Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à France inter le 20 janvier 2020, sur la contestation contre la réforme des retraites, le communautarisme et les terroristes islamistes.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAME, nous recevons ce matin, la garde des Sceaux, ministre de la Justice, dans « Le grand entretien du 7/9 ». Vos questions dans une dizaine de minutes via les réseaux sociaux et l'application mobile de France Inter. Le standard est ouvert, mais suite au mouvement de grève que traverse Radio France, vous ne pourrez pas vous exprimer en direct à l'antenne, c'est donc moi qui lirai vos questions. Nicole BELLOUBET, bonjour.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être à notre micro ce matin. Quelques événements, ces derniers jours : vendredi, des opposants au projet de réforme des retraites bloquent les accès au musée du Louvre, vendredi toujours, d'autres font irruption au siège de la CFDT à Paris, vendredi encore, un groupe de militants a tenté de pénétrer dans le théâtre des Bouffes du Nord où le président de la République et son épouse assistaient à une représentation. Samedi, la brasserie La rotonde, prisée d'Emmanuel MACRON, a été la cible d'un incendie vraisemblablement criminel. Nicole BELLOUBET, comment caractérisez-vous le moment que traverse la France ?

NICOLE BELLOUBET
Je trouve que c'est un moment difficile, parce que quand on vit dans une démocratie et quand on croit à la démocratie, ça implique un certain, je suis désolée de parler de ça, un certain respect des formes, respect des procédures, c'est ça qui est vraiment la caractérisation d'un Etat de droit, sinon c'est un état de nature, où chacun fait ce qu'il veut, où il n'y a de respect de rien. Or, il me semble précisément que dans le travail qui est conduit aussi bien par le gouvernement, qu'au Parlement, il y a des moyens d'exprimer son opposition, le droit de grève est en plus un droit parfaitement constitutionnel, et tout ça, est très normal, mais quand on attaque le président de la République, quand on attaque une brasserie, si c'est lié à ce que l'on, l'enquête le dira, si c'est lié à ce que l'on a supposé, tout cela ne me semble absolument pas acceptable. Vraiment, je crois que... Moi j'ai vraiment trop le souci du respect des procédures, parce que c'est ça qui garantit l'écoute et la démocratie.

LEA SALAME
Vous parlez du respect des procédures, et des formes, et des institutions, on en est éloigné là, ces derniers jours dans ce qui se passe. Marlène SCHIAPPA parle de climat insurrectionnel violent. Est-ce qu'elle va trop loin ou...

NICOLE BELLOUBET
Non, je ne dirais pas, je ne reprendrais pas cette formule de Marlène SCHIAPPA, parce qu'il me semble que les événements que vous avez cités sont le fait d'une minorité, et donc je ne parlerais pas d'un climat insurrectionnel, du tout. Mais je pense quand même que certains de nos concitoyens vont trop loin par rapport à ce qui est exigé dans une démocratie.

LEA SALAME
Emmanuel MACRON avait été élu sur la promesse d'apaiser la France, de réconcilier les Français. Qu'est-ce que vous avez raté Madame la Ministre ?

NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas si on a raté quelque chose. Ce que nous avons essayé de faire c'est de promouvoir des transformations qui sont importantes, qui bouleversent les habitudes, et je crois que dans toute innovation, dans tout ordre nouveau, au sens où des choses nouvelles apparaissent, il y a un temps d'adaptation qui est peut-être plus long que celui qui a été suivi. Mais je crois en même temps qu'on ne peut pas laisser traîner les choses en longueur, sinon rien ne se fait une fine.

NICOLAS DEMORAND
Le journaliste engagé à gauche, Taha BOUHAFS, qui avait filmé Alexandre BENALLA place de la Contrescarpe, était dans le même théâtre que le président de la République vendredi, il a posté sur Twitter le message suivant :"Des militants sont quelque part dans le coin et appellent tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare, la soirée risque d'être mouvementée". Il a été arrêté, placé en garde à vue, le Parquet avait demandé sa mise en examen, refusée par la juge d'instruction. Pour son avocat, Arié ALIMI, que je cite, "c'est un dépassement inédit des atteintes à la liberté d'informer et au droit des journalistes, à la demande de l'Elysée". Qu'est-ce que vous lui répondez ?

NICOLE BELLOUBET
Je réponds que, d'abord, il a été placé sous le statut de témoin assisté, ce qui n'est donc évidemment pas une mise en examen, et il me semble qu'il y a là un seuil qui a été franchi, dans le mail, le SMS pardon…

NICOLAS DEMORAND
Le tweet, oui.

