Interview de M. Cédric O, secrétaire d'État au numérique, à Public Sénat le 16 décembre 2019, sur la réforme des retraites et les questions liées au numérique.

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Intervenant(s) : 
  • Cédric O - Secrétaire d'État au numérique

Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Et notre invité politique ce matin, c'est Cédric O. Bonjour.

CEDRIC O
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci d'être avec nous. Secrétaire d'Etat, chargé du Numérique ; on est ensemble pendant vingt minutes, pour une interview en partenariat avec la presse quotidienne régionale, représentée par Pascal JALABERT, du groupe EBRA. Bonjour Pascal.

PASCAL JALABERT
Bonjour.

ORIANE MANCINI
On va commencer bien sûr en parlant de cette réforme des retraites. Jean-Paul DELEVOYE, le haut commissaire à la réforme des retraites, dans la tourmente, suite aux nombreuses omissions sur sa déclaration d'intérêt, est-ce qu'il peut rester au gouvernement dans ces conditions ?

CEDRIC O
Alors, oui, je crois que le Premier ministre, vendredi, a été clair, dans cette affaire, je pense qu'il faut différencier la forme et le fond, sur la forme, je ne vais pas vous dire le contraire, c'est très regrettable. Sur le fond, si on regarde de quoi on parle, d'abord, il n'y a jamais eu de dissimulation de Jean-Paul DELEVOYE, il a fait toute la lumière sur ce qu'il avait oublié de déclarer, dans l'ensemble, les postes ne posent pas de problème, quand on parle d'un dirigeant bénévole de la Fondation du mécénat de la SNCF, ça ne pose pas de problème, et par ailleurs, ce qu'il devait rembourser, il l'a tout de suite remboursé.

ORIANE MANCINI
Alors, il n'y avait pas que du bénévolat, il y avait…

CEDRIC O
Non, non, il y a aussi une fonction…

ORIANE MANCINI
Qui est contraire à la Constitution…

CEDRIC O
Qu'il – avec un peu de légèreté – a oublié... il l'a déclarée, ce qui montre qu'il ne voulait pas la cacher, mais il a continué à toucher ces salaires, il les a intégralement remboursés. Bon, maintenant, je pense qu'il faut se tourner vers cette semaine qui est importante pour la réforme des retraites, et…

ORIANE MANCINI
Pour vous, cette affaire est derrière vous ? C'est derrière le gouvernement ? Ça n'affaiblit pas le gouvernement cette affaire DELEVOYE ?

CEDRIC O
Alors, je pense que ce n'est pas une bonne chose, c'est-à-dire, c'est regrettable, ça met de la confusion dans l'esprit des gens, maintenant, je pense que c'est au regard de l'enjeu de la réforme des retraites du système universel et de ce qui va structurer une partie de l'économie et de la société française pour les 30, 40 prochaines années, c'est assez minime, maintenant, je concède que c'est regrettable.

PASCAL JALABERT
Oui, alors, les Français attendent depuis le début de la clarté là-dessus, quand est-ce que vous leur mettez à disposition un simulateur, numérique, là, tout le monde fait ses petits calculs dans son coin, les mères de famille, disent : moi, je dois travailler deux ans de plus, qui sont nées entre 65 et 75, les autres ne savent pas où ils vont, quand est-ce que vous nous donnez ces informations pratiques et précises ?

CEDRIC O
Alors déjà, en règle générale, il y a trois publics qui sont gagnants dans le système universel, en tout cas, qui sont les vrais bénéficiaires, qui sont les toutes petites retraites, vous savez, ceux qui gagnent aujourd'hui… enfin, qui vont gagner moins de 1.000 euros, les femmes, très largement bénéficiaires du nouveau système, et puis, les personnes qui ont eu des carrières hachées, ce qu'a dit le Premier ministre et ce qu'a précisé le président, c'est qu'il y aura cette semaine un certain nombre de cas types qui seront mis sur la table en expliquant, je ne sais pas, un enseignant avec deux enfants, qui a 43 ans et qui a tel type de parcours, qui est allé dans le privé, dans le public, et que pour avoir un vrai simulateur, il faudra attendre un peu plus longtemps, puisque, d'abord, il faut préciser l'ensemble des conditions, il y a un certain nombre de négociations qui sont en cours avec les enseignants, par exemple, et que ça devrait être au début de l'année 2020, mais surtout, il ne faut pas mentir aux gens, il faut que quand on leur met sous les yeux une simulation de leur situation particulière, il faut vraiment que ce soit précis et que ça ne soit pas démenti par la suite, et donc c'est pour ça que ça prend un peu de temps, parce qu'il y a des précisions à apporter…

ORIANE MANCINI
Mais, parce que, concrètement, vous n'êtes pas encore en mesure de faire cette simulation de manière claire et précise ?

