Interview de Mme Florence Parly, ministre des armées, à RFI le 14 janvier 2020, sur la lutte contre le terrorisme au Sahel.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FRÉDÉRIC RIVIERE
Bonjour Florence PARLY.

FLORENCE PARLY
Bonjour.

FRÉDÉRIC RIVIERE
Vous étiez à Pau, jusqu'à hier soir assez tard, où s'est tenu le sommet du G5 Sahel. Le président de la République recevait donc ses homologues du Tchad, du Niger, du Burkina, du Mali et de la Mauritanie, pour tenter de donner un nouvel élan au combat contre le terrorisme islamiste au Sahel. Cette rencontre, a dit Emmanuel MACRON, marque un tournant très profond. Il y a eu des annonces sur la méthode, sur l'engagement, nous allons y venir, mais il y a eu aussi ce qui manifestement était très important pour le président de la République, une déclaration très claire des chefs d'Etat africains sur la présence militaire française au Sahel. Ça, c'était quelque chose d'important.

FLORENCE PARLY
Oui, c'était quelque chose de très important. Et ce sommet de Pau n'est pas une réunion de plus. C'était une réunion de clarification qui était attendue dans un contexte qui – vous le savez – est un contexte où la menace s'étend. Vous avez, et vos auditeurs ont évidemment en tête le fait que les terroristes sont plus mobiles, qu'il y a eu un certain nombre des drames, des populations civiles sont les victimes de ce terrorisme dans la région du Sahel. Les armées sahéliennes ont elles-mêmes subi des attaques extrêmement meurtrières, et je voudrais avoir une pensée pour nos camarades nigériens qui ont encore été frappés le 9 janvier dernier, sans parler naturellement…

FREDERIC RIVIERE
89 morts, oui…

FLORENCE PARLY
89 morts au mois de décembre et… pardon… 71 morts au mois de décembre et 89 au mois de janvier. Et puis, naturellement, la tragédie de nos 13 militaires français fin novembre. Donc un contexte difficile, et une difficulté à expliquer au fond à nos opinions publiques, qu'il s'agisse d'opinions publiques des pays du Sahel ou de l'opinion publique…

FREDERIC RIVIERE
Alors, justement, est-ce que cette déclaration des chefs d'Etat africain…

FLORENCE PARLY
Pardon, d'expliquer la raison de notre présence. Donc il était très important qu'au moment où, parfois, certaines ambiguïtés ont pu se faire jour, y compris dans les discours de certains responsables des pays concernés, il était très important que la question de la raison pour laquelle la France était présente et le souhait ou pas des pays du Sahel de voir la France continuer à être engagée militairement soit posée…

FREDERIC RIVIERE
C'est ce qui a été dit…

FLORENCE PARLY
Dans des termes extrêmement clairs. Et la réponse est extrêmement claire également, et je crois que c'était…

FREDERIC RIVIERE
Oui, mais ça va jouer sur les opinions publiques, ça, vous pensez ?

FLORENCE PARLY
Je pense que c'est extrêmement important qu'en effet, les chefs d'Etat de ces pays marquent leur engagement et leur souhait que non seulement la France, à travers Barkhane, et ses 4.500 militaires, restent présents engagés dans ce combat contre le terrorisme, mais que, aussi, c'est un appel à une présence internationale beaucoup plus forte encore. Et je crois que ça, c'est vraiment le deuxième volet sur lequel nous devons travailler, et la France y travaille déjà. Comment faire que nos partenaires européens, nos partenaires internationaux soient encore plus présents…

FREDERIC RIVIERE
Alors, on va y venir…

FLORENCE PARLY
Donc un signal politique extrêmement fort, une clarification sur les intentions des uns et des autres qui permet un changement de méthode.

FREDERIC RIVIERE
Alors, je voudrais qu'on évoque un certain nombre d'annonces très concrètes, sur le plan opérationnel, Emmanuel MACRON a annoncé hier un renfort de 220 soldats pour l'opération Barkhane. Est-ce que ce seront des militaires qui auront des missions spéciales et à quelle échéance vont-ils arriver ?

