Déclaration de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur la construction européenne, au Sénat le 18 décembre 2019.

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Circonstance : Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 12 et 13 décembre 2019 au Sénat

Texte intégral

Monsieur le président. L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 12 et 13 décembre 2019.

Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen des 12 et 13 décembre a constitué le premier rendez-vous européen en présence de Charles Michel, d'Ursula von der Leyen et de Christine Lagarde, chacun dans son nouveau rôle. Ce Conseil européen a marqué le lancement d'un nouveau cycle institutionnel.

Les discussions ont été dominées par la question de la lutte contre le changement climatique. Comme ils en étaient convenus au mois de juin dernier, les chefs d'État et de gouvernement ont endossé l'objectif de la neutralité carbone d'ici à 2050. Il s'agit là d'un succès, il faut le dire, de la coalition de pays ambitieux menée par la France. Composée de trois pays au départ, cette coalition, qui comptait huit pays à Sibiu en mai, puis un peu plus d'une vingtaine à l'été, a obtenu que l'unanimité se fasse autour de cet objectif. En s'engageant à devenir le premier continent neutre en carbone en 2050, l'Union européenne donne un signal clair sur son ambition. Le Pacte vert présenté par la Commission le 11 décembre fixe non seulement un objectif, mais également une feuille de route en vue de l'atteindre. Une loi climat sera présentée en mars 2020.

Le Premier ministre polonais a sollicité un délai avant de s'engager non pas sur l'objectif lui-même, mais sur les modalités de sa mise en oeuvre à l'échelon national, au regard de la situation de départ de son pays, de la place qu'occupe le charbon au sein de son mix énergétique et du coût élevé de la transition pour la Pologne. Cette exemption temporaire n'a pas conduit à repousser l'adoption de l'objectif collectif ; elle n'empêche en rien l'engagement de l'Union européenne, la loi climat devant être votée par le Conseil à la majorité qualifiée. De ce fait, nous ne devrions pas connaître de nouvelle situation de blocage en raison de l'opposition d'un seul pays. En outre, le Conseil européen est convenu de revenir en juin 2020 sur le cas de la Pologne, qui devra alors préciser sa position. La Pologne pourrait bénéficier d'un accompagnement financier de la part de l'Europe, en fonction des engagements qu'elle prendra.

Les conclusions adoptées par le Conseil européen montrent que nous sommes lucides sur l'ampleur de la tâche et sur les efforts que nous devrons consentir pour atteindre cet objectif. Elles soulignent la nécessité de mettre en place un cadre afin de faciliter la transition des États membres : celui-ci devra comprendre des instruments, des mesures incitatives, un réel soutien financier et des investissements adaptés, afin que la transition puisse se faire et qu'elle soit juste et socialement équilibrée. Un certain nombre de propositions ont été faites en ce sens par la Commission dans son Pacte vert. J'insisterai sur le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, essentiel pour protéger l'emploi industriel en Europe. Cela est nécessaire si nous voulons atteindre notre objectif sans remettre en cause la source d'une partie de notre croissance.

Les conclusions rappellent également que les États membres peuvent décider souverainement des types d'énergie qu'ils utiliseront à l'échelon national pour atteindre les objectifs climatiques de l'Union, conformément à ce que prévoient les traités, notamment l'article 194 du traité de Lisbonne. Certains États pourront ainsi, s'ils le souhaitent, utiliser l'énergie nucléaire pour décarboner leur mix énergétique. C'est une clarification utile. J'y reviendrai si vous le souhaitez.

Enfin, le Conseil européen a invité la Commission à préparer en temps utile, avant la COP26 de Glasgow, au terme d'une analyse d'impact approfondie, la proposition relative à la mise à jour de la contribution déterminée au niveau national (CDN) de l'Union européenne pour 2030. Si nous avons un objectif pour 2050, il nous faut aussi tracer un chemin en vue de l'atteindre. À cet égard, le rendez-vous de 2030 est important. Cette COP sera en effet décisive pour la mise en oeuvre effective de l'accord de Paris. Nous souhaitons donc que la prochaine CDN soit rehaussée de manière substantielle, afin d'inciter les autres grands pays émetteurs de la planète à faire de même.

