Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail à BFMTV le 8 janvier 2020, sur la réforme des retraites et l'emploi des seniors.

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Média : BFM TV

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invitée ce matin, Muriel PENICAUD. Bonjour.

MURIEL PENICAUD
Bonjour.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ministre du Travail. Muriel PENICAUD, j'ai bien écouté les voeux du président de la République. C'était il y a déjà une semaine. Que disait-il ? « Je souhaite un compromis rapide et je le demande au Premier ministre et aux représentants syndicaux. » Une semaine après, où est le compromis rapide ?

MURIEL PENICAUD
D'abord puisque vous avez parlé des voeux du Président, vous me permettrez de vous souhaiter une très bonne année.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh bien merci, moi aussi. Moi aussi.

MURIEL PENICAUD
Et de souhaiter à toutes les Françaises et Français une très bonne année mais en particulier à tous ceux qui travaillent ou qui travailleront demain ou qui souhaitent un travail puisque c'est une année où moi je souhaite qu'on puisse aller vers plus d'emploi, qu'on continue à faire baisser le chômage comme on l'a fait depuis deux ans, qu'il y ait l'accès à l'apprentissage et à la formation, à l'insertion pour les plus vulnérables, à l'égalité homme-femme. Enfin que tout ça porte des fruits. Je voulais le dire juste à cette occasion. Alors sur le compromis et sur les retraites, je crois qu'on est dans un moment important qui est un moment où il faut avancer et, j'allais dire, avancer rapidement pour qu'on puisse avoir cette réforme complète à discuter à l'Assemblée nationale dans quelques semaines.

JEAN-JACQUES BOURDIN
A l'Assemblée nationale le 17 février.

MURIEL PENICAUD
C'est le 17 février et en commission un peu avant mais en séance plénière le 17 février. Donc il y a beaucoup d'éléments de la réforme qui maintenant sont très clairs. Je voudrais juste les rappeler parce que comme on parle de beaucoup de choses tout le temps, c'est vrai que par moment… Je rencontre beaucoup de Français qui me disent : en vrai, voilà, on commence à être un peu perdu, on ne sait plus. Je crois qu'il faut se redire aussi pourquoi on fait cette réforme. Aujourd'hui on a un système qui est très compliqué, ça tout le monde le sait, 42 régimes, qui n'est pas juste et qui laisse de côté beaucoup de gens. Les femmes qui ont arrêté quelques années pour élever leurs enfants ou les aînés, les agriculteurs, les artisans, les commerçants qui ont des toutes petites retraites, tous ceux qui changent de statut dans leur vie, qui sont de plus en plus nombreux et franchement c'est un casse-tête de réconcilier des régimes différents pour avoir une retraite complète. Donc on a beaucoup de choses à progresser pour avoir un système qui soit universel, qui soit plus juste, qui soit toujours par répartition parce que ça c'est un choix français. Répartition, ça veut dire quoi ? C'est les actifs, ceux qui travaillent aujourd'hui, qui payent les retraites de ceux qui sont à la retraite aujourd'hui. La solidarité intergénérations. Il y a beaucoup de pays qui ne font pas ça. C'est chacun pour soi et chacun se débrouille. Nous on est quand même dans un système qui est fortement solidaire mais s'il est solidaire, il doit vraiment être solidaire avec tout le monde et c'est logique que ce soit un système unique. Alors au milieu de ça, il y a des sujets sur lesquels il faut trouver un compromis, il faut trouver une voie de passage pour qu'on puisse avoir quelque chose qui… On n'aura jamais l'accord de tout le monde mais qui converge plus. C'est l'objet en ce moment.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors Muriel PENICAUD, je vous ai laissé parler à juste raison, mais je ne comprends pas très bien. Parce que vous dites : « On est sur le chemin d'un compromis rapide. » Mais moi depuis un mois, je n'ai rien vu évoluer. Rien. Vous allez m'expliquer en quoi ç'a évolué. Qu'est-ce qu'on constate aujourd'hui ? C'est que les syndicats qui ne veulent pas de la réforme demandent toujours le retrait de la réforme. On est bien d'accord.

