Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
Votre invitée, Sonia MABROUK, c'est Florence PARLY, la ministre des Armées.
SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous ce matin, sur Europe 1, Florence PARLY. Dans un contexte de vives tensions au Moyen-Orient, le président MACRON a annoncé hier lors de ses voeux aux Armées, le déploiement du porte-avions Charles-de-Gaulle, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Mais dans un tel contexte, c'est de la diversion ou de la dissuasion ?
FLORENCE PARLY
Tout d'abord, je voudrais rappeler que ça fait 5 ans que la France est engagée dans la lutte contre Daesh et participe à une coalition internationale. C'est dans ce contexte que le porte-avions Charles-de-Gaulle va être déployé, c'était une opération qui était prévue. Il se trouve que ce déploiement va s'inscrire dans un contexte en effet de grandes tensions que vous venez de rappeler. Et dans ce contexte, déployer un porte-avions, c'est déployer un signal. Et c'est déployer un signal d'abord européen, parce que ce porte-avions va naviguer avec une escorte, et il sera constamment accompagné par des navires appartenant à différentes marines européennes, ce qui montre que la lutte contre Daesh, c'est une lutte internationale que nous poursuivons à plusieurs.
SONIA MABROUK
C'est important ce que vous dites. Vous dites "un signal", bien sûr un signal d'abord dans la lutte contre le terrorisme, mais dans un tel contexte, après l'élimination du Général SOLEIMANI, et tout ce qui s'en est suivi, entre l'Iran et les Etats-Unis, et ce qui est en cours, est-ce que ce n'est pas aussi un signal, une pression réelle, forte, exercée sur l'Iran ?
FLORENCE PARLY
Il n'y a aucune intention de la part de la France, d'exercer une quelconque pression à caractère militaire. Au contraire, la France a marqué par l'initiative qu'elle a prise également vis-à-vis des Européens, son désir de pouvoir contribuer à la désescalade dans une région qui subit de très fortes tensions.
SONIA MABROUK
Désescalade, pardonnez-moi, c'est le mot qui correspond à la situation actuelle ?
FLORENCE PARLY
Je crois que, comme l'a dit le ministre de l'Europe des Affaires étrangères, nous avons, nous sommes arrivés à un point où il n'y a plus d'escalade. Donc, je ne sais pas si nous sommes encore dans la désescalade, mais en tout cas l'escalade à laquelle nous avions assisté depuis plusieurs semaines, semble pour l'instant, et je reste prudente, avoir cessé. Mais je reviens sur ce point de la désescalade. Cela fait donc des mois que les tensions s'accroissent dans la région, et face à une stratégie américaine de pression maximale, vis-à-vis de l'Iran, la France, les Européens, ont souhaité au contraire marquer, du fait de leur attachement à l'accord qui a été conclu il y a plusieurs années maintenant, à Vienne en 2015, pour tenter d'éviter une crise de prolifération nucléaire, tenter donc une désescalade. Comment ? Eh bien en déployant dans le Golfe arabo-persique et dans le Détroit d'Ormuz, des navires qui appartiennent à différentes marines, la marine française, la marine néerlandaise, la marine danoise, pour sécuriser le trafic maritime dans la région.
SONIA MABROUK
Vous nous dites qu'il n'y a pas, et aucune pression militaire exercée sur l'Iran par le déploiement du Charles-de-Gaulle. Je voudrais insister quand même sur un élément : on sait que la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne s'inquiètent sérieusement des violations par l'Iran de ses engagements sur le nucléaire. Vous nous dites, et la France fait partie de cet accord, mais est-ce qu'il y a un point de rupture ou peut-être de basculement qui est en train de s'opérer en ce moment ?
FLORENCE PARLY
Mais, je voudrais revenir sur un point, parce que je pense que c'est important pour nos auditeurs. La France participe d'un côté, et c'est sa priorité, à la lutte contre Daesh, et elle soit poursuivre cette action, car elle est déterminante pour la sécurité des Européens. Et puis par ailleurs, la France s'était engagée dans un accord avec d'autres Européens…
SONIA MABROUK
Etait ou l'est toujours ?
FLORENCE PARLY
L'est toujours, l'est toujours, la France est toujours partie prenante de l'Accord de Vienne, qui vise à empêcher l'Iran d'avoir l'arme nucléaire. Et nous ne devons pas mêler ces deux sujets. Nous devons faire, continuer de faire tous nos efforts pour que l'accord de Vienne, puisse être respecté et faire revenir l'Iran…
SONIA MABROUK
Malgré les pressions, Florence PARLY, de Donald TRUMP, en ce moment, sur vous, la France, les Européens ?
