Déclaration de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur la construction européenne, à l'Assemblée nationale le 17 décembre 2019.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Le Conseil européen des 12 et 13 décembre a constitué le premier rendez-vous avec les nouvelles institutions européennes installées depuis le 1er décembre et a formellement marqué le lancement du nouveau cycle institutionnel. Charles Michel a diffusé un programme indicatif des sessions des chefs d'Etat ou de gouvernement en 2020 et présenté ses réflexions sur les méthodes de travail du Conseil européen. Il souhaite en particulier améliorer d'abord les modalités de préparation des réunions, grâce à des entretiens préalables et des réunions préparatoires par petits groupes d'Etats membres sur certains sujets, ensuite les discussions elles-mêmes, qui devraient être plus stratégiques sans se limiter à répéter les positions déjà connues au Conseil européen ou déjà approuvées au cours de réunions thématiques, et, enfin, le suivi et l'harmonisation de la communication, pour que nos messages à destination des citoyens gagnent en cohérence.

Les discussions ont été dominées par le sujet de la lutte contre le changement climatique. Comme ils en étaient convenus en juin dernier, les chefs d'Etat ou de gouvernement ont endossé l'objectif de neutralité carbone d'ici à 2050. Il s'agit d'un véritable succès pour la coalition de pays ambitieux, menée par la France, qui plaidait depuis le sommet de Sibiu, en mai 2019, pour l'adoption de cet objectif. En s'engageant à devenir le premier continent neutre en carbone en 2050, l'Union européenne donne un signal fort de son ambition climatique. Le Pacte vert présenté par la Commission le 11 décembre nous fournira une feuille de route claire.

Le Premier ministre polonais a sollicité un délai, avant de s'engager sur les modalités de mise en oeuvre à titre national de cet objectif, au regard de la situation de départ de son pays et du coût élevé de la transition en Pologne. Cette exemption temporaire n'a pas conduit à repousser l'adoption d'un objectif crucial collectif ; elle n'empêche en rien l'engagement de l'Union européenne. La loi climatique devra être votée à la majorité qualifiée. Nous avons franchi un grand cap. En outre, le Conseil européen est convenu de revenir en juin 2020 sur le cas polonais.

Les conclusions adoptées traduisent assez concrètement ce que nous pouvons faire au niveau européen avec une bonne méthode de travail. Nous devons être lucides sur les demandes légitimes que tel ou tel Etat membre peut exprimer. La transition énergétique sera en effet plus difficile technologiquement et plus coûteuse pour la Pologne, la République tchèque ou la Hongrie. Nous devons également reconnaître qu'il faut proposer des incitations notamment financières. Ces Etats demandent, par exemple, à avoir accès aux technologies au fur et à mesure de leur disponibilité. Il faut pouvoir proposer des investissements au-delà des seuls outils publics, afin de garantir une transition juste et équilibrée. Le travail effectué au niveau diplomatique, pour avoir dans les dix jours avant le Conseil européen une déclaration commune du groupe de Visegrad (V4) et de la France, portant notamment sur le climat, a joué un rôle déterminant pour faire comprendre à nos partenaires que nous étions ambitieux mais aussi réalistes.

Les conclusions rappellent également que les Etats sont libres de choisir les sources d'énergie qu'ils utiliseront à titre national pour atteindre les objectifs climatiques de l'Union. Certains pays, comme la République tchèque, ont voulu que les engagements pris dans le cadre de l'article 194 du traité de Lisbonne soient rappelés, pour leur permettre de décarboner leur bouquet énergétique en ayant recours à l'énergie nucléaire.

Par ailleurs, le Conseil européen a invité la Commission à préparer avant la COP26 de Glasgow, au terme d'une analyse d'impact approfondie, sa proposition relative à la mise à jour de la contribution déterminée au niveau national (CDN) de l'Union pour 2030, afin de dessiner une trajectoire jusqu'à 2050. Nous souhaitons que la prochaine CDN de l'Union soit rehaussée de manière substantielle, afin d'inciter les grands émetteurs mondiaux à faire de même.

Le Conseil européen a adopté des conclusions sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Le président du Parlement européen, David Sassoli, a rappelé devant les chefs d'Etat ou de gouvernement que la Conférence serait l'une des priorités de la législature du Parlement européen et que ce dernier entendait jouer un rôle moteur dans son organisation et son déroulement, aux côtés du Conseil et de la Commission. Les institutions se préparent à l'organiser. Ainsi, une communication de la Commission et une résolution du Parlement européen sont attendues en janvier 2020. Le Conseil européen a demandé à la future présidence croate d'établir une position du Conseil sur le contenu, la portée, la composition et le fonctionnement d'une telle conférence, en coordination avec le Parlement européen et la Commission.

À nos yeux, la Conférence doit examiner trois questions essentielles. D'abord, nous devons changer nos méthodes de travail avec les citoyens. Nous ne devons pas tant créer une nouvelle chambre que prendre en compte la voix des citoyens. Nous pensons que le modèle de la convention climatique française, avec un tirage au sort de citoyens, qui ont travaillé avec des experts, peut permettre de prendre des décisions au niveau européen.

Par ailleurs, nous devons répondre à la défiance démocratique qui se nourrit de plusieurs facteurs. Il faut ainsi examiner le sujet des conflits d'intérêts et de la transparence. Nous avons appelé à créer une sorte de comité d'éthique ou de haute autorité de la vie publique européenne, afin de franchir un cap de crédibilité. Il faut également étudier le financement des partis européens, qui peuvent être soutenus, par des biais détournés, par des entreprises privées voire des puissances étrangères. Pour répondre à la question de l'ingérence étrangère dans nos élections, nous avons proposé la création d'une agence européenne de la démocratie, notamment pour faire de la veille sur les réseaux sociaux. Il nous faudra soulever en outre la question des listes transnationales, qui nous semblent un pas important en vue de la création d'un espace démocratique européen plus intégré. La question des Spitzenkandidaten doit être réglée, afin de rendre l'attribution des postes plus lisible.