MURIEL PENICAUD
Oui.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Que constate-t-on ? Que la CFDT et les syndicats réformistes demandent toujours qu'on mette de côté le volet purement financier de cette réforme. Et que dites vous de votre côté au gouvernement ? Eh bien « nous installerons la réforme quoi qu'il arrive. » Donc où est le compromis et où sont les avancées ? Je n'ai rien vu venir ! Ça fait combien de temps que ce projet a été présenté ?

MURIEL PENICAUD
Où est le sujet du compromis ?

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, où est-il ?

MURIEL PENICAUD
Je pense que les syndicats principalement qui représentent certains régimes spéciaux qui ne veulent pas de la réforme, ils ne vont pas changer d'avis.

JEAN-JACQUES BOURDIN
On est d'accord. Pas de compromis avec eux. Il n'y a pas de compromis avec eux. Oublions-le.

MURIEL PENICAUD
Ceux qui considèrent que le système qui est injuste, inégalitaire et pas universel est bien, eh bien ils continuent à dire ça.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oublions-les. Mais où est le compromis avec les autres ?

MURIEL PENICAUD
Mais pour les syndicats formistes qui, eux, sont pour le système universel à points parce qu'il est plus juste, plus égalitaire donc à condition évidemment d'en définir les modalités, et ça c'est tout à fait normal, je pense que le sujet, ce qui est en train d'évoluer, c'est le sujet qui concerne le volet financier. Ce n'est pas une réforme qu'on fait pour faire des économies. Elle ne fera pas d'économies.

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est l'âge pivot. 64 ans.

MURIEL PENICAUD
Oui. Mais le sujet, c'est qu'il faut que le système soit durablement équilibré et financé. Pourquoi ? Parce que sinon, c'est nos enfants et nos petits-enfants qui vont se payer la dette de nos retraites mais aussi des retraites des suivants et la leur.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais je connais très bien votre position, Muriel PENICAUD.

MURIEL PENICAUD
Donc il faut une solution. Le gouvernement, le Premier ministre avait mis sur la table, avait annoncé au mois de décembre une solution pour ce sujet pour que ça soit durablement équilibré qui est l'âge pivot. C'est quoi l'âge pivot ? C'est l'idée que comme on vit plus longtemps, et heureusement un peu mieux et en bonne santé, l'objectif c'est de vivre en bonne santé, en tout cas on vit plus longtemps, eh bien il faut travailler plus sauf bien sûr ceux - on y reviendra - qui ont des métiers pénibles.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais y revenir, je vais y revenir.

MURIEL PENICAUD
Evidemment sauf ceux-là. Ou des carrières très longues. Mais ça, c'est la solution qu'a proposée le gouvernement. Manifestement les syndicats réformistes ne sont pas en accord avec cette solution, ils considèrent qu'il y en a d'autres. Donc Laurent BERGER a proposé dimanche qu'il y ait une conférence de financement qui dit bien… La conférence de financement, c'est bien, on va trouver ensemble des solutions pour que le financement permette que le système soit durable. Parce que moi je rencontre tous les jours des jeunes, eux ils croient qu'ils n'auront pas de retraite. Notre devoir, c'est que le système il marche demain et après-demain.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Très bien, non mais très bien. Mais cette conférence, quand ?

MURIEL PENICAUD
Donc ça déjà, ç'a bougé. Ça veut dire qu'on ne dit pas qu'il ne faut pas traiter le sujet financier. Maintenant on dit ensemble, il faut le traiter et ce que propose Laurent BERGER et également Laurent ESCURE de l'UNSA, enfin les syndicats réformistes, c'est qu'on ait cette conférence. Le Premier ministre hier a dit qu'il était d'accord pour faire cette conférence de financement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Au printemps.

MURIEL PENICAUD
Non. Il faudrait que les résultats soient au printemps. Il faut la démarrer assez vite.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc qui pourrait débuter quand ? Qui pourrait démarrer vite.

MURIEL PENICAUD
Ça, c'est ce qu'ils vont discuter vendredi ensemble. C'est les modalités et le calendrier. Une conférence du financement et ce qu'il a dit, c'est que s'il y avait des meilleures solutions pour financer de façon durable le système de retraite que l'âge pivot, eh bien on les prendrait. Mais il faut trouver des solutions.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais ça c'est votre position. Seulement les syndicats réformistes ne disent pas ça. Ils disent : « Retirez l'âge pivot de la réforme et, à ce moment-là, nous ouvrirons de véritables discussions et nous parlerons de la conférence de financement. » C'est ce qu'ils vous disent. C'est ce que dit Laurent BERGER.

