Texte intégral
ALBA VENTURA
Bonjour Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour Alba VENTURA.
ALBA VENTURA
C'est aujourd'hui que sont célébrées les obsèques de Christine RENON. Christine RENON, c'est cette femme de 58 ans, directrice de l'école Méhul à Pantin, en Seine-Saint-Denis, qui a mis fin à ses jours la semaine dernière dans le hall de l'école. Il y a grève aujourd'hui dans l'Education nationale pour lui rendre hommage, certaines écoles vont observer une minute de silence à 09h30. Jean-Michel BLANQUER, vous vous associez à cet hommage ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien entendu, et il faut saluer sa mémoire et vivre avec dignité ce qui est un drame, tout simplement. Vous savez, dans ce genre de circonstances, on est tous dans le même bateau, le but de l'Education nationale c'est que les enfants aillent bien, qu'ils réussissent à l'école, qu'on les mène tous ensemble à la réussite. Et quand il arrive un drame comme ça, on doit tout simplement être unis dans la dignité et rendre dommage hommage en effet.
ALBA VENTURA
Les enseignants, les personnels vous reprochent d'avoir tardé à réagir, d'avoir fait une visite express sur les lieux. Est-ce que ça n'a pas été un peu léger face à un tel événement, un tel drame ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, pas du tout, au contraire, on a été présent dès le début. Toute l'institution a été là dès la première semaine, sans caméras, encore une fois dans la dignité, et je crois que quand il y a…
ALBA VENTURA
Vous n'êtes pas passé trop vite à l'école ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, enfin ça dépend ce que l'on appelle trop vite. Je crois que je suis resté 2 heures, j'ai passé, j'ai dialogué avec l'équipe, les collègues de la directrice le temps nécessaire, on a parlé longuement, enfin il n'y avait pas de limite à la discussion, non je n'étais pas du tout pressé. Ceux qui lui disent cela, le disent parce qu'ils ne savent pas ce qui s'est passé ou parce qu'il y a parfois un peu de malveillance quand on fait certains commentaires, mais non, au contraire, j'ai passé du temps, bien sûr je me suis tenu au courant dès le début de ce qui s'est passé, et largement avant qu'il y ait médiatisation. Je pense que, encore une fois le mot-clé dans ces cas-là c'est dignité, on doit tous en faire preuve. Encore une fois j'y suis allé sans caméra, je n'envisageais même pas de le commenter d'ailleurs, et je suis obligé de le faire puisqu'on me pose des questions, mais ce qui m'importait à ce moment-là c'était d'abord de comprendre ce qui s'était passé, c'était de réconforter les équipes, au sens immédiat et au sens large aussi, puisque c'est d'une certaine façon toute la communauté éducative qui est concernée quand il se passe quelque chose comme cela.
ALBA VENTURA
Mais une parenthèse parmi les reproches, on vous reproche d'en avoir fait plus pour Jacques CHIRAC avec la minute de silence que pour leur collègue.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non mais de nouveau ça fait partie de ces reproches qui ne sont pas…
ALBA VENTURA
Ce n'était pas un peu décalé de…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Maintenant... Enfin, ça n'a rien à voir, tout simplement, on essaie de mélanger les sujets de façon absurde, et bien sûr qu'il faut rendre hommage à Christine RENON et bien sûr qu'il faut rendre hommage à Jacques CHIRAC. Maintenant ce n'est pas de même nature, chacun peut le comprendre, donc je trouve que venir greffer de vaines polémiques sur quelque chose qui doit nous unir et nous faire réfléchir aussi, bien sûr, n'a pas de sens. Donc moi, écoutez, je connais bien le milieu des professeurs des écoles, je sais que, un leur tristesse évidemment, qui est la mienne, nous avons la même tristesse, et deux, leur sens de la dignité, c'était la dignité des gens, des collègues de la de la directrice que j'ai rencontrés à Pantin. Il n'y avait rien de cette dimension polémique. Quand on est vraiment dans la peine et dans la volonté de construire pour le bien des enfants et des personnels, on s'épargne ces reproches qui n'ont pas de sens.
ALBA VENTURA
Alors cette lettre, j'imagine la lettre qu'a laissée Christine RENON avant de se suicider, vous l'avez lue. “Samedi je me suis réveillée épouvantablement fatiguée”, c'est comme ça qu'elle commence sa lettre. Elle décrit un quotidien fait d'injonctions, de contre-ordres, de changements incessants, de petits riens, qui accumulés finissent par déborder. Elle dit aux syndicats d'ailleurs “Je ne pensais pas que ce métier que j'ai tant aimé m'amènerait à ce geste”. Tout à l'heure il y avait une directrice d'école sur RTL qui parlait d'un système déshumanisant. C'est quand même fort de parler d'un système déshumanisant. C'est ça qu'ils ressentent les directeurs d'école ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, heureusement pas tous, mais ce qui est certain c'est qu'on doit améliorer la situation des directeurs d'école, c'est d'ailleurs ce que je dis depuis que je suis là. Depuis…
ALBA VENTURA
Comment ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien peut-être en faisant évoluer le statut des directeurs d'école. Et de ce point de vue-là, je dis depuis que je suis arrivé d'ailleurs que c'est une possibilité. Donc ce que je vais faire des...
