Texte intégral
RENAUD BLANC
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Renaud BLANC.
RENAUD BLANC
Secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances. On va bien sûr parler de la réforme des retraites, mais juste une petite question sur le billet d'Arthur BERDAH, vous avez le sentiment qu'il manque un grand texte d'Emmanuel MACRON sur la laïcité, c'est un des reproches qui lui est fait assez régulièrement ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'il y a des prises de position alors peut-être pas suffisamment intégrées par rapport à ce qu'on pourrait souhaiter ou attendre, mais sur la question du communautarisme, sur la question de la laïcité, sur la question de l'islam qui constitue un corpus et une vision qui est assez complète, me semble-t-il, c'est-à-dire à la fois de dire que ceux des Français ou des gens qui sont sur le territoire qui se retranchent des institutions républicaines posent des difficultés pour le pays ; et que ce sujet du communautarisme qui s'illustre de manière très concrète, c'est-à-dire c'est les petites filles qui ne vont pas au sport dans certains quartiers politiques de la ville, c'est le refus, voire le retrait de l'école de certains enfants, ce sont des écoles – et d'ailleurs on en a fermé – qui ne respectent pas le contrat…
RENAUD BLANC
Mais c'est toujours très très compliqué de fermer une école qui ne respecte pas les lois de la République, c'est ça qui choque aussi les Français c'est je sais que ça peut prendre des mois, voire des années !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui parce que nous sommes dans un Etat de droit et que dans un Etat de droit, vous avez les droits de la défense. Et on est toujours un petit peu étonné qu'on ne puisse pas martialement décider de fermer une école. .Mais c'est aussi une garantie de notre démocratie. Et pourtant, nous sommes le gouvernement qui avons fermé le plus d'écoles et qui avons fermé le plus d'établissements qui faisaient du prosélytisme antirépublicain.
RENAUD BLANC
Alors on va revenir bien sûr au grand sujet qui intéresse les Français, c'est la réforme des retraites. Réunion ce matin à Matignon autour du Premier ministre, vous y serez ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non.
RENAUD BLANC
Ça ne concerne que quelques ministres alors cette réunion avec Edouard PHILIPPE !
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est une réunion qui concerne les ministres les plus en prise aujourd'hui dans les négociations. Moi, je suis en charge de la négociation avec les indépendants commerçants, artisans, micro-entrepreneurs, il y a bien sûr des discussions mais ce ne sont pas là où il y a le plus de questionnements et de discussions.
RENAUD BLANC
Les discussions, elles reprennent le 7 janvier, à quoi sert véritablement cette réunion d'aujourd'hui à Matignon alors ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Cette réunion, elle vise à se caler collectivement sur la façon de mener cette concertation. En tout état de cause nous, nous souhaitons aboutir comme le président de la République l'a dit, à un projet de loi qui puisse être déposé. Je rappelle le sens de cette réforme, le sens de cette réforme c'est une caisse unique, la même caisse de retraite pour tout le monde plutôt que 42 caisses de retraite séparées. C'est ça le principe de l'universalité, c'est ce qui garantit la solidarité, ce qui garantit aussi de pouvoir changer de travail sans perdre l'avantage, le bénéfice de ce qu'on a cotisé dans un régime… dans un travail antérieur, à un moment où les jeunes n'ont pas leur retraite qui est financée et à un moment où les jeunes ne peuvent même pas dire quel métier ils feront parce qu'en 2050, 2 tiers des métiers n'existent pas encore, ceux qu'ils exerceront.
RENAUD BLANC
Agnès PANNIER-RUNACHER, je vous entendais sur une radio concurrente dire que ça avance et pardonnez-moi, je n'ai pas du tout le sentiment que ça avance. On est au 30ème jour de blocage 30ème jour de mobilisation contre la réforme des retraites.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ne perdons pas de vue…
RENAUD BLANC
Ce qui est un record !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait. Ne perdons pas de vue qu'il y a 42 discussions parallèles, puisque 42 régimes particuliers, qu'il s'agisse de régimes spéciaux ou de régimes des indépendants. Ces 42 régimes, c'est autant de discussions pour établir dans quelles conditions on va converger vers cette caisse unique pour tous les Français. Et derrière ça, il y a toutes les questions de comment on traite la précarité, comme on traite la transition, à quoi servent les réserves de certains de ces régimes, combien de… comment on traite la pénibilité. Donc autant de très bonnes questions, donc oui on avance, on l'a vu, on avance, on a des désaccords avec un certain nombre de ces régimes particuliers pour rejoindre cette caisse unique, qui est le garant de la solidarité nationale.