NICOLE BELLOUBET
... le tweet qu'il a adressé. Il me semble que le président de la République était là dans une activité privée, et ça ne fait pas partie des informations, me semble-t-il, qui doivent être diffusées de cette manière-là. Donc…

NICOLAS DEMORAND
"Dépassement inédit des atteintes à la liberté d'informer au droit des journalistes, à la demande de l'Elysée", c'est sur ce point-là que je vous demande de réagir.

NICOLE BELLOUBET
Sur "à la demande de l'Elysée ?"

NICOLAS DEMORAND
Oui.

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, je ne crois pas savoir que l'Elysée soit intervenu.

LEA SALAME
Sur les violences, toujours, Marine LE PEN a mis en cause dimanche le rôle du préfet de police de Paris, Didier LALLEMENT, dans l'aggravation des tensions, dit-elle, de ces dernières semaines, notamment en matière de violences policières. Elle demande le départ du préfet de police de Paris. Vous lui répondez quoi ?

NICOLE BELLOUBET
Non mais ça c'est la stratégie de Marine LE PEN, qui tous les matins, demande le départ de quelqu'un. Tantôt c'est un ministre, tantôt c'est le président, donc maintenant c'est le préfet de police. Je crois que le... Il faut distinguer deux choses. Il faut distinguer d'une part l'activité des forces de l'ordre qui sont soumises, vous le savez, à beaucoup de pression depuis longtemps maintenant, et il faut ici saluer le travail qu'elles font. Et d'autre part dire que dans l'état dans lequel nous sommes, évidemment tous les actes individuels qui ne sont pas proportionnés, doivent faire l'objet d'un suivi et aussi bien par la justice, et avant évidemment d'une enquête.

LEA SALAME
Ces actes individuels dont vous parlez, c'est les violences policières ?

NICOLE BELLOUBET
Je n'emploierai pas, alors c'est évidemment, je sais qu'il y a là une grande différence d'interprétation, mais pour moi des violences policières caractérisent je dirais une volonté de l'Etat, qui est sciemment pensée. Je crois que nous ne sommes pas là du tout dans ce cadre-là, c'est pourquoi je pense qu'il y a réellement des faits individuels, qui ne sont pas acceptables, et qui doivent comme tels être sanctionnés, c'est cela qui renforce la crédibilité de nos forces de l'ordre. Mais je ne parlerai pas d'un état de violences policières, non.

NICOLAS DEMORAND
Les avocats, Nicole BELLOUBET, restent fortement mobilisés contre la réforme des retraites.

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

NICOLAS DEMORAND
Ils retirent, vous le savez, symboliquement leur robe pour protester. Ils disent que leur régime autonome est excédentaire, qu'il marche bien, qu'il est justement équitablement redistributif, et qu'il ne faut donc pas y toucher. Ont-ils tort ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, ils ont, de mon point de vue, je comprends étant donné l'histoire de la construction de leur régime de retraite, qui depuis l'après-guerre est un régime autonome. Donc je comprends parfaitement qu'une évolution puisse susciter des inquiétudes. Mais à côté de cela, notre ambition est vraiment de créer un régime universel. Et il n'y a pas de régime universel si des gens sont en dehors, pour une raison ou pour une autre, c'est la raison pour laquelle je…

LEA SALAME
Mais il y a déjà plein d'exceptions !

NICOLE BELLOUBET
Non, non non…

LEA SALAME
Pourquoi il n'y aurait pas une exception pour les avocats ? Les policiers, les gendarmes…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais ils sont dans le régime universel madame SALAME. Ils sont dans le régime universel, c'est-à-dire qu'un régime universel n'est pas un régime uniforme. Un régime universel c'est un régime où tout le monde entre, et où tout le monde a des droits qui sont identiques. C'est ça la force du régime universel. Ce sont des droits identiques, y compris pour les avocats, c'est-à-dire qu'un jeune avocat, qui au bout d'un moment souhaiterait changer de profession, il emportera les droits qu'il a cotisés, et je trouve que c'est évidemment extrêmement avantageux. Donc un régime universel, c'est un régime qui n'est pas uniforme, et où il y a un minimum de règles qui s'imposent. Après, on peut trouver des adaptations, et c'est ce que nous avons proposé aux avocats, depuis plusieurs mois.

NICOLAS DEMORAND
Mais ils disent qu'avec…

LEA SALAME
Ils vous disent non.

