Texte intégral
Monsieur le Président de l'U2P, cher Alain GRISET, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, je vous remercie des propos tenus et salue le travail commun accompli depuis maintenant plus de deux ans. Les rencontres avec le Président de l'U2P et les Vice-Présidents sont très régulières. Nous nous rencontrons en outre sur le terrain et nous échangeons fréquemment pour mettre en place ou améliorer les grands systèmes sociaux.
Je suis certaine que nous partageons tous un point essentiel, au cœur de tous nos dispositifs institutionnels, à savoir la valeur du travail, des territoires et de l'émancipation par la formation et l'apprentissage. Ce socle commun est primordial à mes yeux. En effet, c'est sur cette base que l'on peut construire, améliorer, transformer tous les dispositifs qui freinent ou qui au contraire aident au développement des activités de proximité et de l'emploi dans vos secteurs. Vous représentez près de 3 millions d'entreprises, dont 1,3 million qui ont des salariés. Le potentiel de développement est donc conséquent, pour les entreprises qui ont déjà des salariés comme pour les autres. C'est ma priorité car l'emploi est d'abord et avant tout créé par les petites et moyennes entreprises. La moitié des salariés en France travaille dans les PME. 80% des créations d'emploi se font dans les petites et moyennes entreprises. Certes nous avons besoin des grands Groupes qui sont des phares internationaux et qui donnent de l'activité à des fournisseurs mais le tissu économique du quotidien, sur l'ensemble du territoire, est celui des petites et moyennes entreprises, à commencer par les artisans.
Comme nous le disions, nous avons déjà mené plusieurs batailles. Nous avons obtenu des avancées importantes mais il reste encore beaucoup à faire.
I. Les réformes du début du quinquennat
1. Les ordonnances Travail
Les ordonnances Travail furent la première réforme du quinquennat. Le Président de la République, quand il était en campagne, l'avait clairement annoncé car nous savions que des freins importants au développement économique et à l'emploi existaient dans notre pays. Nous avions en tête deux points :
• Prendre réellement en compte la situation des petites entreprises ; un des problèmes de la négociation professionnelle ou interprofessionnelle tient au fait que les plus disponibles pour négocier, du côté patronal comme du côté syndical, sont statistiquement davantage issus des grandes entreprises, pour des raisons évidentes.
• Le droit du travail doit partir de la situation réelle et pragmatique des entreprises, en commençant par les plus petites, et non l'inverse.
C'est ici toute la logique des ordonnances Travail. La loi fixe les principes mais les modalités d'application supposent que l'on parle des situations de terrain. Si cela fonctionne pour les petites entreprises, cela fonctionnera pour les grandes. C'est pourquoi les ordonnances Travail modifient par exemple plusieurs points en matière de dialogue social. La souplesse de négocier a été prise en compte. Les barèmes prud'homaux pour leur part répondaient à une angoisse permanente de chefs d'entreprise, confrontés à une incertitude juridique et financière qui était de facto un frein à l'embauche.
Nous avons aussi pris une mesure qui fait que le Ministre du travail ne peut étendre un accord que s'il a pris en compte la situation des petites entreprises. C'est dans la loi. On s'assure ainsi qu'un texte est applicable dans les petites entreprises. Ce n'est pas encore totalement entré dans les moeurs mais je peux vous assurer que tout une série d'accords est en cours d'examen ; les services du Ministère sont en train de vérifier que les textes sont applicables sans susciter des dommages et sont adaptés.
Je pratique avec ferveur les sorties sur le terrain. Depuis mon arrivée en fonction, je compte d'ailleurs près de 140 journées hors de Paris. J'ai donc rencontré un certain nombre de professionnels ! A l'automne 2017, la priorité était de voir comment les ordonnances Travail étaient connues et comprises. C'était en quelque sorte le service après-vente des textes votés. Après avoir rencontré des milliers de petites entreprises, la notion qui revenait le plus souvent était la fin de la “peur d'embaucher”. Pour moi, s'il fallait résumer les ordonnances en une notion clef, c'est la plus importante. Certes le champ des branches a été renforcé mais lever ce frein à l'embauche, qui était à la fois juridique, financier et psychologique, était notre priorité.