RENAUD BLANC
Mais vous avez des accords mais vous avez aussi beaucoup de désaccords, aujourd'hui les orthophonistes, les kinés ; demain les avocats, les médecins, je pense aussi au personnel navigant d'AIR FRANCE sont en grève concrètement en disant « on va toucher à nos régimes autonomes ». C'est très très compliqué quand même, ça ne touche pas j'allais dire que le public aujourd'hui la grève.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors oui, c'est très compliqué et on l'a toujours assumé. Est-ce que c'est parce que c'est compliqué qu'il faut refuser de donner ce qu'attendent les Français, même travail, mêmes cotisations, même retraite. Au nom de quoi quelqu'un qui fait le même travail, l'informaticien de la RATP, l'informaticien de la SNCF, l'informaticien de Radio Classique n'auraient pas les mêmes cotisations et les mêmes règles du jeu. Moi j'avoue que je fais quelque chose que je ne comprends pas et que les Français ne comprennent pas. Ensuite, que chaque métier ait ses spécificités, que les forces de l'ordre appellent à un traitement particulier, les forces actives qui s'exposent physiquement sur le terrain et qui prennent des risques sur leur vie et qu'ils aient un traitement particulier, c'est logique. Mais s'ils changent de métier, alors ils seront dans la logique de leur nouveau métier, c'est de ça qu'on parle.
RENAUD BLANC
Agnès PANNIER-RUNACHER, l'une des critiques que l'on fait au texte, même parmi ceux qui sont favorables à la réforme, on écoutait par exemple Nicolas BOUZOU sur notre antenne ce matin, l'économiste disait : ce régime, il fait de plus en plus d'exceptions.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, il reconnaît la spécificité de certains métiers. En revanche, il ne fait pas de traitement différencié selon votre employeur. Ce qui est choquant aujourd'hui, c'est que pour un même métier suivant votre employeur vous n'avez pas le même traitement. Le cheminot de la SNCF n'a pas le même traitement que le cheminot ou le cheminot de la RATP plutôt pour prendre cet exemple puisque c'est des bus, que des bus vous en avez sur tout le territoire, n'a pas le traitement que le conducteur de bus dans une autre ville, pourquoi ? Et c'est un frein même à la mobilité de ces conducteurs de bus, parce que s'ils quittent un régime ils risquent de perdre beaucoup et, donc, ils s'enferment avec l'employeur pour lequel ils travaillent. Donc ça n'a pas de logique par rapport au monde dans lequel nous vivons. Et puis il ne faut pas perdre de vue une chose, c'est que si le régime est déséquilibré aujourd'hui, en réalité ce que nous faisons c'est que nous ne garantissons pas la retraite des plus jeunes. Alors on peut s'en laver les mains, on peut considérer qu'à partir du moment où votre retraite, ma retraite est assurée, ils se débrouilleront bien les jeunes, mais ce n'est pas responsable. Et nous assumons effectivement que c'est une réforme complexe, mais c'est une réforme responsable et c'est une réforme juste.