CEDRIC O
Mais dans les faits, non, puisqu'il y a un certain nombre de négociations avec les branches, y compris dans la vitesse de la transition, et donc on ne peut pas dire aujourd'hui dans un cas précis ce qu'il en sera. On a des grandes idées, mais pas de cas précis à ce stade…

ORIANE MANCINI
Mais est-ce que ça ne renforce pas l'idée qu'il y a du flou sur cette réforme des retraites ?

CEDRIC O
Alors, je pense qu'en l'espèce, on mettra un certain nombre de cas types sur la table cette semaine, grosso modo, les grands paramètres sont connus, donc on a dit : système universel, retraite minimum, cotisations dès le 1er euro alors que ce n'était pas le cas jusqu'ici, ce qui fait un système qui, dans l'ensemble, est peut-être le plus redistributeur, beaucoup plus redistributeur que celui qu'il y avait jusqu'ici ; et donc un système qui va vers de la justice sociale et vers plus d'équité, en l'espèce pour les cas types, il faudra attendre le début de l'année 2020.

ORIANE MANCINI
Alors, en attendant, il y a toujours des grèves, des blocages dans le pays, des difficultés de transport. On est à dix jours de Noël, ça a aussi un impact sur l'économie, sur les commerçants, est-ce que, finalement, ce n'est pas AMAZON qui va sortir grand gagnant de ces grèves à quelques jours de Noël ?

CEDRIC O
Alors, ce syndrome de blocage, il est très francilien. Je pense qu'il faut d'abord le dire, parce que le blocage est beaucoup moins important en province, donc il y a un sujet sur la région francilienne, est-ce que AMAZON ou le e-commerce, en règle générale…

ORIANE MANCINI
Le e-commerce en tout cas…

CEDRIC O
Il y a des acteurs français, comme CDISCOUNT ou MANO MANO, qui… bon, je pense que la période est vraiment très resserrée, il faut faire en sorte que les commerçants, cette période soit la moins difficile possible pour eux, et d'ailleurs, le gouvernement a introduit un certain nombre de mesures, comme l'étalement des charges fiscales et sociales, je ne suis pas certain que le e-commerce soit le grand gagnant, on a quelques jours sur lesquels la grève est concentrée, ce n'est que la région parisienne, il faut faire en sorte que l'impact soit le moins grand possible.

ORIANE MANCINI
Vous arrivez à le chiffrer l'impact ou c'est trop tôt ?

CEDRIC O
A ce stade, non, c'est difficile, c'est trop tôt…

PASCAL JALABERT
A propos d'AMAZON, votre prédécesseur, Mounir MAHJOUBI, dit que chaque fois qu'ils ouvrent un entrepôt, eh bien, ils détruisent 2,2 emplois à peu près dans le commerce de proximité, vous êtes d'accord avec ce constat, et en plus, ils ne paient pas d'impôts, donc comment voulez-vous faire pour rattraper cela ?

CEDRIC O
Alors, sur les impôts, vous aurez noté qu'on a introduit une taxe qui doit faire en sorte de remettre les choses à plat, ça, c'est la première chose. Sur la deuxième chose, d'abord, les chiffres sont controversés, la deuxième chose, c'est que ce n'est pas AMAZON qui décide que les Français vont acheter sur Internet, c'est une tendance de société qui bouleverse la manière dont on consomme, mais ce n'est pas eux qui décident, et d'ailleurs, ce n'est pas que, AMAZON, c'est le e-commerce en général, et il y a des acteurs français. Donc il faut faire en sorte, ce que fait le gouvernement avec son plan notamment pour les centre-bourgs et les centres-villes, faire en sorte d'aider plus les petits commerçants du centre-ville, de faire en sorte qu'ils puissent se transformer et affronter cette nouvelle concurrence, mais encore une fois, ce n'est ni AMAZON, ni CDISCOUNT ni MANO MANO qui décident à l'instant T…