Début 2018, le terrain s'est fait l'écho des difficultés des entreprises pour trouver les ressources, les compétences, et embaucher. L'U2P a réalisé des sondages sur ce point, tout comme l'INSEE par exemple. Les études montrent qu'une entreprise sur deux, grosso modo, a du mal à recruter. C'est un sujet prioritaire pour nous. Nous cherchons à développer l'emploi et les entreprises doivent être en mesure de croître. Pour cela, elles ont besoin de compétences. Dans le même temps, plus d'un million de jeunes sont dans les limbes si je puis dire, ni dans l'apprentissage, ni à l'école ni en entreprise. De surcroît, nous comptons un nombre important de demandeurs d'emploi, même si depuis deux ans, nous pouvons nous féliciter de la baisse du taux de chômage, passant de 9,6% à 8,5%. Comment ne pas avoir mal au cœur quand on rencontre un chef d'entreprise qui dit ne pas avoir candidaté pour tel ou tel marché car il n'avait pas trouvé les ressources ?
2. La liberté de choisir son avenir professionnel
La loi relative à la liberté de choisir son avenir professionnel fut notre 2ème réforme. Les réflexions communes sur ce dossier avaient été lancées à l'automne 2017, avec notamment un Livre blanc de l'APCMA. L'idée de base est ce considérer que la formation professionnelle et l'apprentissage sont clefs.
II. L'apprentissage, voie d'excellence
Vous et moi savons que l'apprentissage est une voie d'excellence. C'est une voie de passion. Un apprenti sur trois crée ou reprend ainsi une entreprise. L'opinion publique n'en est pas toujours convaincue et vos entreprises se heurtent à cet état de fait depuis des décennies. Un travail de fond a donc été conduit durant des mois avec les partenaires sociaux, les régions, les partenaires de terrain pour gommer tous les obstacles administratifs, réglementaires, culturels (la dimension la plus sensible !) et financiers. Le système était en outre géré bizarrement puisqu'une bonne partie de la taxe d'apprentissage n'allait pas à l'apprentissage. Sans argent, il était impossible de développer les CFA. Des freins existaient du côté des entreprises comme du côté des jeunes. Sans entrer dans le détail de la réforme, je considère que nous avons levé nombre de freins, sans doute une grande majorité d'entre eux.
Il reste sans doute quelques points de friction mais plusieurs freins, sur l'âge, sur la rémunération, sur la vie de l'entreprise, sur les obligations réglementaires, ont été gommés. Les dispositions anciennes, pour 4 aides et 3 guichets différents, imposaient par exemple une forte implication de l'expert-comptable pour toutes les démarches. Maintenant tout est plus clair, notamment pour les coûts coté employeur (65 euros la première année pour un apprenti, 440 la deuxième). La rémunération des jeunes a e outre été augmentée. C'est une des réformes essentielles de ce début de quinquennat. Le Président est du même avis et il parle fréquemment de l'apprentissage. Tous les pays qui ont un faible taux de chômage des jeunes disposent d'un système d'apprentissage puissant. Ce n'est pas la voie unique mais c'est une voie essentielle.
Je pense aux récents Worldskills de Kazan. Où qu'on soit, dès qu'on rencontre des apprentis, on ne peut être que frappés par la passion des jeunes. Certains estiment que les « les jeunes ne veulent pas travailler ». Cela dépend. Quand ils trouvent quelque chose qui les passionne, ils sont volontaires et ambitieux. J'en suis à ma 40ème visite de CFA. Vous connaissez ces jeunes qui sont dans vos entreprises. Ils sont vraiment passionnés par leur métier. Certains ont un talent incroyable. Si l'environnement est nutritif, avec un maître d'apprentissage qui permet au jeune de se développer, la relève sera assurée.
