Débat avec M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire chargé des retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé, sur la gestion des actifs et des retraités dans la cadre de la réforme des retraites, le 26 septembre 2019

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  • Jean-Paul Delevoye - Haut-commissaire chargé des retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Texte intégral

Daniel AUSER, Assureur
Je m'interroge sur la gestion des actifs représentés par ces cotisations dans un régime universel. A ce jour, les régimes des différentes professions, pour leur volet de la retraite supplémentaire obligatoire, sont gérés en respectant plusieurs impératifs. Une des règles d'or est la diversification. Qu'en sera-t-il demain ?

Laurent RIGAUD, Président de l'U2P des Hauts de France
Je tiens à remercier le Président et les Vice-Présidents pour le travail conduit au niveau national. Il est important de remonter les inquiétudes des territoires. Depuis des années, on travaille plus pour gagner moins. L'inquiétude maintenant sur le terrain est de savoir si nous allons payer plus pour avoir moins.

Monsieur DUJARDIN
J'ai été agent d'assurance durant 42 ans. La profession connaît un déséquilibre structurel puisque l'on compte 12 000 actifs et 28 000 retraités. Malgré cela, nous avons réussi à avoir des réserves qui dépassent le milliard d'euros. Cela a été rendu possible par des cotisations plus importantes ; quand on payait 149 euros de cotisations, 100 euros partaient pour la retraite et 49 pour l'équilibre du régime. Nous avons donc fait de gros efforts pour obtenir ces réserves. Allons-nous conserver ces réserves ? Ou seront-elles utilisées pour des régimes moins vertueux que le nôtre ?

Serge THIVENIN, Président de la Fédération des retraités de l'artisanat et du commerce de proximité
Avant de rencontrer Jean-Paul DELEVOYE dans quelques jours, je voudrais évoquer deux points. Le nouveau système de retraite a été évoqué à partir de la génération 1963. Reste à considérer la situation des retraités actuels. A ce jour, l'inflation est telle que depuis 2014, les retraités touchent une misère. Cela ne pourra pas continuer éternellement. Je suis très heureux d'avoir lu dans le rapport du Haut-commissaire la mention d'une prochaine revalorisation des retraites sur les salaires.
Par ailleurs, le rapport dans sa partie finale présente différents exemples, pour des personnes partant en retraite à 62, 64 et 66 ans. Sur les deux premières tranches d'âge, quand on fait la comparaison avec les retraites actuelles, il apparaît que les retraités futurs (à partir de 1963) sont pénalisés. Cela devient plus intéressant à partir d'un départ à 66 ans.

Jean-Paul DELEVOYE
Concernant la gestion diversifiée, vous avez raison. Les réserves doivent être lues en brut et en net. L'AGIRC-ARRCO représente par exemple 70 milliards de réserves. Mais les droits garantis correspondent à 60 milliards. La réserve nette est donc de 10 milliards. Si dans le régime universel on embarque les passifs, on doit aussi embarquer les actifs. La véritable question est de savoir si c'est pour financer le budget. Pour éviter cette appréhension, nous avons estimé qu'il fallait mettre les ressources dans un fonds clairement périmétré, sous le regard des acteurs qui les ont constituées et qui sont membres du Conseil d'administration. En tout état de cause, la qualité d'optimisation des ressources est issue de la diversification. Nous sommes donc d'accord pour ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier.

Vous évoquiez ensuite les sur-cotisations. Des cotisations donnent des droits (les 100 euros dans l'exemple que vous citiez) tandis que d'autres (les sur-cotisations) visent à équilibrer le régime. Le fait d'être inclus dans un régime universel qui absorbe de façon globale des déficits démographiques aurait peut-être permis aux assureurs d'éviter ces 49 euros de sur-cotisations dès le 1er euro. Apparaît ici toute la difficulté de la prévision car des retournements démographiques peuvent par exemple fragiliser un dispositif. Les agriculteurs par exemple en 1945 ne voulaient absolument pas rentrer dans un régime universel. Aujourd'hui, 85 % des retraites du monde agricole sont financés par l'impôt.