ORIANE MANCINI
Donc vous dites aux Français qu'il faut changer de mentalité…

CEDRIC O
Il faut que les Français soient conscients des conséquences de ce qu'ils font, c'est-à-dire, quand ils achètent en ligne, effectivement, ça profite et ça nuit aux petits commerces, mais ça, c'est une tendance sociétale dans laquelle ni AMAZON ni CDISCOUNT n'est responsable.

ORIANE MANCINI
Est-ce que vous comprenez ces maires qui ne veulent pas qu'AMAZON s'installe sur leur commune ?

CEDRIC O
Je le comprends, après, en l'espèce, quand AMAZON s'installe sur une commune, il sert tout un bassin d'emplois, donc qu'AMAZON soit dans votre commune ou dans la commune d'à côté, la conséquence sur la livraison dans le bassin d'emplois ou dans la région est exactement la même.

PASCAL JALABERT
Faut-il taxer les robots ? Ils utilisent beaucoup de robots pour la manutention, pour la préparation des commandes, faut-il taxer les robots ou alors faire, comme certains le proposent, qu'ils financent nos retraites ?

CEDRIC O
Je pense que taxer les robots est une idée qui est un non-sens, parce je pense que la question de l'économie française, c'est de savoir si elle est au niveau de la compétition mondiale, les Allemands ont six fois plus de robots, ils sont en plein emploi, alors que nous, on a entre 7 et 8% de chômage, et donc ça serait totalement contre-productif, puisque ça reviendrait à faire en sorte que nos entreprises soient moins compétitives, et que, donc, on exporte moins, et que donc, on vende moins, et que don, on crée moins de richesses. Ce que je pense, c'est qu'il faut faire en sorte d'aider nos entreprises à se transformer, d'aider nos entreprises à investir, de faire en sorte qu'on puisse former les gens pour qu'ils affrontent cette nouvelle transformation, et que la France, elle soit un acteur de cette compétition mondiale et qu'elle ne le subisse pas, mais taxer les robots, je pense que c'est une idée qui n'a aucun sens.

ORIANE MANCINI
Allez, on va passer à un autre sujet, c'est la loi Avia, la loi qui vise à lutter contre les propos haineux sur Internet, elle est examinée cette semaine au Sénat, les sénateurs ont supprimé la principale disposition, l'obligation pour les plateformes de retirer les contenus illicites dans les 24 heures, sous peine de sanctions, ils ont supprimé cette référence aux 24 heures, ils craignent les conséquences sur la liberté d'expression, est-ce que vous comprenez les inquiétudes du Sénat ?

CEDRIC O
Alors, d'abord, la principale disposition de la loi, ce n'est pas les 24 heures, c'est le nouveau système de modération et de contrôle des contenus qui est mis en place par la loi qui est dans l'article 2, et d'ailleurs, je note que les sénateurs, dans leur communiqué, ont salué ce nouveau système de régulation qui est mis en place. Et je pense, c'est indispensable, parce que l'urgence, c'est de faire en sorte de réduire la haine en ligne, parce qu'aujourd'hui nous sommes quasiment dans un problème de santé publique, ensuite, on a un certain nombre de débats avec les sénateurs, ils ont introduit beaucoup d'amendements, on va dire qu'aux trois quarts, ils viennent renforcer ou préciser le texte, donc nous n'avons pas de problème, nous avons quelques débats…

ORIANE MANCINI
Et pas des moindres…

CEDRIC O
Le premier, c'est sur cette règle de 24 heures qui, pour nous, est une boussole, n'a pas vocation à être appliquée systématiquement, c'est-à-dire que, ce que nous disons, c'est que les réseaux sociaux doivent se doter d'un système de modération qui leur permet de retirer les contenus en 24 heures, en règle générale, ils ne les attraperont pas tous, c'est impossible, cet techniquement et humainement impossible, mais ils doivent être au niveau de l'enjeu, les sénateurs estiment que cette règle risque d'aboutir à un sur-retrait, ce qui n'est pas notre estimation, on va avoir une discussion dans l'hémicycle, j' ai bon espoir que, ce soit ici ou plus tard en commission mixte paritaire, on trouve un point d'équilibre qui permette à la fois de rassurer les sénateurs, c'est important, il faut trouver cette ligne de crête entre liberté d'expression et protection des Français, mais il faut protéger les Français. Et donc j'espère que, avec la discussion dans l'hémicycle, on saura préciser les choses pour rassurer les sénateurs et assurer cette protection.

