Texte intégral
ALBA VENTURA
Bonjour Jean-Yves LE DRIAN.
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
ALBA VENTURA
Je le disais, vous êtes sur tous les fronts, et d'ailleurs vous serez cet après-midi à Bruxelles pour une réunion Iran-Irak après les tensions avec les Etats-Unis. Jean-Yves LE DRIAN, depuis hier soir tout porte à croire qu'un tir de missile iranien serait à l'origine du crash du BOEING 737 près de Téhéran, survenu mercredi matin, qui a fait 176 morts. Donald TRUMP a exprimé ses doutes hier, puis le canadien Justin TRUDEAU, selon lequel il s'agirait bien d'un tir iranien. Ce sont ces informations que vous avez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
D'abord il faut saluer le drame, saluer aussi les victimes, saluer avec émotions les familles de ces 176 passagers.
ALBA VENTURA
D'origine iranienne et canadienne.
JEAN-YVES LE DRIAN
Faire part de nos condoléances aux autorités des différents pays concernés, c'est d'abord une première chose à établir. Ensuite, concernant les origines de ce crash, le Premier ministre canadien a fait savoir au président MACRON, hier soir, qu'il avait des éléments laissant à penser que cela pourrait être d'origine non-accidentelle, de tir de missile éventuel…
ALBA VENTURA
Non intentionnelle, c'est-à-dire, c'est ça ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est à vérifier, et donc notre position, et celle qu'a indiquée le président de la République, c'est de faire en sorte que toute la vérité soit faite. Il faut, avant les spéculations, établir la vérité dans les conditions de transparence les plus totales, solliciter les autorités iraniennes pour qu'elles le fassent, je constate qu'elles ont déjà fait savoir qu'elles voulaient solliciter les industriels concernés, la France est disponible pour contribuer à l'expertise nécessaire. Avant de prendre position il faut une clarté totale sur ce qui s'est passé, et pour ça il y a des enquêtes internationales qui doivent être mises en oeuvre.
ALBA VENTURA
Quand vous dites la France est disponible, c'est-à-dire que nous pourrions, nous Français, analyser les boîtes noires ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Si nous sommes sollicités, nous pourrons apporter notre expertise.
ALBA VENTURA
On a un des Bureau enquête accident les plus expert, je dirais, meilleur au monde.
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour l'instant nous ne sommes pas sollicités, donc si nous sommes sollicités nous sommes disponibles, il faut que, à ce moment-là, les autorités iraniennes fassent le nécessaire, mais il importe que sur ce sujet-là plus grande clarté soit faite et le plus rapidement possible.
ALBA VENTURA
Jean-Yves LE DRIAN, quelles peuvent être les conséquences de ce tir ? On est dans une situation très instable.
JEAN-YVES LE DRIAN
Au-delà de cet événement nous venons de vivre, il y a maintenant quelques jours, une situation de crise extrêmement grave, en Iran et en Irak, et même si aujourd'hui nous sommes dans une phase, je ne dirais pas de désescalade, je dirais d'arrêt de l'escalade, c'est différent, il reste que la situation est extrêmement préoccupante, extrêmement grave, parce qu'il peut y avoir…
ALBA VENTURA
Est-ce qu'on a frôlé la guerre ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On a frôlé une conflictualité beaucoup plus forte à plusieurs moments, mais tout cela est lié à une situation qui remonte à loin, qui fait que l'accord de Vienne sur la prolifération nucléaire est remis en cause, qui fait que le pouvoir iranien ne cesse ses opérations de déstabilisation de la région, qui fait que la situation interne en Irak est extrêmement fragile, tout cela nécessite une grande vigilance, et puis ce qui fait aussi que le combat contre Daesh, que nous menons, à partir de l'Irak, en particulier, depuis maintenant plusieurs années, n'est pas achevé et qui peut être remis en cause par une situation conflictuelle et la gravité des éléments que nous constatons aujourd'hui. Donc il importe maintenant de rester extrêmement vigilant, extrêmement calme, face à la situation, bien identifier nos priorités, et les tenir. Notre principale priorité, notre priorité, la priorité de la France dans cette affaire, c'est la poursuite du combat contre Daesh.
ALBA VENTURA
J'ai compris, on va y revenir. Qui cherche qui ? Vous avez l'air de dire que l'Iran a à plusieurs reprises tenté de, pas d'agresser, mais en tout cas de chercher le conflit, les Etats-Unis répliquent, qui cherche qui ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a eu, depuis maintenant plusieurs mois, des opérations de déstabilisation de la part de l'Iran sur l'ensemble de la région, par des tirs de roquettes, par des interventions en Arabie Saoudite…
ALBA VENTURA
L'Iran est responsable ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et l'accumulation de ces actions a provoqué une réaction américaine extrêmement forte. Tout cela est lié à une situation antérieure, la déstabilisation de la région initiée par l'Iran. Mais, nous avions proposé, depuis déjà maintenant 2 ans, une initiative politique, faite par le président de la République, à l'assemblée générale des Nations-Unies, pour que, d'un côté on maintienne bien les accords de Vienne qui empêchent l'Iran d'accéder à l'arme nucléaire, et on peut imaginer ce que serait la situation aujourd'hui si l'Iran était dotée de l'arme nucléaire, donc il faut empêcher cette situation, il y avait cela, et puis il y avait, par ailleurs, la nécessité d'ouvrir une négociation pour faire en sorte que l'Iran renonce à ses opérations de déstabilisation sur l'ensemble de la région. Aujourd'hui tout ça est au point mort, malheureusement.