NICOLAS DEMORAND
Oui, ils disent non, parce qu'avec la réforme leurs cotisations vont augmenter de 14 à 28 % et leurs pensions baisser…

NICOLE BELLOUBET
Nous leur avons proposé des solutions.

NICOLAS DEMORAND
Donc c'est faux ça.

NICOLE BELLOUBET
Nous ne voulons pas que les avocats soient les perdants de cette réforme, et c'est la raison pour laquelle nous avons fait des propositions nombreuses, nous avons précisé que bien sûr les cotisations retraite augmenteraient, mais que nous proposerions une baisse des cotisations hors retraites. Nous avons précisé que ces cotisations, cette évolution pourrait s'inscrire dans la durée, nous proposons également que des mécanismes de solidarité puissent demeurer, nous proposons que leur caisse autonome, ils puissent en garder la gestion, dans le cadre de la quête universelle, etc. Et donc nous avons appelé les avocats et ils ont accepté j'en suis ravie, à revenir dialoguer avec nous cette semaine sur des questions techniques.

LEA SALAME
Nicole BELLOUBET, dans les prochaines semaines, Emmanuel MACRON veut une grande initiative pour lutter contre le communautarisme. Ça veut dire quoi ? C'est une incantation comme le Grand débat sur l'immigration, qui a débouché sur un débat sans vote à l'Assemblée nationale et puis on passe, ou vous allez vraiment annoncer de vraies mesures ? Pour être très clair, est-ce que vous allez toucher à la loi de 1905 ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, la lutte contre le communautarisme passe par plusieurs éléments. Christophe CASTANER a pris un certain nombre de mesures qu'il a adressées aux préfets, j'ai moi-même la semaine dernière signé une circulaire rappelant l'ensemble des délits qui peuvent naître d'une interprétation erronée de la liberté religieuse, vraiment, nous avons plusieurs piliers à mettre en place. Je crois aussi beaucoup que la lutte contre le communautarisme passera par des actions très concrètes, très pratiques, dans les territoires où on voit ces phénomènes-là, il me semble que les services publics, le soutien aux associations, doivent faire vraiment l'objet d'un appui particulier. Sur la question de la loi…

LEA SALAME
Ça veut dire quoi, ça veut dire combien, concrètement, qu'est-ce que vous allez faire dans les quartiers ?

NICOLE BELLOUBET
Ça veut dire des appuis aux associations qui interviennent, peut-être plus forts, ça veut dire une présence de l'Etat, des forces de l'ordre, de la justice, renforcée, ça veut dire vraiment beaucoup de choses très concrètes.

LEA SALAME
Ça coûte de l'argent.

NICOLE BELLOUBET
Oui, ça coûte de l'argent, mais il me semble que l'unité de la République est à ce prix.

LEA SALAME
Mais, vous l'assumez ?

NICOLE BELLOUBET
Bien sûr.

LEA SALAME
Enfin, je veux dire, vous allez annoncer des chiffres, ça va être sonnant et trébuchant ?

NICOLE BELLOUBET
Le président de la République n'a pas encore pris l'ensemble des décisions, donc il les annoncera lui-même, mais il me semble que ça passe forcément par quelque chose de cette nature-là.

NICOLAS DEMORAND
Vous dites qu'il faut que la politique pénale sanctionne les infractions d'outrage sexiste, quand on dit aux femmes dans certains quartiers comment s'habiller, comment se comporter. Très bien, mais c'est tout de même assez rare, Nicole BELLOUBET, que les cas d'outrages sexistes soient transmis à la justice, ça reste marginal, non ?

NICOLE BELLOUBET
A ce stade ça reste encore marginal, encore que, encore qu'il y a de plus en plus de signalements qui sont faits de ce point de vue-là, et en tout cas moi j'ai demandé aux procureurs de la République d'être extrêmement attentifs à ces éléments-là, et surtout d'être attentifs à l'ensemble des signalements qui leurs seraient transmis par les préfets. Parce que, pardon, il y a les outrages sexistes, mais il y a bien d'autres choses.

LEA SALAME
Il y a la déscolarisation, on entend de plus en plus de parler de déscolarisation. C'est quoi ce phénomène ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien c'est un fait…

LEA SALAME
Et ça concerne combien d'enfants ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, je n'ai pas les chiffres, là en tête, mais en tout cas ce que l'on constate, c'est aujourd'hui que de plus en plus de jeunes enfants sont scolarisés soit dans leur famille, ce qui est rendu possible, mais il faut alors exercer des contrôles pour voir que l'instruction est bien délivrée, soit sont insérés dans des structures d'écoles coraniques, qui doivent faire l'objet d'un certain nombre de déclarations de suivi, de contrôle. Et là il faut que nous soyons d'autant plus vigilants qu'on voit se développer des mécanismes de scolarisation par Internet, et donc c'est évidemment très complexe, et j'ai souhaité que la Direction des affaires criminelles et des grâces trouve des instruments de contrôle.