La conférence sur l'avenir de l'Europe a également été évoquée lors de ce Conseil. Le président du Parlement européen, David Sassoli, a rappelé devant les chefs d'État et de gouvernement que cette conférence était une priorité de la nouvelle législature et que le Parlement européen entendait jouer un rôle moteur dans son organisation et son déroulement, aux côtés du Conseil et de la Commission, bien sûr : un tel exercice n'aurait pas de sens s'il était mené par un seul élément du triangle organisationnel européen.

Alors que les institutions se préparent à l'organisation de cette conférence – nous attendons une communication de la Commission en janvier 2020, ainsi qu'une résolution du Parlement européen –, le Conseil européen a demandé à la future présidence croate d'établir une position du Conseil sur le contenu, la portée, la composition et le fonctionnement d'une telle conférence. Il a notamment insisté, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le rôle des parlements nationaux dans cet exercice. Une mobilisation citoyenne doit bien entendu être encouragée, mais dans le respect plein et entier de la démocratie représentative.

Nos trois priorités, définies notamment avec les Allemands, sont les suivantes.

Nous voulons tout d'abord recréer une relation plus approfondie avec les citoyens, afin de sortir d'un pur exercice de communication et de réellement prendre en compte leurs apports et leurs idées.

Il s'agit ensuite de répondre à l'urgence démocratique, en renforçant la transparence, en prévenant les conflits d'intérêts, en nous protégeant mieux contre l'ingérence de puissances étrangères, en contrôlant le financement des partis européens. Il faudra se pencher sur la question des listes transnationales, qui posent question.

Enfin, dans un souci d'efficacité, il importe de conduire une revue des différentes politiques européennes, afin d'évaluer si nous sommes assez souverains, assez solidaires et assez réactifs dans nos prises de décisions.

Ce Conseil a également été l'occasion de discuter du cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027. La Première ministre finlandaise a présenté la boîte de négociation chiffrée soumise par la présidence le 2 décembre, portant à la fois sur le volume global et sur les principaux programmes composant le budget pour l'Union européenne.

La présidence a présenté un projet de budget s'établissant à hauteur de 1,07 % du revenu national brut, soit une proposition intermédiaire entre celle de la Commission et celle des États dits « frugaux », qui voudraient s'en tenir à 1,00%.

La proposition finlandaise permet une hausse de 10 milliards d'euros du budget de la politique agricole commune (PAC) et le maintien de la notion de régions en transition au titre de la politique de cohésion. Elle prévoit la fin des rabais. Tous ces points sont positifs, mais il convient de rester très vigilants. Nous devons en particulier nous assurer que l'augmentation de la PAC repose non seulement sur le second pilier, comme c'est le cas aujourd'hui, mais également sur le premier. Je le redis devant vous : il ne peut y avoir de développement rural sans agriculteurs. Si nous voulons accroître le développement rural, nous devons faire en sorte que les agriculteurs puissent bénéficier d'aides directes et à l'investissement.

Si la catégorie élargie des régions en transition est bien conforme à nos demandes, nous serons vigilants sur les allocations réservées aux régions françaises, notamment aux régions ultrapériphériques et aux pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

Nous continuons également à réclamer plus d'ambition et de cohérence en ce qui concerne le climat, ainsi que des conditionnalités sociales et fiscales pour accélérer la convergence sociale en Europe. À cet égard, nous avons créé une coalition d'États, avec l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Belgique et l'Espagne, notamment, afin de lutter contre le dumping social.

De même, nos priorités en matière de défense, de migration ou d'action extérieure ne sont pas encore suffisamment prises en compte.

Faute de temps, ce débat difficile, complexe ne s'est pas tenu dans la nuit du 12 décembre, mais Charles Michel a toutefois repris le dossier. Les conclusions adoptées par le Conseil européen sur ce sujet sont procédurales. Des consultations bilatérales techniques et politiques vont maintenant avoir lieu au début de l'année 2020 afin de définir un calendrier pour la poursuite de la discussion collective, que nous espérons voir se tenir avant le printemps 2020.

Au cours du dîner du 12 décembre, les chefs d'État, réunis autour de Josep Borrell, ont abordé différents sujets de politique étrangère. Ils ont notamment évoqué l'Afrique, en particulier le Sahel, mais aussi la Russie, la Turquie, l'Albanie ou encore la situation à l'OMC (Organisation mondiale du commerce), dont l'organe de règlement des différends a cessé de fonctionner la nuit même du 12 décembre.