ORIANE MANCINI
Mais comment vous pouvez garantir que les plateformes ne vont pas aller trop loin, vous parlez de sur-retrait et retirer des contenus qui pourraient s'avérer licites ?

CEDRIC O
C'est pour ça que nous, on dit que le coeur – et c'est ce que dit la loi – le coeur de la proposition, c'est qu'ils doivent se doter d'un système efficace de modération des contenus, sous la supervision du CSA, qui vérifiera qu'ils le font avec efficacité, mais avec mesure.

PASCAL JALABERT
La sanction pénale, c'est la bonne solution en cas d'infraction ?

CEDRIC O
Alors, la sanction pénale, elle existait déjà dans la loi dit LCEN, donc on ne l'a pas changée. Mais la vraie sanction qui va conduire à l'effectivité de cette loi, c'est le fait que s'ils n'ont pas ce système de modération, la sanction peut aller jusqu'à 4% du chiffre d'affaires mondial. Et donc on est en droit d'estimer que cela les conduira à se conformer à la loi.

ORIANE MANCINI
Mais est-ce qu'on n'est pas en train de confier la modération du contenu des réseaux sociaux à des entreprises privées finalement ?

CEDRIC O
Non, parce qu'en fait, on les supervise, l'Etat ne pourrait pas superviser les milliards de contenus, et d'ailleurs, ça serait une mauvaise chose parce que ça poserait d'autres questions que ce soit l'Etat qui vérifie ce que vous publiez sur Internet, donc on leur dit : vous devez le faire, et nous, on vous supervise, et c'est un superviseur indépendant, le CSA, qui vérifie que vous le faites avec efficacité, mais avec mesure.

ORIANE MANCINI
Bruno RETAILLEAU a eu cette phrase : pas question de confier la police de notre liberté d'expression aux GAFA, qu'est-ce que vous dites ?

CEDRIC O
Non, mais il faut que Bruno RETAILLEAU lise les textes qui arrivent au Sénat plutôt que de faire de la politique politicienne, parce que j'ai bien entendu ce qu'il a dit, mais vraisemblablement, il n'a pas très bien lu la loi, puisque dans le communiqué même de la Commission, des commissions d'ailleurs, qui ont étudié le texte, qui sont des commissions présidées par des gens de son propre parti, il salue le nouveau système de régulation. Donc je ne vais pas répondre à Bruno RETAILLEAU, il faut d'abord qu'il lise la loi.

PASCAL JALABERT
Alors, on va toujours parler des GAFA, GOOGLE AMAZON, FACEBOOK, et la taxe que vous voulez instaurer de 3 %, donc elle paraît logique, puisqu'il faut expliquer aux téléspectateurs qu'ils s'installent dans des paradis fiscaux pour payer moins d'impôts, sauf que ça crée une bataille commerciale avec les Etats-Unis, pensez-vous trouver un terrain d'entente ?

CEDRIC O
Alors, alors nous l'espérons, les Etats-Unis ont effectivement mis sur la table un certain nombre de sanctions il y a 15 jours, ça ouvre une période de 30 jours de discussions, ce que nous pensons, d'abord, ce ne sont pas des manières de se comporter entre alliés, la taxe française, elle est à la fois légitime et légale au regard des conventions fiscales entre nos deux, pays il reste encore quinze jours pour atterrir. Nous, notre priorité, c'est de faire en sorte de trouver une solution à l'OCDE, parce qu'on voit bien que c'est un problème mondial et qu'il faut donc trouver une solution mondiale, nous espérons que les Etats-Unis vont revenir à la raison.

