Texte intégral
ORIANE MANCINI
L'invitée politique ce matin, c'est Agnès PANNIER-RUNACHER. Bonjour.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.
ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être avec nous, Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'Economie et des Finances. On est ensemble pendant vingt minutes pour une interview en partenariat avec la presse quotidienne régionale représentée par Christelle BERTRAND du groupe LA DEPECHE. Bonjour Christelle.
CHRISTELLE BERTRAND
Bonjour Oriane, bonjour Madame la Ministre.
ORIANE MANCINI
On va commencer par cette information sur Ségolène ROYAL qui va être démise de ses fonctions d'ambassadrice des pôles, Ségolène ROYAL qui a trop critiqué la politique du gouvernement. Elle avait été nommée par Emmanuel MACRON. C'est un limogeage politique ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. Vous savez, quand vous êtes fonctionnaire et elle a une fonction de fonctionnaire, le devoir de réserve est un des premiers éléments de la fiche de poste. Donc je crois qu'on l'attendait sur une prise de position…
ORIANE MANCINI
Ambassadrice des pôles, c'est assimilé à fonctionnaire.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, tout à fait. C'est ambassadrice. On l'attendait sur ses prises de position sur les enjeux des pôles, les difficultés de négociation éventuellement, ses frustrations, ses projets, ses réalisations. On l'a beaucoup entendue parler d'autre chose donc je pense qu'il y a un hiatus entre ce qu'elle souhaite faire et ce que est ce poste d'ambassadeur des pôles.
CHRISTELLE BERTRAND
Est-ce que ce n'était pas une erreur de la nommer à ce poste-là quand on connaît sa liberté de ton sur tous les sujets ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ségolène ROYAL, elle a beaucoup d'expérience politique mais également administrative, donc elle connaissait ces règles du jeu lorsqu'elle a accepté ce poste. Ce que nous voulions faire, c'est avoir une personnalité qui a un rayonnement politique important pour porter un sujet et mettre de la force dans les négociations qu'on peut avoir. Et comme vous le savez, d'autres personnalités politiques fortes ont assumé ces responsabilités-là et avec beaucoup de succès.
ORIANE MANCINI
Autre sujet d'actualité, c'est la direction d'AUCHAN qui a annoncé hier, AUCHAN distributeur nordiste, qui a annoncé hier la suppression de plus de cinq cents emplois nets. Un plan de départs volontaires au siège dans le cadre d'un projet de réorganisation du groupe. Ce n'est pas la première fois qu'AUCHAN supprime des emplois. Est-ce que vous êtes inquiets par ce type de décision ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que ce type de décision appelle deux types de réponse. La première réponse, et c'est ce sur quoi nous travaillons, c'est d'être très clair avec l'entreprise qui prend la décision, que le dialogue social doit être entretenu de manière telle que les conditions de départ des personnes sont satisfaisantes. Et dans des plans sociaux antérieurs, AUCHAN a plutôt été un employeur responsable et nous souhaitons qu'il soit un employeur responsable, parce que quelles que soient les circonstances pour les salariés, ce sont des situations difficiles à vivre et il faut s'intéresser immédiatement à leur rebond professionnel. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est que le commerce aujourd'hui, et en particulier tout ce qui est hypermarché, fait face à une crise profonde. Une crise de consommation. C'est-à-dire que nous, en tant que consommateurs, nous sommes en train de changer nos habitudes de consommation et que ça rétroagit de manière brutale sur la fréquentation des magasins, sur leur capacité à attirer de nouveaux clients. Donc nous sommes dans une transformation profonde du métier du commerce et de la grande distribution chez CARREFOUR, chez AUCHAN, chez d'autres groupes. Cette transformation, il faut l'accompagner pour qu'on conserve une présence sur les territoires, une présence physique. Je ne suis pas sûre qu'on ait tous envie d'avoir que des plateformes en ligne pour commander. Et là aussi, c'est un accompagnement que nous devons être capables de faire avec une vision un peu plus long terme, un peu plus construite pour avoir à la fois le bénéfice du numérique, c'est-à-dire cette capacité à pouvoir commander quand on est chez soi, mais également la présence physique, les emplois physiques et des conditions de concurrence qui soient loyales entre ces plateformes physiques et les plateformes digitales. Et d'ailleurs, je fais un lien avec la taxation sur les services numériques. C'est bien pour ça que c'est très important de remettre cet équilibre entre physique et digitale parce qu'aujourd'hui, vous avez quatorze points de différence de taxation. Quatorze points, c'est ce qui fait qu'aujourd'hui AUCHAN gagnerait beaucoup d'argent, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Vous savez qu'il perd de l'argent.
