Texte intégral
SONIA MABROUK
Au lendemain d'une mobilisation massive contre votre projet de réforme des retraites, quel signal donnez-vous, ce matin, Agnès BUZYN pour montrer que le message envoyé a été reçu, entendu ?
AGNES BUZYN
Ecoutez, il a été entendu évidemment, on connaît la colère des Français, elle a pu s'exprimer hier dans la rue et dans ce mouvement de grève et aujourd'hui, nous continuons et nous terminons les concertations avec les partenaires sociaux. Nous les recevrons tous au ministère des Solidarités et de la Santé lundi avec le Haut-Commissaire aux Retraites et puis en fonction de tout ce qui aura été remonté par ces concertations, ces négociations avec les partenaires sociaux sur les différents points, eh bien, le Premier ministre fera des annonces en fin de semaine prochaine pour dessiner les contours définitifs de cette réforme.
SONIA MABROUK
Et avant les annonces, des ajustements sont d'ores et déjà prévus ; cette réforme va finalement s'appliquer à la génération née en 73 ?
AGNES BUZYN
Toutes les annonces seront faites la semaine prochaine ; nous sommes encore en discussion, donc il y a effectivement une discussion sur l'âge d'application, l'âge de bascule, quelle génération serait concernée et tout cela est encore sur la table jusqu'à la semaine prochaine !
SONIA MABROUK
Sur les économies, vous renoncez à l'équilibre du système du régime des retraites dès 2025, c'est oublié, balayé ?
AGNES BUZYN
Tout cela est encore évidemment, vous l'avez compris, en discussion. L'idée n'est pas de faire des économies. Je rappelle que la réforme …
SONIA MABROUK
Ah c'est important, donc pas de mesures d'économies dès 2021 !
AGNES BUZYN
Non, ce n'est pas ce que je dis. Ce que je dis, c'est que la réforme des retraites, telle qu'Emmanuel MACRON l'avait présentée lors de son programme présidentiel, était une réforme de justice et elle devait évidemment ne pas … s'accompagner de mesures d'économies et nous le savons, entre-temps, les prévisions du comité d'orientation des retraites qui est un comité indépendant constitué des partenaires sociaux a revu ses prévisions en identifiant qu'il y aura un déficit. Donc se rajoute quelque part …
SONIA MABROUK
Ils le disaient depuis longtemps. C'est le gouvernement qui a un peu découvert cela !
AGNES BUZYN
Non lorsque que le président de la République a fait sa campagne, le COR, le comité avait prédit que les retraites étaient à l'équilibre pendant encore une bonne durée et donc effectivement, ça s'est dégradé. Nous sommes obligés d'en prendre acte mais la réalité, c'est que cette réforme, c'est d'abord une réforme d'universalité, c'est-à-dire l'idée, c'est que tous les Français, tous, tous les citoyens soient traités exactement de la même façon par rapport aux retraites.
SONIA MABROUK
Et pourtant, beaucoup, Agnès BUZYN, risquent de perdre avec un tel système notamment, d'ailleurs allons dans votre domaine, à l'hôpital, les aides-soignants pour me ne prendre que cet exemple qui vont devoir travailler cinq ans de plus si on fait le calcul avec votre système !
AGNES BUZYN
Alors, j'ai tout de suite pu rassurer les aides-soignantes.
SONIA MABROUK
Elles le sont vraiment ?
AGNES BUZYN
Les discussions continuent avec évidemment les syndicats qui représentent ces personnels hospitaliers mais tout de suite, nous leur avons dit que l'idée était de compenser leurs départs précoces à la retraite ; je rappelle que les aides-soignantes ont des départs anticipés, qu'elles n'ont pas dans le privé et donc nous avons … nous sommes en train de travailler par exemple à comment intégrer la pénibilité qui, aujourd'hui, existe dans le privé, comment l'intégrer dans le secteur public. Donc on voit bien qu'on travaille sur des compensations, l'idée c'est vraiment d'accompagner les professions qui aujourd'hui pourraient être perdantes.
SONIA MABROUK
Mais pourquoi ils ne vous croient pas ? C'est étonnant quand même ! Vous proposez, que ce soit d'ailleurs pour les enseignants, des revalorisations et dites-vous pour ce personnel des compensations et pourtant, ils sont dans la rue, crient leur colère et ils ne vous croient pas pour le moment ?
AGNES BUZYN
Parce qu'on leur fait croire, on fait croire à ces professionnels essentiellement de la fonction publique qu'on va basculer d'un système à l'autre brutalement sans prendre en compte les difficultés que cela pose pour les métiers.
