Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à France-Inter le 16 octobre 2019, sur le suicide d'une directrice d'école à Pantin et la violence à l'école.

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Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans “le Grand entretien du 7-9” le ministre de l'Éducation nationale, vos questions dans une dizaine de minutes au 01.45.24.7000, sur les réseaux sociaux et l'application mobile de France Inter. Jean-Michel BLANQUER bonjour.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Une principale de collège de Seine-Saint-Denis a tenté de mettre fin à ses jours dans le logement qu'elle occupe au sein de l'établissement scolaire, déclarant, je la cite, “ne plus supporter l'Éducation nationale”. Moins d'un mois après le suicide d'une directrice d'école maternelle à Pantin, alors qu'une lettre ouverte de 200 directeurs et directrices d'école vous appelle à un dialogue réel, quelle est votre réaction ce matin, Jean-Michel BLANQUER, à ce qui aurait pu être un nouveau drame ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout suicide est évidemment un drame, et même toute tentative de suicide, et à chaque fois il faut prendre cela dans toute la complexité de ce que ça représente. Il y a ce suicide de madame RENON à Pantin qui nous a évidemment tous marqués et qui, en effet, interroge sur ce que c'est d'assumer une mission de service public au quotidien, dans des terrains qui sont parfois difficiles, et c'est pour ça que, d'ailleurs, la réflexion sur les directions d'école, qui était déjà d'ailleurs très amorcée, ça fait deux ans que je parle de cela, en effet doit s'accélérer pour arriver à des résultats. Et donc, je réponds oui à chacune de vos questions, c'est-à-dire bien sûr c'est absolument dramatique ce qui s'est passé, deuxièmement, ça nous renvoie à des problèmes structurels, notamment pour ceux qui sont en responsabilité, c'est-à-dire les directeurs d'école et les chefs d'établissement, maintenant sur la question des suicides, j'ai demandé la réunion, et les organisations syndicales le souhaitaient, du comité technique paritaire qui permet d'étudier cela, donc je donnerai des chiffres. Normalement, d'après les éléments que j'ai, il n'y a pas plus de suicides dans l'Éducation nationale que dans la société française, et plutôt moins d'ailleurs que dans d'autres services publics, mais néanmoins, bien entendu, on doit toujours être vigilant. Et puis surtout, si vous voulez, j'insiste en permanence sur le bien-être des personnels, bien sûr on est 1 million de personnes, donc ce n'est pas un objectif toujours facile, bien sûr, mais en tout cas c'est évidemment quelque chose qu'on doit en permanence avoir à l'esprit, en le tournant dans le sens positif, c'est-à-dire ce n'est pas seulement lutter contre le mal-être, c'est le bien-être des professeurs. Le bien-être des professeurs ça passe par une série de critères, de santé, des critères de sécurité, des critères aussi de bonnes relations avec l'institution, tous ces sujets évidemment doivent progresser et nous prenons d'ailleurs des mesures qui vont dans ce sens. Le dialogue social qui a existé tout au long de l'année dernière a amené, par exemple, un certain nombre de choses, ce qu'on appelle la gestion des ressources humaines de proximité, qui se met en place, par exemple, qui permet d'avoir un dialogue, pour un quart des personnels aujourd'hui c'est une réalité, c'est-à-dire pouvoir rencontrer une personne sur ses enjeux de carrière, c'est un exemple parmi d'autres.

LEA SALAME
Mais tout de même Jean-Michel BLANQUER, pardon, sur ces suicides, vous remettez en perspective les chiffres, mais nous on voit cette lettre, “j'ai voulu me suicider parce que je ne supporte plus l'Éducation nationale”, c'est assez dur de dire ça. Ces drames, à vos yeux, sont-ils des drames individuels ou vous pensez que le système scolaire en lui-même est touché, que ces directeurs d'école, que ces professeurs, sont entrés dans un état de désarroi, voire de désespoir tel, car ils n'en peuvent tout simplement plus, qu'ils se sentent seuls, qu'ils se sentent écraser par la tâche et sans moyens ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Attendez, il faut distinguer les sujets parce que certaines façons de commenter les choses peuvent être un petit peu dangereuses, reconnaissez-le. Le suicide c'est un sujet complexe, c'est le sujet philosophique par excellence comme le disait CAMUS, et je pense qu'on a tous intérêt à commenter toujours dignement chaque suicide quel qu'il soit, qui d'ailleurs renvoie à chaque fois à un cas particulier, doc il faut parler toujours de cela avec beaucoup de respect et beaucoup de recul. Maintenant, qu'il y ait des difficultés dans l'exercice du métier, je suis le premier à le reconnaître, que parfois ça puisse mener à des actes extrêmes c'est un fait, c'est malheureusement d'ailleurs pas nouveau, c'est arrivé tout au long des dernières décennies, et c'est évidemment à éviter autant que possible. Maintenant, notre manière de traiter cela doit être digne, c'est-à-dire que l'on doit regarder, notamment dans le cas que vous évoquez regarder ce qui s'est passé, pourquoi, et bien entendu faire tout l'accompagnement nécessaire, et le faire dans un esprit constructif, c'est ce que je fais avec les organisations syndicales. Le sujet des directeurs d'école par exemple, dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines, encore une fois, je le considère comme un sujet d'une particulière acuité et je suis tout à fait d'accord pour dire qu'on doit faire des améliorations, je le dis depuis longtemps, et donc on va en faire, et d'ailleurs j'en profite pour le dire…