ORIANE MANCINI
Mais vu l'attitude des Etats-Unis sur la taxe GAFA, vous y croyez à une solution mondiale, vous pensez vraiment que les Etats-Unis vont signer jusqu'ici un accord mondial sur la régulation de la fiscalité…

CEDRIC O
Jusqu'ici… D'abord, il y avait un accord entre le président TRUMP et le président MACRON pour faire en sorte qu'on ait cette taxation mondiale, jusqu'ici, nous avions bien travaillé, l'OCDE a mis sur la table un certain nombre de propositions qui semblaient assez consensuelles, les Etats-Unis ont réaffirmé leur attachement à trouver un accord au niveau de l'OCDE. Maintenant, les choses sont très claires, si nous n'arrivons pas à progresser au niveau de l'OCDE, d'abord, la taxe française s'applique quoiqu'il en soit, et ensuite nous trouverons une solution au niveau européen c'est ce qu'a répété la présidente Von DER LEYEN il y a quelques jours

ORIANE MANCINI
Elle parle de riposte forte de l'Union européenne, qu'est-ce que ça peut être comme riposte ?

CEDRIC O
Eh bien, j'espère que nous n'en arriverons pas là, mais si nous devions, si les Etats-Unis devaient prendre un certain nombre de sanctions, l'Union européenne a dit et déjà dit qu'elle serait derrière la France, j'espère que nous ne rentrerons pas dans un cycle de sanctions et contre sanctions, mais en l'espèce, la France et l'Union européenne sont souveraines…

ORIANE MANCINI
Mais vous ne le voulez pas ?

CEDRIC O
Et donc elles appliquent la fiscalité qu'elles décident dans le respect des règles internationales.

ORIANE MANCINI
Allez, puisqu'on parle de numérique, de réseaux sociaux, de régulation, on va écouter Jean-Pierre GRAND, c'est le sénateur de l'Hérault, lui, il voulait punir de 15.000 euros d'amende la diffusion de photos ou de vidéos de forces de l'ordre, il invoquait leur sécurité, alors on précise que la mesure n'est pas finalement dans la loi Avia, elle a été jugée irrecevable en Commission, mais il a quand même une question à vous poser, on va l'écouter.

JEAN-PIERRE GRAND, SENATEUR (LR) DE L'HERAULT
On observe, et c'est tout à fait nouveau, une violence jamais connue, contre les forces de l'ordre, et ça, ça nous interpelle. Et ce qui nous interpelle aussi, c'est de savoir, puisque les policiers et gendarmes nous le disent, qu'ils sont harcelés jusque chez eux, on les menace, on menace leur famille, leurs enfants. Alors ça, naturellement, ce n'est plus acceptable. Et ça part de quoi, ça part que des personnes les ont vus à la télévision dans l'exercice de leur fonction, ils ont vu leur visage, et naturellement, ils les ont identifiés. Eh bien, aujourd'hui, je pose la question : comment protéger les policiers dès lors qu'ils sont reconnus par des voyous qui ensuite s'en prennent à eux et à leur famille ?

ORIANE MANCINI
Qu'est-ce que vous lui répondez, Cédric O, comment on protège les policiers, les forces de l'ordre dont l'image est finalement maintenant publique, diffusée sur les réseaux sociaux en tout cas ?

CEDRIC O
Alors, je pense que la première chose, c'est effectivement, il faut qu'on protège nos forces de l'ordre, qui sont devenues une cible par un certain nombre de personnes qui les voient sur les réseaux sociaux, puis, dans le cadre des attentats terroristes, on a vu que les forces de l'ordre dernièrement étaient devenues une cible particulière, que ce soit à Magnanville d'ailleurs ou à la préfecture de police. En l'espèce, il y a une disposition dans la loi Avia qui permet d'augmenter l'efficacité de la justice, parce que, que ce soit forces de l'ordre, pompiers ou tout un chacun, aujourd'hui, sur Internet, le problème, c'est qu'on peut vous insulter, vous menacer de mort, ou faire des choses illégales, rien ne vous arrivera ou quasiment rien, parce que notre justice n'a pas su s'adapter à la viralité et à la masse des contenus sur Internet, ce qui est prévu dans la loi Avia, c'est un certain nombre de points, notamment la centralisation, la création d'un Parquet numérique, qui permettra d'augmenter l'efficacité de la justice. Mais le fond du sujet, c'est ça, c'est de faire en sorte que dès lors que vous fassiez quelque chose qui est illégal sur Internet, et injurier, menacer de mort quelqu'un est illégal, vous ayez une chance raisonnable de terminer devant la justice, aujourd'hui, ce n'est pas le cas, on doit mettre à jour la justice, on doit faire avancer des choses, comme la plainte en ligne, parce que si vous êtes insulté en ligne, il faut bien que vous puissiez déclarer le forfait en ligne, et donc, on a bien ces trois piliers dans l'approche du gouvernement : améliorer l'efficacité de la justice, faire en sorte que les contenus les plus problématiques soient retirés rapidement parce que la justice ne peut pas passer en 24 heures ou 48 heures, et puis, il y a toute une partie d'éducation, parce que, évidemment, le fond du problème, c'est aussi de faire en sorte que les gens prennent conscience, que ce soit à l'école ou dans la vraie vie, que : insulter et menacer de mort, c'est illégal, parce qu'aujourd'hui, le problème qu'on a, c'est que les gens n'ont même pas conscience que c'est illégal.

