe aujourd'hui dans ce pays et Daech est prête à reprendre le combat, donc il faut être extrêmement vigilants. Alors je vais répondre…
Q - Mais la France a une responsabilité vis-à-vis de ses ressortissants !
R - Bien sûr elle a une responsabilité vis-à-vis de ses ressortissants dont je voudrais rappeler ici qu'ils sont quand même des combattants contre la France !
Q - Bien sûr, mais ils sont Français !
R - Non, je le redis parce que parfois on l'oublie…
Q - Est-ce qu'on peut rester dans ce statu quo ?
R - Ce sont des ennemis de la France, ils ont combattu la France !
Q - Absolument ! Absolument ! Est-ce qu'on peut rester dans ce statu quo ?
R - Je voudrais juste rappeler que les attentats qui ont été commis antérieurement n'étaient pas tous d'origine de combattants djihadistes français. C'est pour cela que je suis très préoccupé par les 10.000 et je ne suis pas le seul. Oui, c'est ça, la réalité, on se focalise beaucoup sur les 60, très bien, il faut se focaliser, mais il y a quand même un problème global qui aujourd'hui est un problème très inquiétant. C'est pour cela que j'ai commencé mon propos tout à l'heure en appelant l'attention sur le risque terroriste global qui existe aujourd'hui.
Q - Mais vous dites il faut être vigilant, ça veut dire il faut faire quoi ?
R - Je réponds à M. Semo quand même sur ce point, il y a le principe de base que nous avons toujours acté, c'est que les combattants français, combattantes françaises doivent être jugés là où ils ont commis leurs crimes. C'est vrai pour notre position, mais c'est vrai pour la position des autres Européens. Aujourd'hui…
Q - Mais il y a aussi le "protocole Cazeneuve" comme on appelle ça…
R - Ce n'est pas la même chose !
Q - Ce n'est pas la même chose mais qui permet le retour de mères, d'enfants par exemple en France.
R - Je vais y revenir sur le "protocole Cazeneuve". Ces acteurs-là, ces combattants de groupes djihadistes sont dans des prisons dans le nord-est syrien et il faut qu'au moment du règlement politique, inévitablement la question de leur jugement soit posée et il faut que nous la posions. Nous avons pensé qu'il était possible d'ouvrir un dispositif juridictionnel spécifique en relation avec les autorités irakiennes, nous avons parlé avec les autorités irakiennes de ce sujet, pas uniquement pour la France d'ailleurs, pour d'autres pays européens. Aujourd'hui, vu la situation en Irak sur laquelle on va peut-être revenir cette hypothèse n'est pas réalisable à court terme. A moyen terme, il faudra que ce soit réglé dans le cadre du règlement politique global qui a commencé tout doucement à Genève depuis la mise en oeuvre du Comité consultatif destiné à remodifier la constitution syrienne pour aboutir à un processus, une feuille de route de paix dans ce dans ce pays. Nous n'en sommes pas là, mais aujourd'hui l'ensemble de ces groupes sont dans des lieux sécurisés…
Q - Dans des prisons, pour le dire rapidement, en Syrie, en Irak, en…
R - En Syrie, en Syrie !
Q - Elles sont fiables ?
R - Elles sont sécurisées par les Forces démocratiques syriennes et par des éléments américains et nous y contribuons à notre manière pour faire en sorte que ce soit complètement sécurisé sur la durée. Le "protocole Cazeneuve", c'est autre chose, mais avant d'en reparler, pour continuer l'observation de M. Semo, dès que nous avons pu faire ramener de ces camps des enfants isolés, des enfants vulnérables, des orphelins, nous l'avons fait, depuis mars dernier. Mais nous sommes dans des pays en guerre, dans des territoires en guerre et ce n'est pas uniquement facile de le dire comme cela, il faut en plus aller les chercher. Nous sommes prêts à continuer, à condition que les conditions d'accès soient rendues possibles, mais sur le fond nous restons très fermes sur cette position.
Q - Il y en a combien aujourd'hui ?
