Texte intégral
RENAUD BLANC
Bonjour Sibeth NDIAYE.
SIBETH NDIAYE
Bonjour !
RENAUD BLANC
Porte-parole du gouvernement, on va parler clarté et précision dans un instant mais une question très directe. Est-ce que cet âge pivot et cet âge de 64 ans, il est aujourd'hui négociable ?
SIBETH NDIAYE
Ce qui a été notre volonté depuis le début, c'est d'expliquer pourquoi il était nécessaire d'avoir un régime de retraite qui soit équilibré. C'est très simple : nous n'avons pas l'intention de laisser le fardeau d'une dette faramineuse à nos successeurs ni aux générations suivantes. Cet esprit de responsabilité qui nous anime, il nous conduit à dire que, pour rentrer dans ce nouveau système qui sera plus juste, plus équitable, il faut que nous ayons un système qui soit équilibré financièrement. Pour équilibrer ce système, nous avons trois possibilités : soit nous allongeons la durée de cotisation, c'est le choix que nous faisons avec cet âge pivot, cet âge d'équilibre ; soit nous augmentons les cotisations ; soit nous baissons les pensions. Ce que nous avons dit aux partenaires sociaux dès le début dans le discours du Premier ministre, c'est que nous préférions la solution d'un âge d'équilibre mais que s'ils avaient d'autres solutions pour parvenir à un équilibre en 2027 pour le nouveau régime de retraite, nous saisirions l'opportunité qui nous serait ainsi donnée.
RENAUD BLANC
Donc parce que je voudrais qu'on essaye d'être le plus clair possible, la CFDT va rencontrer la semaine prochaine Edouard PHILIPPE.
SIBETH NDIAYE
Tout à fait.
RENAUD BLANC
On va remettre sur le tapis cette question des 64 ans et Edouard PHILIPPE va écouter et il va peut-être changer d'avis sur ces 64 ans. 64 ans, c'est lui qui l'a prononcé.
SIBETH NDIAYE
Mais bien sûr ! Moi, ce que j'essaie de vous expliquer, c'est que ces 64 ans ne découlent que d'une volonté qui est d'avoir un système équilibré lorsqu'on démarre le nouveau système de retraite et ce système équilibré, on ne peut le faire qu'en actionnant trois leviers !
RENAUD BLANC
Oui, vous venez de les redire. Donc on ne va pas les répéter !
SIBETH NDIAYE
Et je viens de les redire et donc ces leviers-là nous, nous en avons choisi un mais si les partenaires sociaux parce qu'il ne s'agit pas simplement que la CFDT soit d'accord, nous sommes convaincus de l'utilité du paritarisme, donc de l'utilité que les partenaires sociaux ensemble se mettent d'accord. Donc le Premier ministre, il va rencontrer non seulement la CFDT mais tous les partenaires sociaux qui le souhaitent et nous leur avons dit que s'ils se mettaient d'accord sur une alternative, une alternative qui permette d'atteindre un équilibre en 2027, nous saisirions cette opportunité.
RENAUD BLANC
Comment fait-on, Sibeth NDIAYE, pour sortir de l'impasse ? On est au 9e jour de mobilisation et de grève dans les transports, ce qui devient extrêmement difficile pour des millions de Français. Comment fait-on pour sortir de l'impasse ? Vous êtes aujourd'hui dans un bras de fer avec les syndicats.
SIBETH NDIAYE
Aujourd'hui, nous sommes surtout dans une volonté qui a été maintes fois exprimée de faire en sorte qu'il y ait un système de retraite qui soit meilleur. Aujourd'hui, nous avons un système qui met de côté ceux qui sont les plus fragiles.
RENAUD BLANC
Mais j'entends bien ce discours.
SIBETH NDIAYE
Et ce système qui met …mais à un moment donné, il faut que nous prenions le temps aussi de convaincre et de rassurer nos compatriotes. Moi, j'entends les sondages qui nous disent que les Français sont angoissés, qu'ils soutiennent ce mouvement parce qu'ils ont peur de ce qu'il adviendra de leur retraite, donc il faut faire les choses en bon ordre. Nous aurons des simulateurs, des débuts de simulateur la semaine prochaine qui seront présentés par le gouvernement.