SONIA MABROUK
On leur fait croire ou alors c'est votre manque de crédibilité au gouvernement qui les pousse dans la rue ?
AGNES BUZYN
Tous les politiques ont un manque de crédibilité, Madame MABROUK, vous savez bien que nous nous sommes dans une société qui doute de la parole politique et donc moi, ce que je veux dire aujourd'hui à ceux qui nous écoutent, c'est que quand le gouvernement prend des engagements et aujourd'hui, force est de constater que ce gouvernement a tenu toutes les promesses du président de la République, nous ne sommes revenus sur aucune promesse …
SONIA MABROUK
Oh là là, il ne vaut mieux pas qu'on fasse la liste ce matin !
AGNES BUZYN
Non, non …
SONIA MABROUK
Vous, vous voyez le verre à moitié plein. Bon …
AGNES BUZYN
Non, non, les promesses sont tenues et lorsqu'un gouvernement prend un engagement qu'il n'y ait pas de bascule, l'idée n'est pas de faire mal avec cette réforme. L'idée est d'aller vers une réforme qui sécurise un système de retraite pour les générations futures et surtout qui rende la retraite plus juste parce qu'aujourd'hui, 85% des Français continuent de penser que notre système de retraite est profondément injuste.
SONIA MABROUK
En attendant oui, les arbitrages, en tous les cas Agnès BUZYN, c'est important en cette période de grève pour ceux qui nous écoutent, il faut assurer la continuité des soins dans les hôpitaux, dans les EHPAD, est-ce que les différents services ont pris les devants ?
AGNES BUZYN
Oui alors, nous avons énormément travaillé avec les hôpitaux et les EHPAD pour anticiper évidemment ce mouvement de grève. Donc tout a été mis en œuvre d'abord pour qu'il y ait des assignations de certains personnels en grève si cela posait des difficultés de continuité de service, nous ne pouvons pas prendre le moindre risque avec la vie des gens et donc certains personnels seront assignés, d'autres ne font pas grève.
SONIA MABROUK
Mais pour combien de jours si la grève s'installe dans la durée ?
AGNES BUZYN
Aujourd'hui, du covoiturage est organisé notamment en Ile-de-France où il fonctionne bien. Il y a aussi des lits qui ont été gardés dans des hôtels et dans des hôpitaux pour coucher le personnel soignant qui voudrait rester à l'hôpital pendant un jour ou deux, pour éviter des allers-retours fatigants et donc chaque jour, nous adaptons nos dispositifs pour que la continuité des soins soit assurée.
SONIA MABROUK
Adapter, vous le demandez aussi aux patients s'il y a des interventions non urgentes, est-ce qu'il vaut mieux les repousser et les reporter, non urgentes ?
AGNES BUZYN
Les services l'ont déjà fait, c'est-à-dire quand vraiment, il y avait quelques interventions non urgentes autour de 10%, elles ont pu être reportées d'une semaine et pour le reste, la continuité des soins est parfaitement assurée. J'y veille, il y a une cellule de crise au ministère …
SONIA MABROUK
Parfaitement assurée, ça peut durer plusieurs jours ? Si ça dure plusieurs jours, est-ce que vous aurez ce même message de confiance ?
AGNES BUZYN
J'ai une cellule de crise activée tous les jours au ministère qui me fait remonter dans chaque région les difficultés éventuelles. Pour l'instant, nous n'en avons pas, j'ai visité hier l'hôpital européen Georges Pompidou à Paris et j'ai pu constater moi-même que les soignants s'étaient organisés, ils dormaient chez les uns, chez les autres, des voisins, même des hôpitaux ont proposé des chambres aux soignants, aux infirmières et donc pour l'instant, il y a une forme de solidarité qui s'est installée pour que le service public hospitalier fonctionne parce que c'est vraiment aujourd'hui un pilier de notre protection.
SONIA MABROUK
Bien sûr, justement, solidarité malgré des conditions de travail toujours au cœur des revendications des urgences. Ecoutez Agnès BUZYN cet extrait d'un clip, un clip où le personnel des urgences de l'hôpital de Saint-Nazaire en Loire-Atlantique vous interpelle directement avec ce refrain « balance ta blouse. »
Clip
SONIA MABROUK
Il y a le poids de mots et le choc, si je peux dire non pas des photos mais des images, des personnels qui jettent leur blouse blanche de travail par désespoir, le geste est fort quand même !
AGNES BUZYN
Oui, c'est pour ça que j'ai pris des mesures d'urgence pour l'hôpital public …
SONIA MABROUK
Insuffisantes …
AGNES BUZYN
Elles ont été annoncées.
SONIA MABROUK
…disent-ils.