R - Je n'ai pas encore dit, sur le "protocole Cazeneuve", il se trouve qu'il y a un accord avec les Turcs, on peut faire des accords avec les Turcs, il est respecté, qui fait que lorsque des combattants de groupes terroristes, d'origine française, sont sur le territoire turc, ce protocole fait qu'ils sont à la fois arrêtés par les autorités turques et transférés en France selon des voies et des règles très précises et ensuite judiciarisés en France.
Q - 250, c'est ça, on en aurait 250 à peu près d'après.
Q - Oui, juste un chiffre, ils sont combien aujourd'hui, 250 ?
R - Un peu plus de 200.
Q - Est-ce que vous considérez que ceux qu'on récupère justement, selon le "protocole Cazeneuve", sont des gens qu'on peut juger correctement en France ? En clair, est-ce que l'on a un arsenal juridique suffisant pour pouvoir instruire un dossier ?
R - Ne vous inquiétez pas, on documente, bien sûr.
Q - Je ne m'inquiète pas, je vous demande si on sait, donc ça ne pose aucun problème de juger en France…
R - Cela ne pose aucun problème aucun problème de juger en France pour ceux qui sont transférés dans le cadre du "protocole Cazeneuve" venant de Turquie.
Q - Marc Semo, il y a une question aussi que vous vouliez soulever, c'est celle de l'OTAN et, Monsieur Le Drian, vous prononciez un discours il y a quelques jours à Prague, discours important non seulement sur l'avenir de l'Alliance atlantique, mais également sur ce qu'on peut attendre, ce qu'on peut espérer ou ce qu'on peut désespérer en matière d'Europe de la défense après le discours et les mots très durs prononcés par le président de la République, Emmanuel Macron, dans le magazine The Economist, quand il avait parlé d'une "OTAN en état de mort cérébrale"…
Et est-ce que vous comprenez l'inquiétude des pays de l'Est, que vous avez été rassurer, justement avec ce diagnostic sur la mort cérébrale de l'OTAN, mais aussi dans la même interview, le fait que le président évoquait son refus d'un élargissement vers les Balkans, pour le moment du moins, et sur le fait qu'il appelait à une relation nouvelle avec la Russie, autant d'éléments qui mis ensemble ont quand même créé une certaine inquiétude aussi bien à Varsovie qu'à Prague, que dans les pays baltes ou à Bucarest ?
Vous comprenez cette inquiétude ?
R - Oui, mais finalement ce sommet de l'OTAN a donné raison au président de la République, parce que ce sommet, qui vient d'avoir lieu à Londres, avait pour vocation première, c'est pour cela qu'il était prévu pour durer peu de temps…
Q - Il fêtait un anniversaire, les 70 ans de la création de l'OTAN.
R - Il fêtait les 70 ans de la création de l'OTAN.
Q - A la place on a vu de la division et une famille où le ressentiment et l'acrimonie dominaient.
R - Non, parce qu'on a vu à la fin un document, une déclaration qui prenait en compte la nécessité de réfléchir aux orientations stratégiques de l'OTAN pour l'avenir et c'était le but recherché par le président de la République. On n'allait pas passer un anniversaire à se congratuler et puis repartir chacun chez soi, comme si les risques et les menaces étaient les mêmes qu'il y a 70 ans ! Le président de la République dans une formule assez provocante a rappelé les…
Q - C'est le moins qu'on puisse dire !
R - Oui, mais il y a des raisons à cela, il a rappelé les uns et les autres à réfléchir ensemble sur les enjeux de sécurité…
Q - Et sur le sens même de l'Alliance atlantique !
R - Sur le sens, sur les fondamentaux de l'Alliance atlantique. Parce qu'il y a un certain trouble, il y a eu un certain trouble, il n'est sans doute pas évacué encore. Il y a eu un certain trouble, sur la force du lien transatlantique. Il y a eu des interrogations sur la place de l'Europe dans le lien transatlantique, il y a eu des interrogations sur la solidarité entre les alliés. Le seul fait, on parlait tout à l'heure de la situation en Syrie, mais quand même, nous avons constitué une coalition contre Daech, et puis un jour, par hasard, on apprend qu'un des membres de la coalition, par ailleurs membre de l'OTAN, décide d'envahir une partie du territoire syrien…
Q - La Turquie, oui.