RENAUD BLANC
Est-ce qu'il n'aurait pas fallu commencer par cela tout simplement ? Parce qu'il y a quand même un vrai problème de méthode, je veux bien, vous me dites, et je vous entends, que la réforme est juste, qu'elle est équitable, qu'elle est solidaire, qu'effectivement des gens vont pouvoir bénéficier qui avaient des petites retraites, vont voir leur retraite augmenter mais est-ce que vous n'avez pas pris finalement les choses un petit peu à l'envers ? Ce simulateur, il est réclamé et il va peut-être arriver dans quelques jours, on ne sait pas, le 18 décembre, le 19. Est-ce qu'on n'a pas finalement un problème de méthode dans ce gouvernement ?
SIBETH NDIAYE
Mais imaginons que dès la sortie du rapport Delevoye au mois de juillet dernier, nous ayons mis en place un simulateur. Le rapport Delevoye indiquait, je vais vous prendre deux exemples, le rapport Delevoye indiquait que la première génération concernée serait celle de 1963 ; après discussion avec les organisations syndicales, le gouvernement a entendu leur besoin d'une transition longue. Désormais, la première génération concernée sera celle de 1975, donc j'aurais mis sur place un simulateur qui aurait induit les Français en erreur pendant six mois ? ! Deuxième exemple : au début, nous souhaitions que les droits familiaux permettent une majoration des pensions dès le premier enfant pour 5%. Après discussion avec la CFTC, nous avons décidé que pour le premier enfant, ce serait une majoration de 5%, le deuxième 5%, le troisième 7% ! Nous aurions mis en place un simulateur il y a six mois et nous aurions donc aussi menti aux Français !
RENAUD BLANC
Alors comment expliquez-vous que cette réforme que vous présentez comme juste et équitable, je le répète, vous ayez aujourd'hui tous les syndicats contre vous, tous ?
SIBETH NDIAYE
Mais parce qu'il y a parfois la défense d'intérêts corporatistes. Je comprends effectivement, et c'est à juste titre qu'ils le font, que les syndicats cheminots de la CGT ou de SUD Solidaires défendent le régime spécial qui est évidemment un avantage, je le comprends parfaitement, j'allais dire c'est presque humain mais nous, ce que nous souhaitons, c'est que nous regardions aujourd'hui qui dans la société a besoin de ces nouvelles solidarités. Il y a quelques années, il y a eu une grande réforme qui a été permise par un accord entre les syndicats réformistes, en particulier la CFDT et le gouvernement d'alors, c'est cet accord qui a permis de mettre en place ce qu'on appelle les carrières longues, c'était très important parce qu'on avait des gens qui restaient indéfiniment en train de travailler alors qu'ils avaient toutes leurs annuités, qu'ils avaient commencé à travailler tôt. Aujourd'hui, ces nouvelles solidarités que nous voulons, elles s'adressent aux permittents, ceux qui bossent deux heures par-ci, deux heures par-là et qui n'arrivent pas à accumuler assez d'heures pour valider des trimestres.
RENAUD BLANC
Avouez quand même, il y a beaucoup de cacophonie, de couacs, d'amateurisme, permettez-moi l'expression parce que le président, le Premier ministre, le ministre de l'Economie, le Haut-Commissaire, ne disent pas tout à fait la même chose ; vous-même, Sibeth NDIAYE, porte-parole du gouvernement , vous vous êtes un petit peu pris les pieds dans le tapis hier sur une radio concurrente sur la question du malus, une telle réforme, elle a besoin …, ce qui est une révolution dans votre bouche, elle a besoin, elle mérite de la précision et de la clarté. Or, il en manque beaucoup de la précision et de la clarté !
SIBETH NDIAYE
Je pense qu'il faut distinguer plusieurs choses. Oui, hier j'ai fait une erreur, je m'en suis excusée d'ailleurs, vous savez quoi, en sortant de la radio je me suis dit : eh bien attends, tu es en train de penser à l'AGIRC-ARRCO quand on t'a posé la question. Donc je le reconnais bien volontiers et je pense qu'un responsable politique qui fait une erreur, il faut le dire. Après …
RENAUD BLANC
Mais les approximations ne concernent pas que vous !