Enfin, nous devons nous poser la question de l'efficacité de l'Union. Nos méthodes de décision actuelles nous permettent-elles de créer suffisamment de souveraineté, de solidarité dans et entre nos pays et dans le monde, et de réactivité ? Il nous semble important de réfléchir à l'efficacité de nos politiques selon des grilles thématiques, à partir d'exemples précis. Les réponses pourront différer en fonction des politiques étudiées. Des grandes questions institutionnelles sont en suspens depuis des années, comme le droit d'initiative du Parlement européen. C'est une chose d'ouvrir le débat théorique sans pouvoir le refermer, mais c'en est une autre d'examiner le sujet pour une politique spécifique. J'ai eu des échanges approfondis avec des parlementaires européens travaillant sur ces questions. Il faudrait que nous puissions prendre des décisions politiques importantes d'ici à 2022, afin qu'elles soient mises en oeuvre pour 2024. Nous avons fait des contributions franco-allemandes sur le sujet, que reprennent beaucoup de conclusions du Conseil. Elles précisent que les parlements nationaux seront associés à l'exercice. Nous associerons évidemment les citoyens également, selon un format innovant. J'ai réuni hier au Quai d'Orsay tous les acteurs français qui ont rendu les consultations citoyennes possibles. Il y a des choses à apprendre d'un exercice, qui a permis d'organiser 1.100 événements en France avant les élections européennes.

Ces consultations citoyennes ont eu un impact. Le rapport fait sur ces consultations au niveau national mais aussi européen montre très clairement qu'elles ont nourri l'agenda stratégique du Conseil et les propositions de la Commission. J'ai proposé hier que nous fassions une comparaison sémantique et linguistique pour voir comment les contributions citoyennes avaient bien trouvé leur place dans l'agenda européen.

Pour ce qui est des traités, Madame la Présidente, cela dépend de ce que l'on dit. Si je vous dis aujourd'hui que nous ne changerons rien aux traités, beaucoup de questions pertinentes, qui mériteraient d'être posées, ne le seront pas. Si je vous dis que nous allons les réformer, beaucoup de solutions qui pourraient être adoptées sans changer les traités ne seront plus explorées. Regardons politique par politique et posons-nous ces trois questions - souveraineté, solidarité et réactivité. Sur le dernier point, le président aime bien citer un exemple particulièrement révélateur : si nous réussissons à tenir le rythme prévu, pour ce qui est de l'union bancaire, nous aurons terminé en 2028 de mettre en oeuvre les mesures répondant à une crise qui a éclaté en 2008. Je ne suis pas certaine que les citoyens attendent de nous que nous mettions vingt ans à apporter des solutions... Nous devons avancer autrement.

S'agissant du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Première ministre finlandaise a présenté la boîte de négociation chiffrée soumise par la présidence le 2 décembre, portant à la fois sur le volume global et sur les principaux programmes composant notre budget pour l'Union. La présidence propose ainsi un budget à hauteur de 1,07% du revenu national brut (RNB). Certains pays, dont l'Allemagne, défendent une cible à 1% du RNB. Nous pensons que la base de travail finlandaise est intéressante. Nous avons été entendus, notamment sur le budget de la politique agricole commune (PAC), puisque la présidence propose d'augmenter de 10 milliards d'euros la proposition de la Commission. Nous avons également été entendus sur la question de la préservation des régions en transition, dans le cadre de la politique de cohésion ; tout comme sur les rabais, les ressources propres ou la conditionnalité à l'Etat de droit.

Nous pensons toutefois qu'il faut poursuivre le travail, en particulier sur la PAC, afin d'opérer un rééquilibrage en faveur du premier pilier. Il nous semble également utile d'aller plus loin dans les nouvelles ressources propres, pour sortir de la logique du juste retour. Il n'y aura pas, à mes yeux, d'accord sur le budget sans cela. Concernant le climat, par exemple, il y a eu une unanimité pour demander à la Commission de proposer un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières et, partant, créer une ressource propre et pérenne répondant à deux objectifs : financer le budget et rétablir une concurrence loyale entre la production de nos industriels, qui respectent des normes ambitieuses, et les produits importés, notamment basiques, dont nous connaissons très bien l'empreinte carbone et qui, en l'absence d'un marché carbone, sont produits à un coût moindre. Une telle unanimité représente un énorme progrès. Des pays comme l'Espagne, les Pays-Bas ou le V4 souhaitent que nous détaillions le projet, de sorte qu'il soit compatible avec les règles de l'OMC. Ce mécanisme n'est pas une taxe, qui reviendrait à mettre un prix forfaitaire sur l'entrée de tel ou tel bien. Il vise à intégrer dans le prix à la vente en Europe le prix du carbone.

Notre vigilance se portera aussi sur la protection des intérêts des régions ultra-périphériques, les pays et territoires d'outre-mer (PTOM), et sur tout ce qui pourrait accélérer la convergence sociale, notamment dans les pays dits du Sud. Le sujet a été discuté puis transmis à Charles Michel, ce qui devrait permettre aux chefs d'Etat et de gouvernement de trouver un accord d'ici au printemps.

Avant de répondre à vos questions sur la politique étrangère, je vous en donne déjà le menu. Les chefs d'Etat ou de gouvernement ont abordé la situation du Sahel, celle de la Russie, après le sommet en format Normandie du 9 décembre, de la Turquie également et de ses activités dans les eaux de Chypre, et ont rappelé leur solidarité à l'Albanie, après le tremblement de terre qu'elle a subi, et salué l'annonce par la Commission d'une conférence des donateurs qui devrait se tenir mi-janvier à Tirana.

Pour ce qui est du commerce, les chefs d'Etat ou de gouvernement ont exprimé leurs préoccupations quant à la paralysie du mécanisme de règlement des différends de l'OMC. Un sommet de la zone euro a été organisé en format inclusif. La déclaration adoptée salue les travaux réalisés au sein de l'Eurogroupe sur l'approfondissement de la zone euro et appelle à la poursuite des travaux sur les réformes du mécanisme européen de stabilité. Le président de la République a rappelé que le budget de la zone euro doit être, selon nous, un instrument de convergence, mais aussi de stabilisation. Le dialogue sur la nature juridique de cet objet et le caractère ouvert de son financement se poursuit, de sorte à pouvoir brancher de nouvelles sources de financement sur ce budget, sans avoir à en attendre la fin en 2027.