R - ...pour combattre ceux qui nous ont aidés à battre les terroristes de Daesh, en particulier ceux qui nous ont aidés à combattre…
Q - A ce moment-là vous vous êtes dit que l'OTAN c'était fini ou pas ?
R - ...à reprendre Raqqa, ville d'où sont partis tous les terroristes qui nous ont attaqués en France, mince alors, ça ne va pas, il y a quand même une question !
Q - A ce moment-là vous vous dites que l'OTAN…
R - Et que les Etats-Unis dans le même temps, quasiment le même jour disent "nous on se retire du nord-est syrien", alors que l'objectif de la coalition était de combattre Daech. Donc, nous avons demandé la réunion de la coalition, finalement nous avons, je pense, obtenu avec nos alliés européens satisfaction et les Etats Unis ont décidé de rester pour continuer à combattre Daech et l'offensive turque s'est heureusement arrêtée mais tout ça…
Q - Oui, comment combattre Daech sans les Turcs alors qu'on n'arrive pas à…
R - On le fait avec des forces…
Q - On n'arrive pas à s'accorder avec les Turcs sur la définition même de ce qu'est le terrorisme !
R - Oui, nous sommes toujours en désaccord.
Q - C'est stupéfiant, au sein d'une même alliance qui a pour vocation d'assurer la sécurité d'un ensemble de pays qui en sont membres !
R - Le sujet qui a été posé à la réunion de la coalition à Washington, c'est est-ce que tout le monde est bien décidé à continuer à combattre Daech ? Finalement, la réponse a été oui, mais c'était très utile qu'elle soit posée. La même chose a été posée au niveau de l'OTAN, en particulier qu'il y ait des droits et devoirs des différents membres de l'Alliance atlantique, les uns à l'égard des autres. Donc ce travail-là de réflexion sur la stratégie future de l'Alliance a été décidé, il y a un groupe d'experts, de sages, qui va rendre des conclusions prochainement, ils vont l'élaborer au cours de l'année 2020, pour qu'on puisse avoir une clarification de la stratégie de l'Alliance.
Q - L'Alliance a été créée contre l'URSS, est-ce qu'aujourd'hui on peut dire que la vocation de l'OTAN, c'est aussi de garantir la sécurité de certains pays notamment européens contre les risques d'agressions russes ?
R - L'OTAN est une alliance défensive, c'est une alliance de sécurité collective, et il importe aujourd'hui d'identifier les risques et les menaces auxquels sont confrontés l'ensemble des membres de l'Alliance.
Q - La Russie en fait partie ?
R - On a toujours dit que la Russie était une menace. Nous avons dit que la Russie était une menace, parce qu'on l'a subie, on l'a subie par les attaques cybers, on l'a subie par le désaccord majeur que nous avons sur la Syrie, nous l'avons subie par des interventions chimiques, par la manipulation de l'information, par la rupture des accords concernant l'Ukraine et l'autonomie de l'Ukraine. Tout cela est une réalité, il ne faut pas le nier. Mais nous considérons que la Russie aussi est incontournable, parce que la géographie est là et qu'on ne peut pas contourner la géographie. Et donc il faut que l'on puisse avec la Russie ouvrir des portes de dialogue sans nier les difficultés, sans nier les oppositions, sans nier les interrogations, sans naïveté, mais une porte de dialogue permettant d'établir progressivement ce qui pourrait être une architecture de sécurité et de confiance en Europe. On est dans cette logique-là, c'est ce qui a été engagé par le président de la République lorsqu'il a reçu le président Poutine. Je ne vais vous dire que cet état d'esprit visant à rétablir des liens de confiance sans nier le reste a permis peut-être une amélioration de la situation dans la discussion sur l'Ukraine, mais en tout cas il y a eu la semaine dernière à Paris, lundi dernier, une réunion sur l'Ukraine au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, avec Mme Merkel, le président Zelensky, le président Macron et le président Poutine qui a permis des avancées ! Donc, essayons de jouer les deux en même temps, la sécurisation et nous prenons, nous, toute notre part sur nos engagements en particulier à l'égard de certains pays de l'Est, où nous avons nos forces qui participent à ce que l'on appelle la présence avancée renforcée pour montrer notre volonté d'être ferme dans la défense de nos alliés. Et en même temps nous essayons d'ouvrir des discussions avec la Russie sur les points sur lesquels on peut discuter. Il faut jouer en permanence des deux, la fermeté et le dialogue.