CHRISTELLE BERTRAND
Vous parlez d'employeur responsable. Est-ce que ça veut dire que Bercy va être extrêmement vigilant, va accompagner cet employeur pour vous assurer que les conditions de départ soient respectables ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors le dialogue sur un plan social, c'est un dialogue entre les organisations syndicales et l'entreprise. Il faut savoir que dans 80% des cas, ça se passe très bien, sans que Bercy ait à intervenir. Donc nous, nous intervenons lorsque nous avons des alertes, en règle générale venant des représentants du personnel, qu'il y a un déni ou qu'il y a une mauvaise qualité de dialogue social.
ORIANE MANCINI
Et ce n'est pas le cas chez AUCHAN. Ou c'est le cas chez AUCHAN.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez à ce stade, je n'ai aucune raison de penser qu'il y aura une difficulté.
ORIANE MANCINI
On va passer à un autre sujet, la réforme des retraites. Il y a un séminaire gouvernemental aujourd'hui à l'issue du conseil des ministres pour parler des réformes en général. Est-ce que la réforme des retraites, elle est en train de paralyser l'action réformatrice du gouvernement ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, je ne le crois pas. Moi je continue à avoir une activité au Parlement qui est assez soutenue, donc c'est un instrument de mesure.
CHRISTELLE BERTRAND
Un certain nombre de projets de loi ont dû être décalés.
AGNES PANNIER-RUNACHER
D'une semaine, de deux semaines. Je pense qu'on est aujourd'hui dans un rythme de réformes qui ne diminue pas et c'est le projet que nous portons. Et au-delà des réformes que nous portons au niveau du Parlement, ce qui est très important c'est la façon dont nous déclinons l'action sur le terrain. Lorsque Muriel PENICAUD a porté le projet de réforme sur l'avenir professionnel, c'est maintenant que ça se joue dans la déclinaison sur le terrain et dans le fait que les entreprises se saisissent de ce projet et le mettent en oeuvre en proposant des formations qui sont plus adaptées à leurs besoins de compétences. Vous savez qu'il y a aujourd'hui à peu près deux cent mille postes ouverts qui ne trouvent pas de candidats. Grâce à la réforme sur la formation professionnelle, les entreprises peuvent elles-mêmes construire des parcours de formation professionnelle et, du coup, attirer des candidats qui pourront prendre les postes. C'est ça aussi la déclinaison. Passer un projet de loi, ce n'est pas l'alpha et l'oméga de l'action publique. L'alpha et l'oméga de l'action publique, c'est quand le Français chez lui, quand l'entreprise dans son activité voit une différence et c'est l'enjeu aujourd'hui que nous avons de déclinaison au plus près du terrain de nos actions.
CHRISTELLE BERTRAND
Alors si ça n'a pas paralysé l'activité parlementaire, ç'a un peu paralysé le pays pendant un mois. Edouard PHILIPPE ce week-end…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ç'a paralysé essentiellement Paris. Il faut se prémunir de l'effet de myopie des Parisiens qui sont beaucoup dans les médias…
CHRISTELLE BERTRAND
Tous les Provinciaux qui avaient besoin de prendre le train pour se rendre sur leur lieu de travail ont été…
ORIANE MANCINI
Ou pour rejoindre leur famille à Noël…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur leur lieu de vacances, j'ai le sentiment que ça s'est bien passé. Pour avoir été anciennement dans les loisirs et avoir quelques idées des chiffres par exemple…
ORIANE MANCINI
Pour rejoindre leur famille à Noël, pas mal de gens ont eu des difficultés.