ALBA VENTURA
Ça veut dire quoi faire évoluer le statut ? On les nomme chef, chef des autres enseignants ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout doit se discuter, justement, c'est-à-dire qu'il faut qu'on prenne tous nos responsabilités. Si on considère qu'aujourd'hui la situation des directeurs d'école n'est pas satisfaisante sur le plan de leur statut et de leurs fonctions, alors parlons-en et faisons évoluer. J'y suis tout à fait prêt, et d'ailleurs je le propose depuis longtemps, indépendamment même de ce drame.
ALBA VENTURA
Mais il parait qu'ils ne le veulent pas.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, tout le monde ne dit pas la même chose sur ce sujet. Les organisations syndicales ont des discours qui peuvent être différents, ce qui est d'ailleurs normal, donc il faut qu'on arrive à établir un consensus sur un tel sujet, on le voit bien, pour faire évoluer, mais en tout cas moi je suis très disposé à le faire évoluer. Je rappelle que l'école primaire est ma priorité, et que depuis que nous sommes là nous y avons consacré beaucoup plus de moyens, que cette priorité est affichée de manière très nette, mon soutien aux directeurs d'école est sans faille, et que par ailleurs nous avons toute une série de progrès qui ont été faits, par exemple la division des classes de CP et de CE1 en REP et REP+, les primes qui existent aujourd'hui en REP+, tout ça c'est…
ALBA VENTURA
Ça c'est pour les zones très très sensibles, mais pour les autres…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Justement, là par exemple…
ALBA VENTURA
... ils disent que la suppression des emplois aidés…
JEAN-MICHEL BLANQUER
... si vous me permettez de terminer, le département dont nous parlons c'est la Seine-Saint-Denis, qui est pour une bonne partie en REP, ce qui n'est pas le cas d'ailleurs de Pantin, mais qui est le cas d'une bonne partie de la Seine-Saint-Denis, et donc les écoles primaires de ce département ont pu bénéficier d'un certain nombre de réalités. Je rappelle que nous créons des postes à l'école primaire, alors même qu'il y a moins d'élèves à l'école primaire depuis 2 ans. Que nous avons pris toute une série de mesures en cette rentrée, de renforcement de l'école maternelle, et du CP et du CE1, ça passe en particulier par l'amélioration du taux d'encadrement, qui bien sûr s'améliore progressivement, ça prend du temps, mais le président de la République a pris des engagements très clairs à la sortie du Grand débat, vous savez, pas plus de 24 élèves par classe pour toute la France, en grande section, CP et CE1 par exemple.
ALBA VENTURA
Oui, mais est-ce que c'est vrai que certains font jusqu'à 60 heures par semaine ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous savez, quand on est en responsabilité, il arrive parfois qu'il y ait des dépassements d'heures, c'est tout à fait...
ALBA VENTURA
60 heures par semaine pour 3 000 € par mois environ.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, ce n'est pas... Non, je ne suis pas derrière chacun, je ne sais pas ce qu'il en est, mais en l'occurrence, bien entendu que ça n'est pas normal, mais le fait d'avoir du surcroît de travail à certains moments c'est le propre des fonctions de responsabilité, et c'est justement cela qu'on doit mieux encadrer. Je pense que, en effet…
ALBA VENTURA
Alors, qu'est-ce que vous proposez Monsieur le Ministre ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, ce que je propose, c'est justement la création d'un consensus autour de ça, parce que quelle que soit la proposition que je vous ferai, les mêmes qui me critiquent aujourd'hui dans ces circonstances, feront la même chose à partir de la moindre proposition que je ferai sur le sujet. Donc ce que je propose, très simplement, c'est l'ouverture d'un comité de suivi de la fonction de directeur, auquel les organisations syndicales seront évidemment conviées, ainsi que des directeurs d'école de différents terrains de France, et nous pourrons faire évoluer sur la base…
ALBA VENTURA
Vous allez leur parler quand ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non mais ça commence aujourd'hui, cet après-midi j'ai un comité technique au ministère de l'Éducation nationale, j'en parlerai avec les organisations syndicales. Je pense que sur un tel sujet, nous devons être unis et sereins, et c'est exactement ce que je propose, pour faire progresser les choses. Puisque je suis le premier à dire que ça n'est pas satisfaisant. Les choses se dégradent souvent pour des raisons de société, c'est parfois l'agressivité de certaines personnes dans la société, vis-à-vis…
ALBA VENTURA
Alors, ils disent aussi qu'ils n'ont plus d'emplois aidés et que ça leur manque cruellement, qu'ils se sentent seuls.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a des choses, si vous voulez parfois il y a eu des évolutions des contrats aidés, par exemple tous les emplois d'accompagnement des élèves en situation de handicap, qui est une politique sur laquelle là aussi on a mis le paquet depuis 2 ans, ont été remplacés par des contrats plus robustes. Donc ce n'est pas des contrats aidés, mais c'est des contrats meilleurs. Ensuite c'est vrai qu'il y a un sujet sur l'aide administrative des directeurs d'école, sujet d'ailleurs qui envoie des discussions avec les collectivités locales, avec les mairies, qui ont des responsabilités en la matière, c'est pour ça que c'est un sujet complexe, qui implique plusieurs acteurs, et c'est aussi avec les communes que nous devons évoluer sur ce sujet.