ORIANE MANCINI
Donc pour vous, ça passe par notamment un renforcement de la justice, on va parler de la fracture numérique maintenant, vous dites qu'un Français sur cinq se sent éloigné du numérique, comment on fait pour éviter cette fracture numérique ?

CEDRIC O
Alors, il y a il y a deux choses, effectivement, ça concerne un Français sur cinq, c'est-à-dire qu'il y a treize millions de Français qui aujourd'hui s'estiment sans aucune compétence numérique, et donc le monde dans lequel nous vivons, où nous sommes de plus en plus dématérialisés, les services privés et les services publics, tout va sur Internet, est d'une très grande violence sociale, il faut faire plusieurs choses, la première chose, c'est travailler aux Maisons France Services, c'est que, a minima, il y ait quelqu'un ou un lieu à côté de chez vous où on puisse faire à votre place, c'est-à-dire, quand vous êtes dans l'urgence pour déclarer vos revenus, pour produire votre attestation de la Caisse des allocations familiales, il y a un endroit où on puisse faire à votre place et où ce soit simple et pas éloigné, première chose. Et la deuxième chose, c'est ce sur quoi nous travaillons, c'est développer la médiation numérique, c'est-à-dire les endroits où on vous apprend toutes les connaissances de base qui vous permettront d'être autonome, parce que le but, ce n'est pas qu'on fasse qu'à votre place, c'est que vous puissiez être autonome, on a lancé une initiative avec 48 collectivités cette année, et on veut faire en sorte de la massifier dès l'année prochaine pour que, à côté de chez vous, vous ayez des gens qui puissent faire à votre place si vous êtes dans l'urgence, mais que vous ayez aussi des lieux où on puisse vous former, et c'est-à-dire, vous apprendre à créer une adresse email, à remplir une déclaration de revenus, mais pas que, demain, ça peut être à gérer votre profil sur les réseaux sociaux, parce que vous ne savez pas comment ça marche la vie privée, à rechercher une vidéo, à comprendre pour les parents comment gérer les écrans à l'heure du numérique, parce qu'on a aussi des problématiques comme ça. En fait, l'idée, c'est très globalement de faire en sorte de donner aux gens et aux Français, en règle générale, les armes pour évoluer dans ce monde-là, ça veut dire qu'il faut qu'il y ait beaucoup de lieux pour ce faire, et qu'on massifie un peu le financement, mais c'est ce sur quoi nous sommes en train de travailler avec le président.

PASCAL JALABERT
Alors, pour résoudre la fracture numérique, encore faut-il que tout le monde ait un accès à Internet, on va dire, correct, vous avez demandé aux opérateurs de déployer, et là, ils vous disent : attention, vous nous faites payer les fréquences de la 5G, on ne peut pas tout faire en même temps, qu'est-ce que vous leur répondez ?