CHRISTELLE BERTRAND
Non mais pour se rendre sur leur lieu de travail tous les matins.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais attention parce qu'encore une fois, moi je le vis avec les commerçants, les artisans, je suis à leur contact très régulièrement, les chiffres entre Paris et la province sont très différents.
ORIANE MANCINI
Justement, est-ce que vous avez des chiffres précis ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Des chiffres macro, non ; des chiffres micro, oui. C'est-à-dire que je peux vous dire que dans le tourisme, enfin plutôt dans la restauration parisienne centre-ville, on a effectivement des établissements qui ont des pertes de l'ordre de 50% de chiffre d'affaires à l'abord des gares…
ORIANE MANCINI
Depuis début décembre ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Depuis le 5 décembre. Et des grandes enseignes qui vous disent : j'avais fait mon année au 5 décembre et patatras !, les trois dernières semaines ont effacé le bénéfice que j'ai fait sur toute l'année. Donc il y a une pression et elle est beaucoup sur Paris et sur des métiers précis, c'est-à-dire les métiers où vous ne rattrapez pas le chiffre d'affaires. Nuitées d'hôtel, vous ne pouvez pas faire deux nuitées d'hôtel le même jour. Restauration, pareil. Traiteur, notamment pour des événements ; salles de spectacle effectivement, plus les lieux de commerce qui sont en proximité des gares ou liés à des flux naturels de travail, où là effectivement si vous n'avez pas les flux, vous n'avez plus l'activité.
ORIANE MANCINI
Donc un vrai impact sur ces commerçants notamment dans l'hôtellerie et dans la restauration.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà. Macro économiquement, c'est beaucoup plus dilué et difficile à apprécier.
ORIANE MANCINI
Qu'est-ce que vous allez faire à Bercy pour aider ces commerçants ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous faisons depuis deux mois des choses puisque depuis le début du mouvement social, nous avons un suivi très en proximité avec les fédérations de commerçants, d'artisans et les chambres consulaires. Nous avons un numéro unique où les commerçants et les artisans peuvent disposer, enfin déclencher un plan d'accompagnement, report de charges fiscales…
CHRISTELLE BERTRAND
Ç'avait été très compliqué à mettre en place lors du mouvement des Gilets jaunes cet accompagnement. Est-ce que c'est plus simple cette fois-ci ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors ça n'a pas été compliqué à mettre en place. Ce qui a été difficile, c'est d'avoir le relais au plus près du terrain.
CHRISTELLE BERTRAND
Oui, c'est ça.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et aujourd'hui, parce qu'on a travaillé sur le sujet des Gilets jaunes, magique des associations qui sont au plus près du terrain qui ont le bénéfice de toute l'information. Les chambres consulaires ont été mobilisées aussi de manière plus précise en proximité du terrain, et comme il y a une forme quand même de concentration des difficultés sur certains quartiers, c'est aussi plus facile d'accompagner que lorsque vous avez plein de petits foyers différents et qui ont des problèmes différents. Des problèmes de blocage, des problèmes de violence le samedi, et donc ce n'est pas exactement les mêmes impacts sur l'activité. Donc oui, aujourd'hui ça se met en place. Moi je constate qu'aujourd'hui, les commerçants et les artisans recourent encore assez peu à ces dispositifs et on a eu le même phénomène l'année dernière. C'est-à-dire qu'il y a un phénomène « je finis le mois de décembre, je me concentre sur la réussite de mon chiffre d'affaires de fin d'année, sur l'organisation de mon activité pour faire venir les salariés. » Parce que ce qui est différent par rapport à l'année dernière, c'est que les gens qui travaillent chez ces commerçants et ces artisans mettent deux heures pour venir. Je veux leur dire, je pense qu'on est très conscient de ces difficultés et je veux les remercier de continuer à venir au travail, parce que là on a vraiment l'incarnation de ce qu'est la valeur travail chez les indépendants et chez leurs salariés. Donc ça, c'est le mois de décembre. On a aujourd'hui au niveau du chômage partiel un peu plus de cinq cents entreprises qui ont déclenché des demandes d'aide. Moi je dis aux commerçants et aux artisans, c'est très simple : décrochez votre téléphone, nous sommes là pour vous accompagner ; il ne serait pas acceptable qu'un commerçant dépose le bilan parce que des faits qui ne sont pas dépendants de sa volonté ont bloqué ou ont diminué leur fréquentation.