Enfin, une session du Conseil européen en format article 50 a été organisée, au lendemain des élections, qui ont réaligné le peuple britannique et son parlement. Nous pensons que de meilleures conditions sont réunies pour organiser une sortie ordonnée du Royaume-Uni et poser les principes clairs de la relation future. Nous cherchons à établir une relation intense. Nous avons organisé le cadre de ces négociations autour de Michel Barnier, avec une structure qui assure une cohérence d'ensemble et l'unité des Etats membres et un négociateur unique, pour éviter que les sujets sur lesquels nous pouvons avoir un effet levier soient retirés de la table des négociations. Nous avons rappelé que nous voulions une relation commerciale ambitieuse, mais qu'elle serait conditionnée au respect des conditions de concurrence équitables - "zéro tarif, zéro quota et zéro dumping". Cette relation promet d'être assez unique au monde, dans la mesure où l'intensité des liens commerciaux entre le Royaume-Uni et l'Union européenne est sans équivalent. S'il faudra l'équilibrer dans le domaine commercial, ce devra également être le cas pour la pêche ou le partenariat de sécurité. Il sera important que l'Union européenne reste aussi unie qu'elle l'est aujourd'hui.

Mme la présidente Sabine Thillaye. S'agissant du cadre financier pluriannuel, la question de la suppression du système des rabais a-t-elle été évoquée ? C'est un sujet auquel tiennent la France, l'Espagne et l'Italie, quand l'Allemagne souhaite, quant à elle, maintenir le système en l'état.

R - Les ministres ont abordé cette question, lors du Conseil des affaires générales. Les chefs d'Etat ou de gouvernement se sont assez vite rendu compte qu'ils n'avaient pas suffisamment de matière pour obtenir un accord dans la nuit du jeudi au vendredi. Après avoir constaté que plusieurs points nécessitaient du travail, ils ont appelé Charles Michel à mener des négociations. Il se rendra dans les capitales, pour que l'ensemble des Etats membres puissent lui faire part de leurs attentes. La France attend bien la fin des rabais. Nous sommes l'un des rares contributeurs nets à ne pas en bénéficier. Nous assumons, sans nous cacher, sans pudeur de gazelle, puisque c'est une expression désormais officielle... Nous assumons, disais-je, d'apporter à l'Union européenne une contribution plus grande que celle que nous recevons. Nous aimerions que le départ des Britanniques, qui sont ceux qui ont demandé le plus de rabais, nous permette de rendre plus lisible et plus juste la contribution de chacun. Beaucoup de graphiques ont circulé sur la contribution selon le PIB par habitant. Vous remarquerez que cela pose question, quant aux contributions des uns et des autres. La négociation sera difficile. Mais, j'insiste, les pays contributeurs nets ont raison d'être vigilants et sont d'autant plus amenés à défendre l'idée de ressources propres destinées à peser sur de nouveaux contribuables. La taxe sur les transactions financières concerne des acteurs financiers qui bénéficient du marché intérieur, sans contribuer à la hauteur de ce qu'ils pourraient faire. Le mécanisme d'inclusion carbone concerne les importateurs. La taxe sur les plastiques non recyclés concerne, quant à elle, des acteurs économiques qui abreuvent notre marché de biens, auxquels on demande de participer au recyclage des produits. Beaucoup viennent de l'extérieur. L'idée est bien de faire financer une partie du budget européen par de nouveaux contributeurs. C'est la clé pour que les contributeurs nets soient entendus, sans rien ôter aux ambitions du Parlement européen.

(Interventions des parlementaires)

Je commencerai par la dernière question. Madame Panot, je vous invite à consulter l'application ou le site internet ElectricityMap, qui offrent la possibilité de savoir à tout moment quelle est la consommation électrique des pays en grammes de CO2 par kilowattheure. Je peux vous dire qu'actuellement, la France a une intensité carbone de 68 grammes de CO2 par kilowattheure ; celle de la Pologne est presque dix fois supérieure : 642 grammes par kilowattheure. L'Espagne - je prends un autre pays au hasard - est à 204 grammes par kilowattheure. La différence entre ces pays tient au mix énergétique : cela dépend si on produit de l'électricité à partir de gaz, d'énergie nucléaire ou encore de charbon.

Dans les faits, un certain nombre de pays ont choisi un mix énergétique qui donne les chiffres que je vous ai donnés en termes d'intensité carbone dans la consommation - il s'agit bien de la consommation : les importations d'énergie sont donc prises en compte.

Vous soulevez en revanche une question tout-à-fait légitime quand vous dites que nous devons nous interroger sur le modèle de production nucléaire, notamment en ce qui concerne le refroidissement et l'accès au combustible. C'est précisément pour cela que la France a fait le choix de passer à 50% de nucléaire, contre 75% : nous voyons bien qu'il nous faut diversifier notre production énergétique. C'est la raison pour laquelle nous investissons dans le solaire et dans l'éolien, notamment l'éolien offshore. Si certains types de production nous conduisent à faire des investissements et à mener des réflexions, notamment s'agissant du refroidissement, il faut quand même rappeler aux Français que le choix du mix énergétique conditionne très largement l'intensité CO2 de notre modèle.

S'agissant du Green New Deal, ou plutôt du Pacte vert de la Commission européenne - je l'évoque en français afin d'atténuer la charge émotionnelle -, il comporte un engagement inédit, autour d'un principe ambitieux que la France a défendu avec force : tous les accords commerciaux que l'Union européenne signera intégreront les conclusions de l'accord de Paris sur le climat. Cela signifie que nous faisons de cet accord une clause essentielle, et que nous n'importerons pas de CO2 - un paragraphe entier du texte est consacré à la question du CO2 importé, notamment la "déforestation importée", ce qui nous a conduits à mettre en place un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières (MIC).

Madame Panot, votre "pacte des jours heureux" propose une conception de l'économie très différente de celle qui prévaut aujourd'hui et peut tout à fait être débattue. Nous cherchons quant à nous à mettre en oeuvre une transition, à adapter le modèle actuel pour l'adapter en matière de production, de consommation, de mobilité et de commerce international. Je rappelle que, sur la même période, le produit intérieur brut (PIB) européen a augmenté de plus de 60% alors que notre production de CO2 a diminué de 20% ; le découplage dont vous parlez est donc possible.