Un sommet de la zone euro a ensuite eu lieu le vendredi matin, en présence de la nouvelle présidente de la Banque centrale européenne et du président de l'Eurogroupe, Mario Centeno. Les débats ont porté sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, la poursuite des travaux sur le mécanisme européen de stabilité, le renforcement de l'union bancaire et le budget de la zone euro.

Le Président de la République a souligné que si les progrès sur ces différents sujets étaient certains, ils restent largement insuffisants, en particulier parce que nous voudrions que ces outils, au service notamment de la zone euro, soient non seulement des instruments de convergence, mais aussi de stabilisation.

Enfin, nous avons terminé cette longue réunion par une session en format « article 50 », puisque nous étions au lendemain des élections britanniques. La nette victoire de Boris Johnson nous permet d'entrevoir une sortie ordonnée du Royaume-Uni après plus de trois ans de débats complexes. Nous avons surtout, pendant cette réunion, posé les principes qui guideront la négociation de la relation future avec le Royaume-Uni.

Il est extrêmement important, cela a été souligné à l'unanimité, que l'accord de retrait agréé en octobre dernier entre l'Union et le gouvernement de Boris Johnson puisse être ratifié très rapidement et de manière ordonnée à Westminster puis au Parlement européen. Nous pourrons alors nous consacrer au mandat de négociation. Il importe que les relations futures entre l'Union et le Royaume-Uni soient intenses, mais équilibrées et loyales. Nous devrons en particulier pouvoir avancer sur les points où la prise en compte de nos normes environnementales, fiscales, sociales est déterminante pour la qualité de nos relations avec nos partenaires commerciaux.

Michel Barnier a été chargé de rédiger ce mandat. La pêche, la sécurité ou la défense sont pour nous des sujets essentiels des négociations à venir. Boris Johnson souhaite qu'elles soient terminées au 31 décembre 2020. Nous avons donc de quoi travailler avec ardeur, selon une ligne directrice très forte : une relation équilibrée, c'est aussi une relation qui protège les citoyens européens au Royaume-Uni. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

(…)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Madame Gruny, sur le dossier des pompiers volontaires, nous travaillons de façon positive avec la Commission européenne pour nous assurer que le lien de subordination que certains voudraient voir établir, sur le fondement de la directive Temps de travail, entre les pompiers volontaires et les services départementaux d'incendie et de secours ne soit pas reconnu. Nous devons encore obtenir une formalisation, mais les signaux sont positifs et les échanges ont manifesté une grande compréhension, par la Commission, de la spécificité du modèle français, et nous avons des signaux positifs.

Je vous remercie, monsieur le sénateur Paul, de vos encouragements.

Monsieur Raynal, concernant le volume du budget européen, la France n'a pas d'objectif totémique. Vouloir fixer un pourcentage magique, à un ou deux chiffres après la virgule au-dessus de l'unité, est une façon un peu étrange d'entrer dans le débat. Vous êtes membre de la commission des finances du Sénat, j'ai siégé au sein de celle de l'Assemblée nationale : nous savons qu'un budget, c'est d'abord la concrétisation chiffrée d'ambitions politiques. Nous devons donc être clairs sur ce que nous voulons vraiment faire ensemble et sur ce que nous mettons en commun pour nous donner les moyens de notre ambition collective : voilà ce que dit le Président de la République. Cela peut signifier qu'il faut cesser de faire certaines choses à l'échelon national, car les doublons sont très coûteux. Nous jugerons de la qualité et du volume du budget en fonction des ambitions communes qui auront été définies. Par exemple, si l'on arrive à réorienter davantage vers le premier pilier les 10 milliards d'euros supplémentaires prévus pour la PAC,…

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce serait mieux, en effet.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. … nous serons plus disposés à accepter un volume important. Aujourd'hui, 1,07 % du RNB, cela se traduit par un « ressaut » du prélèvement sur recettes français de 4 milliards à 6 milliards d'euros, selon les modalités de calcul et de financement retenues. La moitié de cette somme correspond à l'inflation, un quart à la contribution demandée à la France au titre du Brexit, le dernier quart aux nouvelles politiques ou aux nouveaux efforts. Il faut avoir ces éléments en tête.