CEDRIC O
Alors d'abord, nous sommes assez confiants sur le rythme de déploiement, à la fois de la fibre, mais également du réseau mobile, c'est-à-dire que j'étais dans l'Aisne, il y a quelques jours, et la fibre vient d'arriver, le rythme de déploiement de la fibre aujourd'hui en France est inconnu nulle part dans le monde, pour vous donner une idée, on connecte 16.000 maisons par jours, 16.000 maisons par jour. Donc le rythme de déploiement est extrêmement rapide. La deuxième chose, c'est qu'il y a un petit peu de jeu avec les opérateurs dans le cadre des fréquences 5G, et je pense ça fait partie de la négociation normale entre l'Etat et des entreprises privées, je n'ai pas de doute que le rythme de déploiement et de la fibre et du réseau mobile, qui fait qu'en 2022, chaque Français doit avoir un accès à un très bon débit, au réseau à un très bon débit, je pense que ce sera réalisé, nous sommes assez optimistes sur ce point-là. Après, voilà, il y a une petite négociation en cours avec les opérateurs.

ORIANE MANCINI
Mais est-ce que cette fracture numérique, elle n'est pas en train de créer une fracture sociale entre d'un côté, ceux qui ont accès au numérique et savent s'en servir et de l'autre côté les autres ?

CEDRIC O
C'est exactement ça, c'est-à-dire qu'elle vient se surajouter à des fractures qui existent déjà, que ce soit de la fracture territoriale ou de la fracture sociale, et donc c'est pour ça que moi, c'est ma première priorité de l'année 2020, c'est de faire en sorte que tout le monde soit à bord et tout le monde puisse trouver sa place dans cette révolution du numérique. On ne va pas aller contre. Il faut le dire. Donc il faut qu'il y ait toujours quelques voies de traverse qui permettent de faire les choses physiquement, il faut qu'il y ait plus de numéros de téléphone sur les services publics en ligne, parce qu'il n'y a rien de plus insupportable que de ne pas trouver la solution et ne pas avoir de numéro de téléphone, mais le plus important, c'est de donner les armes et les clés aux Français pour qu'ils puissent être acteurs et être autonomes dans ce monde numérique.

ORIANE MANCINI
Dernière question, Pascal.

PASCAL JALABERT
Oui, eh bien, sur la reconnaissance faciale, il y a tout un débat, ADP, AEROPORTS DE PARIS, compte la mettre en place. Il y a des villes qui commencent à s'y intéresser, et puis, ça pose quelques problèmes en termes de liberté individuelle, quelle est la position là-dessus…

CEDRIC O
La position du gouvernement, elle est claire, d'abord, légalement, aujourd'hui, hors consentement des personnes, vous ne pouvez pas avoir recours à la reconnaissance faciale c'est interdit dans la rue et donc il faut que les gens l'accepte. La deuxième chose, c'est que, ce que nous disons, c'est qu'il faut faire en sorte... nous souhaitons qu'il y ait un débat public sur le sujet, et avant ce débat public, nous voulons ouvrir un certain nombre d'expérimentations pour que les chiffres, parce que le problème de la reconnaissance faciale, ce sont ce qu'on appelle les faux positifs, c'est-à-dire quand la reconnaissance faciale se trompe, déjà, qu'on ait un consensus sur les chiffres, donc on ouvre des expérimentations sous la supervision de la société civile et de la recherche, on produit les chiffres…

ORIANE MANCINI

… C'est à quelle échéance ?

CEDRIC O
D'ici six mois, un an, mais ça prend quand même du temps d'avoir des vraies expérimentations, et qu'ensuite, on ouvre un débat public où on se pose la question, il y a beaucoup d'avantages à la reconnaissance faciale, il y a des questions qui se posent, il peut y avoir des questions de nouvelles institutions qui contrôlent l'usage que l'Etat en fait…

PASCAL JALABERT
Oui, quand on voit ce qui se passe en Chine, ça pose quand même des problèmes…

CEDRIC O
Mais nous n'irons jamais vers le modèle chinois…

PASCAL JALABERT
Evidemment…

CEDRIC O
Nous n'irons jamais vers le modèle chinoise. Et donc la question qui se pose, c'est en fonction des avantages, mais également des défis, qu'on puisse avoir ce débat sociétal parce que c'est très important d'avoir ce débat sociétal et de faire en sorte que les Français puissent estimer ce qu'ils veulent pour leur pays.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup. Merci Cédric O d'avoir été avec nous ce matin. Demain, à votre place, ce sera Damien ABAD, le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale.


source : Service d'information du Gouvernement, le 17 décembre 2019