François FILLON a pu dire que le point était un système que les responsables politiques avaient inventé pour faire baisser les pensions. Je déplore le cynisme de cette affirmation. Mais comment éviter une baisse des pensions ? Quelle garantie apporter ? La solution est simplement d'asseoir la valeur du point sur les salaires. C'est la garantie que le point ne baissera pas, sauf si les salaires baissent. En cas de baisse des salaires, qui serait en toute hypothèse une catastrophe, on peut se demander si le système universel a une résilience plus forte que le système actuel. C'est manifestement le cas.

Vous avez cité la situation des retraités. Nous avons indiqué que si l'indexation de la valeur du point d'achat et de la valeur du point du service au moment où vous liquidez doit être basée sur l'évolution des salaires, il était impossible d'imaginer de faire évoluer les retraites sur les salaires. Pour garantir le pouvoir d'achat, même si l'inflation est faible, nous avons proposé de garantir l'évolution des pensions sur l'inflation. Pour certains, la situation des retraités alimente la croissance. Ne serait-il pas légitime que les retraités profitent aussi de la croissance, avec tous les aléas qui y sont liés ? Le rapport dans ce cadre propose une indexation sur le salaire moyen brut par tête (SMBT) moins 1,3 %. Cela revient à dire que si la croissance est supérieure à 1,3, les retraites augmentent plus vite que l'inflation. Et inversement. Il existe donc une part de risques ; mais à l'heure actuelle, le dispositif dépend de façon trop étroite de la croissance.

Vous avez également mentionné la problématique de l'âge. Que les choses soient claires : l'on rentre plus tard dans le monde du travail, vous partez plus tard à la retraite. Compte tenu du vieillissement de la population, on ne peut imaginer que l'on puisse conserver le même niveau de retraite à âge identique. Ceux qui affirment le contraire doivent soit augmenter les cotisations soit baisser les pensions. Si vous voulons garantir un niveau décent de pension, il va falloir partir plus tard en retraite. Le Conseil d'Orientation des Retraites a d'ailleurs clairement indiqué que l'âge de départ sera de 64 ans en 2025, contre 63,4 ans aujourd'hui.

Nicole RICHARD, coiffeuse
J'ai commencé à travailler à 16 ans et je suis née en mars 1963. Rassurez-moi, Monsieur le Haut-commissaire, pour que je ne reproche pas à mes parents de ne pas m'avoir conçue trois mois plus tôt ! Les personnes nées en 1963 doivent-elles être inquiètes ou rassurées ?

Christian LOMINET
Pour tout régime universel, des questionnements portent sur la valeur du point, sur l'indexation, sur les critères retenus, etc. Vous avez abordé ces points et confirmé que le point serait réévalué (en fonction des salaires moyens pour les actifs, en fonction de l'inflation pour les retraités). Reste la question de la future gouvernance paritaire de ce régime. Qui décidera des ajustements sachant que nous avons déjà connu des désindexations par le passé ?

De la salle (CPSTI)
Ma question porte sur les conjoints collaborateurs. Nous ne pouvons pas faire fi des dispositions du RSI ou de l'Organic. Un conjoint collaborateur peut avoir cotisé, avoir signé des baux commerciaux, avoir signé des liasses fiscales, avoir noué des crédits, etc. Pourquoi les années durant lesquelles il n'a pas cotisé officiellement, ne sont pas prises en compte alors que précédemment elles l'étaient ?

De la salle (U2P Pays de la Loire)
Nous parlions de l'année 1963. Les jeunes qui arrivent en apprentissage pour la plupart ont environ 15 ans. Leur horizon de retraite est maintenant vers 64 ans. Soit 49 ans de cotisations. Cela fait long pour une carrière.

Jonathan ELLA, avocat à Bordeaux
Je suis âgé de 30 ans et je vous rejoins sur un point, nous n'avons pas d'espoir pour la retraite. Nous partons du principe que nous ne la toucherons jamais… Pourquoi voulez-vous réformer les retraites avant de réformer les statuts des métiers ? La réforme est-elle véritablement possible compte tenu de la situation du métier d'avocat par exemple ? Un jeune avocat bordelais qui démarre dispose d'un revenu brut mensuel moyen de 2 200 euros. C'est un brut d'indépendant, pas de salarié. Quand les 40 % de charges sont payés, il reste 1 320 euros par mois. La location d'un 40 m2 à Bordeaux représente une dépense de 720 euros. Il reste donc 600 euros pour les dépenses courantes. Les cotisations vont certainement augmenter. Aurons-nous les moyens de nous en sortir ? Nous voulons manger grâce aux fruits de notre travail, pas grâce à de l'assistanat. Vous avez fait beaucoup pour les jeunes notaires et pour les jeunes huissiers. Faites pareil pour les jeunes avocats et réformez le métier comme le statut du collaborateur libéral (y compris pour le droit au chômage).