ALBA VENTURA
Jean-Yves LE DRIAN, cet accord sur le nucléaire, il est mort.
JEAN-YVES LE DRIAN
Non. Nous sommes très soucieux de le maintenir, parce que si nous voulons éviter que l'Iran n'accède à l'arme nucléaire il faut poursuivre la mise en oeuvre de l'accord de Vienne. Aujourd'hui…
ALBA VENTURA
Les Etats-Unis en sont sortis, l'Iran dit que compte tenu de ce qui s'est passé, les engagements ne seront pas tenus. Qu'est-ce qui tient encore cet accord ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Quel est l'objectif ? L'objectif c'est d'empêcher que l'Iran n'accède à l'arme nucléaire. Quel est le moyen ? Le moyen c'est l'accord de Vienne, à condition qu'il soit en permanence vérifié par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, ce qui est le cas à l'heure où je parle. Les Etats-Unis, qui étaient signataires, ont décidé de s'en retirer, c'est une mauvaise décision, parce que, s'en retirant ils ouvrent la voie à la possibilité pour l'Iran d'accéder à l'arme nucléaire. Nous, nous voulons rester dans cet accord, parce que c'est un accord de sécurité pour tout le monde. Il n'est pas suffisant…
ALBA VENTURA
Ils peuvent avoir l'arme nucléaire…
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais il est essentiel.
ALBA VENTURA
Les Iraniens ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et, la réponse à une mauvaise décision américaine, de la part des Iraniens, a été une série de mauvaises réactions, qui aboutissent aujourd'hui au fait que cet accord est en train progressivement de perdre de sa substance. Il ne faut pas accepter cela, il faut que…
ALBA VENTURA
Ils peuvent avoir l'arme nucléaire, les Iraniens ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Aujourd'hui ils ne sont pas en situation de l'avoir, mais s'ils poursuivent le détricotage de l'accord de Vienne, alors oui, dans un délai assez proche, entre 1 an et 2 ans ils pourraient accéder à l'arme nucléaire, ce qui n'est pas envisageable, et la bonne méthode pour éviter cela, c'est la diplomatie, c'est la négociation et le respect des accords, c'est la position de la France, c'est ce que je dirai de nouveau cet après-midi à la réunion de Bruxelles.
ALBA VENTURA
Dans tout ce chaos, vous le disiez, vous l'évoquiez Monsieur LE DRIAN, la crainte c'est de réactiver de Daesh. Vous avez toujours dit Daesh n'est pas mort, les cellules dormantes peuvent se réveiller à tout moment, est-ce qu'on y est ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On n'y est pas encore, mais le fait que cette crise récente, qui n'est pas encore achevée, parce qu'il peut y avoir une perte de contrôle de tel ou tel partenaire dans les jours qui viennent, cette crise récente permet aux éléments de Daesh de relever la tête, en particulier en Irak. Ce pays est en train de se reconstruire, ce pays a besoin d'une stabilité, ce pays a besoin de son intégrité territoriale, ce pays a besoin de faire en sorte que ses différentes communautés se retrouvent dans un processus politique, or ce qui vient de se passer peut entraîner une dislocation de l'Irak, et alors Daesh, qui est aujourd'hui composé de forces dormantes, pourrait se réveiller. Il y a eu des tels attentats, il y a encore quelques jours à Kirkouk, qui montrent que les cellules dormantes et la clandestinité de Daesh peuvent être au rendez-vous demain, et que la résurgence est possible, c'est un combat que nous devons continuer à mener dans le cadre de la coalition.
ALBA VENTURA
Une question Jean-Yves LE DRIAN. Deux de nos chercheurs sont détenus en Iran depuis le mois de juin, Fariba ADELKHAH et Roland MARCHAL, que peut-on faire pour les libérer ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ces arrestations et le fait qu'ils soient aujourd'hui en prison c'est parfaitement inacceptable, nous demandons, le président de la République l'a fait savoir au président ROHANI à plusieurs reprises, à ce qu'ils soient libérés, parce que cet emprisonnement est parfaitement arbitraire, et il nuit beaucoup aux relations entre la France et l'Iran, ce serait un geste significatif que l'Iran les libère le plus vite possible.