MURIEL PENICAUD
Ce que je pense, c'est que de toute façon…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ou alors vous ne comprenez pas.

MURIEL PENICAUD
Si, si.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Expliquez-nous parce que là…

MURIEL PENICAUD
Je pense que ce que nous on est prêt à faire, c'est qu'il peut y avoir des solutions à ce sujet de financement durable soit alternatives, soit complémentaires à l'âge pivot. Et ça, ça sera à la conférence de financement qu'on en discutera.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous êtes prêts oui ou non à retirer l'âge pivot de la réforme des retraites ?

MURIEL PENICAUD
D'abord ce n'est pas de ma responsabilité, c'est le gouvernement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non mais d'accord. Ne vous défilez pas.

MURIEL PENICAUD
Je ne me défile pas, ce n'est pas mon genre.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, je sais. C'est pour ça que je vous pose la question alors j'attends une réponse.

MURIEL PENICAUD
C'est l'objet de la discussion vendredi. L'objet de la discussion, c'est de dire comment on va définir l'ambition du financement durable. Ça ne va pas être le contenu, c'est un peu trop tôt pour le contenu, c'est le calendrier…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il n'est pas question de retirer l'âge pivot de la réforme, du projet de loi.

MURIEL PENICAUD
A la fin dans le projet de loi, il y sera ou il n'y sera pas en fonction des solutions alternatives.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Attendez, attendez ! Est-ce qu'aujourd'hui vous retirez ou pas l'âge pivot du projet de loi ? Oui ou non ?

MURIEL PENICAUD
Il appartient au Premier ministre de décider s'il le fait ou pas.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ou non ?

MURIEL PENICAUD
Mais je pense que la question ne se pose pas.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais si ! C'est Laurent BERGER qui la pose, qui vous la pose, ce n'est pas moi !

MURIEL PENICAUD
Oui. Mais la question, elle n'est pas à 24 heures. Elle est est-ce que ce sera dans le projet de loi à la fin qui compte. Pour les Français, c'est à la fin, c'est comment on finance notre système de retraite.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans tous les cas, ce sera dans le projet de loi qui est déjà au Conseil d'Etat et qui sera présenté aux députés en commission dès le début de février.

MURIEL PENICAUD
Oui. Alors ça, il y a une technique législative. Je m'excuse de faire un tout petit peu de droit. Il faut envoyer le texte à l'avance. Texte à l'avance, c'est forcément celui sur la position du gouvernement et après on peut le changer. On peut le changer à l'Assemblée.

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord, mais il y aura l'âge pivot. Il y aura l'âge pivot dans le texte.

MURIEL PENICAUD
Pour l'instant dans le texte il y est.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Il y est et il y sera lorsque vous le présenterez le 24 en Conseil des ministres.

MURIEL PENICAUD
Eh bien nous ne sommes pas encore au Conseil des ministres donc je ne préjuge pas du Conseil des ministres du 24 mais surtout…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous souhaitez qu'il y soit ou pas ?

MURIEL PENICAUD
Moi je ne souhaite qu'une chose et je pense qu'elle est possible, alors là j'en suis persuadée, c'est qu'on trouve un moyen de ce système plus universel, plus juste, de le financer durablement et avec plusieurs solutions s'il le faut, par toutes les solutions nécessaires.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Pardonnez-moi, Laurent BERGER a toujours dit la même chose.

MURIEL PENICAUD
Oui, oui. Oui, oui, c'est clair.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Et vous, vous dites toujours la même chose.

MURIEL PENICAUD
Non, non.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc pour l'instant le compromis rapide, expliquez-moi où il est.

MURIEL PENICAUD
Non, non. Ç'a bougé des deux côtés. Je m'excuse, ç'a bougé des deux côtés.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Enfin, ç'a bougé comment ? Pas sur l'âge pivot.

MURIEL PENICAUD
Si. Ça bouge de deux façons. La première, c'est parce que Laurent BERGER a proposé cette conférence de financement que nous avons acceptée. Ça, ça bouge. Et deuxièmement parce qu'on a dit que, et le Premier ministre l'a rappelé, qu'on pouvait avoir des solutions alternatives c'est-à-dire autres que l'âge pivot ou complémentaires à l'âge pivot du moment qu'on trouvait les moyens de financement durable.