FLORENCE PARLY
La France et les Européens ont toujours déployé leur propre voie sur le plan diplomatique, vis-à-vis de l'Iran, jamais les Européens, jamais la France, ne se sont écartés de cette voie-là. Souvenez-vous des efforts que le président de la République a menés depuis des mois, pour permettre que les Etats-Unis et l'Iran puissent se parler. Cela n'a pas été possible, mais il nous paraît encore plus essentiel en ce moment particulier, d'obtenir désormais que l'Iran qui s'est progressivement affranchie d'un certain nombre d'engagements qu'elle avait prises dans le cadre de cet accord de Vienne, puisse y revenir un rapidement.
SONIA MABROUK
Vous parlez, et c'est l'essentiel aussi, de la lutte contre le terrorisme. Nos militaires sont engagés au Sahel, c'est l'opération Barkhane. On fait face à une intensification des attaques djihadistes dans la région en ce moment ?
FLORENCE PARLY
On fait face en effet à un durcissement de la menace. Il y a eu beaucoup d'attaques extrêmement meurtrières, dont ont été victimes les armées du Sahel, nous-mêmes, la France, nous avons été victimes d'une tragédie à la fin du mois de novembre, nous avons perdu 13 de nos militaires, et donc l'on voit bien que la tension, le terrorisme gagne, descend vers le Sud. C'est la raison pour laquelle…
SONIA MABROUK
Vous avez dit le mot "gagne", c'est-à-dire que malgré notre travail, la présence française…
FLORENCE PARLY
Territorialement.
SONIA MABROUK
Oui, mais il y a un accroissement de…
FLORENCE PARLY
Territorialement, ils se déploient du Nord vers le Sud. Et donc, et le président de la République a souhaité que les chefs d'Etat des pays concernés, qui correspondent à une zone qui est grande comme l'Europe, puissent se retrouver après ces tragédies, pour d'une part clarifier le cadre dans lequel la France intervient dans ce pays.
SONIA MABROUK
Florence PARLY, on sait ce qui ne fonctionne pas, l'armée française n'arrive pas à passer le relais aux armées africaines, la formation prend du temps, ne donne pas de résultats probants, est-ce que ça vous inquiète ?
FLORENCE PARLY
Mais, comment pouvez-vous dire "il n'y a pas de résultat", alors qu'il s'agit d'un des plus grands…
SONIA MABROUK
Il y en a, mais pas suffisamment.
FLORENCE PARLY
D'un des plus grands défis auquel le monde aujourd'hui est confronté, celui du terrorisme, que celui-ci se déploie dans des pays qui font partie des pays les plus pauvres au monde, qui n'ont pas encore d'armée constituée, au sens où nous l'entendons…
SONIA MABROUK
C'est la question que je vous pose.
FLORENCE PARLY
... et qui doivent en même temps, qu'ils doivent en même temps combattre le terrorisme et gagner en compétence et en capacité militaire. Donc le rôle de la France depuis 5 ans maintenant, c'est d'abord de contenir ce terrorisme, et nous y parvenons, nous avons des succès et nous y contribuons avec l'appui des forces saoudiennes. Souvenez-vous que la dernière opération…
SONIA MABROUK
Mais vous reconnaissez, Florence PARLY, qu'il faut faire plus en termes de formation ?
FLORENCE PARLY
Pardonnez-moi, je voudrais insister sur une chose, c'est que Barkhane n'intervient pas seule, la dernière opération que nous avons menée récemment, plus de 50% des forces qui étaient engagées dans cette opération, étaient des forces partenaires, c'est-à-dire des forces sahéliennes et des forces européennes.
SONIA MABROUK
Ça veut dire qu'il ne faut pas appeler à davantage de coopération ? C'est ce que vous nous dites, c'est…
FLORENCE PARLY
Il faut donc appeler à davantage de coopération, parce que, comme je vous l'ai dit, c'est un des défis les plus difficiles, que les pays du Sahel ne pourront pas le relever instantanément seuls, c'est pour cela que nous avons confirmé non seulement le fait que nous continuerions à combattre auprès des Sahéliens, mais par ailleurs…
SONIA MABROUK
Continuer, Florence PARLY, pardonnez-moi, continuer, ça veut dire que la force Barkhane n'a pas vocation à rester indéfiniment…
FLORENCE PARLY
Mais bien sûr que non.