À ce propos, Monsieur Deflesselles, la neutralité carbone peut bien sûr être atteinte grâce aux puits de carbone, mais elle passe aussi par la diminution des émissions, et donc par l'utilisation de nouvelles sources d'énergie. À cet égard, l'Union européenne, et en particulier l'Allemagne et la France, travaillent sur l'hydrogène qui, s'il est produit à partir de sources d'énergie renouvelables, peut apporter une solution.

Nous avons également fait valoir notre position sur la fixation d'un prix du carbone sur le marché européen. L'objectif étant de parvenir à la neutralité carbone, ce prix pourrait en théorie augmenter indéfiniment. Alors que le marché fonctionne de manière erratique et imprévisible, ce qui n'est pas bon vu la durée des investissements à consentir, nous avons défendu un prix plancher. Le Président de la République l'a dit publiquement, la position française consiste à soutenir l'augmentation graduelle du prix du carbone - c'est tout l'intérêt de la mesure ; et surtout la mise en place rapide d'un prix plancher, sans quoi de nombreux investissements utiles ne pourront être réalisés. C'est dans ce cadre-là que nous cherchons à mobiliser autour du MIC. Par exemple, si une barre d'acier arrive d'un pays où le prix du carbone est fixé à 10 euros la tonne, mais que le prix plancher du carbone est établi à 25 euros sur le marché européen, le différentiel est corrigé, et si une barre d'acier vient d'un pays dans lequel il n'existe pas de marché du carbone, c'est l'intégralité du prix européen qui se trouve appliquée.

Ce mécanisme vertueux pourrait couvrir des zones économiques de plus en plus larges, puisqu'il serait dans l'intérêt de nombreux pays, pour être compétitifs sur le marché européen, de fixer à leur tour un prix du carbone.

La baisse des émissions est bien le principal moteur de l'objectif de neutralité carbone. Cela signifie qu'il nous faut beaucoup investir dans le domaine de la recherche : 35% des financements prévus par le programme Horizon Europe - programme-cadre de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation pour la période allant de 2021 à 2027 -, soit 35 milliards d'euros, seront précisément dédiés à la recherche et à l'innovation pour la transition énergétique, dans les domaines de l'agriculture, de la mobilité et de l'énergie. Il y a là une grande cohérence.

M. Jean-Louis Bourlanges. Pouvez-vous répéter le nom du site que vous avez évoqué au début de votre intervention ?

R - ElectricityMap- en français "carte de l'électricité" - est une application qui permet de connaître en temps réel les types de production, le niveau des importations et des exportations de chaque pays européen, et donc, sur un certain nombre de sujets, d'en revenir aux faits. Lorsque je voyage en Europe, je n'hésite pas à rappeler à mes interlocuteurs les positions relatives des uns et des autres, afin que l'on s'en tienne aux faits et non aux fantasmes ou aux cauchemars qui se trouvent parfois véhiculés.

S'agissant des financements, il existe trois instruments différents.

Il y a d'abord le budget européen prévu sur la période 2021-2027. La France souhaite que 40% de ces milliers de milliards d'euros contribuent à la transition énergétique. Nous cherchons à mettre en cohérence le budget européen avec cette nécessité, par le biais de la politique agricole commune (PAC) avec l'objectif de faciliter les investissements permettant aux agriculteurs de "verdir" leur activité, de la politique de cohésion de l'Union européenne ou du programme Horizon Europe, dont je viens de parler.

Il y a ensuite la banque européenne d'investissement (BEI), qui octroie des prêts. Elle ne les consent pas à des Etats, mais à des projets. La nature de ces prêts ne correspond pas à ce que vous décrivez : ce ne sont pas des prêts à taux négatif, et leur taux varie en fonction du projet et non pas du pays où celui-ci est mis en oeuvre. Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, par exemple, le programme de rénovation de logements individuels est largement financé par des prêts bonifiés de très long terme - plus de vingt-cinq ans -, à des taux très intéressants. C'est pour cela que les collectivités locales, dans cette région, ont choisi de faire appel à la BEI. Celle-ci, je le répète, ne prête pas au même taux pour un projet de tramway ou pour un projet de rénovation énergétique. Vous faisiez sans doute référence, Monsieur Chassaigne, au mécanisme européen de stabilité, dans lequel les prêts sont consentis à des Etats, et où les taux pratiqués dépendent de la situation respective de chaque Etat et peuvent donc beaucoup varier. La BEI apporte un financement attractif qui sert de garantie au moment du lancement du projet, qui pourra être cofinancé par une collectivité locale ou des investisseurs privés.

Il y a enfin le mécanisme de transition juste, programme purement européen qui reprend une terminologie des Nations unies. Il vise à investir de l'argent public pour financer des projets sur des critères d'éligibilité qui ne sont pas uniquement liés à la qualité du projet, à la différence de la BEI. Il s'agit plutôt de financer des investissements publics, notamment en matière d'infrastructures, sur la base de la situation sociale du territoire concerné, mesurée par le PIB par habitant. Pour prendre un exemple un peu caricatural, des moyens plus ou moins importants seront accordés à une région en cas de fermeture d'une centrale à charbon, pour aider les travailleurs à se reconvertir, et trouver de nouvelles sources de développement économique, selon qu'elle se trouve en Pologne ou en Allemagne. Le soutien de l'Union européenne sera plus important là où il s'avère plus nécessaire.

Sur toutes ces questions, il est souvent question de milliers de milliards d'euros, et personne ne voit très bien de quoi il s'agit. Pour effectuer la transition, trois types de financements sont nécessaires.

Il faut d'abord des subventions publiques ; celles-ci doivent porter sur des projets qui ne peuvent exister sans argent public, car ils n'attendent aucun retour sur investissement.

Il faut ensuite de l'argent parapublic : dans ce cas, l'argent public sert de matelas initial, de mise de départ incitant les investisseurs privés à s'engager pour financer un projet dont ils voient qu'il est rentable. Les premières prises de risque sont absorbées par les acteurs publics, et le financement est ensuite complété par les acteurs privés.