NICOLAS DEMORAND
Sur la question du traitement des djihadistes français emprisonnés en Syrie et en Irak, la position de la France est claire depuis 2 ans Nicole BELLOUBET : ces djihadistes doivent être jugés sur place, Syrie ou Irak, là où ils ont commis leurs crimes. Mais pour la première fois dans une interview au quotidien Libération, il y a une dizaine de jours, vous n'avez pas exclu de les rapatrier pour les juger, les emprisonner en France. Est-ce que vous confirmez qu'il y a là un changement de pied, un changement de doctrine, est-ce que c'est ça la nouvelle position de la France ?

NICOLE BELLOUBET
Il n'y a pas de changement de doctrine, c'est-à-dire que depuis plusieurs années nous accueillons déjà en France des personnes qui se sont rendues sur des terrains de combat et qui pour une raison ou pour une autre, reviennent en France, soit par le biais du protocole Cazeneuve quand ce sont des personnes qui arrivent en Turquie, soit pour toute autre raison, il y a d'ores et déjà des personnes qui sont parties sur les terrains de combat qui reviennent en France. Dans ce cas-là, nous avons une ligne qui est très claire : ils sont judiciarisés, d'ailleurs nous cherchons à cumuler de plus en plus de preuves pour prouver qu'ils ont bien combattu sur place, ils sont judiciarisés et ils sont jugés en France. Ce que j'ai simplement signifié, mais c'est du bon sens, c'est que nous sommes dans des situations politiques, vous le savez très bien, qui sont instables. La situation au nord-est syrien a bougé ces derniers temps, pour le moment les personnes, les Français qui sont partis combattre, sont toujours sous le contrôle et sont vraiment sécures, sous un contrôle sécure dans le Nord-est syrien. Vous savez aussi qu'en Irak les choses ont bougé dernièrement, donc là où nous avons envisagé de mettre en place un appui à l'Irak pour pouvoir juger les combattants sur place, nous travaillons avec plusieurs pays européens en ce sens, je ne sais pas si cela pourra aboutir, donc mon propos était simplement un propos de sécurité pour les Français, il était de dire : si la situation bouge, moi plutôt que la dispersion, je préfère effectivement avoir ces combattants…

LEA SALAME
Mais on parle de combien de personnes ? On parle de combien de combattants ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, il y a d'après les renseignements que j'ai, il y aurait 150 adultes et 300 enfants, d'âge plutôt jeune, je parle des enfants, plutôt de moins de 5 ans, la majorité aurait moins de 5 ans. Donc voilà à peu près les chiffres que nous avons.

LEA SALAME
La sénatrice centriste Nathalie GOULET, a déposé la semaine dernière une proposition de loi visant à revoir la notion de responsabilité pénale. Elle vise notamment ce qui s'est passé avec l'assassin d'une sexagénaire juive, Sarah HALIMI, qui avait été déclaré pénalement irresponsable par la cour d'appel de Paris, qui estimait qu'il était en proie à une bouffée délirante. Il ne pourra donc pas être jugé aux assises. Nathalie GOULET estime que ça suffit de psychiatriser le terrorisme pour le déresponsabiliser. Est-ce qu'elle a raison, est-ce qu'il faut revoir la définition de la responsabilité pénale ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, il y a eu une évolution en 2008, et en 2008 on a décidé de mettre en place une audience publique et contradictoire pour s'interroger sur le caractère de la responsabilité ou de l'irresponsabilité pénale. C'est ce qui s'est passé pour la personne qui a assassiné Sarah HALIMI. Donc il y a eu une audience publique, qui est contradictoire, où les experts sont venus, et six experts sur sept ont déclaré que la personne devait être considérée comme irresponsable pénalement. Cela a constitué une véritable avancée en 2008, que de créer cette audience publique et contradictoire. J'entends évidemment l'émotion de la communauté juive en l'occurrence…

LEA SALAME
Même des Français en général.

NICOLE BELLOUBET
Et même de la communauté…

LEA SALAME
De la communauté française.

NICOLE BELLOUBET
Voilà, exactement.

LEA SALAME
De la France.

