Interview de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, à Europe 1 le 10 janvier 2020, sur la réforme des retraites et le Brexit.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Invitée en ce jour de réunion entre le Premier ministre et des syndicats sur la réforme des retraites, merci d'être avec nous sur Europe 1, Amélie de MONTCHALIN. Je voudrais d'abord avoir votre avis si vous participez à une réunion de négociation et que l'on vous dit "allez-y, discutez, proposez mais à la fin, nous, on a la bonne solution", comment réagiriez-vous ?

AMELIE DE MONCHALIN
Ce n'est pas ce qu'on dit vraiment, on a toujours dit depuis maintenant plus d'un mois, qu'il y a des choses négociables et il y a les choses non négociables. Sur quoi on ne veut pas négocier ? Sur trois choses, sur l'idée d'abord que les Français n'auront désormais dans le futur plus qu'une seule caisse de retraite, une seule caisse pour tout le monde, c'est-à-dire que toutes les cotisations vont au même endroit et que toutes les retraites sont payées depuis cette seule caisse, ce qu'on appelle l'universalité.

SONIA MABROUK
Oui, variable, à géométrie variable, votre universalité !

AMELIE DE MONCHALIN
Non, une seule caisse, Sonia MABROUK !

SONIA MABROUK
Oui mais plusieurs régimes particuliers, vous le reconnaissez ?

AMELIE DE MONCHALIN
Une seule caisse. Aujourd'hui, le problème, c'est quoi ? C'est que les Français ne sont pas tous solidaires les uns des autres vis-à-vis de la retraite. C'est pour ça que les agriculteurs, ils ont leur caisse.

SONIA MABROUK
Une seule caisse et des régimes particuliers !

AMELIE DE MONCHALIN
Mais ils n'arrivent pas à financer des retraites dignes parce que leur système d'agriculteurs n'est pas soutenable. Inversement, il y a des gens qui ont des très bonnes retraites et donc une seule caisse, c'est important, ça veut dire que dans le futur, tous les Français, toutes les Françaises sont solidaires les uns des autres, ceux qui vont bien et ceux qui peut-être vont moins bien ; ça, c'est non négociable. L'autre chose non négociable, c'est que nous devons absolument corriger les injustices contre les femmes, contre les agriculteurs, les commerçants. Il y a beaucoup de professions aujourd'hui …

SONIA MABROUK
Parlons de la justice. C'est important. Le ministre des Comptes publics Gérald DARMANIN dans Le Figaro dit, Amélie de MONTCHALIN, que l'âge pivot est une mesure efficace et il ajoute que c'est une mesure de justice. Donnez-moi un exemple pour montrer que cet âge pivot est une mesure de justice sociale !

AMELIE DE MONCHALIN
Aujourd'hui, vous avez des centaines de milliers de Français qui doivent attendre jusqu'à 67 ans pour partir avec une retraite sans décote ; on pensait que le mettre à 64 ans, c'était une idée qui nous semblait positive mais j'en reviens, qu'est-ce qui n'est pas non plus négociable ? C'est l'équilibre du système financier. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas, dans ce pays, continuer à faire des réformes et dire "c'est magnifique" et la facture, on l'envoie à nos enfants et nos petits-enfants.

SONIA MABROUK
J'ai compris, je veux rester sur la justice sociale. Vous m'avez donné un exemple, je vous prends un contre-exemple et je voudrais avoir votre avis, sur justement l'âge pivot et la justice sociale. On va parler des chômeurs, on en parle peu. Un chômeur en fin de droits qui n'a pas tous ses trimestres mais qui est obligé de prendre sa retraite à 62 ans pour disposer d'un revenu plus digne que les minima sociaux, il va être doublement pénalisé avec une décote et un malus !

AMELIE DE MONCHALIN
Mais Sonia MABROUK, reprenons. Il y a des choses non négociables, une seule caisse pour les Français, corriger les injustices et nous assurer surtout que quand on présente une loi …

SONIA MABROUK
…de la justice mais je vous en ai présenté une là !