Le troisième type de financement est purement privé. C'est tout l'objet de notre travail au niveau européen pour que se développe une finance durable. Nous voulons que l'épargne privée, qu'il s'agisse des 1.700 milliards d'euros de l'assurance-vie française, des 3.000 milliards de l'assurance-vie allemande, ou des sommes importantes placées dans le cadre des retraites par capitalisation, par exemple aux Pays-Bas, finance non pas des centrales à charbon ou des projets à l'autre bout du monde, mais les petites et moyennes entreprises et les infrastructures énergétiques françaises ou européennes.

Cela pose la question extrêmement importante de la mobilité de l'épargne au sein de l'Union européenne. C'est un problème, en effet, si toute l'épargne se trouve en Allemagne, en France et aux Pays-Bas alors que les besoins, en matière de transition énergétique, sont plutôt situés en République tchèque, en Hongrie, en Pologne, au Portugal ou aux marges de l'Europe ! Cela signifie que ce continent riche en épargne ne fait pas jouer sa solidarité et la mobilité de l'épargne pour assurer la transition de l'ensemble de l'Union. Dans le cadre de ce débat sur l'investissement privé, nous sommes soucieux de mettre en oeuvre une finance durable et de favoriser la mobilité de l'épargne. Nous essayons de construire une union européenne de l'investissement et de l'épargne afin qu'émerge une véritable cohérence entre tous les acteurs, que ce soit la BEI, les banques publiques d'investissement, l'investissement parapublic ou l'investissement privé.

J'espère avoir été claire, et je serais ravie de revenir en détail sur ce sujet si le besoin s'en fait sentir.

Un autre sujet est apparu de manière transversale dans vos questions : il s'agit du budget et du cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne pour la période 2021-2027.

Monsieur Bourlanges, vous me demandez d'être précise ; je vais essayer de l'être autant que possible. Je vais répéter ici ce que j'ai dit à la présidence finlandaise : la France n'a pas de dogme. Je ne vais pas donner un chiffre magique auquel devraient se conformer les contributions nationales au budget européen, par exemple 1,112%, ou 1,058% du revenu national brut (RNB). Je sais que certains pays sont en mesure de le faire. Ils proposent ainsi 1,00%, ou 1,27%. Le Parlement évoque une contribution fixée à 1,3% du RNB de chaque Etat membre...

Notre objectif, c'est que ce budget finance à la hauteur de nos ambitions les programmes qui nous semblent prioritaires. Nous avons ainsi demandé que le budget de la PAC soit augmenté - et nous avons été satisfaits. Nous avons également demandé que les régions en transition industrielle fassent l'objet d'un financement spécifique, car il s'agit là d'un problème politique qui se pose dans tous les pays. En France, le mouvement des "gilets jaunes" en témoigne, mais la question de la cohésion territoriale se pose partout dans l'Union européenne. Nous avons également demandé que soient supprimés les mécanismes de rabais, que soit mis en oeuvre un programme européen de défense et que soit augmenté le budget de l'initiative Horizon Europe. Avant d'encourager tel ou tel programme, nous sommes attentifs à son contenu politique.

Il y a cependant des sujets qui me gênent personnellement. Le déflateur du PIB, qui repose sur la prévision d'inflation pour la période 2021-2027, n'est pas sincère - et vous savez à quel point nous tenons, au sein de cette majorité, à la sincérité budgétaire. Cette insincérité provient du fait que le budget européen a été construit sur une prévision d'inflation évaluée à 2 % du PIB. Si vous observez une inflation de 2%, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, dites-le-moi ! La vie de Mme Lagarde en sera simplifiée. En réalité, ce taux n'est pas juste. Lorsque la Commission européenne prévoit une inflation de 2%, elle appelle de l'argent des contributeurs nets que nous sommes - la France mais aussi les Pays-Bas ou le Danemark, qui ont bien compris qu'il y avait là un problème. Cet argent ne finance en effet aucune politique publique concrète, puisque les budgets sont construits en euros constants, auxquels on ajoute ensuite l'inflation.

Si, pour élaborer le déflateur, on faisait passer la prévision d'inflation de 2% à 1,8% du PIB - chiffre donné par les prévisionnistes de la Banque centrale européenne (BCE), qui sont des gens raisonnables n'ayant pas pour habitude de fournir des chiffres fantaisistes -, le budget augmenterait de 14 milliards d'euros. Par exemple, à partir du chiffre proposé par la présidence finlandaise fixant la contribution de chaque pays membres à 1,07% de son RNB, nous pourrions réallouer 14 milliards d'euros à ce budget qui ne correspond "à rien" sinon à de pures prévisions théoriques, sur lesquelles ne peut s'adosser aucune politique. Et ces 14 milliards pourraient servir à financer le fonds européen de défense, le projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), la politique spatiale, ou encore les régions ultrapériphériques (RUP).

C'est bien pour cela que nous n'avons pas de chiffre magique. Nous voulons un budget sincère, qui soit à la hauteur de nos ambitions sur un certain nombre de thématiques, que vous connaissez et à propos desquelles nous avons déjà eu l'occasion de discuter. Une contribution fixée à 1,07% du RNB ferait passer la participation française au budget européen de 4,3 milliards d'euros à 6 milliards d'euros. Une partie de cette augmentation est liée à l'inflation - ce qui ne correspond donc pas à une réelle hausse de notre effort, puisque les recettes françaises augmenteront aussi ; une autre partie vient compenser le Brexit puisqu'il faut prendre le relais du Royaume-Uni, contributeur net au budget européen, sur un certain nombre de politiques ; enfin, une dernière partie est destinée à financer de nouvelles politiques.

Voilà ce que je peux dire de plus précis à ce propos. Les autres marges de manoeuvre dont nous disposons au sein du budget sont notamment les instruments de flexibilité. La Commission intègre en effet à l'intérieur de chaque programme et entre les programmes des matelas de sécurité. Or nous trouvons cela très coûteux, d'autant qu'une discussion budgétaire a lieu chaque année au Parlement européen pour réallouer des fonds. La flexibilité existe donc d'ores-et-déjà et se concrétise par les rectifications apportées annuellement.