Jean-Paul DELEVOYE
Réfléchir à la mise en place d'un système universel de retraite prend intrinsèquement en compte les jeunes d'une part, le travail d'autre part. Les théories économiques contemporaines suscitent de nombreuses questions et la situation dans de nombreux pays, avec notamment la stagnation des salaires, ne semble pas très durable. Lorsque 1 % des personnes possèdent 50 % de la richesse mondiale, la durabilité est insoutenable.

Quand on examine les situations, profession par profession, on voit que des métiers se précarisent. Cette précarisation, pour les avocats par exemple, est une souffrance double car les avocats ont fait de longues études et projettent dans la société une image de profession bourgeoise. Les plaidoiries sont encore associées à un fort imaginaire. Mais concrètement, le revenu moyen des avocats est de 40 000 euros par an. Le métier s'est féminisé et le revenu moyen annuel des avocates est de 20 000 euros par an. Un tiers des avocats du Barreau de Paris se situe en dessous du SMIC. Dans des Barreaux de province, nombre d'avocats vivent de la seule aide juridictionnelle. Le véritable défi de cette profession est donc de savoir comment vivre dignement du métier. Le vivre ensemble suppose des règles communes au sein d'une nation. Pour imposer ces règles, il faut des forces d'autorité et il faut également une justice si les règles sont ignorées. Toute nation démocratique vit avec ces piliers. Les métiers de défense et de sécurité sont depuis des années très exposés mais ont des revenus satisfaisants. En revanche, plusieurs métiers, comme les enseignants, certains professionnels de santé et celles et ceux qui défendent les droits, ont des revenus relativement faibles.

Quels sont les dispositifs de solidarité que l'on doit mettre en place, quels sont les filets de sécurité à prévoir avec un minimum vieillesse à 900 euros et un minimum contributif à 1 000 euros ? Il est prévu que le minimum contributif évolue sur les salaires. Comme le minimum vieillesse évolue en fonction de l'inflation, l'écart sera de plus en plus important en faveur du travail.

On sait que beaucoup d'avocats ne poursuivent pas leur carrière jusqu'à son terme. Ils peuvent par exemple devenir juristes en entreprise. La fragilité démographique fait que le système de retraite de la profession est avantageusement abondé par 4 cotisants pour un retraité. Mais les taux de rendement élevés, autour de 7 à 10 %, sont impossibles à conserver sur le long terme. En cas de retournement démographique le système ne sera plus fiable. Le régime actuel est très redistributif puisque les avocats aux revenus importants sur-cotisent pour prendre en charge les cotisations des professionnels qui ont de faibles revenus. Le minimum contributif a été porté à 1 400 euros. Nous souhaitons préserver cette logique redistributive et faire en sorte que les charges de l'augmentation des cotisations soient exactement celles que le CNB a proposées.

Nous préservons par ailleurs le système des carrières longues. Celles et ceux qui ont cotisé suffisamment de trimestres, et demain suffisamment de points, pourront partir avant.

Concernant les conjoints collaborateurs, le débat a eu lieu notamment avec les agriculteurs. Dans un système de retraite par répartition, la retraite est le reflet de vos cotisations. Parfois des commerçants comme des agriculteurs n'ont pas cotisé, en considérant que c'était de l'argent perdu et qu'il valait mieux mettre ces ressources dans l'entreprise. Nous sommes en train d'examiner pourquoi l'outil actuel n'est pas utilisé. La solidarité doit exister pour celles et ceux qui sont dans des situations critiques, avec de très faibles retraites. Mais dans certains cas, des retraités qui réclament le minimum vieillesse ont d'importants patrimoines (appartements, terrains, etc). Des personnes par précaution ont souhaité se constituer un patrimoine car elles ne croyaient pas à la retraite. Si nous avons un dispositif de solidarité pour les agriculteurs, il faut le faire pour les commerçants, les artisans. Le régime doit être universel. Nous sommes donc en train de travailler sur l'adaptation du minimum de solidarité.