SIBETH NDIAYE
Après, il y a deux possibilités quand vous faites une réforme ; soit vous la faites en chambre, vous la réfléchissez en chambre, vous ne dites rien, vous ne laissez rien transparaître et je dois reconnaître qu'au début du quinquennat, on l'a beaucoup fait ça et puis, vous arrivez avec un paquet qui est bien ficelé, vous allez voir les organisations syndicales et vous dites "ceci est à prendre" et vous pouvez négocier à la marge, c'est ce qu'on a fait sur beaucoup de réformes et c'est vrai qu'on nous a reproché cette forme de verticalité. Aujourd'hui, on a en quelque sorte réfléchi à ciel ouvert, on a dit qu'il faut que les Français travaillent plus longtemps parce que la démographie, elle a changé et donc est-ce qu'on allonge la durée de cotisation ? Est-ce qu'on met en place un âge pivot ? On a réfléchi à ciel ouvert et maintenant, vous nous le reprochez ! Moi, je crois que c'est important …
RENAUD BLANC
Non, je vous reproche un manque …
SIBETH NDIAYE
Je ne dis pas “vous” en particulier …
RENAUD BLANC
Pardonnez-moi mais c'est surtout un manque de clarté de précision sur une réforme aussi importante.
SIBETH NDIAYE
Quand il y a des gens dans un gouvernement qui vous ont dit "il faut allonger la durée de cotisation", d'autres qui ont dit dans le même temps "il faut mettre en place un âge pivot", au fond ce qu'on disait c'était la même chose, il faut faire en sorte qu'on travaille un peu plus longtemps progressivement et la question de la méthode pour y parvenir, c'était une réflexion qui faisait partie d'une réflexion avec les organisations syndicales. Donc c'est une méthode de gouvernement effectivement qui fait qu'on partage avec les Français ce que peuvent être différentes options et ensuite, il y a des arbitrages qui sont réalisés et on peut ainsi les expliquer.
RENAUD BLANC
Aujourd'hui, il y a une réalité. Dans les sondages, les Français disent : oui, il faudra faire une réforme ou il faut changer la donne et on peut même dire qu'une majorité des Français sont plutôt d'accord pour travailler un petit peu plus. En moyenne, on est à 63 ans aujourd'hui …
SIBETH NDIAYE
63 ans et quatre mois plus exactement.
RENAUD BLANC
Donc effectivement, ce n'est pas un passage qui pourrait paraître énorme et d'un autre côté, les Français disent "on n'a pas confiance dans le gouvernement". Qu'est-ce que vous répondez, Sibeth NDIAYE, vous qui êtes la porte-parole ?
SIBETH NDIAYE
Eh bien, je réponds simplement que c'est de notre responsabilité à nous gouvernants, à nous qui sommes aujourd'hui en train de mettre en place cette réforme, de donner confiance aux Français. Vous savez, la retraite, c'est un moment de grande bascule pour les gens parce qu'ils ont été dans la vie active depuis leur enfance, enfin une fois qu'ils sont sortis de l'enfance, je veux dire, et donc il y a quelque chose d'angoissant quoiqu'il arrive quand on parle de retraite. Et donc ça, nous devons l'intégrer. Nous devons aussi rassurer parce qu'une des difficultés qu'on a, moi j'ai rencontré il n'y a pas longtemps une infirmière de bloc opératoire qui disait : mais moi mon problème, ce n'est pas tellement mentalement de travailler plus longtemps, c'est physiquement, physiquement, je ne sais pas tenir 4, 5 heures de bloc, je ne sais pas être aussi réactive que je l'étais il y a dix ans quand j'avais 50 ans. Et cette infirmière de bloc opératoire, ce qu'elle m'a demandé, c'est : elle m'a dit mais est-ce qu'on ne pourrait pas aménager ma fin de carrière ? Moi, j'y suis très favorable, ça fait partie des discussions que nous mettons sur la table. On a déjà fait des propositions dans ce sens-là et je crois qu'il faut réfléchir en France, non pas à faire “blanc / noir” à la retraite mais avoir une zone de gris progressivement où on se retire de l'activité professionnelle pour préparer la suite.