AMELIE DE MONCHALIN
Non mais attendez et ensuite que, quand on présente une loi, on n'envoie pas la facture à nos enfants et nos petits-enfants parce que c'est trop beau de faire des réformes et d'assurer, vous savez, "l'intendance suivra". En revanche, les choses qui sont négociables, ce qui est négociable, c'est le rythme d'entrée dans le système, c'est que certaines professions sont plus pénibles que d'autres, pas les statuts, pas les entreprises, les professions et que pour ça, il faut qu'on puisse ajuster et ce qui est négociable également, ce sont les moyens d'arriver à l'équilibre financier. Il y a une proposition du gouvernement depuis le début moi, je le dis depuis un mois et je pense qu'on le dit tous depuis un mois, si les partenaires sociaux ont une idée sur laquelle …

SONIA MABROUK
Ça s'appelle la patate chaude, allez, on la refile !

AMELIE DE MONCHALIN
Mais non !

SONIA MABROUK
Trouvez l'idée mais nous, on a la bonne solution, Amélie de MONTCHALIN, franchement, ça devient kafkaïen pour les Français qui nous écoutent, cinq semaines de grève, des violences hier comme à Paris !

AMELIE DE MONCHALIN
J'essaie de rendre les choses claires : nous avons mis sur la table une proposition, les choix, vous savez quand on fait de la politique, si c'était simple, si c'était facile et si c'était évident ça ferait longtemps qu'ils ont déjà été mis sur la table. Et ce n'est pas le cas !

SONIA MABROUK
Mais vous avez un devoir de clarté !

AMELIE DE MONCHALIN
Et donc la clarté que j'ai avec vous ce matin, c'est la chose, une seule caisse, on corrige les injustices notamment vis-à-vis des agriculteurs, des femmes, des commerçants, des professions qui aujourd'hui n'ont pas des retraites dignes et surtout quand on vote la loi, on a trouvé la solution pour que ce soit équilibré financièrement parce que depuis trop longtemps, ce sont des réformes qui ont été faites sur le dos des générations futures, c'est l'irresponsabilité de faire ça !

SONIA MABROUK
Vous avez parlé du temps, vous avez dit "trop longtemps", cela fait des années que l'Union européenne attend, dit-on, que la France réforme en profondeur son système des retraites. Vous êtes en charge des Affaires européennes. Cette réforme, elle est soutenue par l'Union européenne, par Bruxelles ?

AMELIE DE MONCHALIN
Non, alors …

SONIA MABROUK
Non ?

AMELIE DE MONCHALIN
On fait cette réforme pour les Français.

SONIA MABROUK
Mais ma question n'est pas celle-là : est-ce qu'elle est soutenue par Bruxelles ?

AMELIE DE MONCHALIN
Il n'y a nulle part écrit que nous avons …

SONIA MABROUK
Je ne parle pas d'écrit, est-ce qu'on vous dit vous qui êtes en charge des Affaires européennes "bravo il faut que par exemple vous continuez", non ?

AMELIE DE MONCHALIN
On ne me dit pas ça.

SONIA MABROUK
Aucune consigne, aucun avis ?

AMELIE DE MONCHALIN
Il n'y a aucune injonction, il n'y a aucune consigne, il n'y a pas de chantage, il n'y a pas de deal. En revanche, ce qui est clair, c'est que les injustices dont je vous parle, le fait qu'on a un système morcelé, le fait qu'il y a des professions qui aujourd'hui cotisent et ne voient pas le résultat, ça, c'est des choses qui sont pointées du doigt comme étant des injustices qu'il faut que nous corrigions.

SONIA MABROUK
Mais ce n'est pas tabou de dire que Bruxelles accepte et encourage cette réforme des retraites en France ?!

AMELIE DE MONCHALIN
Mais l'Union européenne n'a aucune compétence sur le sujet des retraites, c'est un sujet national !

SONIA MABROUK
Amélie de MONTCHALIN il y a quelques semaines, j'ai posé la question à Thierry BRETON, commissaire européen en charge notamment, enfin "en charge", il a un portefeuille très large, il me dit "c'est une bonne chose, on l'encourage" !