Nous venons de dépasser le seuil de 458 000 apprentis en France. C'est la première fois. De surcroît, tous les secteurs sont concernés par la hausse du nombre d'apprentis. L'augmentation touche ainsi l'artisanat, les professions libérales, etc. Le champ industriel est en train de rattraper son retard car traditionnellement, l'on comptait très peu d'apprentissage industriel. Les grandes entreprises s'impliquent largement sur ce plan, ce qui est positif car ces entreprises peuvent couvrir toute une filière et un territoire.
Une deuxième bonne nouvelle était moins prévisible. Le frein culturel commence à être levé ; lors des deux dernières rentrées, les demandes de jeunes sortis de 3ème pour aller vers l'apprentissage ont progressé de 40%. Là encore, c'est une première pour notre pays. La hausse est de 20% dans l'enseignement supérieur. La campagne que le Ministère a initiée, en la confiant à trois jeunes en master de Communication, a rencontré un certain écho. Ces jeunes ont sillonné la France, y compris l'Outre-Mer, pour diffuser des podcasts avec des apprentis et ainsi faire connaître leurs parcours. Ces podcasts et épisodes liés comptent 16 millions de vues sur les réseaux sociaux.
La prochaine campagne, qui sera une nouvelle fois confiée à des jeunes, se déroulera auprès des parents. Quand les parents sont artisans, la passion est contagieuse et dans les CFA, on trouve souvent des enfants d'artisans. Mais il faut que l'apprentissage soit valorisé auprès de tous les parents. Enfin, il reste à prendre en compte l'école. En la matière, une des grandes avancées de la loi avenir professionnel est le travail mené de concert avec l'Education nationale, ce qui est une nouveauté. La loi prévoit ainsi que tous les collèges et lycées de France organisent avec les régions et les professionnels deux semaines de découverte des métiers chaque année (en plus du stage). Investissez donc les collèges et les lycées. Ce ne sont pas des fiches métiers qui vont convaincre les jeunes mais bien une rencontre avec un professionnel passionné.
C'est aussi pour cette raison que nous avons lancé les prépas apprentissage. Certains jeunes peuvent méconnaître les contraintes d'un contrat de travail, comme se lever le matin tous les jours, méconnaître également les codes de l'entreprise (travail en équipe, objectifs, performance, respect du client, etc), ou manquer en partie de savoir être professionnel. Ces parcours peuvent en outre aider des jeunes qui ne savent pas réellement quels métiers pourraient les intéresser. 330 prépas apprentissage vont ouvrir leurs portes. Vos secteurs sont largement représentés.
Le développement de l'apprentissage ne s'est pas fait au détriment des contrats de professionnalisation. Ces contrats progressent également, de 5%. Nous n'avons donc pas siphonné un dispositif pour alimenter un autre.
En matière de coût contrat, je salue tout d'abord le travail des branches, tout comme Alain GRISET l'a fait. En quelques mois seulement, le travail a été très bien fait. Il existait auparavant des aberrations étonnantes. Pour un CAP cuisiner, des régions donnaient 2 500 euros par an tandis que d'autres donnaient 12 500 euros. Les branches ont repris toutes ces données et fixé un coût contrat métier par métier. Près de 12 000 métiers ont ainsi été traités. 90% des coûts contrat ont été reconnus en “première lecture”, ce qui montre que le travail avait été très bien réalisé.
Le coût au contrat moyen défini par les branches et reconnu par les branches est supérieur de 7% au coût réglé par les régions. On ne pouvait pas le savoir à l'avance. Votre secteur qui avait cette crainte a demandé que l'on conserve pour l'instant le coût précédent et que la transition vers le nouveau système ne soit pas trop rapide. Nous l'avions accepté. Mais cela crée un autre problème dans l'autre sens, je l'entends. Nous devons donc au niveau du gouvernement prendre une décision car la Ministre du travail ne décide pas toute seule.