RENAUD BLANC
Jean-Paul DELEVOYE, ce matin interview du Haut-commissaire aux retraites, à la question des retraites, dans Libération, il déclare qu'il a songé démissionner. Je rappelle qu'il a continué d'occuper des fonctions, une fonction rémunérée de président d'honneur du cercle de réflexion sur l'éducation après son entrée au gouvernement alors que ce cumul est interdit par la loi. On sait que dans d'autres pays, il aurait dû démissionner !
SIBETH NDIAYE
Alors Jean-Paul DELEVOYE, vous savez, c'est un homme qui a une grande rectitude, une grande droiture, il n'a jamais tenté de dissimuler quoi que ce soit. Il y a deux sujets que vous abordez, il y a le sujet d'une rémunération parallèle à la rémunération qu'il avait en tant que Haut-commissaire aux retraites. Cette rémunération, il l'a régulièrement déclarée à la Haute Autorité de transparence de la Vie publique, il ne lui a pas été dit au moment de cette déclaration qu'il y avait une irrégularité et donc …
RENAUD BLANC
Mais enfin, si on fait un petit peu de droit constitutionnel, on sait bien qu'on ne peut pas être ministre et avoir une rémunération à côté !
SIBETH NDIAYE
Il a considéré que c'était une gratification, que ça n'était pas une activité professionnelle. Ce qui est interdit, c'est d'avoir une activité professionnelle, il l'a fait de bonne foi. S'il avait voulu dissimuler quoi que ce soit, il ne l'écrivait pas, il l'a écrit, il l'a dit. Il a eu un oubli malheureux sur le fait qu'il participe à un institut de formation, bon admettons, il l'a rectifié tout de suite, il n'y a pas de volonté de dissimulation et de tricherie chez Jean-Paul DELEVOYE. Moi, je souhaite évidemment qu'il reste au gouvernement parce qu'il a une belle et grande réforme à mener à son terme.
RENAUD BLANC
J'ai deux dernières questions : tout d'abord, est-ce qu'Emmanuel MACRON doit s'exprimer sur cette question des retraites avant le 31 décembre et ses voeux aux Français ?
SIBETH NDIAYE
Moi, je crois que le gouvernement aujourd'hui a en quelque sorte bien les mains sur le volant. Nous sommes mobilisés autour d'Edouard PHILIPPE, vous voyez en ce moment que les ministres rencontrent à tour de bras les organisations syndicales sectorielles pour expliquer, pour rassurer. Ça a été le cas de Christophe CASTANER …
RENAUD BLANC
C'est le cas de Jean-Michel BLANQUER aujourd'hui !
SIBETH NDIAYE
C'est le cas de Jean-Michel BLANQUER aujourd'hui et ce sera le cas d'Elisabeth BORNE également avec Jean-Baptiste DJEBBARI ; nous sommes vraiment au travail, tout à fait déterminés à mener cette réforme. Après si le président souhaite s'exprimer, je ne suis plus sa conseillère ; c'est à lui de le décider.
RENAUD BLANC
Dernière question, est-ce qu'il y aura des trains à Noël qui circuleront ?
SIBETH NDIAYE
Moi, je l'espère vraiment parce que je pense à tous les Français qui ont besoin de retrouver leurs familles, c'est un moment qui est particulier, Noël, parce que c'est souvent une fois par an qu'on se retrouve tous en famille. J'espère que les organisations syndicales auront l'esprit de responsabilité ; la CFDT en a fait preuve, j'espère que d'autres suivront son exemple.
RENAUD BLANC
Merci d'avoir Sibeth NDIAYE d'avoir répondu à mes questions …
SIBETH NDIAYE
Merci à vous.
RENAUD BLANC
La porte-parole du gouvernement l'invitée de Radio Classique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 décembre 2019