RENAUD BLANC
Alors vous avez appelé, enfin le chef de l'Etat appelle à un compromis rapide, donc il met gentiment la pression sur Edouard PHILIPPE. Pour un compromis il faut être 2 quand même, il faut d'un côté des syndicats et de l'autre côté le gouvernement, il faut que chaque camp puisse faire un pas. On a bien compris qu'il s'adressait… qu'Emmanuel MACRON s'adressait d'abord à la CFDT et à des syndicats réformateurs, quels sont les compromis aujourd'hui que vous pouvez faire, par exemple cet âge pivot de 64 ans qui est une espèce de totem pour certains, est-ce qu'on peut imaginer l'abandonner ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez ! Je crois qu'il faut rentrer dans le détail, qu'il ne faut pas s'accrocher effectivement à des principes. Quelle question pose la CFDT…
RENAUD BLANC
Cette question des 64 ans, c'est ça qui bloque avec la CFDT.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais quelle question pose la CFDT ? La CFDT pose la question des carrières longues, elle estime que finalement c'est le nombre d'années cotisées qui est plus juste qu'un âge pivot. Mais nous, on leur répond : très bien mais comment on traite par exemple le cas des 20% des femmes qui sont obligées d'attendre 67 ans pour avoir une retraite complète, parce qu'elles ont eu des enfants, ce qui n'est pas rare quand même chez une femme d'avoir des enfants et d'interrompre à un moment sa vie professionnelle. Ça c'est des éléments d'injustice sur lesquels nous voulons des réponses. De même sur le sujet de l'équilibre du régime, encore une fois on peut fermer les yeux, on peut fermer les yeux, on refuse de fermer les yeux c'est une situation où on ne serait pas responsable vis-à-vis des plus jeunes. Aujourd'hui, vous avez 3 moyens d'équilibrer le régime, soit vous baissez les retraites, je pense que personne ne le veut, les retraites de ceux qui vont venir, les retraites de ceux qui sont retraités il n'est pas question de les toucher, soit vous augmentez les cotisations, on sait aujourd'hui que le niveau de cotisation en France est un des éléments qui expliquent le niveau de chômage élevé que nous avons. Chaque fois qu'on a baissé les cotisations de manière générale, on a réussi à recréer de l'emploi. Donc ça ne nous paraît pas être une option et créer des chômeurs, ce n'est pas financer le régime des retraites, soit effectivement il faut travailler plus longtemps. Et il nous semble qu'effectivement, c'est le système le plus abouti, mais cela pose la question des carrières longues sur laquelle nous sommes ouverts, cela pose la question aussi des gens qui à 57 ans se retrouvent au chômage, comment feront-ils sachant qu'on sait qu'on a un problème en France du travail des seniors. Posons ces problèmes sur la table mais partons de cas concrets, ne restons pas accrochés à des principes.
RENAUD BLANC
Vous comptez sur une nouvelle semaine galère en Ile-de-France à partir du 6 janvier, le 7 vous reprenez les négociations, il y a la manif le 9, donc pour les usagers ça va être encore galère pendant au moins une dizaine de jours !
AGNES PANNIER-RUNACHER
J'accueille les annonces des syndicats s'agissant des blocages dans les transports et des grèves. Moi je veux redire ici qu'il y a des milliers de personnes qui se lèvent très tôt pour aller au travail, je pense notamment aux gens pour lesquels moi je travaille : les commerçants, les artisans qui perdent du chiffre d'affaires ; et je pense que ces personnes méritent aussi d'être entendues. Ils sont nombreux, ils souffrent en ce moment, ils soutiennent globalement cette réforme, ils ont leurs propres questionnements par rapport à leur régime, mais surtout ce qu'ils veulent c'est travailler dans de bonnes conditions.
RENAUD BLANC
Alors le…
AGNES PANNIER-RUNACHER
J'aimerais bien qu'on y pense aussi à ces gens-là.
RENAUD BLANC
Agnès PANNIER-RUNACHER, le calendrier s'annonce quand même très serré, d'après nos informations, les informations de Radio Classique le texte a déjà été déposé au Conseil d'Etat, alors que vous entamez des négociations avec les syndicats, c'est assez étonnant !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, pas du tout, ça c'est assez classique. Je rappelle qu'un texte doit être vu sous l'angle juridique par le Conseil d'Etat, que l'on peut y apporter des modifications en cours d'analyse par le Conseil d'Etat. Il s'agit simplement d'être efficace et de ne pas paralyser un certain nombre de processus, de même que le texte une fois déposé et présenté en Conseil des ministres fera l'objet d'un débat parlementaire.
RENAUD BLANC
La France est une boîte de Smarties pour BlackRock, c'est votre phrase hier prononcée sur un autre média, vous persistez, vous signez ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors c'est le marché français, je le redis parce qu'on a transformé mes propos, c'est le marché qu'ouvrirait la retraite des personnes qui sont rémunérés plus de 10.000 euros qui représente – lorsqu'on fait un calcul –moins de 0,1%, moins de 0,1% des actifs gérés par BlackRock à horizon 2050, c'est ça les chiffres, moins de 0,1% à horizon 2050 puisque je rappelle que la réforme se met en place en 2025, donc pour que l'argent soi-disant par capitalisation se met en place, il faut attendre 2050, donc ce n'est pas très sérieux. Encore une fois, on fait face à des…
RENAUD BLANC
Pardonnez-moi, je comprends tout à fait ce que vous voulez dire, mais est-ce qu'il n'y a pas une maladresse finalement en comparant…
AGNES PANNIER-RUNACHER
De parler de la confiserie ?