ORIANE MANCINI
Alors on a compris pour ces chiffres. Pas de chiffre plus général sur un éventuel impact sur la croissance française de ces grèves ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. Je vous l'ai dit très clairement, vous avez des effets de compensation d'abord. La baguette de pain que vous n'achetez pas chez le boulanger proche de votre travail parce que vous êtes en télétravail, vous allez l'acheter au boulanger qui est au coin de votre rue.
ORIANE MANCINI
Vous pensez qu'il n'y aura pas d'impact sur la croissance ; ça se compense.
AGNES PANNIER-RUNACHER
A ce que nous voyons aujourd'hui, l'impact devrait être modéré et moi j'attends la confirmation par des chiffres macro. L'année dernière, souvenez-vous, on était entre 0,1 et 0,2% de croissance du PIB mais pas au-delà.
CHRISTELLE BERTRAND
On voit que le mouvement décroît aujourd'hui. C'est principalement dû à l'annonce du Premier ministre sur l'âge pivot qui va être étudié dans un second temps. Pourquoi ne pas avoir fait cette annonce il y a un mois, le 11 décembre, au moment du discours devant le CESE, ce qui aurait peut-être épargné un mouvement qui s'est un peu éternisé ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'il faut éviter de refaire le match parce qu'on post-rationalise beaucoup les événements en disant : « l'histoire aurait pu se passer d'une façon différente. » Je ne le crois pas. Je crois qu'il était nécessaire de prendre nos responsabilités au niveau du gouvernement, ce que nous avons fait, et de ne pas éviter l'éléphant qui était dans la pièce. L'éléphant qui était dans la pièce, c'est que le système de retraite aujourd'hui n'est pas correctement financé. Ce n'est pas nous qui le disons, c'est le Conseil d'orientation des retraites. C'est l'expert dont le travail consiste à chaque année évaluer le financement du système de retraite. Et ce que ça veut dire, qu'il n'est pas financé, dans un système de retraite où c'est des Français jeunes qui travaillent, qui financent des Français retraités, ça veut dire qu'en fait vous créez une dette pour les plus jeunes. Ça veut dire que ma fille qui n'a pas encore commencé à travailler et qui a dix-sept ans est en train de se mettre dans une situation où sa retraite n'est pas garantie, et par ailleurs elle devra payer pour la mienne. Donc ça, c'est inacceptable. C'est un mensonge qui est dans la pièce et c'est pour ça que nous avons voulu adresser cette situation en disant : on ne peut pas dire « nous faisons une refonte complète du système de retraite pour l'adapter à la façon de travailler du XXIème siècle aux mobilités, au fait qu'on change d'employeur, au fait qu'on change d'emploi - ce qui est très important -, au rétablissement d'un certain nombre de règles du jeu, d'équité puisque ce que nous voulons c'est que pour le même travail il y ait les mêmes cotisations et la même retraite, que vous soyez employé par la RATP, par la Régie autonome de Marseille ou par une autre société de transport. Donc ça, ça paraît logique. Et puis la troisième chose, c'est qu'on voulait corriger un certain nombre d'iniquités pour les agriculteurs, pour les femmes qui aujourd'hui… 20 % des femmes travaillent jusqu'à 67 ans, c'est incroyable. Donc ça, c'était très clair, mais l'éléphant dans la pièce, c'est l'équilibre.