Vous disiez ne pas vouloir que les réserves servent à financer le déficit. Mais sur vos impôts, vous payez des subventions pour des entreprises publiques qui prennent en charge des départs anticipés. Nous entendons clarifier la donne pour que l'extinction des catégories actives fasse disparaître le montant des subventions. Je vais même plus loin, je vais demander à chaque Ministre d'afficher le montant des salaires à 28,12, comme les cotisations du privé, et les budgets pour justifier les départs anticipés. On pourra ainsi dire que les militaires « coûtent » 8 milliards. Je suis prêt à le défendre car le départ anticipé se comprend. Le débat sera plus complexe pour les journalistes, par exemple. Quid de leurs allègements de taux de cotisations et d'assiette ? Cela parait anormal. Idem pour les artistes auteurs ; à ce jour, les salariés payent 400 millions sur ce segment. Cela a été inclus dans le budget pour que le débat soit clair.

Concernant la gouvernance, je fais appel à l'intelligence de tous. Je refuse l'étatisation. Mais je refuse aussi le 100 % partenaires sociaux. Personne ne peut imaginer que l'Etat et le gouvernement restent indifférents à ce qui représente 14 % du PIB et à ce qui impacte l'avenir du pays, la fiscalité, l'attractivité de la nation, etc. Au lieu d'avoir une gouvernance classique, du rapport de force, il faut que nous imaginions une situation d'équilibre, qui impose des compromis entre l'intérêt général et l'intérêt catégoriel, entre le court terme et le moyen terme. Nous étudions donc quel pourrait être le point d'équilibre entre les partenaires sociaux, le gouvernement et le Parlement.

Si vous voulons un Conseil d'administration efficace, il faut moins de 30 membres. Comment donc concilier efficacité et représentativité ? Nous avons proposé un système où l'U2P serait présente, bien évidemment. Il pourrait aussi y avoir une Assemblée générale, où chacun pourra s'exprimer. Dès le mois de mars, le calendrier de décision tiendra compte des recommandations européennes pour que des décisions soient prises avant le débat sur la Loi de finances. En effet, il est prévu d'élargir le projet de Loi de finances de la sécurité sociale à l'ensemble du périmètre du service universel. A ce jour, il y a 22 taxes pour financer la solidarité. Demain, nous en compterons 2.

Enfin, pour répondre à la coiffeuse née en 1963, je ne suis pas là pour vous ébouriffer !

Audrey PULVAR
Parfois, des propositions décoiffantes ont un certain mérite.

Jean-Paul DELEVOYE
Certes mais je voudrais souligner que l'intervenante posait en réalité une question fondamentale et assez psychologique. Les gens ont des sentiments, des peurs, des angoisses. On ne dirige pas les peuples avec des ratios et des chiffres, comme on le dit peut-être à l'ENA, mais en prenant en compte cette dimension psychologique. Le fait de basculer dans le nouveau système peut susciter une angoisse réelle. Certains estiment ainsi que la génération 64 est « foutue » désormais. En réalité la transition sera douce. Premièrement, les retraités ne sont pas concernés. Deuxièmement, les gens à 5 ans de la retraite ne sont pas concernés. Pour les autres, nous garantissons à 100 % les droits du passé.

Pour la génération 65 par exemple, les personnes ont deux ans dans les pieds du nouveau système en quelque sorte. Le calcul de la retraite inclut les 40/42ème de leur ancien système et les 2/42ème du nouveau système. Le basculement à 55 ans se fera donc dans 15 ou 20 ans. Les partenaires sociaux et le gouvernement seront présents dans le cadre de la gouvernance du régime. La base de départ pourrait être différente dans 15 ans car nous voulons donner aux décideurs la totalité des outils pour s'adapter. Quel sera le nombre de salariés en France dans 15 ans, au vu notamment de la robotisation de tels ou tels secteurs ? Quelle sera la masse salariale ? Il ne faut pas avoir de craintes infondées. Je vous invite donc à vous installer dans le siège du régime universel de retraite et à vous détendre. Je vais bien vous coiffer !


Source https://rencontres-u2p.fr, le 21 octobre 2019