Texte intégral
FREDERIC RIVIERE
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
C'est aujourd'hui le 15e jour de grève contre la réforme des retraites, quand le gouvernement va-t-il retirer son projet ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Il n'est pas question de retirer ce projet, c'est un projet qui est attendu des Français, vous savez peut-être que 80% des Français disent qu'ils souhaitent qu'il n'y ait qu'un seul régime de retraites pour les Français, au lieu des 42 qui existent et qui créent de grandes iniquités d'un régime à l'autre.
FREDERIC RIVIERE
Et 57% des Français se disent opposés à la réforme telle qu'elle a été présentée par le gouvernement.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que c'est un point qui appelle les discussions. Aujourd'hui, ce que nous faisons, c'est pour les Français, et pour les plus jeunes, c'est un régime des retraites qui permet non seulement d'avoir pour un même métier les mêmes cotisations et les mêmes retraites, ça c'est le principe d'équité, que vous soyez comptable à la RATP, chez RFI, ou dans le privé, où n'importe où d'autre, vous aurez les mêmes droits, et je crois que c'est une avancée, et l'autre élément c'est que nous avons des dispositifs qui prennent en compte la précarité, et notamment la situation des femmes, puisqu'aujourd'hui les femmes ont 42% de retraite en moins que les hommes.
FREDERIC RIVIERE
Et si cette réforme est si bonne que cela, pourquoi est-ce qu'elle soulève autant de mécontentements ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord parce qu'il y a eu beaucoup de Fake news qui ont circulé sur cette retraite…
FREDERIC RIVIERE
Par exemple ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Notamment tous les simulateurs qui ont été mis en ligne, vous avez eu des propos qui ont été d'ailleurs relevés dans les tracts de la CGT indiquant des choses qui étaient complètement fausses…
FREDERIC RIVIERE
C'est exact.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Que le point allait baisser, que les femmes y perdaient…
FREDERIC RIVIERE
Mais alors le gouvernement n'a qu'à mettre son simulateur en place pour tuer les infox dans l'oeuf.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais parce que, pour mettre un simulateur en place il faut avoir une négociation qui soit terminée, sinon vous ne donnez pas les vrais chiffres, donc vous avez… c'est très facile pour des oppositions de mettre des simulateurs totalement fantaisistes, mais le gouvernement, lorsqu'il fera ses propres cas, ses propres projections, devra avoir les vrais chiffres, parce que s'il ne prend pas en compte les avancées qui seront négociées avec les syndicats, on lui dira « mais c'est faux, ce n'est pas le bon chiffre », donc il y a une asymétrie d'informations. Mais aujourd'hui, vous le savez, nous avons commencé à travailleur sur des cas types, pour montrer exactement ce qu'apportaient les retraites, il y en avait, des cas types, dans le rapport Delevoye, et il n'y a pas de surprise, que ce soit sur l'âge pivot, il figurait dans le rapport Delevoye, ça fait 6 mois qu'il est sorti le rapport Delevoye, il y a 6 mois ça ne posait pas problème. Donc je crois qu'il ne faut pas être…
FREDERIC RIVIERE
Alors comment se fait-il qu'il y a 2 ans de concertation, et qu'au bout de ces 2 ans de concertation, les contours de la réforme sortent, et que personne, à l'exception du MEDEF, personne n'est d'accord avec la réforme parmi les partenaires sociaux ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas exact, moi je travaille avec l'U2P, je travaille avec CPME, je travaille avec les représentants des micro-entrepreneurs, et je peux vous dire que, eux soutiennent la réforme, ça ne fait jamais que 2 millions de personnes, ce n'est pas complètement négligeable…
FREDERIC RIVIERE
Les syndicats de salariés sont vent debout, et tous.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, pas tout à fait, les syndicats de salariés sont d'accord avec 95% de la réforme s'agissant des syndicats réformistes, ils bloquent s'agissant d'un de ces syndicats, qui est la CFDT, sur l'âge pivot, l'âge pivot on aurait pu en parler dès le mois de juin. Et puis je veux dire une chose, parce qu'il y a un problème, dans cette négociation. Le régime est déséquilibré, ce n'est pas nous qui le disons, c'est…