FLORENCE PARLY
Alors, il y a quatre volets dans ce qui a été annoncé à Pau…

FREDERIC RIVIERE
Mais sur ce point précis, on va évoquer les autres aspects…

FLORENCE PARLY
Alors, sur ce point précis, donc sur ce volet strictement militaire, qui est le militaire dans un cadre qui est celui de la lutte contre le terrorisme, le président de la République a en effet annoncé un renforcement des effectifs engagés par la France, à hauteur de 220 personnes qui viendront renforcer ce que fait Barkhane aujourd'hui. Donc il n'y a pas de spécialité particulière, en revanche…

FREDERIC RIVIERE
C'est du renfort…

FLORENCE PARLY
En revanche, ce qui a été décidé hier soir, c'est que la force militaire se concentre sur une zone géographique précise afin…

FREDERIC RIVIERE
La zone des trois frontières…

FLORENCE PARLY
Qui s'appelle la zone des trois frontières, donc à la frontière de trois pays, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui est précisément l'endroit…

FREDERIC RIVIERE
Pour lutter contre l'Etat islamique au Grand Sahara…

FLORENCE PARLY
Exactement, qui est précisément l'endroit…

FREDERIC RIVIERE
Qui est aujourd'hui…

FLORENCE PARLY
Où les attaques sont les plus meurtrières et où se concentre la filiale de Daesh au Sahel, qui est en effet l'Etat islamique au Grand Sahara. Donc ça, c'est un élément extrêmement important du point de vue, si je puis dire, de la stratégie militaire, concentration des moyens, renforcement pour ce qui concerne la France de l'effort, mais aussi, une organisation différente des moyens militaires et du commandement, c'est-à-dire l'interaction entre, d'un côté, la force Barkhane, la force conjointe du G5 Sahel et les forces armées nationales. Donc l'objectif est d'avoir une coordination très renforcée et un commandement conjoint.

FREDERIC RIVIERE
Alors justement, voilà, c'est l'autre nouveauté qui a été annoncée hier sur le plan militaire, c'est l'annonce de cette coalition internationale pour le Sahel, qui fera d'ailleurs l'objet d'une conférence le 26 mars prochain à Bruxelles, qui regroupera Barkhane, les armées du G5, et, dit-on, les futurs partenaires. Alors, d'abord, a-t-on d'ores et déjà l'idée de qui sont ces futurs partenaires ?

FLORENCE PARLY
Alors évidemment tant que la décision politique définitive des partenaires n'est pas encore complètement certaine, il est difficile de les nommer, mais ce que je peux vous dire, c'est que la France a travaillé activement depuis…

FREDERIC RIVIERE
Mais il y a des discussions bien avancées ?

FLORENCE PARLY
Très avancées avec un certain nombre de nos partenaires, et d'ailleurs, je partirai moi-même dans quelques jours au Sahel avec quelques-uns d'entre eux, parce que je souhaite que ceux qui sont désireux de pouvoir apporter leur contribution au-delà de ceux qui sont déjà présents, et n'oublions pas ceux qui sont déjà présents à nos côtés, puissent venir se rendre compte par eux-mêmes, à la fois de la situation, mais aussi du cadre d'intervention qui leur sera proposé.

FREDERIC RIVIERE
Alors cette nouvelle force aurait donc un commandement conjoint, est-ce que ce commandement reviendrait, selon vous, un peu naturellement à la France ?