Quels sont les liens entre le CFP et le mécanisme de transition juste ? La vocation de ce dernier est d'allouer des moyens spécifiques à des territoires socialement désavantagés, tandis que la politique de cohésion profite à des régions sans forcément faire le lien entre leur mix énergétique et leur situation sociale. Les deux sont complémentaires, mais pas complètement superposables. Le mécanisme de transition juste comporte un critère d'éligibilité supplémentaire. La Commission cherche à cibler beaucoup plus, à travers lui, des territoires où la transition est plus difficile à réaliser qu'ailleurs et qui sont en outre socialement désavantagés.

Le lien entre le budget de la zone euro et le CFP est aujourd'hui formel. Certains d'entre vous l'ont rappelé, la France milite pour que des ressources propres puissent être allouées au budget de la zone euro et que l'architecture du budget de celui-ci reste ouverte. Si nous trouvons, par exemple, un accord sur une taxe sur les transactions financières d'ici à 2022 ou à 2023, il faudra que l'on puisse brancher cette ressource sur le budget de la zone euro sans avoir à attendre 2027. Il y a là un point de méthode. Aujourd'hui, cette ligne budgétaire de 17 milliards d'euros est ancrée dans le CFP. La France préférerait, vous le savez, que la gouvernance se fasse à dix-neuf. Surtout, nous voudrions que si les États membres de la zone euro se mettent d'accord pour partager des ressources, celles-ci puissent être branchées en cours de route sur cet outil budgétaire.

Concernant le Brexit, je tiens à vous rassurer : ce n'est pas parce que Boris Johnson dit que la négociation sera conclue dans les onze mois que nous sacrifierons le contenu de l'accord et les garanties attachées. Bien sûr, il faut aller suffisamment vite pour que l'économie ne s'enlise pas et que les citoyens ne perdent pas confiance. Cependant, nous ne sacrifierons pas la qualité de l'accord sous prétexte que nous serions pris par le temps. Michel Barnier est très clair sur le sujet.

Oui, monsieur le président Bizet, Charles Michel a la volonté d'instaurer de nouvelles méthodes de travail. Nous avons déjà pu échanger sur ce sujet.

Obtenir un consensus sur l'objectif de neutralité carbone est essentiel. Mme Mélot a évoqué un mécanisme d'opt-out à propos de la Pologne. Je ne crois pas que cela corresponde à la réalité des choses. L'idée est d'avoir la plus grande ambition possible, en évitant l'affaiblissement qu'entraînerait la recherche du plus petit dénominateur commun. Il importe de ne pas s'en tenir à de simples déclarations d'intentions. L'objectif d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 est partagé par tous. La Pologne ne remet pas en cause cet objectif pour l'Union européenne, mais elle estime avoir besoin de réfléchir à ce que cela implique de mettre en oeuvre à l'échelon national, en termes de calendrier, de difficultés à surmonter, d'éventuelles demandes d'exceptions sectorielles ou normatives. La Pologne, madame Mélot, pourrait demander, d'ici au mois de juin, à bénéficier d'un mécanisme d'opt-out sur certains points spécifiques, mais tel n'est pas le cas pour l'heure.

Concernant la neutralité technologique, monsieur le président Bizet, la perspective est désormais plutôt positive. Le règlement Taxonomie a fait l'objet d'un accord entre le Parlement européen et le Conseil ; il doit encore être validé. L'amendement de Christophe Grudler adopté le 28 novembre par le Parlement européen est très intéressant : aux termes de cet amendement, le Parlement européen estime que l'énergie nucléaire peut contribuer à atteindre les objectifs en matière de climat, dès lors que cette énergie n'émet pas de gaz à effet de serre, et qu'elle peut donc représenter une part non négligeable de la production électrique en Europe ; le Parlement considère néanmoins que, en raison des déchets qu'elle génère, cette énergie nécessite une stratégie à moyen et long termes qui tienne compte des avancées technologiques – laser, fusion, etc. – visant à améliorer la durabilité du secteur. L'adoption de cet amendement peut, me semble-t-il, tracer la voie à une approbation majoritaire, dans les semaines à venir, de l'accord trouvé entre le Conseil et le Parlement européen dans un format réduit.