AMELIE DE MONCHALIN
Non mais il peut …que des personnes qui siègent dans les institutions …

SONIA MABROUK
Oh là là, il faut faire attention quand on parle de Bruxelles !

AMELIE DE MONCHALIN
Mais non mais pas du tout ! Mais écoutez, je n'ai aucun problème avec ça, que des personnes qui sont les institutions européennes regardent les défis français et aient un avis, c'est une chose mais je tiens à dire et je le dis très solennellement : le sujet des retraites n'est pas un sujet européen ; c'est un sujet de souveraineté nationale. Ensuite, il y a des injustices …

SONIA MABROUK
Si je vous dis qu'on a du mal à y croire, si je vous dis que quand même Bruxelles n'a pas d'injonctions mais un droit de regard plus large …

AMELIE DE MONCHALIN
Bien sûr, mais bien sûr !

SONIA MABROUK
La France fait partie de l'Europe !

AMELIE DE MONCHALIN
Mais ce que je vous dis, c'est que le président de la République, il ne fait pas cette réforme pour quelqu'un d'autre ; il fait cette réforme pour les Français ; il fait cette réforme parce que pour ma génération, pour les trentenaires, pour les jeunes d'aujourd'hui, il y a une certitude, c'est que si ça continue comme ça, d'abord, le trou des retraites va continuer à grandir. Vous savez moi depuis que je suis née, j'entends parler de trou dans les systèmes des retraites et tous les cinq ans, on nous fait des réformes, on dit "ça va être la dernière " et puis, ce n'est jamais la dernière !

SONIA MABROUK
Et vous croyez que quand vous prendrez votre retraite, vous n'allez plus en entendre parler !

AMELIE DE MONCHALIN
Ce que je sais, c'est que tout ce qu'on fait aujourd'hui, c'est d'assurer un équilibre, une justice et une universalité parce que les métiers que nous aurons, ce n'est plus les carrières linéaires où on commence dans la même entrepris, on finit …On aura, vous savez, plusieurs métiers, plusieurs vies et quand on a ces métiers et ces vies, aujourd'hui, le système des retraites n'est pas cohérent avec ça. Donc la clarté que j'ai avec vous ce matin, c'est : il y a des choses non négociables, j'en ai parlé, il y a des choses négociables et quand on fait les réunions d'aujourd'hui, les réunions à venir ….

SONIA MABROUK
C'est à suivre voilà, les réunions vont se tenir dans quelques minutes à Matignon.

AMELIE DE MONCHALIN
Je pense que c'est important de dire aux Français qu'on ne … il faut de la responsabilité. Vous savez la CGT …

SONIA MABROUK
Et de la clarté, je le répète !

AMELIE DE MONCHALIN
… la CGT, Philippe MARTINEZ qui nous dit « il ne faut rien faire » et puis, ceux d'après suivront.

SONIA MABROUK
A ce micro hier, il n'a pas dit cela. Il a dit : moi, j'ai des propositions et chaque fois que je les présente, elles sont refusées. C'est " non, non, non", vous serez, vous êtes, selon lui, "le gouvernement du non" !

AMELIE DE MONCHALIN
Je serais ravie de savoir ce qu'elles sont et je serais ravie de savoir comment …

SONIA MABROUK
Depuis deux ans, on les connaît quand même les propositions des syndicats ?!

AMELIE DE MONCHALIN
De la CGT oui, enfin la CGT en ce moment nous offre surtout un discours qui consiste à dire "on verra plus tard, c'est le meilleur système du monde, ne changeons rien ou changeons à la marge et on vivra bien", c'est irresponsable, c'est irresponsable ! On a, nous politiques, le devoir d'assurer les choses pour les générations futures et pour ceux qui aujourd'hui cotisent et ne voient pas les résultats.

SONIA MABROUK
Parlons du futur, Amélie de MONTCHALIN et prenons la direction de la Grande-Bretagne, les députés britanniques ont approuvé l'accord sur le Brexit après trois ans et demi d'un feuilleton riche en querelles et rebondissements, ça y est, on voit le bout du tunnel ?