CHRISTELLE BERTRAND
C'était juste à la demande de Laurent BERGER qui souhaitait délier les deux négociations. Et donc finalement, on se dit : on a perdu un mois pour aborder cette question du financement.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas qu'on ait perdu un mois parce que cette question, tout le monde en a pris la mesure. Tout le monde en a pris la mesure. Faire une réforme où vous dites : voilà ce qu'est la réforme des retraites et par ailleurs, s'agissant du financement, on renvoie à un temps qui n'est pas défini, ça veut dire que d'emblée vous dites que les jeunes n'ont pas de garantie que leur retraite va être financée. Parce que c'est ça que ça veut dire. Ils n'ont pas de garanties que leur retraite va être financée.
CHRISTELLE BERTRAND
Il a fallu un mois.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et par ailleurs, si je peux aller jusqu'au bout, et par ailleurs vous n'abordez pas… Vous êtes une réforme structurelle mais pour nous, quoi. Donc vous laissez tomber la moitié de la population et, comme toujours, les plus jeunes, ceux que… Vous savez qu'en France, la question du niveau de pauvreté des plus jeunes est quand même une vraie question donc ce n'est pas acceptable. Donc oui, on met le sujet au milieu de la pièce et on assume des responsabilités. Et ce qu'on a dit et on l'a toujours dit de manière très nette, c'est notre opinion, notre conviction à nous, c'est que l'âge pivot est le meilleur système parce qu'on ne va pas diminuer le niveau des retraites. Je pense que personne n'est pour. Nous pensons qu'augmenter les cotisations, c'est une façon de recréer du chômage. Et je veux dire, l'automaticité elle est quasi-immédiate. Le coût du travail en France lorsqu'on n'est pas à proximité du SMIC mais au-delà de deux fois le SMIC, il est massivement supérieur à d'autres pays. Il est 40% supérieur à l'Espagne dans l'industrie, il faut quand même être conscient de ça.
ORIANE MANCINI
Donc pour vous, c'est sur la durée de travail que ça va se jouer.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Après les paramètres, c'est la durée de travail effectivement.
CHRISTELLE BERTRAND
Donc on va en revenir à l'âge pivot.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi j'ai entendu d'autres dirigeants dire : la durée de travail, ça se joue à différents niveaux. C'est le travail sur l'année, le travail sur la vie, quand est-ce qu'on rentre dans le travail, quand est-ce qu'on en sort.
ORIANE MANCINI
Et justement, ça pose la question du travail des seniors. Hier le gouvernement a reçu un rapport sur ce travail des seniors. Entre 55 et 64 ans, le taux d'emploi est seulement d'un peu plus de 50 %. Est-ce qu'il n'y a une contradiction entre la réalité du marché du travail qu'on constate et la volonté du gouvernement d'inciter les Français à travailler toujours plus ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais ce n'est pas la réalité du marché du travail qu'il faut adresser, c'est nos modes de management. Moi j'ai dirigé une entreprise, et effectivement le travail des seniors est un sujet important. Mais il y a une forme parfois de paradoxe à dire : on peine à recruter des gens qui ont les compétences et l'expérience professionnelle et, par ailleurs, lorsque vous avez 54 ans, 55 ans, 56 ans, il est si difficile de retrouver un travail parce que l'entreprise ne mise pas, n'investit pas en se disant « ça va durer de trop peu de temps ». Déjà si ça dure un peu plus longtemps, vous avez plus d'intérêt à investir. Ça, c'est le premier point. Deuxièmement, il faut organiser des sorties ou des aménagements dans la carrière des seniors qui ne soient pas 0- 1 : tu travailles, tu ne travailles plus. Et qui soient peut-être du temps partiel, peut-être des formes d'accompagnement et de mentoring. Moi je l'ai fait dans mon entreprise. Des gens qui avaient des compétences fortes où la dernière année on leur dit : en fait, tu arrêtes de travailler sur ton poste mais tu vas tourner sur les compétences du groupe qui sont dans ta verticale technique et tu vas leur passer ton savoir ; parce que toi, tu as quarante ans d'expérience professionnelle et c'est irremplaçable.