Vous m'avez interrogée sur un autre sujet transversal : la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Soyons clairs : personne n'a parlé de remettre en question la démocratie représentative. Les parlementaires européens et nationaux ont un rôle structurel et structurant dans le fonctionnement des institutions qu'il ne s'agit en aucun cas de remettre en cause. Les citoyens européens demandent cependant à être davantage associés au processus de décision. Or, avec la démocratie représentative classique, qui consiste à poser des questions auxquelles les gens peuvent répondre par oui ou par non, on obtient des réponses qui, bien qu'elles soient données avec beaucoup de coeur, ne sont pas pour autant cohérentes les unes avec les autres. Une telle forme de participation, qui invite les citoyens à se prononcer sur des sujets complexes sans leur donner toutes les clés de compréhension ne me paraît donc pas une voie raisonnable à suivre.

Le président de la République cherche plutôt à instituer des mécanismes de démocratie délibérative par lesquels les citoyens sont associés en présentant des propositions exprimant leurs intérêts divers voire divergents. C'est ainsi qu'un tirage au sort a été organisé en vue de la première convention citoyenne pour le climat. Celle-ci n'annule en rien les pouvoirs du Parlement et du Gouvernement : elle constitue une troisième voie de proposition à côté de celles du législatif et de l'exécutif. Les projets de dispositions qui en émaneront suivront ensuite la voie réglementaire ou législative classique.

Un tel dispositif pourrait s'avérer intéressant à l'échelle européenne : à partir de questions posées à des citoyens, aux côtés des parlementaires nationaux, des propositions pourraient être soumises au Parlement européen, au Conseil et à la Commission. La Conférence sur l'avenir de l'Europe pourrait d'ailleurs proposer de mobiliser de tels mécanismes sur certaines thématiques si cela peut s'avérer utile. L'expérience de la convention est un exercice ad hoc, mais qui peut permettre de poser des principes pour la suite.

J'insiste sur la distinction entre démocratie participative et démocratie délibérative. En Irlande, dans les pays nordiques, les parlements sont plus puissants que le nôtre sur le plan constitutionnel, mais ils ont une pratique éprouvée de l'association des citoyens à la prise de décision par des moyens innovants, ce qui leur permet d'échapper au piège d'un référendum permanent qui mènerait à des actions incohérentes. Voilà ce qu'il nous faut construire, et nous avons pour le faire des exemples convaincants autour de nous.

Vous m'avez interrogée sur les questions de compétence, de majorité qualifiée. Dans le domaine de la fiscalité, depuis des années, nous avons perdu à la fois de la solidarité, de la souveraineté et de la réactivité en appliquant la règle de l'unanimité. Dans de nombreux domaines thématiques - la politique étrangère, la politique migratoire, la politique sociale -, nous devons nous demander si le fait de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée nous aiderait vraiment à être plus souverains, plus solidaires et plus réactifs. Si c'est le cas, il faut alors examiner la possibilité ; à défaut, il est inutile de modifier l'existant. C'est un des sujets sur lequel votre assemblée aura à se prononcer.

Quant au principe du Spitzenkandidat, la position française est très claire : nous y sommes favorables à condition qu'il y ait des listes transnationales, et donc que ledit candidat soit vu et entendu par les citoyens dans tous les pays de l'Union.

Certains affirment qu'il existe un peuple européen, une base démocratique européenne. Ce qui est sûr, c'est que les Spitzenkandidaten des élections de 2019 ont fait campagne dans un seul Etat. Leur programme, leurs aspirations, leur vision n'ont donc pas pu recueillir l'assentiment des citoyens des autres Etats, auxquels ils étaient totalement inconnus. Il y aura toujours des circonscriptions nationales, des députés élus nationalement, mais nous souhaiterions qu'il y ait une dose de transnational au Parlement européen comme on peut souhaiter qu'il y ait une dose de proportionnelle dans les parlements nationaux. Une liste devrait ainsi pouvoir regrouper des hommes et des femmes incarnant une ligne cohérente dans tous les pays de l'Union.

On le constate au Parlement européen dans les échanges de vues : les groupes politiques n'ont pas fait campagne sur les mêmes thèmes dans les différents pays. C'est un droit, et chaque député européen est libre de voter en conscience. Cependant, quand j'entends dire que le groupe du Parti populaire européen (PPE) a telle position sur tel sujet, j'ai l'oreille qui gratte un peu parce que je sais qu'elle n'est pas partagée par les élus français Les Républicains rattachés au PPE. Et ce n'est là qu'un exemple, monsieur Dumont ; j'aurais tout aussi bien pu évoquer le groupe Renew Europe.

La liste transnationale est aussi une garantie de transparence et de cohérence : l'objectif est que ceux qui s'engagent au niveau européen portent le même message dans tous les pays.

Quant au sujet des pompiers volontaires, Monsieur Deflesselles, tout le gouvernement y travaille : moi-même, le secrétariat général aux affaires européennes à Matignon, le Premier ministre, qui est très mobilisé, la ministre des armées, le ministre de l'intérieur. La question est de savoir si les pompiers volontaires et les acteurs de la sécurité civile sont soumis ou non à la directive Temps de travail. Les résultats de notre travail devraient être confirmés formellement dans les semaines qui viennent, et les signaux reçus de la Commission européenne sont plutôt rassurants. Il nous paraît important, en effet, de préserver ce qui fait la nature du volontariat, qui est une forme d'engagement spécifique. En plus de permettre le fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), les pompiers volontaires incarnent l'entraide et ne comptent pas leur temps ; c'est cette position que nous avons défendue.

En matière de lutte contre la fraude fiscale, Monsieur Paluszkiewicz, nous sommes pour l'échange de bonnes pratiques au niveau européen. C'est pourquoi nous soutenons tous les efforts autour de la liste noire commune des paradis fiscaux. Une meilleure coordination sociale et fiscale étant au coeur de nos préoccupations, nous travaillons activement à la révision du règlement n°883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, pour laquelle des trilogues sont en cours. Nous nous efforçons de faire avancer les discussions sur la directive ACCIS, visant à établir une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés. Et nous avons fait de nombreuses propositions sur le reporting pays par pays.