SONIA MABROUK
Est-ce que vous avez un horizon, un délai ?
FLORENCE PARLY
Mais bien sûr que non. Mais nous allons continuer à soutenir nos partenaires sahéliens, et par ailleurs, nous appelons à une internationalisation, c'est-à-dire à ce que des partenaires nous rejoignent pour aider les pays du Sahel à mener ce combat, qui est extrêmement difficile.
SONIA MABROUK
Les Européens, certains s'engagent, c'est la force spéciale européenne Takouba, mais, et vous le savez, la réalité c'est qu'ils sont bien contents que la France se débrouille seule ou presque sur le terrain.
FLORENCE PARLY
Mais les Européens nous rejoignent.
SONIA MABROUK
On le déplore.
FLORENCE PARLY
Les Européens nous rejoignent…
SONIA MABROUK
Trop peu, trop tard.
FLORENCE PARLY
Mais vous dites cela, mais je vais dimanche au Sahel, j'y serai accompagnée par…
SONIA MABROUK
Vous allez voir nos militaires sur place.
FLORENCE PARLY
Bien sûr, comme chaque fois.
SONIA MABROUK
Les soutenir, les encourager.
FLORENCE PARLY
Et j'y serai accompagnée par le ministre suédois de la Défense, ainsi que par le ministre estonien de la Défense, et enfin le ministre portugais. Donc nous n'y sommes pas seuls, et nous y serons certainement plus nombreux encore, lorsqu'à l'été cette force Takouba qui va être constituée de forces spéciales européennes, va pouvoir accompagner les forces armées maliennes dans ce combat.
SONIA MABROUK
Et vous nous dites que la force Barkhane n'a pas vocation à rester indéfiniment.
FLORENCE PARLY
Mais nous n'avons jamais dit que la force Barkhane avait vocation à rester indéfiniment, ce n'est évidemment pas le souhait de ces pays souverains, mais ces pays souverains que sont les pays du Sahel, ont réaffirmé de façon claire leur souhait que la France continue d'être engagée à leurs côtés.
SONIA MABROUK
Florence PARLY, je quitte le Sahel pour rester sur la même thématique et question importante de la lutte contre le terrorisme. Une question sur le retour des djihadistes de Syrie et d'Irak. La ministre de la Justice a semblé ouvrir la porte à un retour en France pour qu'ils soient jugés. Et pour vous, où doivent-ils être jugés ?
FLORENCE PARLY
La position de la France n'a pas changé. La position de la France c'est que ces terroristes doivent être maintenus et jugés, là où ils ont commis leur crime.
SONIA MABROUK
Sur Europe 1, il y a quelques temps déjà vous aviez avalisé implicitement leur élimination sur place, vous êtes toujours vous-même sur cette même ligne ?
FLORENCE PARLY
Je vous l'ai dit, la position de la France n'a pas changé, ce sont des personnes qui ont quitté la France, qui ont détruit leurs liens avec la France, qui ont détruit leurs papiers d'identité, qui ont voulu mener un combat, y compris contre leur propre pays. Qui pensez-vous qu'ils souhaitent leur retour dans notre pays ?
SONIA MABROUK
C'est clair. Il y a le terrain syrien, il y a le terrain libyen, on en parlera une prochaine fois. Je voudrais conclure, Florence PARLY. Nous avons passé en revue les tensions internationales, les conflits et les grands défis, comment dans un tel contexte, donner envie aux plus jeunes qui nous écoutent peut-être ce matin sur Europe 1, de s'engager, d'intégrer l'armée française ?
FLORENCE PARLY
Eh bien c'est tout l'objet de l'événement que nous organisons, puisque La Fabrique Défense est un événement que nous organisons à La Villette, qui est gratuit, et qui est destiné à permettre aux jeunes qui souvent n'ont pas une idée précise de ce qu'est cet univers de la défense, ce que l'engagement représente, et nous avons décidé de le leur faire connaître, de façon ludique, de façon intéressante, et de façon moderne. Donc je ne peux qu'inviter tous vos auditeurs à nous rejoindre. C'est gratuit.
SONIA MABROUK
Merci Florence PARLY d'avoir été notre invitée ce matin, sur Europe 1
source : Service d'information du Gouvernement, le 20 janvier 2020