FREDERIC RIVIERE
Il y a un problème financier, c'est ce que vous nous dites.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, quand on dit déséquilibré ça veut dire que les jeunes financent les retraites des plus anciens, c'est très bien, mais qu'eux-mêmes n'ont aucune garantie que leurs retraites seront financées, c'est ça que ça veut dire. Et donc, si on ne résout pas ce sujet-là, si on ne l'affronte pas, si on ne le pose pas sur la table, on ment aux plus jeunes et on fait une réforme, qui est structurante, qui est la plus grande réforme depuis 70 ans, puisque le système des retraites il date de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, si on commence en disant « les jeunes, vous savez quoi, ce n'est pas pour vous cette retraite parce qu'on démarre en étant en déséquilibre », on ne va pas jusqu'au bout de la réforme, c'est juste ce point-là, et il faut affronter cette difficulté collectivement et créer les solidarités qui permettent de financer les retraites des jeunes.
FREDERIC RIVIERE
Alors, le Premier ministre a reçu hier individuellement chaque organisation syndicale, aujourd'hui il les reçoit toutes ensemble, que va-t-il leur proposer ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien il va continuer à discuter. On voit bien qu'il y a des éléments, notamment sur la pénibilité, qui peut aider à avancer…
FREDERIC RIVIERE
Oui, et il y a toujours un blocage que l'âge pivot.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais moi je demande aux syndicats de nous faire une proposition qui soit équilibré, les propositions qui ont été aujourd'hui faites, prendre sur les réserves – prendre sur les réserves c'est, en gros, prendre sur les bijoux de famille - ça ne règle pas le problème. La deuxième proposition c'est augmenter les cotisations, augmenter les cotisations, c'est ça qui explique le chômage de masse aujourd'hui en France lorsqu'on le compare à l'Allemagne. Est-ce que vous savez qu'à cause des cotisations le coût du travail en France est 40% supérieur à l'Espagne ? Donc ça, c'est une mesure qui ne fonctionne pas.
FREDERIC RIVIERE
Est-ce que le président de la République et le Premier ministre sont bien sur la même longueur d'onde sur ce dossier ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je le crois et en tout cas ils échangent très régulièrement et ils avancent de concert.
FREDERIC RIVIERE
« On n'a jamais été si proche du point de rupture au sommet de l'Etat » confie un macroniste.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense que ça se sont des…
FREDERIC RIVIERE
« Crispations autour de l'âge pivot à 64 ans », c'est dans la presse ce matin, des députés macronistes qui seraient mal à l'aise avec l'instauration de l'âge pivot à 64 ans, ça fait quand même… on frissonne, il y a une petite incertitude.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, moi je suis très claire sur une chose. A partir du moment où vous savez 62 ans comme âge légal, c'est-à-dire que les gens ont l'autorisation de partir à 62 ans et qu'ils bénéficient d'une retraite, vous êtes obligé d'avoir un âge pivot, c'est mécanique, c'est tactique. Si on veut changer l'âge légal, mais je ne crois pas que ce soit l'intention des syndicats, donc il faut quand même, là aussi, être sérieux et rigoureux par rapport à la réforme. On ne peut pas enlever des éléments de réforme, ça la rendrait totalement bancale. Après, il y a beaucoup de gens qui dissertent sur telle ou telle citation, ce n'est pas le sujet, le sujet c'est comment on mène à bout cette réforme, comment on la rend équitable, et comment on fait en sorte que les gens qui, à 60 ans, parce qu'ils ont eu un travail pénible, voient leur pénibilité prise en compte, et comment d'autres personnes, qui ont tout à fait la capacité de travailler, puissent aller continuer à travailler et gagner des points. Et puis je veux dire une chose, sans âge pivot, à 64 ans, ça veut dire que les femmes qui doivent continuer à travailler jusqu'à 67 ans continueront à travailler jusqu'à 67 ans, c'est ça que ça veut dire, ça veut dire que vous privez 20% des femmes de partir à 64 ans, ça, évidemment, on en parle moins.