Q - Midi et demie, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, est l'invité de "Questions politiques" jusqu'à 13 heures.
Au sommaire, Monsieur le Ministre de l'Europe, il y a évidemment le résultat des élections générales au Royaume-Uni avec la très large victoire des conservateurs et de "Bojo", Boris Johnson. Est-ce qu'on peut enfin dire ça y est, c'est sûr, enfin sûr, Jean-Yves Le Drian, le Brexit aura lieu" le dire au futur, le conjuguer au futur, le Brexit aura lieu le 31 janvier 2020 ?
R - Enfin il y a de la clarté. Cela fait quand même trois ans que cela dure avec des interrogations, des allers et retours, des tensions, des élections, des déclarations contradictoires mais maintenant nous pouvons dire qu'on va avoir une sortie ordonnée du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Q - Le 31 janvier ?
R - Le 31 janvier, je pense que les votes vont avoir lieu sur la base de l'accord de retrait qui avait été modifié par des discussions qui ont eu lieu entre Boris Johnson et l'Union européenne qui permet de préserver l'intégrité du marché intérieur européen, qui permet d'éviter une frontière physique en Irlande, qui permet aussi de donner des garanties sur nos droits, les droits des citoyens européens en Grande-Bretagne et réciproquement. Bref, c'est un accord de retrait qui est bien réfléchi, bien abouti et qui devrait permettre une sortie ordonnée le 31 janvier et il faudra qu'il soit voté aussi par le Parlement européen. Et après, c'est maintenant ça le sujet, après il y a une période qui théoriquement va durer un an, puisqu'on doit maintenant définir notre manière de vivre notre manière de vivre après le divorce !
Q - Mais avant de parler de l'après est-ce que vous pouvez nous dire comment vous l'avez reçu ce résultat, est-ce qu'il est surprenant et est-ce que vous avez été pris au débotté par cette victoire assez triomphale de Boris Johnson, on ne s'y attendait pas forcément en France ?!
R - La victoire est attendue, il y avait sans doute une certaine lassitude des Britanniques qui voulaient en finir avec ce feuilleton qui était insupportable et où il n'y avait plus de lisibilité pour les uns et pour les autres. Sans doute aussi y a-t-il eu une posture un peu radical du Parti travailliste de M. Corbyn qui a sans doute éloigné d'un vote travailliste une partie des Britanniques, bref, Boris Johnson a gagné, c'est une grande victoire !
Q - Mais vous vous aviez compris à l'avance qu'effectivement…
R - On était tout à fait convaincus de la victoire de Boris Johnson.
Q - Monsieur Le Drian, est-ce que vous diriez comme vous l'avez dit pour Boris Johnson "enfin il y a de la clarté en Algérie", ou alors vous allez être obligé de vous cantonner à une réponse purement diplomatique ?
On peut même dire qu'on attend de la langue de bois, puisque c'est sans doute le sujet le plus difficile à aborder pour un homme politique français et particulièrement pour le chef de la diplomatie !
R - Parce que c'est un pays ami, parce que c'est un pays avec lequel on a une grande histoire…
Q - Longue histoire, oui.
R - ...parce que c'est un pays auquel nous sommes très attachés et je crois que c'est aussi vrai réciproquement. La France n'a qu'un souhait, et ce n'est pas du tout un souhait diplomatique, c'est que la poursuite de la transition démocratique puisse se faire, dans le respect de la souveraineté algérienne. Nous n'avons pas l'intention…
Q - Vous avez l'impression que l'Algérie est en plein processus démocratique ?