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord. Mais on ne retire pas l'âge pivot du projet.

MURIEL PENICAUD
Si vous le retirez, il faut le remplacer parce quelque chose. Votre texte est bancal s'il n'y a rien dedans.

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord. Donc il est possible que ça soit retiré.

MURIEL PENICAUD
Il est possible qu'à un moment donné s'il y a des alternatives qui marchent et sur lequel les partenaires sociaux s'entendent…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est possible mais que vous puissiez retirer l'âge pivot.

MURIEL PENICAUD
Après il y a du chemin…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est possible ou pas Muriel PENICAUD ?

MURIEL PENICAUD
Il y a du chemin puisqu'il faut que les partenaires sociaux nous le proposent.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui, mais est-ce qu'il est possible…

MURIEL PENICAUD
Attendez, le projet de loi il n'est même pas encore discuté au Parlement, donc le projet de loi…

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord. Vous ne voulez pas répondre.

MURIEL PENICAUD
C'est toujours possible dans un projet de loi qui n'est même pas encore discuté et encore moins voté.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Muriel PENICAUD, combien va coûter cette réforme ?

MURIEL PENICAUD
Alors la réforme, il y a deux sujets. Il y a à long terme elle ne coûte pas, puisque le principe qui a été pris c'est que finalement on va faire un meilleur système des retraites mais à coût constant. Le coût constant, aujourd'hui c'est 330 milliards d'euros par an et c'est 13,8 % de la richesse nationale, donc la solidarité envers les aînés qui est quelque chose d'important auquel on croit tous. Je pense qu'elle s'exprime là donc on est dans l'idée… D'ailleurs personne ne demande de multiplier ça complètement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.

MURIEL PENICAUD
Ensuite il y a le coût immédiat, c'est le coût des grèves qui est quand même… Je dirais il y a le coût financier pour la SNCF et la RATP, les artisans.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ç'a coûté combien déjà ?

MURIEL PENICAUD
La RATP, on n'a pas encore le chiffre. La SNCF a déjà fait une première estimation de 600 millions mais c'est le coût aussi pour les artisans, les commerçants, les petites entreprises. On les aide avec le chômage partiel, avec les aides. Et puis il y a le coût pour chacun parce que vous savez ceux – je voudrais le dire quand même – ceux sur qui pèsent le plus les grèves qui continuent, ce n'est pas les gens qui habitent en centre-ville de Paris. C'est la femme de ménage, l'aide-soignante qui habite loin en banlieue, qui a deux heures de train le matin, deux heures le soir et qui galère depuis six semaines.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Au moins.

MURIEL PENICAUD
Donc il y a un coût humain je dirais. Et puis après il y aura les coûts de transition, et ça c'est normal qu'il y ait des coûts de transition. Dans toute réforme…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Les coûts de transition, plusieurs milliards quand même.

MURIEL PENICAUD
Oui. Mais enfin, est-ce qu'on veut un système qui marche derrière et qui est juste…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Plusieurs milliards parce qu'il y a des dérogations au futur système. Elles commencent à s'accumuler les dérogations les unes derrière les autres.

MURIEL PENICAUD
Et s'il n'y avait pas de coûts de transition, ça voudrait dire qu'on dirait à tout le monde : « Allez, on tourne les clés et demain matin le système a changé pour tout le monde sans tenir compte du passé. » Tout le monde dirait c'est injuste et ils auraient raison. Donc oui, il y a un coût de transition mais il faut l'assumer.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Je voudrais parler de pénibilité. Il y a des discussions autour de la pénibilité. Alors quelles propositions faites-vous ? Nouvelles propositions sur la pénibilité au travail ?

MURIEL PENICAUD
Hier rue de Grenelle au ministère du Travail, le Premier ministre est venu rencontrer les partenaires sociaux et avec Laurent PIETRASZEWSKI, on va mener et je vais mener des discussions avec les partenaires sociaux sur deux sujets : l'emploi des seniors et la pénibilité. La pénibilité, tout le monde est d'accord pour reconnaître qu'il y a des métiers qui usent plus que d'autres, qui sont pénibles, qui peuvent avoir des effets négatifs sur la santé. Il faut en tenir compte. On a déjà dans le secteur privé un système de prise en compte de la pénibilité.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Sauf que vous avez supprimé quatre critères.