Madame Guillotin, le mécanisme d'inclusion carbone n'est, je le rappelle, ni une taxe ni une mesure protectionniste. Il vise les produits basiques dont on sait exactement quelle quantité de gaz à effet de serre engendre leur fabrication. S'il existe un marché du carbone dans le pays de production, il y aura un ajustement du prix du bien importé pour prendre en compte l'écart entre les prix du carbone dans ce pays et sur le marché européen, afin de garantir une concurrence loyale. Si l'on prend l'exemple d'une barre d'acier en provenance de Chine, il ne lui sera donc pas appliqué de tarif prédéfini. Aujourd'hui, la moitié des provinces chinoises disposent d'un marché du carbone. Si cette barre d'acier vient d'un pays ou d'une zone où n'existe aucun marché du carbone, le tarif européen s'appliquera alors dans son entièreté.

Il s'agit donc d'appliquer à tous les biens vendus sur notre territoire une norme compréhensible, transparente et ajustée, et non pas un tarif arbitraire déterminé dans un bureau. Le mécanisme s'ajusterait si le prix du carbone venait à baisser en Europe pour une raison quelconque – ce que nous ne souhaitons pas. De même, si le prix du carbone était supérieur dans d'autres États à ce qu'il est chez nous, nous baisserions alors le prix du bien importé et rembourserions la différence. Cette dernière hypothèse est purement théorique, car il n'existe pas aujourd'hui de marché sur lequel le prix du carbone serait plus élevé que le nôtre !

Par ailleurs, l'objectif est qu'une taxe numérique puisse s'appliquer en Europe. Les différents pays européens négocient en ce sens dans le cadre de l'OCDE. Bruno Le Maire l'a dit ici même, me semble-t-il : si aucun accord n'intervient à l'OCDE, nous traiterons le sujet entre Européens. Je rappelle que vingt-quatre pays de l'Union européenne soutiennent le principe de la création d'une telle taxe. La France l'a mise en place, la République tchèque le fera au 1er janvier et, de mémoire, sept autres pays travaillent à la mettre en oeuvre, pas forcément au même taux mais selon des régimes proches.

Le mouvement est donc lancé, et je ne pense pas qu'il faille désespérer. En revanche, nous devons suivre de très près les négociations à l'OCDE et mettre les États-Unis devant leurs responsabilités, sachant qu'une partie de l'accord trouvé entre Donald Trump et Emmanuel Macron à Biarritz est remise en cause par certains. Nous sommes extrêmement attentifs au respect de la parole donnée.

Les 100 milliards d'euros du fonds de transition juste sont constitués à la fois d'argent public, de subventions et de prêts. Ce fonds vise à accompagner, selon un modèle potentiellement complémentaire de celui de la Banque européenne d'investissement, des régions où la transition est plus difficile à réaliser qu'ailleurs et qui sont dans une situation sociale défavorisée.

Monsieur le sénateur Gattolin, les bureaux de Charles Michel sont situés dans le bâtiment Europa, et non au Berlaymont.

M. André Gattolin. Je connais bien les lieux. J'ai parlé du Berlaymont pour faire référence à la Commission européenne.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. En tout cas, c'est bien Charles Michel qui chantera l'Ode à la joie si un accord sur le cadre financier pluriannuel est trouvé, car cela lui demandera beaucoup de travail…

Une réflexion est ouverte pour qu'au sein de l'Union européenne nous puissions retrouver une capacité d'investissement. Les taux sont négatifs, nous devons faire face au défi climatique et l'épargne est chez nous surabondante : nous sommes une des seules zones au monde à exporter de l'épargne, pour acheter des bons du Trésor américains ou financer des entreprises asiatiques… Dans le même temps, de nombreux projets ne se concrétisent pas en Europe.

Une partie de la solution dépend peut-être – je n'en suis pas si sûre – du pacte de stabilité, une partie de notre tuyauterie financière – à ce titre, les travaux de Fabrice Demarigny sur l'union des marchés de capitaux sont essentiels. Vous connaissez l'investissement du Président de la République et de Bruno Le Maire sur ces sujets. Ce qui est certain, c'est que la règle des 3% de déficit public ne saurait constituer notre seul horizon de pensée et de politique économiques, sauf à nous diriger vers un avenir très sombre…

Monsieur le sénateur Laurent, il est vrai que la COP25 n'a pas été à la hauteur des attentes. C'est pourquoi l'Union européenne unanime a tenu à envoyer un signal très fort et très clair via l'engagement d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela nous permettra de nous présenter unis et forts lors de la prochaine COP, qui sera un rendez-vous stratégiquement plus important que celui de Madrid. En effet, il y sera débattu de la révision des contributions nationales. Je rappelle que l'Union européenne entend réduire, d'ici à 2030, de 50 % à 55 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.