Vous le voyez bien, la règle de l'unanimité qui prévaut en matière de fiscalité nous pose problème. Bruno Le Maire a ainsi beaucoup oeuvre au sein du Conseil européen pour créer une majorité, une coalition de pays soucieux d'avancer sur les sujets de corruption, de fraude et de transparence. Le parquet européen pourra agir pour tout ce qui concerne les fonds européens, mais nous devons poursuivre notre travail sur la fraude fiscale en général.

M. Pueyo, qui a quitté la salle, m'a interrogée sur le Sahel. Le 13 janvier se tiendra à Pau un sommet du G5 Sahel qui réunira, outre les cinq chefs d'Etat sahéliens, la France, Josep Borrell pour la diplomatie européenne, Charles Michel, le président du Conseil européen, et l'Union africaine. Nous pourrons ainsi recueillir les besoins spécifiques des pays du G5 Sahel, car il est important d'en faire le point de départ de notre action, puis organiser la solidarité entre Etats Européens et définir des modalités d'engagement.

Des évolutions sont en cours sur les différents dispositifs d'intervention européens et internationaux. Certains pays sont déjà très impliqués à nos côtés ; le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Estonie, le Danemark, la République Tchèque, la Belgique, les Pays-Bas. Les mandats des missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) - la mission de formation militaire EUTM Mali, les missions civiles EUCAP Sahel au Mali et au Niger - sont en passe d'être modifiés pour que celles-ci soient plus proches du terrain et se concentrent davantage sur l'accompagnement des forces locales, la formation des équipes. Certains dispositifs pourraient être élargis au Burkina Faso sur l'invitation du gouvernement burkinabé.

Lors du G7 de Biarritz a été annoncée la création du P3S, le partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, dont la visée est d'élargir la base d'intervention aux fonctions de maintien de l'ordre assurées par la police et la gendarmerie afin que les Etats sahéliens retrouvent la maîtrise de leurs forces de sécurité intérieure. Cette mission civile permettra d'impliquer des pays européens qui ne souhaitaient pas s'engager sur les opérations militaires.

Enfin, nous pouvons compter sur le soutien fort des Européens pour la création de l'unité commune de forces spéciales Takuba. Je tiens ici solennellement à remercier tous les alliés européens qui oeuvrent à nos côtés pour la sécurité collective.

J'en viens à la question de l'élargissement. Depuis la dernière réunion du conseil des affaires générales et le dernier sommet du Conseil européen, la France a proposé à la Commission une nouvelle approche, dont je vous avais présenté les grandes lignes.

Le premier principe est d'être beaucoup plus graduel : il faut que les Etats suivent un processus thématique cohérent. On ne peut pas ouvrir tous les chapitres en même temps sans que personne ne sache de quoi il est question. Il faut remanier les politiques publiques par blocs cohérents, de façon que l'acquis soit intégré progressivement aux législations nationales. On ne peut pas tout réformer d'un seul coup dans un pays sans s'y perdre. On constate bien qu'en Serbie et au Monténégro, cette façon de faire a pour conséquence de ralentir le processus d'intégration.

Le second principe est d'être plus concret. Au fur et à mesure que les acquis thématiques sont transposés dans la loi nationale, les pays doivent pouvoir accéder aux politiques européennes qui y sont liées. S'ils rendent leur système d'enseignement supérieur plus indépendant, ils doivent avoir accès à la politique d'innovation, par exemple. S'ils travaillent sur l'attribution des subventions agricoles, ils doivent accéder à la politique agricole commune. Et le travail sur la politique de cohésion doit ouvrir l'accès au marché intérieur.

On constate malheureusement aujourd'hui que le sentiment européen diminue dans les pays avec lesquelles les négociations sont en cours, en particulier la Serbie et le Monténégro. Les citoyens ont en effet l'impression qu'on leur demande de nombreux sacrifices sans qu'ils n'en tirent aucun bénéfice. Au Monténégro, alors que la négociation a débuté voilà huit ans, les citoyens ne voient aucun changement concret dans leur vie à la suite des réformes adoptées, si ce n'est un accroissement de l'influence étrangère. Pour arrimer ces pays à l'espace européen, il faut leur apporter un soutien au moyen de politiques concrètes. À défaut, la Turquie, la Chine, la Russie prendront la place.

M. Jean-Louis Bourlanges. Pourrait-on imaginer qu'ils adhèrent à la plupart des politiques sans participer aux institutions, à l'instar des territoires de l'Union, dont le statut perdura aux Etats-Unis pendant longtemps ?

R - Le but demeure que ces pays deviennent membres à part entière de l'Union européenne. Il faut néanmoins admettre que le processus d'intégration est fastidieux, long et frustrant, sans pour autant protéger ces Etats de l'influence étrangère.

Il faut réfléchir de manière pragmatique. On constate que les jeunes éduqués quittent leur pays, que le brain drain - la fuite des cerveaux - est massif, parce que la jeunesse n'a pas les ressources pour se former, innover, créer des entreprises. En faisant de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation le deuxième bloc de réformes après l'Etat de droit, en rendant ces pays éligibles au programme-cadre Horizon Europe, on pourrait retenir une bonne partie de cette population.

Le troisième principe est la réversibilité. Dès lors qu'on s'engage dans un processus où l'adoption d'une réforme donne accès à une politique européenne, l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement qui n'aurait pas pour priorité l'adhésion va faire perdre à ses citoyens l'accès à de telles politiques. Il y a alors un coût à ne rien faire, ce qui change profondément la dynamique de construction collective au regard de l'élargissement.

La Commission, avec laquelle nous avons eu des discussions de très bonne qualité, entend présenter d'ici à la fin du mois de janvier des propositions de révision du processus selon les trois principes que je viens de décliner. Beaucoup de pays y voient un intérêt en ce que cela permettrait de limiter l'influence étrangère, une préoccupation pour nombre d'entre eux. C'est fantastique d'envoyer 6.000 questions juridiques sur l'organisation des marchés publics et le recrutement des fonctionnaires, mais cela n'apporte rien de concret, alors même que les puissances étrangères qui veulent s'implanter localement et faire jouer leur influence trouvent place nette.