MURIEL PENICAUD
Alors on ne les a pas supprimés mais on les calcule autrement. Je vais vous dire, il y a des choses faciles à mesurer qui sont par exemple les chaleurs ou le froid extrême.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais la médecine du travail mesure, non ?

MURIEL PENICAUD
Non, vous savez… Attendez, il y a des choses faciles à mesurer : les températures, le bruit. Tout ce qui est objectif, c'est très facile à mesurer et ça, ça donne des points de pénibilité depuis trois ans et il y a aujourd'hui plus d'un million de personnes qui ont des points de pénibilité qui leur permettront soit de partir à la retraite plus tôt, soit de finir en temps partiel mais payé temps plein, soit de se former. Et puis il y a des critères qui sont très importants mais qui ne se mesurent pas facilement. C'est par exemple comment on porte des charges lourdes. Je vais vous donner un exemple. Quand vous êtes dans un entrepôt et que ça n'est pas automatisé, le poids des charges lourdes, il faudrait chronométrer heure par heure. Ça n'est pas possible. Et donc c'est pour ça qu'on avait retiré d'un système de chronométrage absurde… Vous imaginez l'artisan, le commerçant derrière son maçon et on l'a fait autrement. C'est qu'aujourd'hui, c'est par un examen médical. Si l'examen médical reconnaît que votre corps a subi des dommages à cause des charges lourdes par exemple, à ce moment-là vous partez deux ans plus tôt à la retraite. Mais on veut l'améliorer et on s'est dit hier avec les partenaires sociaux que même sur ces sujets-là, on pouvait améliorer. La prise en compte par exemple des agents chimiques toxiques et puis aussi, pareil, sur les charges lourdes, les postures de choses. On va l'améliorer notamment avec les branches. Ça fait partie du sujet. Mais ce qu'il faut améliorer le plus, c'est la prévention. On n'est pas bon en prévention en France. Ça, c'est pour réparer mais il faut prévenir et puis aussi il faut permettre de se reconvertir. Si vous êtes couvreur, à 58 ans, monter sur les toits, ça devient vraiment quand même très compliqué. Donc partir à 60 ans au lieu de 62 ans, c'est bien, mais on va aussi travailler avec les partenaires sociaux - c'est quelque chose qu'on a mis sur la table - pour voir un vrai congé de reconversion payé, entièrement rémunéré qui vous permet à mi-parcours au bout de vingt ans de changer et d'aller faire un autre métier qui est moins dangereux. Donc il faut prévention, reconversion et puis réparation. Et puis on va étendre au secteur public qui aujourd'hui n'a pas les pénibilités pour que ce soit universel.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, l'emploi des seniors. Ça j'y tiens beaucoup. Pourquoi ? Parce qu'en France on a du retard, notamment sur les plus de 60 ans. Alors, il y a une idée qui circule : baisser le coût du travail pour l'embauche d'un senior. C'est une bonne idée ou pas ?

MURIEL PENICAUD
Alors, d'abord vous avez raison Jean-Jacques BOURDIN, on a un paradoxe en France, on dit, « bon, il faut travailler plus longtemps », mais enfin, quand on est senior, vous n'êtes pas toujours bienvenu dans les entreprises, alors qu'on cherche des compétences, alors qu'une entreprise sur deux a du mal à trouver les compétences. Alors on a un double paradoxe en France, ce qui même moi me choque, c'est qu'on dit aux jeunes « vous n'êtes pas assez expérimentés », et puis on dit aux expérimentés « eh bien vous, vous êtes trop expérimenté ». Donc ça, il faut qu'on change aussi culturellement, dans la tête des employeurs, ce regard sur les jeunes et sur les seniors. La réalité c'est que le taux d'emploi, c'est-à-dire le nombre de gens qui travaillent, chez les seniors, il a augmenté pour les 55/59 ans, il est dans la moyenne européenne, c'est 2/3 des gens. Et puis après il y a des gens qui ont des problèmes…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, enfin, sauf qu'on a des petits contrats, des CDD, du temps partiel, bien souvent en France.