R - Nous pensons que l'Algérie vit un moment crucial et qu'elle passe à une nouvelle phase de son histoire et nous respectons la manière dont les Algériens assurent cette transition, parce que nous sommes tout à fait respectueux de la souveraineté algérienne. Nous avons constaté et pris acte de la victoire de M. Tebboune qui devrait être confirmée lors de la réunion du Conseil constitutionnel algérien lundi, nous en prenons acte. Nous avons noté aussi qu'il avait…
Q - Qu'est-ce que cela veut dire "prendre acte" ?
R - Cela veut dire nous le constatons. Donc il y a eu un processus et il va être désigné président lundi officiellement même si aujourd'hui…
Q - Donc c'est l'interlocuteur de la France…
Vous n'applaudissez pas mais vous constatez !
C'est l'interlocuteur de la France.
R - C'est l'interlocuteur, à partir de ce moment-là nous nous disons il y a un processus en cours, on constate aussi qu'il y a un mouvement social important, il importe que les Algériens puissent faire en sorte que dans ce moment crucial le dialogue soit poursuivi. J'ai noté que M. Tebboune…
Q - Bon, c'est vrai que c'est extrêmement difficile comme exercice, Jean-Yves Le Drian !
R - Non parce que nous sommes en France et que les Algériens sont en Algérie et que la souveraineté algérienne doit être respectée !
Q - Oui mais il y a une question qui se pose quand même, est-ce que c'est le président dont a besoin ce pays aujourd'hui ?!
R - C'est aux Algériens qu'il faut poser la question, merci de leur poser.
Q - S'ils le choisissent ! Marc Semo...
Q - Oui, je voudrais en venir à l'autre grand sujet de préoccupation internationale aujourd'hui qui est la question du nucléaire iranien. Le 6 janvier prochain, Téhéran devra annoncer un nouvel accroc majeur au traité de 2015 qui mettait sous contrôle international le programme iranien, est-ce que vous pensez aujourd'hui que la fenêtre d'opportunité qui avait été créée par Emmanuel Macron à Biarritz, puis à New-York, en essayant d'arriver à une rencontre directe entre Donald Trump et le président iranien Hassan Rohani, bon il n'y a pas eu la rencontre mais il y a eu apparemment un accord sur un certain nombre de points cadre. Est-ce que vous pensez que cette fenêtre d'opportunité existe toujours ou qu'aujourd'hui, on est parti vers un processus d'escalade plus ou moins irrémédiable ?
R - Je pense que la fenêtre d'opportunité existe toujours, en tout cas nous sommes toujours - quand je dis "nous", c'est la France, le président de la République, mais aussi nos amis britanniques et allemands qui sont nos partenaires européens dans l'accord de Vienne - nous sommes toujours désireux d'aboutir à un processus de désescalade, même si, vous avez raison de le souligner, l'espace se restreint et même si la situation devient dangereuse, puisque nous allons être en janvier au cinquième accroc par rapport aux textes initiaux, c'est-à-dire que l'Iran prend de plus en plus de distance avec ses engagements, recommence à faire de l'enrichissement nucléaire et d'une certaine manière, il est en train de se vider de l'intérieur et il faut empêcher qu'à un moment donné, on constate que finalement, il n'a plus de résistance à l'intérieur. Et donc notre travail, c'est d'essayer d'éviter cette logique-là ; le président de la République a tenté un rapprochement au moment de l'Assemblée générale des Nations unies au mois de septembre, nous avons renouvelé nos propositions pour une désescalade, pour ramener l'Iran dans les textes réels de l'accord de Vienne. Pour l'instant, ça n'a pas abouti mais notre porte reste ouverte à cette initiative ; on continue à se parler. On souhaite que les Iraniens puissent reconnaître que cela peut être aussi leur intérêt parce que c'est vrai que tout cela est lié à la décision unilatérale des Etats-Unis de rompre l'accord. C'est une mauvaise décision, on l'a dit à plusieurs reprises, mais c'est vrai que les réactions iraniennes aujourd'hui sont de mauvaise réactions et de mauvaises décisions. Donc il faut essayer d'interrompre ce processus, sinon on sera dans une logique qui peut être difficile. Il y a un mécanisme qui s'appelle le mécanisme de règlement des différends, qui existe dans le texte de l'accord, c'est une hypothèse qui peut arriver assez rapidement que nous saisissions ce mécanisme de règlement des différends, pour continuer à faire pression. Cela ne veut pas dire renouvellement des sanctions, cela veut dire que l'on saisit ce mécanisme pour en parler officiellement parce qu'on constate qu'il y a une dérive par rapport au traité et il y a des ruptures initiées par l'Iran qui vont devenir problématiques. Donc avant qu'on n'arrive à la perte de substance, il faut mettre des éléments pour éviter que ce traité soit caduc, parce qu'à ce moment-là il est dangereux, parce qu'à ce moment-là, dans un délai rapide, l'Iran a accès à l'arme nucléaire et à ce moment-là, c'est dans toute la région que cela devient extrêmement difficile, extrêmement dangereux.