Vous m'interrogez sur la différence entre les bénéficiaires de la BEI et ceux du fonds de transition juste : la BEI accorde des prêts sur la base de projets, tandis que le fonds de transition juste s'attachera davantage à accompagner des territoires, notamment sur le plan des politiques sociales, de formation et de reconversion. Les approches sont donc un peu différentes.

Concernant le fret, il importe de favoriser son transfert sur le rail. Il se trouve que l'une des priorités du « pacte vert » présenté par Mme von der Leyen le 11 décembre dernier est le report d'une part substantielle des 75 % du fret intérieur actuellement transporté par la route sur le ferroviaire et les voies navigables. La Commission européenne proposera des mesures en ce sens dès 2021. Le Gouvernement s'en félicite. D'ici là, un travail important doit être mené en vue d'établir un diagnostic, car il existe aujourd'hui beaucoup d'incohérences entre cet objectif et la politique de concurrence, la politique industrielle ou des règles qui s'appliquent aux acteurs dits publics. Il est aujourd'hui difficile de trouver un modèle économique satisfaisant pour le fret ferroviaire, alors même que nombre de secteurs de la société souhaitent un transfert du fret de la route vers le rail.

Le port de Hambourg est très en pointe pour viser la neutralité carbone : les dispositifs de manutention font largement appel à l'électricité et un système de transfert des conteneurs sur le rail a été développé. Le ferroutage a aussi été mis en oeuvre à Calais, grâce à un mécanisme d'interconnexion européen. Il faut que nous regardions attentivement ce type d'expériences, mais je suis d'accord avec vous, monsieur Laurent, pour dire que c'est un sujet essentiel.

Je suis également tout à fait d'accord avec vous pour que les mécanismes de transparence nationaux s'appliquent à l'utilisation des aides du fonds de transition juste, comme pour les projets financés au titre du plan Juncker.

Concernant l'OTAN, le Président de la République demande d'abord de la cohérence ; c'est pour cette raison qu'il a proposé le lancement d'une réflexion stratégique au sein de l'OTAN sur le rôle des Européens après la chute du mur de Berlin et la fin du pacte de Varsovie. Cette proposition a été acceptée, et nous essayons de reconstruire une cohérence stratégique. La Russie pouvait être définie avant tout comme un pays ennemi dans les années soixante, mais, le Président de la République l'a dit très clairement, l'ennemi, aujourd'hui, c'est le terrorisme. La Russie peut être une menace – nous le voyons bien en Crimée, dans le Donbass ou ailleurs –, mais elle est aussi un voisin et un partenaire. Nous ne devons être, à son égard, ni naïfs ni belliqueux sans raison, mais fermes et exigeants.

La France réfléchit, en collaboration avec de nombreux autres États – je pense notamment à la Pologne –, sur les conséquences à tirer pour l'architecture européenne de sécurité collective de la suspension de fait du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Les suites du sommet de l'OTAN de Londres ont bien évidemment fait l'objet de discussions au Conseil européen, quand les chefs d'État et de gouvernement ont évoqué les questions de politique extérieure et de défense.

En ce qui concerne le Fonds européen de la défense, il est évident que proclamer notre souveraineté tout en continuant à acheter des matériels américains pose un problème de cohérence. Nous souhaitons que ce fonds monte en puissance et qu'une véritable industrie européenne partagée émerge dans ce secteur. Les États européens doivent avoir la possibilité de choisir des équipements européens pour leurs armées ; ce sera bénéfique à la fois pour leurs économies, leurs emplois et leur souveraineté collective.

Dans tout cela, je ne vois pas d'incohérence, mais une grande exigence. Nous devons avancer rapidement sur ces sujets, parce que créer un pilier européen efficace et crédible au sein de l'OTAN va demander des investissements.

Pendant le sommet de l'OTAN, beaucoup de demandes de clarification ont été adressées à la Turquie à propos de l'accord passé avec la Libye. Nous devons mettre en cohérence les travaux du Conseil européen et ceux menés au sein d'autres instances internationales.