MURIEL PENICAUD
Alors, sur les 55/59 ans pas spécialement, par contre après 60 ans…

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une catastrophe en France.

MURIEL PENICAUD
Après 60 ans, il n'y en a plus qu'un sur trois qui arrive à travailler…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais, on est un des plus mauvais en Europe.

MURIEL PENICAUD
Et en plus, quand on travaille, c'est, alors là pour le coup, du temps partiel précaire. Donc on a un gros effort à faire là-dessus…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, que faire ? Baisser le coût du travail pour l'embauche d'un plus de 60 ans, ça serait possible ?

MURIEL PENICAUD
Ce qu'on a dit hier avec les partenaires sociaux, parce que c'est le deuxième sujet que nous allons donc piloter à Grenelle, après la pénibilité, parce que c'est un sujet de travail, qui ne concerne d'ailleurs pas que les faits sur la retraite, mais qui concerne la vie au travail, sur l'emploi des seniors il y a plusieurs sujets. Il faut améliorer la retraite progressive, elle est compliquée. Il y a beaucoup de gens qui aspirent à pouvoir avoir une rémunération qui soit bonne, mais y aller progressivement. Il faut valoriser l'expérience aussi, il y a beaucoup de gens qui ont de l'expérience, qui pourraient, dans une PME, dans une association, dans le tutorat dont on va avoir beaucoup besoin pour le développement de l'apprentissage, qui pourraient avoir un rôle, il faut le reconnaître et il faut voir comment on met en place ça. Après il y a le sujet du coût du travail. Moi, ce à quoi je ne suis pas favorable, c'est baisser les salaires. Je pense que ce n'est pas juste de baisser les salaires pour les seniors. Il y a des pays qui le font. Après…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, on ne baisse pas les salaires, mais si on baisse le coût du travail ?

MURIEL PENICAUD
Eh bien, tout ça, on va discuter avec les partenaires sociaux. Vous savez, moi…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous seriez favorable à ça, baisser le coût du travail pour l'embauche d'un senior ?

MURIEL PENICAUD
Jean-Jacques BOURDIN…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que oui ou non c'est une idée qui vous plaît ?

MURIEL PENICAUD
Jean-Jacques BOURDIN, mon métier c'est le dialogue social et économique…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais ça j'ai compris…

MURIEL PENICAUD
Je ne donne pas les réponses avant que…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-ce que c'est une idée que vous pourriez défendre ?

MURIEL PENICAUD
Je pense que ce qu'on peut défendre, c'est d'abord, moi on va les bâtir à partir des propositions des partenaires sociaux, moi je ne décide pas seule dans mon coin-là, on va le bâtir ensemble.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien sûr, d'accord.

MURIEL PENICAUD
Et une des choses qu'il faut regarder, c'est la valeur sociale du travail.

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une bonne idée ou pas ?

MURIEL PENICAUD
Eh bien ça dépend, parce que je pense qu'au moment où…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous n'êtes pas très favorable.

MURIEL PENICAUD
Non, mais pas forcément dans tous les cas. Si c'est pour aider quelqu'un, un technicien d'une grande entreprise, qui voudrait aller donner un coup de main à une association, une PME, et qui du coup, le coût du travail est trop fort pour la PME, on peut commencer à discuter. Je pense que l'argument du coût de travail, dans certains cas est justifié, dans certains cas ne l'est pas tout à fait. Et je connais bien l'entreprise de l'intérieur, je pense que c'est plutôt un réflexe culturel qu'il faut changer.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, j'ai deux questions précises. J'entre sur le marché du travail à 18 ans, combien de temps vais-je travailler ?

MURIEL PENICAUD
Eh bien ça, ça dépendra de beaucoup de choses dans votre vie professionnelle. Ce qu'on va certainement, en tout cas on va garder…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Jusqu'à 64 ans ?

MURIEL PENICAUD
... Le système de carrières longues. C'est quoi carrières longues ? C'est un système qui avait d'ailleurs... qui est issu du dialogue social, c'est que si vous avez travaillé l'équivalent de 2 ans, avant l'âge de 20 ans, eh bien vous partez plus tôt. Aujourd'hui il y a 168 000 personnes par an qui partent à la retraite, avant l'âge légal…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Et si je pars à 20 ans, je vais travailler 44 ans, pour obtenir une retraite pleine.