Q - Et on risque d'être dans cette situation dès le mois de janvier prochain. Question aussi qui concerne l'Iran : deux chercheurs français sont détenus depuis le mois de juin en Iran, Fariba Adelkha et Roland Marchal, ils sont tous les deux chercheurs au CERI à Sciences Po. Est-ce que vous avez des nouvelles de ces deux chercheurs et est-ce que leurs familles, leurs proches, leurs collègues peuvent espérer les voir libérés rapidement ?
R - Nous nous sommes toujours dans une posture très exigeante à l'égard des autorités iraniennes par rapport à Roland Marchal et à Fariba Adelkha. Cela fait plusieurs fois que nous en parlons au plus haut niveau. Nous sommes en relation avec les proches et les familles de ces deux personnes et nous souhaitons vraiment que l'Iran puisse mettre fin à leur arbitraire... à leur incarcération intolérable…
Q - Mais vous n'avez pas d'information particulière…
R - Je n'ai pas d'information particulière, là…
Q - Ce qui me frappe, c'est que le nom même de Trump n'a pas été prononcé depuis le début de cette émission ; est-ce que ça veut dire que finalement vous faites l'impasse et notamment dans le cas iranien, qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce que peut faire la diplomatie française ?
R - A chaque entretien que le président Macron a avec le président Trump, on évoque la question iranienne ; on n'a pas cité M. Trump nommément, tout à l'heure, mais bien évidemment, cela se passe à ce niveau-là, tous les sujets.
Q - Et il y a un espoir que ça progresse ou on en est toujours au même stade ?
R - Nous sommes sur cette posture-là sur l'Iran, de faire en sorte qu'au mois de janvier on ne dépasse pas par cette cinquième décision les éléments essentiels du contenu du traité.
Q - Avant de passer au portrait, Jean-Yves Le Drian, un mot quand même pour nous parler de la politique étrangère puisque vous avez très bien connu le sujet en travaillant avec François hollande, maintenant avec Emmanuel Macron, est-ce que vous diriez qu'il y a une différence entre les politiques étrangères menées sous l'ancien quinquennat et le nouveau ?
R - Je n'étais pas en charge des affaires étrangères à l'époque de François Hollande…
Q - Non, mais vous connaissez le sujet par coeur.
R - ...mais ce que je constate surtout c'est que depuis deux ans et demi il se trouve que cette période où je suis en charge de la responsabilité de la politique étrangère il y a eu une aggravation des tensions dans le monde considérable, donc je ne peux pas vraiment faire de comparaison de situations.
Q - Il n'y a pas vraiment de différences ?
R - Il y a eu un nouveau président des Etats-Unis, il y a une nouvelle donne en Grande-Bretagne, il y a un raidissement de la Chine, il y a le renforcement des groupes terroristes partout dans le monde, donc la situation est un peu différente. La volonté du président de la République, primordiale, prioritaire, et évidemment que je soutiens et que je partage, c'est d'abord et avant tout la sécurité de la France, la sécurité des Français. C'est pourquoi j'ai commencé mon propos tout à l'heure sur les risques que font peser les différents groupes terroristes partout dans le monde.