AMELIE DE MONCHALIN
Alors, on voit aujourd'hui que les choses s'organisent pour que le Royaume-Uni quitte politiquement les instances de l'Union européenne, c'est-à-dire qu'il n'y aura plus de député européen britannique, ça veut dire qu'il n'y aura plus de commissaire européen britannique, ça c'est la partie politique et ça devrait se passer le 31 janvier puisque le Parlement européen pourra lui-même ratifier le 29. Maintenant, on rentre dans une seconde phase …

SONIA MABROUK
Mais qu'est-ce qu'elle est sensible, celle-ci ! C'est la phase économique, financière !

AMELIE DE MONCHALIN
C'est la phase des garanties qu'on doit donner à nos citoyens, à nos entreprises sur le fait qu'on va continuer à avoir une relation avec les Britanniques, ils sont à nos portes, les îles britanniques ne vont pas déménager !

SONIA MABROUK
Et justement pour ne pas avoir à nos portes un paradis fiscal !

AMELIE DE MONCHALIN
Mais on ne veut ni d'un paradis fiscal ni de dumping environnemental.

SONIA MABROUK
Et, alors, vous avez des garanties ?

AMELIE DE MONCHALIN
Et donc ces garanties, c'est le but des négociations qui vont commencer et moi, je peux vous dire quelque chose, c'est qu'on ne sacrifiera pas la qualité de l'accord, la responsabilité, la loyauté, l'équilibre, la réciprocité sous peine d'avoir un accord vite !

SONIA MABROUK
Boris JOHNSON tremble !

AMELIE DE MONCHALIN
Ce qu'ils disent, c'est que …

SONIA MABROUK
Pardonnez-moi mais il va faire ce qu'il veut une fois que le pays aura quitté l'Union, impôts, droits de douane, il sera libre de ses choix !

AMELIE DE MONCHALIN
Il sera libre de ses choix et puis, nous, on sera libre de savoir ce qu'on acceptera sur notre marché. Donc on ne fera pas rentrer …

SONIA MABROUK
Donc encore un bras de fer mais important aussi !

AMELIE DE MONCHALIN
Mais c'est un bras de fer majeur parce que ce sont à la fois des partenaires, ce sont des partenaires commerciaux, ce sont des partenaires de sécurité et de défense mais il faut que nos citoyens, nos entreprises aient les garanties. On ne peut pas avoir du libre-échange avec des gens …Prenons par exemple les sujets climatiques, l'Union européenne vient de dire "on veut la neutralité climatique en 2050", ça va nous donner beaucoup de normes, beaucoup de contraintes, on va faire des choses qui peut-être vont être plus coûteuses mais parce que c'est un choix politique. Qu'est-ce que le Royaume-Uni veut faire sur le sujet ? Comment lui-même s'impose des règles et des normes parce que nos agriculteurs, nos industriels, nos PME ne veulent pas et on les comprend …

SONIA MABROUK
C'est clair …

AMELIE DE MONCHALIN
… et on va les protéger !

SONIA MABROUK
Vous ne voulez pas d'un paradis fiscal alors que beaucoup présentent le Brexit comme un enfer !

AMELIE DE MONCHALIN
Ce n'est pas qu'un sujet fiscal, c'est un sujet environnemental, c'est un sujet industriel, c'est un sujet de sécurité …

SONIA MABROUK
Et politique, Amélie de MONCHALIN !

AMELIE DE MONCHALIN
…et politique et donc on a une négociation et je peux vous dire que si Boris JOHNSON nous dit "il faut que ça se termine dans 11 mois" et que nous il nous en faut 15, 24 ou 36 et d'ici là ce qui est important, c'est que les normes européennes s'appliquent des deux côtés de la Manche.

SONIA MABROUK
Bras de fer à suivre. Merci d'avoir été notre invitée ce matin sur Europe 1.

AMELIE DE MONCHALIN
Merci


source : Service d'information du Gouvernement, le 14 janvier 2020