FREDERIC RIVIERE
Agnès PANNIER-RUNACHER, votre domaine c'est le commerce, l'artisanat, après 2 semaines de grève est-ce qu'on sait combien les commerçants, les hôteliers, les restaurateurs, ont perdu jusque-là ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui on a des chiffres qui ne sont pas des chiffres comptables, qui sont des chiffres déclaratifs, ce qu'on sait c'est qu'en gros, en France, vous avez des situations très contrastées avec une évidente différence entre Paris et province, la province a pu avoir des pertes de chiffre d'affaires, mais c'est moins marqué, à Paris, en revanche, la situation est beaucoup plus inquiétante.
FREDERIC RIVIERE
De quel ordre les pertes de chiffre d'affaires ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ponctuel, c'est-à-dire vous ne pouvez pas dire que tout le monde a perdu du chiffre d'affaires, vous pouvez avoir des hôtels qui vont de -0% de chiffre d'affaires à -50%, voire -70% de chiffre d'affaires, il y a un grand écart entre les situations. Mais ce qui est sûr c'est que les professions du tourisme, donc hôtellerie, restauration, traiteur aussi, sont victimes de toutes les annulations des événements du fait de la difficulté de se transporter, et peuvent aller jusqu'à 50% de perte de chiffre d'affaires.
FREDERIC RIVIERE
Et comment le gouvernement les accompagne, comment le gouvernement accompagne ces professions ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous avons mis en place, depuis une semaine, les dispositifs qui nous ont été demandés, qui avaient fonctionné pendant la crise des Gilets jaunes, il s'agit de permettre de reporter le paiement des charges sociales et fiscales, pour donner une idée, pendant la crise des Gilets jaunes c'est 300 millions d'euros de charges sociales et 100 millions d'euros de charges fiscales qui avaient été repoussées pour 5000 entreprises, donc, ça avait été efficace, nous le déployons. Chômage partiel, que nous finançons, pour permettre aux entreprises de conserver leurs salariés, de ne pas licencier, pour passer ce cap difficile, et puis pour les entreprises qui sont les plus en fragilité nous allons travailler sur des étalements de leurs charges, et nous discutons, y compris avec leurs propres créanciers, c'est un dispositif d'accompagnement des entreprises en difficulté que nous activons spécifiquement dans ce cas-là.
FREDERIC RIVIERE
Ça va coûter cher à l'Etat ce dispositif ou ce sont juste des retards de cotisations ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Lorsqu'il s'agit de reporter des cotisations c'est de la trésorerie, comme l'Etat se finance quasiment à taux nul ça ne coûte pas cher à l'Etat et c'est une grande bouffée d'oxygène pour les entreprises qui ont plus de mal à se financer auprès de leur banque, en revanche pour les entreprises à qui on devra abandonner de l'argent, effectivement ça coûtera de l'argent, mais probablement beaucoup moins qu'une entreprise qui dépose le bilan et qui disparaît.
FREDERIC RIVIERE
Et plus que jamais vous appelez à une trêve pour Noël.
AGNES PANNIER-RUNACHER
A une trêve pour Noël et j'appelle aussi les Français à aller consommer chez leurs commerçants de proximité, parce que là aussi c'est très important…
FREDERIC RIVIERE
Ceux qui n'ont pas de transports n'ont pas trop de choix à vrai dire !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement, mais ils pourraient aussi aller sur les plateformes en ligne, consommer chez les commerces de proximité à l'approche de Noël c'est parfait.
FREDERIC RIVIERE
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 décembre 2019