CHRISTELLE BERTRAND
C'était l'idée du contrat de génération de François HOLLANDE si je ne me trompe pas. Ça n'a pas très bien fonctionné. Comment est-ce qu'on peut faire pour influer les comportements de ces entreprises justement et faire en sorte que les seniors retrouvent une employabilité correcte ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors première chose, si vous voulez traiter un sujet mettez-le sur la table. Il faut le rendre visible. Je pense que c'est ce que nous sommes en train de faire. Deuxième chose, encore une fois, il ne suffit pas de poser un projet de loi ou de prendre une décision ou d'annoncer un plan, il faut être dans l'exécution. Je crois que c'est aussi un des marqueurs de ce gouvernement, de ne pas être simplement et dire : j'ai passé le texte de loi et maintenant le travail est fait, mais de s'assurer qu'il y ait une déclinaison sur le terrain et d'accompagner cette déclinaison sur le terrain. Pour vous donner un exemple, moi dans le cadre du Pacte productif, je discutais avec le patron de FRANCE INDUSTRIE sur un pacte, c'est du donnant-donnant, sur les engagements des entreprises. Et je lui ai indiqué : mais au fond, on serait en attente d'engagements sur le travail des seniors, parce que c'est vous aussi en tant qu'entreprise qui avez des choses à faire. C'est vous les employeurs, c'est vous qui pouvez dessiner les contours d'évolution dans la manière de faire travailler les personnes qui ont plus de 55 ans, qui donneront de la valeur à un travail qui durerait plus longtemps. Et je crois aussi qu'il faut travailler sur la pénibilité. Aujourd'hui sur la pénibilité, il y a eu des grandes évolutions qui ont été faites, c'est-à-dire les conditions de travail dans les années 2020 ne sont pas les conditions de travail dans les années 70, donc l'impact sur la fatigue, les troubles musculo-squelettiques sont en diminution mais on doit continuer.
CHRISTELLE BERTRAND
Sur la pénibilité justement, en 2017 un projet de loi a retiré quatre critères de ces critères de pénibilité. Est-ce que vous allez les rétablir ? Et puis pourquoi les avoir retirés à cette époque-là ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors ça je peux vous dire. Tel qu'a été conçu le projet de loi… Moi je l'ai regardé puisque, encore une fois, j'étais dirigeante d'entreprise à ce moment-là. Mesurer l'exposition d'une personne sur une machine qui vibre, combien d'heures, vous êtes avec un chronomètre tous les jours, combien d'heures la machine vibre, combien de temps il est au froid, ce n'était absolument pas opérationnel.
CHRISTELLE BERTRAND
Ces quatre critères ne vont pas être réintégrés dans la loi ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas le sujet. Le sujet de la pénibilité, c'est de savoir… Vous avez deux manières de l'approcher. Soit vous êtes avec un chronomètre derrière chaque travailleur et vous êtes incapable de gérer la mobilité d'un emploi à l'autre, une trajectoire dans une entreprise et vous créez une usine à gaz qui n'est pas très effective. Soit vous l'abordez sous un autre sujet, c'est-à-dire que vous ne devez pas avoir des troubles musculo-squelettiques à 60 ans. Et pour ne pas avoir des troubles musculo-squelettiques, il faut adapter les machines, il faut travailler sur des exosquelettes, il faut travailler sur les postures et ça c'est une vraie discipline.