En ce qui concerne la conférence sur l'avenir de l'Europe, j'ai souri quand vous nous avez dit d'agir plutôt que de nous « pencher » sur la question, monsieur Laurent. Le Président de la République a lui-même parlé de « forces castratrices autour de la table du Conseil européen »… Il a pour sa part une grande ambition en la matière, comme en témoigne la lettre qu'il a adressée à tous les citoyens européens au printemps. La France et l'Allemagne ont fait des propositions fortes. La Commission européenne remettra les siennes en janvier ; j'ai eu des échanges avec la commissaire chargée du sujet et je pense qu'elle est tout à fait bien disposée à cet égard. Les parlementaires européens ont quant à eux déjà commencé leurs travaux. La France sera un aiguillon en termes d'ambition et d'action. Si l'on contraint la réflexion dès le départ, nous perdrons la confiance des citoyens.

Madame la sénatrice Mélot, concernant la réforme de la PAC, la clé est de réorienter une partie du deuxième pilier vers le premier. La PAC n'est pas en diminution, comme a pu le dire M. Longeot. Les 10 milliards d'euros supplémentaires nous permettent d'envisager de manière assez sereine l'évolution des aides aux agriculteurs français par rapport à la période 2014-2020. Il y avait un risque, mais les propositions sur la table pour la période 2021-2027 sont beaucoup plus rassurantes aujourd'hui.

C'est justement parce que nous constatons des inégalités et des tensions entre les territoires que nous avons très activement défendu le concept des régions en transition. Il recouvre des territoires ne figurant ni parmi les moins favorisés ni parmi les métropoles.

Nous voulons réformer la politique de la concurrence parce que nous voulons développer une souveraineté européenne. Au-delà de la défense, elle doit notamment concerner l'innovation. Ainsi, dans le secteur des batteries électriques, sept pays et dix-sept entreprises ont uni leurs forces, en mobilisant notamment 3,2 milliards d'euros d'argent public. De telles initiatives peuvent se développer plus largement avec une politique de la concurrence révisée.

Madame Morhet-Richaud, notre méthode de travail repose précisément sur la créativité et le pragmatisme. Nous entendons dégager des majorités en étant souples dans les moyens, mais fermes et cohérents sur les objectifs.

Monsieur le sénateur Leconte, l'Irlande et les droits des citoyens européens sont bien des sujets prioritaires dans la perspective du Brexit. Je ne crois pas qu'il faille lier le Brexit et le budget européen. En tout cas, nous partons du principe qu'il n'y aura pas de contribution britannique et nous construisons un budget à vingt-sept. Si les Britanniques veulent contribuer à certaines politiques dans le cadre de leur relation future avec l'Union européenne, ils le feront de façon marginale, mais ce n'est pas une hypothèse de travail : nous entendons être crédibles et sérieux.

Concernant le climat, nous cherchons, avec la Commission européenne, à réduire la déforestation importée. C'est un sujet que le Sénat connaît bien, pour avoir notamment travaillé sur le dossier de l'huile de palme.

L'une des priorités de la présidence française du Conseil de l'Europe, qui s'est exercée du mois de mai dernier à la fin de novembre, était d'oeuvrer pour que la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'homme mettent en commun leurs jurisprudences dans un esprit de respect mutuel. Il y a encore du travail à accomplir, mais nous avons engagé la démarche.

Quant à la coordination des systèmes de sécurité sociale, elle est organisée par le règlement européen n° 883/2004, dont la révision est en cours de discussion dans le cadre du trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Il est effectivement essentiel d'améliorer l'interopérabilité des systèmes de retraite, d'assurance chômage et de protection sociale en général.

J'espère avoir répondu de manière synthétique à l'ensemble de vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs. Je vous remercie pour ces échanges tout à fait intéressants. J'ai proposé au président Bizet de réfléchir ensemble à rendre ce dialogue un peu plus interactif, peut-être en adoptant un format de questions-réponses plus dynamiques.

En tout cas, il est important de rendre compte à la représentation nationale et aux citoyens de ce qui se passe dans les couloirs de Bruxelles. Certains imaginent des choses bien plus complexes qu'elles ne sont en réalité. Nous travaillons avec toute notre énergie à accroître la solidarité et la souveraineté européennes ! Je vous donne rendez-vous après les fêtes pour reprendre nos échanges, avec toujours la même ambition pour l'Europe. (Applaudissements sur la plupart des travées.)


source http://www.senat.fr, le 2 janvier 2020