ALBA VENTURA
Jean-Yves LE DRIAN, il y a un autre point crucial dans la région c'est la Libye, où le président Turc a déployé des troupes. Vous rentrez d'Egypte, de Tunisie. Où est-ce qu'on en est, est-ce que ça peut dégénérer ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a des risques, parce que la Libye vit, depuis maintenant plusieurs mois, dans une atmosphère de conflictualité, avec des affrontements entre milices, des affrontements politiques, le fait que maintenant des puissances étrangères viennent s'expliquer sur le territoire libyen, se confronter sur le territoire libyen, confronter leurs propres rivalités alors que…
ALBA VENTURA
Donc les Turcs…
JEAN-YVES LE DRIAN
Alors que le sujet c'est bien de faire en sorte que la Libye trouve de la sérénité. Les Européens sont à la manoeuvre, parce que…
ALBA VENTURA
Oui, mais en même temps ERDOGAN, le président Turc, fait un peu ce qu'il veut.
JEAN-YVES LE DRIAN
Parce que, nous l'avons condamné très fermement, parce que c'est une rupture des orientations des Nations-Unies, des délibérations des Nations-Unies, qui visent à ce que l'embargo soit respecté en Libye, et ce n'est pas la solution d'une pacification. Nous avons pris…
ALBA VENTURA
Comment on arrête ERDOGAN ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous avons pris l'initiative, avec nos amis Allemands, de provoquer une conférence à Berlin dans quelques jours, avec l'ensemble de la communauté internationale, sur des principes qui sont extrêmement simples : il n'y aura pas, en Libye, de victoire militaire. La seule solution c'est…
ALBA VENTURA
Ça c'est un avertissement que vous lancez au président Turc ERDOGAN ?
JEAN-YVES LE DRIAN
A tout le monde, pas uniquement à lui. Il n'y a pas de victoire militaire possible en Libye pour assurer la sérénité de ce pays. Deuxièmement, on aura de solution que si il y a vraiment, en Libye, un processus politique, ce à quoi nous nous employons, et je pense que la conférence de Berlin permettra d'en tracer les principales voies. Et puis troisièmement, il importe que la solution politique se fasse à l'abri d'ambitions de puissances étrangères, dans le respect du peuple libyen, et aussi pour assurer la sérénité et la stabilité des pays voisins, qui sont eux-mêmes en fragilité, vous faisiez état de mon déplacement en Tunisie, c'est un sujet que j'ai beaucoup abordé hier avec le nouveau président tunisien.
ALBA VENTURA
Monsieur le ministre, quand on voit ERDOGAN, il fait ce qu'il veut, TRUMP il fait ce qu'il veut, on se demande si on n'existe encore diplomatiquement.
JEAN-YVES LE DRIAN
Eh bien nous le faisons, l'action politique, le pire ce sera de renoncer, le pire ce serait de rester à regarder les trains, nous sommes à l'action, les uns et les autres, les Européens en particulier, dont on a tendance parfois à discréditer l'action, il se trouve que, certainement, l'action diplomatique qui a été menée, et par le président de la République, et par d'autres, depuis quelques jours, pour amener les Iraniens et les Américains a une posture moins dangereuse, a permis le fait que nous constatons aujourd'hui un arrêt de l'escalade.
ALBA VENTURA
Jean-Yves LE DRIAN, autre champ de bataille c'est bien sûr le Sahel, vous serez à Pau lundi aux côtés du président pour le sommet du G5 des pays du Sahel, Mali, Niger, Burkina, Mauritanie, Tchad, là aussi il s'agit de lutter contre le terrorisme, mais cette guerre c'est un bourbier, on ne s'en sortira jamais.
JEAN-YVES LE DRIAN
Cette guerre a changé de posture, c'est une nouvelle donne. Lorsqu'on se rappelle de ce qui s'est passé au départ, le Mali était… allait pouvoir être victime d'opérations menées par les groupes djihadistes, faisant en sorte qu'il y ait un nouveau califat qui s'établisse dans ce pays, et on aurait au Mali un peu la même chose que ce que nous avons eu en Irak et en Syrie avec Daesh, l'intervention de la France a permis d'éviter cette évolution-là. Mais, la donne a changé, de plusieurs manières. D'abord parce que l'intervention des groupes djihadistes s'était étendue dans l'espace, il n'y a pas uniquement le Mali maintenant, il y a le Niger, il vient d'y avoir des morts hier dans ce pays, le Burkina Faso, le lien potentiel avec ce qui se passe autour…
ALBA VENTURA
On va s'en sortir ou pas, oui ou non ?
JEAN-YVES LE DRIAN
La réunion de Pau est faite pour se remobiliser et pour s'adapter à la nouvelle donne, et le fait que tout le monde soit là, à la fois les cinq pays du Sahel, mais aussi l'Union européenne, l'Union africaine, les Nations-Unies, permettra, je pense, d'avoir une nouvelle mobilisation pour enrayer ce drame, qui est à la porte de l'Europe, puisque le Sahel est aujourd'hui la frontière Sud de l'Europe.
ALBA VENTURA
Merci Monsieur le ministre.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 janvier 2020