RENAUD BLANC
De parler de Smarties et de la France, quand on sent que le sujet est bouillantissime j'allais dire !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais moi je veux bien m'excuser platement d'utiliser le terme Smarties, mais en l'occurrence je ne parlais pas de la France, je parlais de ce que représentait ce marché financièrement par BlackRock. Si j'ai été maladroite, je m'en discute platement, je suis bien au-delà de ça si vous savez.
RENAUD BLANC
Alors BlackRock c'est Jean-François CIRELLI, officier de la Légion d'honneur, il y a toute une polémique autour de cette de cette promotion, accusé finalement de faire du lobbying pour le régime par capitalisation. Est-ce que pour vous c'était franchement le bon timing encore une fois, vu l'ambiance actuelle ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi ce que je crois surtout, c'est que cet exemple-là est assez illustratif de la façon dont les oppositions et dont un certain nombre de personnes essayent de détourner l'attention du fond du problème…
RENAUD BLANC
Parce que tout le monde vous êtes tombé dessus, sur cette histoire de Légion d'honneur, de la droite… de l'extrême-droite j'allais dire à l'extrême-gauche.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et je remarque que monsieur CIRELLI a été un des collaborateurs le plus proche de…
RENAUD BLANC
Jean-Pierre RAFFARIN !
AGNES PANNIER-RUNACHER
De Jean-Pierre RAFFARIN et que la droite à la mémoire assez courte sur ses bons et loyaux services. C'est d'ailleurs la droite qui est à l'origine de sa première Légion d'honneur puisqu'il a déjà de la Légion d'honneur, monsieur CIRELLI. Donc on parle de monsieur CIRELLI, ça permet de ne pas parler du sujet de fond qui est : comment on fait en sorte que nous ayons un régime de retraite qui soit plus juste, qui soit équilibré pour les jeunes et qui fasse en sorte qu'on réduise les inégalités auxquelles on fait face. C'est sûr que si on dévie le tir sur de l'anecdote, à la fois ça nourrit la chronique et en même temps on ne parle pas du fond du sujet. Et moi, je trouve ça triste…
RENAUD BLANC
Mais Agnès PANNIER-RUNACHER, je vous trouve très claire ce matin, mais n'avez-vous pas le sentiment que vous avez quand même manqué, quand je parle de vous c'est du gouvernement d'une manière générale, sur un texte aussi important de clarté, de précision. Il y a eu des couacs, il y a eu des contresens par des ministres il n'y a pas encore très très longtemps.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez ! Il faut toujours balayer devant sa porte…. Qu'il est possible, qu'on peut toujours faire mieux. Mais moi ce que je veux dire ici, c'est qu'il n'y a aucun doute sur la conviction qui nous anime, sur le fait qu'aujourd'hui si on entame une réforme qui est aussi difficile, qui est aussi difficile et sur laquelle je ne suis pas sûre que d'autres gouvernements se seraient aventurés parce qu'elle est potentiellement coûteuse en terme électoral, simplement nous on assume d'abord de faire ce qu'on dit et de dire ce qu'on fait. On a dit pendant la campagne qu'on voulait faire cette réforme, on l'a faite, on veut transformer le pays parce qu'on estime…
RENAUD BLANC
Donc vous ne lâcherez pas ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais parce que c'est utile pour les Français, parce que c'est une réponse. Moi je suis désolée, j'ai 3 enfants, j'ai envie qu'ils aient une retraite et j'ai envie de leur dire les yeux dans les yeux que j'ai fait le travail pour eux, que j'ai assumé quelque chose de difficile et qu'effectivement, on est parti de 42 régimes et qu'on est en train de construire un régime qui soit universel, c'est-à-dire pour tout le monde et qui assure à tout le monde une retraite décente à terme. Je crois que ce n'est pas quelque chose qui est… comment dire, attaquable comme conviction, et que tous ceux qui veulent de ce régime… et je pense à la CFDT qui était la première depuis 10 ans à demander justement un régime par points de cette nature, et après on a des désaccords mais on doit être capable de trouver un point de convergence. J'aimerais que tous les gens de bonne volonté regardent ce régime dans ce côté positif et qu'on trouve des solutions.
RENAUD BLANC
Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER d'avoir répondu à mes questions. La secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, l'Invitée de Radio Classique, très bonne journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 janvier 2020