III. Formation des chefs d'entreprise, représentativité patronale et santé au travail
Concernant la formation des chefs d'entreprise, la révolution numérique et la transition écologique, voire l'évolution des clients et des matériaux, font qu'un grand nombre de métiers évoluent à une vitesse considérable. Il faut que le chef d'entreprise, comme les salariés, puisse se former. Le passage vers l'URSSAF a effectivement engendré un problème ponctuel. Le Ministère du travail a été saisi et examine le dossier avec les services du Ministère de l'Economie et du Ministère de la Santé. Le rapport de l'IGAS sera présenté le 2 octobre prochain. Un projet de loi sera le moment venu proposé. Il faut certainement pérenniser le financement et éviter les ruptures dans la prise en charge.
Vous avez évoqué la problématique de la représentativité patronale. Il existe de fortes tensions dans certaines branches. Bref, c'est un dossier brûlant ! Je comprends vos inquiétudes. La représentativité patronale a été encadrée par la loi du 5 mars 2014. Le 2 mai 2016, l'UPA, la CGPME et le MEDEF avaient finalisé une position commune pour mesurer l'audience patronale. Cette position commune avait été transcrite dans la loi du 8 août 2016. Si cette situation doit être modifiée, il faut refaire le travail et avoir des discussions entre les organisations patronales avant d'envisager une transcription législative ou réglementaire.
Comme la discussion n'a pas encore eu lieu, je ne peux pas ce jour préjuger de la suite. Concernant le décompte du nombre de salariés et d'entreprises dans le calcul de l'audience, les procédures sont déjà assez avancées sur le dossier. Cela dit, j'entends l'expression des petites entreprises, qui craignent de ne pas être assez représentées, avec un poids suffisant, dans les négociations collectives de branche et interprofessionnelle.
Un groupe d'experts va être mis en place pour analyser cette problématique, avec des juristes et des économistes notamment. Il faut examiner la situation factuellement et trouver une solution qui fonctionne pour le futur. La situation change, il est normal que les textes évoluent. Reste que la première étape est la discussion avec les trois organisations patronales, comme ce fut le cas il y a quelques années.
Je voudrais dire un mot de la santé au travail. Une mission parlementaire, dont un des co-rapporteurs était Charlotte LECOCQ, s'est notamment penchée sur le sujet en 2018. La mission a confirmé ce que vous vivions tous les jours, à savoir que les petites entreprises et les grandes, au-delà des cotisations payées, ont un accès différent aux services de santé au travail. D'ailleurs, nombre de petites entreprises n'ont quasiment pas accès aux services de médecine du travail. Cela me préoccupe à deux titres :
• Le système est inéquitable puisque les entreprises règlent des cotisations ;
• Les salariés des petites entreprises sont moins bien couverts que ceux des grands groupes, alors même que la prévention est une priorité.
Parallèlement, en France, nous ne progressons pas sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Les chiffres sont stables depuis 10 ans, ce même si certains secteurs ont été très volontaires. Je voudrais à cet égard saluer le secteur du bâtiment. Le secteur est pionnier sur ces sujets, en structurant par exemple une démarche de prévention.
Je visitais récemment un service de santé au travail dans les Pyrénées Orientales. Près de 200 chefs d'entreprise étaient présents dans les locaux car ils ont mis en place un système de check up annuel. C'est une démarche intéressante à mes yeux car la santé au travail concerne tout le monde, salarié comme chef d'entreprise. Sur le sujet de la future réforme du système de santé au travail, je suis ouverte à vos propositions.
Vous avez besoin de compétences pour développer vos entreprises. Les jeunes, les salariés en reconversion et les demandeurs d'emploi peuvent être séduits par vos métiers. Je crois qu'il faut appuyer ce momentum pour que l'attractivité de vos secteurs soit encore plus connue et que vos recherches en matière de recrutement soient largement communiquées. C'est un espoir pour la jeunesse et c'est une nécessité pour vos entreprises. Ensemble, nous pouvons faire encore plus. Sachez que je suis prête à vous aider.
Source https://rencontres-u2p.fr, le 21 octobre 2019