ALBA VENTURA
Monsieur le Ministre, hier les policiers, aujourd'hui l'Education nationale, depuis plusieurs mois l'hôpital, il y a quand même un gros blues dans notre service public. Est-ce qu'il n'y a pas un risque dans le service public de dérives comme dans le privé ? Certains parlent de FRANCE TELECOM, de RENAULT, de LA POSTE, de tous les suicides à cause des réformes menées au pas de charge ou…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je pense que le fait de poser la question comme ça, fait partie du problème plus que de la solution. Les problèmes de mal-être dans les services publics ne datent pas de l'année dernière ou d'il y a 2 ans, c'est des problèmes profonds, structurels, qui nous concernent tous, parce que c'est comment nous sommes, nous tous, nous tous qui sommes là, vous qui nous écoutez, tous toute la société française, nous sommes responsables, la manière dont nous parlons à un fonctionnaire quand nous allons dans un service public, la manière dont on se comporte comme parent d'élèves dans la relation avec l'école. C'est notre société qui est questionnée par cette espèce de nervosité qu'il y a au quotidien et qui est épuisante parfois pour certains responsables. Et c'est vrai évidemment pour les maîtres d'école et les directeurs qui n'échappent pas à cette nervosité. Donc, et vous les journalistes, quand vous vous mettez de l'huile sur le feu, quand on donne ce sentiment…
ALBA VENTURA
Ah, encore les journalistes.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, mais quand on donne ce sentiment sans arrêt que tout est en crise, que rien ne va plus, etc. à la fin on crée cette nervosité qui évidemment a des conséquences. Donc il faut qu'on se sente tous responsables, sinon ce jeu peut durer très longtemps, ou malheureusement pas très longtemps, donc ce qui est très très important à regarder, c'est que cette notion de service public elle doit nous unir, et elle doit nous unir pour trouver des solutions. C'est ce que je propose pour les directeurs d'école. Oui nous allons faire évoluer les choses, oui nous allons prendre en compte ces problèmes qui sont bien réels, qui ne sont pas d'hier matin, pour lesquels les premiers progrès ont été faits et pour lesquels nous allons faire de nouveaux progrès, mais il faut le faire en se sentant unis dans un même bateau qui s'appelle la France.
ALBA VENTURA
Une toute dernière question Jean-Michel BLANQUER. L'un des sujets qui vous occupent, c'est le respect de la laïcité à l'école. Il y a eu 900 cas d'atteinte à la laïcité, c'est en augmentation notamment je crois qu'il y a plus de cas au primaire. Comment ça au primaire chez les tous petits ? C'est quoi les manquements à la laïcité ? Vite fait, s'il vous plaît.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien les manquements a à la laïcité, ça fait partie de ces problèmes du quotidien, évidemment, qui épuisent, qui peuvent épuiser, comme d'autres problèmes. Et oui, en effet, on voit qu'à l'école primaire il y a eu ces dernières années une montée du phénomène, par exemple un petit garçon qui refuse de donner la main à une petite fille, des enfants qui refusent de s'asseoir sur une chaise rouge parce que ce serait la couleur du diable, des choses un peu absurdes comme ça, et qui font partie de ce qu'on met dans l'esprit des petits, quand il y a une atmosphère disons de fondamentalisme dans un territoire donné. Donc on doit regarder ce genre de problèmes en face, et là aussi c'est un sujet sur lequel…
ALBA VENTURA
Vous convoquez les parents dans ce cas-là ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, on a des équipes laïcité dans chaque académie, qui sont là pour intervenir auprès des professeurs ou des directeurs, justement pour intervenir, pour les aider tout simplement et avoir du dialogue avec les familles. Si nous avons mis l'instruction obligatoire à 3 ans, c'est aussi pour que tous les enfants aillent à l'école maternelle et que les valeurs de la République soient partagées le plus tôt possible dans l'existence.
ALBA VENTURA
Merci beaucoup Monsieur le Ministre.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.
YVES CALVI
Le ministre de l'Education nationale qui affirme être prêt à discuter du statut et des responsabilités de nos directeurs d'école et propose un Comité de suivi, de travail de ces directeurs, notamment pour l'aide administrative. “Ma priorité reste l'école primaire”, vient d'affirmer Jean-Michel BLANQUER au micro d'Alba VENTURA.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 octobre 2019