ORIANE MANCINI
Agnès PANNIER-RUNACHER, il nous reste peu de temps. On va quand même terminer par une bonne nouvelle puisqu'on va parler de l'attractivité industrielle de la France. En termes d'attractivité industrielle, la France est en tête des pays européens. C'est elle qui attire le plus d'investisseurs étrangers. Comment vous l'expliquez ? Est-ce que c'est lié à la performance des filières industrielles françaises ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui, c'est lié à deux choses. Effectivement nous sommes un grand pays industriel, il ne faut pas l'oublier, même si nous avons systématiquement détruit de l'emploi de 2000 à 2016 et c'est aussi lié à une politique d'attractivité. La politique qui a conduit à faciliter l'investissement étranger en France, à orienter l'épargne et l'investissement vers la prise de risque dans les entreprises, à faire en sorte que l'investissement dans le capital soit moins taxé alors qu'il était massivement taxé par rapport en comparaison d'autres pays européens qui ont des modèles sociaux équivalents, ça porte ses fruits aujourd'hui. On a 330 projets industriels étrangers en 2018. A titre de comparaison, le numéro 2 sur le podium sur la Turquie, la Turquie qui est quand même un pays beaucoup plus low cost avec 200 projets seulement. Et le troisième, c'est l'Allemagne qui est le champion industriel européen qui a seulement 150 projets. Donc ça, c'est aussi l'effet d'un travail systématique sur les filières industrielles, sur l'industrie du futur, du Conseil national de l'industrie autour du Premier ministre et de Bruno LE MAIRE et je suis très heureuse aujourd'hui qu'on soit capable d'avoir une séquence où on a une exposition à l'Elysée où on va montrer le fabriqué en France.
ORIANE MANCINI
Alors justement, c'est une exposition qui a lieu ce week-end dédiée aux produits français.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.
ORIANE MANCINI
Quel message vous avez envie de faire passer ce matin aux gens qui nous écoutent ? Consommez français, il y a des beaux produits ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Le message que j'ai envie de passer, il est double. C'est on peut acheter français, c'est plus qualitatif en règle générale donc plus durable. Donc le delta de prix qui est réel, vous le retrouvez sur le fait que votre produit dure plus longtemps et vous êtes à peu près sûr que, d'un point de vue social et d'un point de vue environnemental, vous êtes sur un produit qui a un meilleur bilan que beaucoup d'autres produits étrangers, en particulier hors Union européenne. La deuxième chose, c'est qu'il faut être fier de notre industrie. On fait des choses extraordinaires. La France est le seul pays au monde avec les Etats-Unis à être capable de construire un avion de A à Z. Soyons fiers de notre industrie et faisons en sorte aussi que les emplois industriels retrouvent le lustre qu'ils doivent avoir.
ORIANE MANCINI
Allez, dernière question rapide sur les municipales rapidement.
CHRISTELLE BERTRAND
Un mot de politique pour terminer. Le président de la République a demandé aux ministres de s'engager lors de ces municipales. Est-ce que vous-même allez être candidate aux élections municipales ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, cela je le communiquerai en temps utiles.
ORIANE MANCINI
Votre nom circule pour être candidate éventuellement à Paris sur une des listes de Benjamin GRIVEAUX.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je suis la personne qui a monté le mouvement La République en Marche dans le XVIème arrondissement, donc j'ai effectivement travaillé, j'ai tracté…
ORIANE MANCINI
Vous seriez la meilleure tête de liste pour Benjamin GRIVEAUX dans le XVIème.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. La tête de liste dans le XVIème arrondissement, c'est Hanna SEBBAH, c'est quelqu'un qui a beaucoup de jeunesse et en même temps beaucoup d'expérience, donc moi je soutiens Hanna SEBBAH et pour la candidature, on verra.
ORIANE MANCINI
Ce n'est pas non. Enfin, « on verra » : c'est dans deux mois quand même.
CHRISTELLE BERTRAND
Quand est-ce que vous allez prendre votre décision et l'annoncer ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est une décision qui se prend à plusieurs. Vous savez, la candidature ça suppose aussi d'être retenu.
ORIANE MANCINI
En tout cas, on retient que ce n'est pas non mais qu'il va falloir l'annoncer rapidement. Les municipales, c'est dans deux mois. Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER d'avoir été avec nous ce matin.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci beaucoup.
ORIANE MANCINI
Demain à votre place c'est un de vos collègues au gouvernement, Olivier DUSSOPT, Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'action et des Comptes publics.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 janvier 2020