FLORENCE PARLY
Alors, c'est un commandement dans lequel, naturellement, la force Barkhane va jouer un rôle structurant, en tout cas, au départ, et c'est un commandement qui a vocation à rapprocher, raccourcir les circuits de décisions, éviter que les alertes ne prennent du temps lorsqu'elles sont données, on se souvient de certaines attaques dont les forces armées des pays du Sahel ont été victimes et qui ont été ensuite secourues par des interventions notamment aériennes des forces françaises, donc comment faire en sorte que ces interventions soient plus rapides, comment mieux partager le renseignement, ce qui est absolument essentiel, le Sahel, c'est grand comme l'Europe, donc il faut pouvoir cibler ces interventions sur la base d'un renseignement qui est collecté par des moyens humains, par les moyens des pays concernés…

FREDERIC RIVIERE
Et notamment les Etats-Unis…

FLORENCE PARLY
Et aussi par des moyens techniques, notamment ceux qui sont mis à disposition en effet par les Etats-Unis ou par d'autres, et qui sont essentiels pour pouvoir concentrer au bon moment, au bon endroit l'intervention de la force.

FREDERIC RIVIERE
Vous avez aujourd'hui de vraies inquiétudes sur un désengagement américain, puisque ça a été évoqué hier ?

FLORENCE PARLY
Les Etats-Unis ne se cachent pas du fait qu'ils sont en train de revisiter la totalité de leur présence dans le monde, nous avons donc des échanges avec les autorités américaines, et comme le président de la République l'a indiqué, nous faisons tout pour que cette présence et ce soutien soient confortés, mais aujourd'hui, pour l'instant, nous n'avons pas encore de certitudes. Mais ce serait une très mauvaise nouvelle en effet si les Etats-Unis devaient alléger, voire supprimer le soutien qu'ils accordent aux pays du Sahel.

FREDERIC RIVIERE
Le président de la République a annoncé la mise en place d'une Task Force européenne, nommée Takouba. Quel serait son rôle, est-ce qu'elle viendrait s'inscrire dans ce dispositif dont nous avons parlé, avec commandement conjoint ou est-ce qu'elle aurait un rôle à part, et, bien évidemment, est-ce qu'on sait déjà de quels soldats elle serait constituée ?

FLORENCE PARLY
Cette Task Force a vocation à réunir des forces spéciales de différents pays européens…

FREDERIC RIVIERE
Oui, là, c'est pareil, on discute…

FLORENCE PARLY
Même réponse que tout à l'heure…

FREDERIC RIVIERE
Mais on n'annonce rien…

FLORENCE PARLY
On est en cours, on n'annonce rien tant qu'on n'est pas complètement sûr. Et l'objectif est d'accompagner les forces armées des pays du Sahel au combat. Et je crois que c'est un élément important en plus de tout ce que font les Européens en termes de formations, c'est un complément très important qui sera apporté. Mais je voudrais quand même ajouter un point, c'est que la spécificité et l'originalité du sommet de Pau qui s'est tenu hier, ce n'est pas seulement…

FREDERIC RIVIERE
C'est le souci du développement aussi, c'est ça…

FLORENCE PARLY
Ce n'est pas seulement en effet de se concentrer sur les effets militaires, mais c'est aussi inscrire cette coalition dans un cadre qui comporte plusieurs piliers, le pilier de lutte contre le terrorisme est évidemment essentiel, le pilier qui consiste à aider les capacités des armées nationales à monter en puissance est essentiel, mais il y en a deux autres qui sont tout aussi importants, et ils sont plus politiques, qui sont le retour des institutions de l'Etat sur les territoires, avec la montée en puissance de la police, de la gendarmerie et de la chaîne pénale aussi dans ces territoires. Et puis, enfin, et surtout peut-être le plus important, c'est le développement économique, parce que tout ça constitue un ensemble, si nous voulons triompher du terrorisme…

FREDERIC RIVIERE
Oui, il faut jouer sur tous ces fronts…

FLORENCE PARLY
C'est en ménageant tous ces outils que nous y parviendrons.

FRÉDÉRIC RIVIERE
Merci Florence PARLY. Bonne journée.

FLORENCE PARLY
Merci beaucoup.

ARNAUD PONTUS
La ministre française des Armées, Florence PARLY, invitée de Frédéric RIVIERE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 janvier 2020