Q - Et c'est pour ça que je rappelais que comme ministre de la défense vous avez été en pointe dans ce combat-là. Un mot encore, la place de la France dans le monde s'est renforcée ou affaiblie depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron ?
R - Je constate que la France est devenue une référence et que partout où nous allons dans des rencontres internationales ou dans des rencontres plus restreintes la France est une référence et la posture du président de la République est très forte.
Q - Mais c'est intéressant de voir ce que peut encore la France aujourd'hui, un cas d'école, le Liban où la France a des intérêts, des amitiés, une histoire longue et compliquée avec ce pays. Cette semaine, mercredi, se tenait à Paris une réunion internationale qui est destinée à aider le Liban à sortir de la crise politique. Vous pensez vraiment pouvoir aider les Libanais à sortir de l'impasse politique dans laquelle ils sont ?
R - Il faut qu'ils se secouent !
Q - Ils se secouent, les Libanais descendent dans la rue, ils manifestent !
R - Non, je parle des autorités, il faut que les autorités politiques se secouent, parce que le pays est dans une situation dramatique ! Si nous avons souhaité réunir ce qu'on appelle le groupe international de soutien du Liban à Paris cette semaine, c'est pour faire pression auprès des autorités politiques pour qu'ils trouvent une solution, qu'ils se dotent d'un gouvernement. Il n'y a plus de gouvernement !
Q - Depuis la démission de Saad Hariri.
R - Il y a un Premier ministre intérimaire qui règle les affaires courantes, or le pays est dans une situation dramatique que la population voit bien ! C'est la raison pour laquelle ils manifestent de manière très forte, à la fois très festive, mais aussi très exigeante. Ils veulent en finir avec un dispositif qui fait que la gouvernance était assurée par des rapports de force entre les différents clans. Que, par ailleurs, les réformes dont ce pays a besoin qui avaient été initiées à Paris en avril 2018 sous l'invitation française en disant "voilà sur ce quoi on peut se mettre d'accord et voilà comment on peut vous aider". Nous avions mobilisé à l'époque 10 milliards d'euros pour permettre au Liban de sortir de la crise, mais les réformes qui étaient normalement liées à ces engagements-là n'ont pas été mises en oeuvre, la population manifeste et on la comprend. Mais ce qui frappe le plus c'est le fait que les manifestations dépassent les clivages antérieurs qui existaient au Liban entre les religions, entre les géographies, les ethnies, on a des clans, on a une nouvelle donne de la population.
Q - Une contestation inédite en l'occurrence contre l'ensemble de la classe dirigeante qui est jugée corrompue et incompétente…
R - Mais aujourd'hui, dans quelque temps le pays aura du mal à s'approvisionner en matières essentielles, des entreprises commencent à ne plus payer les salaires, bref, il est très urgent d'agir. Le président Aoun a annoncé qu'à partir de demain il allait reprendre des consultations, je souhaite que cela puisse aboutir pour Noël.
(…)
Q - Jean-Yves Le Drian, vous avez réussi à faire ce que personne en France n'avait réussi à faire : vous avez réussi à vendre des dizaines de Rafale à des pays étrangers qui n'en voulaient pas depuis des décennies. C'était sous le quinquennat de François Hollande. Et depuis, plus rien, qu'est-ce qui vous arrive ? Vous étiez le meilleur commercial du pays !
R - Depuis, les chiffres du commerce extérieur se sont améliorés globalement et donc je m'en réjouis ; je ne suis pas chargé spécialement des capacités militaires du pays et puis du partenariat avec les industries de défense pour faire en sorte que nos qualités capacitaires soient mises en avant auprès de partenaires étrangers. Mais les relations que je peux avoir avec beaucoup de pays étrangers, sur un certain nombre de grands enjeux économiques, sont bonnes mais je ne parle pas uniquement du matériel militaire, je parle du métro, je parle du train, je parle de l'agroalimentaire. Lorsque je vais à Pékin il y a quelques jours et qu'on a un accord sur les exportations de porcs avec ce pays, je trouve que je fais une avancée.
Q - Merci infiniment, Jean-Yves Le Drian, et bon dimanche.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 décembre 2019