MURIEL PENICAUD
Alors, on ne compte pas forcément comme ça, c'est le nombre de points qu'il faudra. En tout cas, ce qui est certain c'est que vous n'irez pas au-delà, s'il y a un âge pivot, vous n'irez pas au-delà de l'âge pivot. Vous savez qu'aujourd'hui c'est un des problèmes. Les femmes qui n'ont pas pu avoir des carrières complètes, elles sont obligées d'aller jusqu'à 67 ans. Donc, de toute façon il faut résoudre ce problème.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Les complémentaires AGIRC-ARRCO et PREFON, qu'est-ce qu'elles deviennent dans ce système ? Parce que beaucoup d'auditeurs me posent la question.

MURIEL PENICAUD
Alors, le système AGIRC-ARRCO, qui est un système complémentaire, il est intégré en bonne partie dans le dispositif universel. Pour PREFON, ça fait partie des discussions que mènera Olivier DUSSOPT. Mais on est quand même dans l'idée que le système universel il permet d'avoir à la fois…

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'intégrer, donc.

MURIEL PENICAUD
L'intégrer. Après, est-ce que ça sera complètement, est-ce qu'il y aura une partie qui est complémentaire encore ? Eh bien ça fait partie des discussions. Mais a priori c'est intégré, puisque, vous savez, quand vous faites votre liquidation de retraite, tous les retraités me comprennent, c'est compliqué d'avoir beaucoup d'endroits où s'adresser. C'est quand même plus simple si votre système il prévoit tous les étages et que vous avez un seul interlocuteur.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Deux questions encore pour terminer. Carlos GHOSN, que voulez-vous savoir ? Vous allez suivre cette conférence de Presse ? Vous n'avez peut-être pas le temps, mais…

MURIEL PENICAUD
Non, moi je serai à l'Assemblée nationale en train de débattre, de faire le bilan de mon action en matière d'emploi.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Mais, qu'avez-vous envie de savoir, concernant Carlos GHOSN ?

MURIEL PENICAUD
Moi, ce qui m'importe le plus, je vais vous dire, en vrai c'est l'avenir de l'alliance RENAULT NISSAN, parce que ça c'est beaucoup d'emplois, c'est du développement économique. Il y a des personnages qui défraient la chronique, je dirais, maintenant c'est un citoyen, un justiciable qui doit rendre compte.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il doit rendre au compte au Japon ? Il doit rendre compte devant la justice ?

MURIEL PENICAUD
Pour moi c'est plus important... C'est un citoyen français et libanais, mais un citoyen, du point de vue du droit français, comme un autre, il a les mêmes droits et les mêmes devoirs.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il doit rendre compte.

MURIEL PENICAUD
Il a les mêmes protections. Non, il doit, comme tout citoyen, dans les pays où il habite, où il réside, ou bien son pays d'origine, respecter le droit.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il a fui la justice.

MURIEL PENICAUD
Mais ça, c'est à la justice japonaise de le régler.

JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai une dernière question. Vous avez vu ces arrêts maladie en ligne ?

MURIEL PENICAUD
Oui.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'en pensez-vous ?

MURIEL PENICAUD
Je pense qu'il y a toujours des gens pour profiter des gens et inventer des…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut interdire ? Comment interdire d'ailleurs ?

MURIEL PENICAUD
C'est évidemment un détournement de... enfin, en gros, pour ceux qui n'ont pas suivi, c'est des médecins qui vendent, c'est un système commercial…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Télémédecine.

MURIEL PENICAUD
... pour vendre de l'arrêt maladie, sans même voir le médecin.

JEAN-JACQUES BOURDIN
10 minutes pour avoir un arrêt maladie.

MURIEL PENICAUD
Vous êtes au téléphone, sans voir le médecin, et en gros, vous achetez votre... C'est un service commercial, c'est des gens qui font de l'argent sur le dos des citoyens et de la Sécurité sociale.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, comment l'interdire ?

MURIEL PENICAUD
Si, une contre-visite. Vous allez vite voir si c'est bidon.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura... ?

MURIEL PENICAUD
Ah ben si oui, ça sera interdit. Il y a toujours des gens pour frauder, vous savez.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, merci Muriel PENICAUD d'être venue nous voir ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 janvier 2020