Nous travaillons donc sur ce sujet avec la Commission et le soutien de nombreux Etats membres. L'Italie et l'Autriche ont fait une proposition un peu différente mais dont l'objectif est assez convergent avec l'idée d'une accession graduelle. Nous travaillons également avec la Macédoine du Nord et l'Albanie pour avancer sur les réformes qui ont été demandées en juin 2018 et dont certaines n'ont pas encore abouti.

Nous souhaitons que le sommet de Zagreb soit un succès. À cette fin, il faudrait que le processus soit davantage piloté politiquement, mieux tenu. L'intégration ne peut pas être présentée aux Français, aux Européens comme un toboggan automatique qui se déploierait après avoir appuyé sur un bouton. Il faut faire en sorte que les populations en bénéficient tout au long du processus, que celui-ci puisse être suspendu, ou qu'on revienne en arrière si la situation se dégrade, notamment au regard des exigences de l'Etat de droit.

Vous m'avez interrogée sur la reconduite par l'UE des sanctions contre la Russie dans le cadre des accords de Minsk. Depuis 2014, ces mesures sont prorogées tous les six mois en raison de la situation en Crimée et d'un défaut de mise en oeuvre des accords. Les sanctions ne sont pas une fin en soi, la logique n'est pas punitive. Le sommet au format Normandie - réunissant la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine - qui s'est tenu le 9 décembre à Paris pour la première fois depuis trois ans ouvre une voie. Ce sont des petits pas, mais qui vont dans le bon sens.

Nous n'entendons pas faire preuve de naïveté dans notre dialogue avec la Russie. Il reste néanmoins nécessaire de bâtir une nouvelle architecture de sécurité et de confiance avec ce pays, et pour cela de s'inscrire dans le cadre des cinq piliers de la relation UE-Russie. L'envoyé spécial Pierre Vimont travaille à Moscou avec toutes les autorités russes sur les engagements pris à l'issue de la rencontre entre le président Poutine et le président français à Brégançon. Sa fonction est d'être en permanence en lien avec les différentes capitales pour répondre aux éventuelles questions, et son aide a été très appréciée à Berlin. En toute transparence, le Président de la République fait état de ces discussions à ses homologues, chefs d'Etat et de gouvernement, au sein du Conseil européen.

L'intérêt des sanctions est qu'on puisse un jour les lever, sans quoi elles perdraient tout caractère incitatif. Notre objectif n'est donc pas de punir la Russie indéfiniment. Nous devons aller au bout de la voie tracée par le dernier sommet au format Normandie et faire en sorte que l'Ukraine retrouve pleinement le contrôle de son territoire au sein de ses frontières, ce qui suppose de franchir de nombreuses étapes ; la mise en oeuvre de la formule Steinmeier, qui comprend la tenue d'élections, les échanges de prisonniers, le retrait des mines, la démilitarisation. Sur le statut de la Crimée, un important travail doit encore être réalisé avec le président Zelensky. Nous ne lèverons pas les sanctions tant que nous n'aurons pas obtenu d'avancées concrètes.

Pour répondre à vos questions sur le Brexit, Monsieur Dumont, j'annonce tout d'abord très solennellement que la France fait du sujet de la pêche et de l'accès aux eaux territoriales une condition essentielle d'approbation de l'accord. Voilà un message clair à transmettre aux députés de Boulogne-sur-Mer, de Calais et de toute la façade maritime de la Manche et de l'Atlantique. Didier Guillaume a quant à lui rencontré à de nombreuses reprises les représentants de la filière pêche.

Un accord a été trouvé la nuit dernière sur les taux autorisés de capture (TAC) et les quotas nationaux pour l'année 2020. Parce qu'il s'agit d'une année de transition pour le Royaume-Uni, celui-ci appliquera les règles au même titre que les Etats membres ; voilà une autre information importante à relayer sur vos territoires. Le taux est en hausse pour les espèces dont les stocks suivent une tendance positive, il est plus restreint pour les espèces à fort enjeu économique. Les négociations ont été difficiles, mais l'accord trouvé me semble satisfaisant.

Quant à l'accès aux eaux territoriales, il est maintenu jusqu'à la fin de la période de transition. C'était tout l'intérêt d'obtenir une sortie ordonnée de l'Union. Si cela se confirme, donc, jusqu'au 31 décembre 2020, les pêcheurs auront accès aux eaux territoriales dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. Je vous enjoins à bien faire entendre ce message, car il y va de la survie de plusieurs activités économiques.

L'Union européenne est un cadre qui empêche le règne de la guerre de tous contre tous. Nous serons donc très vigilants pour que les contrôles des points d'entrée dans le marché intérieur soient effectués partout de la même manière. Agir différemment à Rotterdam, à Hambourg, à Dunkerque, Calais, ou Marseille n'aurait aucun sens.

S'agissant du duty-free, s'il est autorisé dans les zones de transit maritime et aérien, il ne l'est pas dans les gares. Pour l'autoriser à bord de l'Eurostar, il faudrait modifier une directive à l'unanimité. Nous sommes en phase de discussion avec la Commission sur ce sujet. Une telle mesure devra être adaptée à l'accord de sortie qui sera trouvé. Le préfet Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, est territorialement compétent sur ce sujet. À présent que le scénario de sortie se précise, les discussions vont reprendre. Je me charge donc de lui transmettre votre question pour obtenir des éclaircissements. Moi qui ai grandi à Calais, comme vous le savez, je vois bien à quoi vous faites référence s'agissant des zones d'activités de Coquelles et de la route vers Boulogne-sur-Mer.

Pour terminer, je souhaiterais compléter ma réponse à vos questions sur la Pologne, Madame de Courson. Il faut à la fois de la solidarité et de la souveraineté. Comme je l'ai rappelé, le bouquet énergétique de ce pays est dix fois plus carboné que le nôtre. Pour être souverains, c'est-à-dire pour atteindre les objectifs fixés ensemble, nous devons débloquer des moyens, mettre en oeuvre des politiques publiques et prévoir un accompagnement, ce qui suppose une relation de confiance.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 janvier 2020