NICOLE BELLOUBET
Des républicains. J'entends cette émotion, il faut vraiment réfléchir avant de savoir si on bouge cela, parce qu'il y a pour moi un principe fondamental de notre Etat de droit, qui est qu'on ne juge pas les fous. Mais je comprends qu'il puisse y avoir de l'émotion autour de ce sujet.

NICOLAS DEMORAND
Hugo MICHERON, chercheur, vient de publier chez Gallimard "Le djihadisme français, quartier Syrie prison".

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

NICOLAS DEMORAND
Ce livre est un livre universitaire, qui est le fruit d'un long travail de recherche. Il dit que les prisons françaises, c'est, je le cite "l'ENA du djihad". Est-ce qu'il a raison de dire ça ?

NICOLE BELLOUBET
C'est une formule choc, mais je ne suis pas sûre qu'elle soit tout à fait exacte. J'ai rencontré monsieur MICHERON quand il réalisait ses entretiens, puisqu'il a réalisé beaucoup d'entretiens en prison, et il fait une analyse qui me semble assez juste, de la situation historique de l'appréhension du phénomène du djihad dans nos prisons, c'est-à-dire d'abord peut-être une forme de négation, puis des tâtonnements dans la prise en charge, et aujourd'hui il me semble que nous avons une prise en charge qui est extrêmement serrée et intéressante, d'ailleurs beaucoup de pays étrangers nous demandent de venir pour expliquer la manière dont…

LEA SALAME
C'est laquelle ? Expliquez-la.

NICOLE BELLOUBET
Alors…

LEA SALAME
Expliquez-la, parce que c'est vrai que vous avez tâtonné, enfin vous et même les ministres qui vous ont précédée, vous avez expérimenté des cellules à l'isolement, des prisons à l'isolement pour les djihadistes, et puis ensuite vous avez dit non, il faut les mettre tous ensemble.

NICOLE BELLOUBET
Non, non non.

LEA SALAME
On en est où aujourd'hui ?

NICOLE BELLOUBET
Aujourd'hui, les choses sont très claires, nous considérons que les situations sont différentes pour les personnes qui sont considérées, soit comme des terroristes islamistes, soit comme des détenus de droit commun, qui se radicalisent. Et donc nous avons des approches différenciées. Un, tout le monde est évalué, dans des quartiers d'évaluation de la radicalisation, tout le monde est évalué, par des imams, des éducateurs, des psychologues etc. Tout le monde est évalué. Deux, au vu de cette évaluation, les personnes concernées sont placées dans des endroits différents dans nos détentions, soit des quartiers de prévention de la radicalisation, il y en aura 9 à la fin de l'année dans toute la France, soit à l'isolement, soit parfois en détention ordinaire, mais pour les moins dangereux d'entre eux, mais dans ce cas-là ils font l'objet d'un suivi individuel. Et ensuite, si quand ils sortent, puisque nous sommes dans un Etat de droit, la peine est accomplie, quand ils sortent, ils font l'objet grâce aux enseignements pénitentiaires, puis au renseignement territorial, d'un suivi précis, qui peut être à la fois un suivi judiciaire et un suivi administratif, je pense notamment aux MICAS, aux mesures administratives qui nous permettent un suivi.

NICOLAS DEMORAND
Mais, par-delà la formule choc de l'ENA du djihad, Hugo MICHERON décrit la prison pour les djihadistes comme un phalanstère, un moment de reconstruction physique et intellectuelle. La prison, dit-il est une étape dans la carrière djihadiste. Ce qui est tout de même crucial, vous avez décrit les dispositifs quand on regarde cette fois-ci les gens emprisonnés, voilà ce qu'il en dit.

NICOLE BELLOUBET
Je vais revoir MICHERON, parce que moi je l'ai vu il y a un an et demi à peu près. Je vais le revoir, mais il me semble, sans nier vraiment ni l'intérêt, ni l'utilité son analyse, ni sa pertinence, je ne sais pas, en tout cas je pense que les choses ont un peu évolué aujourd'hui du fait de l'ensemble des dispositifs que nous avons mis en place. Je ne dis pas que nous allons réussir, que tout est parfait, je ne dis pas ça du tout, mais je dis simplement qu'on a aujourd'hui un suivi extrêmement serré de ces personnes.

NICOLAS DEMORAND
Alors, comme je le disais tout à l'heure, je ne peux pas donner la parole aux auditeurs pour qu'on entende leur voix et leurs questions au standard, mais j'ai déjà leurs questions et Madame la Ministre vous n'avez pas convaincu en tout cas les avocats qui nous écoutent.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 janvier 2020