AGNES BUZYN
Ce dont se plaignent par exemple beaucoup les personnels soignants aujourd'hui, c'est leurs conditions de travail, le matériel avec lequel ils travaillent soit défectueux, soit même absent. J'entends que certaines infirmières vont faire acheter des pansements à l'extérieur des hôpitaux parce qu'elles n'ont plus de pansements, c'est intolérable et c'est lié, c'est une résultante …
SONIA MABROUK
Pardon, vous entendez, vous le saviez, Madame BUZYN !
AGNES BUZYN
Oui mais c'est pour ça que j'ai pris des mesures particulières, c'est la résultante de baisse, de ce qu'on appelle les tarifs, c'est-à-dire la baisse des budgets des hôpitaux pendant dix ans d'affilée qui fait que les hôpitaux ont cessé d'investir, ils ont cessé d'acheter du matériel. La première annonce que j'ai faite la semaine dernière avec le Premier ministre, c'est de débloquer 150 millions d'euros chaque année pendant trois ans uniquement pour remplacer le matériel défectueux, acheter des brancards, acheter des… acheter des appareils …
SONIA MABROUK
Il y a 150 millions, il y a votre plan d'urgence de 300 millions mais il n'a pas convaincu et je vais préciser, de la CGT jusqu'aux professeurs de médecine qui estiment, écoutez bien, 4 milliards, qu'il faudrait 4 milliards pour un service public digne de ce nom.
AGNES BUZYN
Alors …
SONIA MABROUK
Il y a un gap assez saisissant !
AGNES BUZYN
Aujourd'hui, ce que nous avons fait, c'est quelque part encore plus puissant puisque nous avons annoncé un plan de 1,5 milliard pour l'hôpital public dans les trois ans qui viennent pour redonner des marges de manœuvre, du budget pour investir et pour revaloriser par des primes certains professionnels qui sont sous tension – et objectivement ils le sont –, il faut les aider et puis, nous annonçons surtout la reprise de la dette. Aujourd'hui, ce qui tue les hôpitaux publics …
SONIA MABROUK
Reprise de la dette, je vais préciser que ce sont des modalités, on peut parler de ces modalités parce que c'est des modalités contractuelles avec les hôpitaux, Agnès BUZYN. Rien n'est gratuit dans cette reprise !
AGNES BUZYN
Non !
SONIA MABROUK
Bah, c'est la vérité !
AGNES BUZYN
Aujourd'hui, ce qui est absolument assuré, c'est qu'un tiers de la dette des hôpitaux, c'est-à-dire 10 milliards d'euros, va être reprise par l'Etat dans les trois ans qui viennent, 10 milliards, c'est-à-dire 3 milliards par an, c'est quasiment dégager 900 millions d'euros tous les ans pour que les hôpitaux aient de la trésorerie et puissent réinvestir, puissent développer de nouvelles activités, puissent recruter du personnel, puissent ouvrir des lits, s'ils en ont besoin, c'était ça que demandaient les soignants. Aujourd'hui, cet argent le permet ; il est sur la table et quand on va dans les hôpitaux, quand on regarde le poids de la dette, on se rend compte qu'ils ne peuvent plus s'en sortir et donc c'est une mesure très importante. Et aujourd'hui, j'annonce en plus quelque chose qui était un engagement que j'avais pris il y a un mois qui était le dégel de ce qu'on appelle la mise en réserve, ce qu'on réserve chaque année au cas où le système de santé dépasserait son budget et j'annonce aujourd'hui, comme je l'avais promis, le dégel total des 415 millions d'euros pour les hôpitaux publics qui sera alloué cette semaine aux hôpitaux.
SONIA MABROUK
Dégel des crédits en réserve que vous débloquez, c'est un dû que vous débloquez, disent certains mais vous en faites l'annonce ce matin sur Europe 1 !
AGNES BUZYN
Ils ont raison, ils ont raison, c'est peut-être un dû mais ça n'était jamais fait avant que j'arrive au gouvernement, le dégel total n'était jamais la règle avant que j'arrive au gouvernement.
SONIA MABROUK
Mais vous reconnaissez que c'est un dû.
AGNES BUZYN
Mais ça fait trois ans que j'assure ce dégel complet alors que malheureusement, avant que je n'arrive, ce dégel n'était jamais complet.
SONIA MABROUK
Merci Agnès BUZYN, merci avoir été notre invitée ce matin et on n'oublie pas un numéro, vous le rappelez également, le 3637, le Téléthon dès ce soir pour la recherche et l'accompagnement des malades. C'est très important. Merci à vous.
AGNES BUZYN
Merci Madame MABROUK.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 décembre 2019