NICOLAS DEMORAND
Ils vous interpellent, Jean-Michel BLANQUER, dans une lettre ouverte, 200 directrices et directeurs d'école, j'aimerais citer la lettre, ils se disent oppressés par une institution obsédée par la mesure et le contrôle, submergés de tâches administratives qui, je les cite encore, ne leur permettent plus de faire vivre leur projet d'école, et ils vous interpellent : comment avez-vous pu, par votre absence d'écoute, permettre que notre collègue en vienne à ce geste ultime ? Les mots sont durs et forts, qu'est-ce que vous leur répondez ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est surtout la dernière phrase qui est dure et très injuste, sur tout le reste je suis d'accord, c'est-à-dire que, je le dis, et d'ailleurs je le dis depuis que je suis arrivé, à chaque fois que je réunis les cadres ou les personnels du ministère, je dis “vous êtes d'abord des pédagogues”, je dis tout particulièrement justement aux directeurs d'école, ou même aux inspecteurs de l'Éducation nationale, que je voyais hier, je leur dis cela, je leur dis “vous êtes d'abord des pédagogues, ne nous laissons pas accaparer par les tâches administratives”. Et par exemple, dans les mesures que je prendrai, en faveur des directeurs d'école, il y aura un allégement des tâches administratives. Ce sujet il n'est pas apparu avec l'exercice des responsabilités que j'ai prises depuis 2 ans, pas du tout, il existe depuis très longtemps, les choses se sont accumulées…

NICOLAS DEMORAND
Il y a un ras-le-bol là ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Sur ce sujet ?

NICOLAS DEMORAND
Ça existe depuis longtemps dites-vous, mais là c'est ras-le-bol dans…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Notre société est traversée par un certain nombre de tensions, ça n'échappe à personne, et je crois même que c'est pour réussir à sortir de ces difficultés de la société qu'Emmanuel MACRON a été élu et que nous sommes là pour faire des réformes, qui ne sont pas toujours faciles, mais sur la direction d'école, vous l'entendez bien, je suis dans une écoute réelle, donc c'est pour ça que la dernière phrase est injuste, puisque nous avions même lancé un rapport parlementaire sur le sujet, que je suis à l'écoute. Maintenant, il y a des visions différentes du sujet…

LEA SALAME
C'est ce que j'allais vous dire, parce qu'on entendait par exemple un auditeur qui a appelé hier, qui parlait des emplois aidés, qui disait - un prof - avec la suppression des emplois aidés, le problème c'est qu'on croule sous une tâche qu'on doit faire seul alors qu'on avait un emploi aidé pour nous aider à faire cette tâche administrative.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, j'entends tout à fait cette remarque, et je l'ai d'ailleurs souvent prise en compte. Il y a heureusement, dans certains endroits, de l'aide qui peut exister, notamment en lien avec les collectivités locales, pour les directeurs d'école. Il y avait aussi des critiques sur la façon dont ça se passait pour les contrats aidés, et puis la critique générale sur les contrats aidés, que ça précarisait les personnes tout simplement. Donc, c'est typiquement le genre de sujet sur lequel il y aura des avancées, et j'espère pouvoir, au retour des vacances de la Toussaint, pouvoir annoncer un certain nombre d'avancées qui résulteront…

LEA SALAME
Donc il y aura un retour de plus d'emplois aidés à l'école ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y aura de l'aide supplémentaire pour les directeurs d'école dans le futur, ça fait partie des choses que l'on doit faire, c'est évident

LEA SALAME
Donc vous revenez un petit peu sur la philosophie du recul des emplois aidés ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, non, ce n'est pas du tout un retour en arrière, parce que l'aide que l'on peut donner aux directeurs d'école, et encore une fois c'est quelque chose qui doit encore se discuter sur ses modalités, mais ça ne sera pas au travers de contrats aidés. Les contrats aidés avaient toute une série d'effets pervers, il a été tout à fait normale de prendre cette mesure, qui a été difficile, courageuse, qui a pu avoir parfois des effets difficiles sur le terrain, ça je n'en disconviens pas, mais c'est quelque chose de meilleur que nous devons faire et ce n'est pas la seule chose à faire. Voyez, hier j'entendais un ami commun qui me parlait d'un directeur d'école dont il était l'ami, qui me racontait son quotidien, il me disait qu'il passait une bonne partie de son temps à faire l'aller-retour avec la porte de l'école pour ouvrir à des parents qui sonnaient, c'était totalement absurde que le temps du directeur d'école soit pris par cela, donc c'est l'intérêt de tout le monde que d'avoir une personne qui se charge de cette ouverture de porte. Voyez, c'est des choses très concrètes, ce n'est même pas d'ailleurs de l'aide administrative dans l'exemple que je viens de donner, c'est de l'aide au quotidien, notamment dans la relation avec les parents d'élèves. Je parlais avec une autre directrice il y a quelques jours, cette directrice que c'était moins d'une aide administrative qu'elle avait besoin, que cette aide de médiation au quotidien, notamment pour la relation avec les parents d'élèves, ou pour des petits actes du quotidien. Donc c'est ces choses-là qui doivent progresser, j'en suis conscient, on va avancer, j'en suis certain, faisons-le de manière constructive puisqu'on est d'accord sur le diagnostic.

NICOLAS DEMORAND
Encore une question sur les moyens là strictement. Jean-Paul DELAHAYE, ancien directeur général de l'Enseignement scolaire, pointe dans MEDIAPART la baisse des fonds sociaux qui sont une aide destinée aux familles ayant des difficultés à faire face aux dépenses de scolarité, de vie scolaire de leurs enfants. Ces fonds, dit-il, vont passer de 59 millions en 2019 à 30 millions en 2020. Est-ce que vous confirmez cette baisse ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, c'est une façon de présenter les choses qui est un tout petit peu fallacieuse, pardonnez-moi de le dire, c'est des questions de présentation budgétaire. L'année dernière c'est une somme inférieure à ces 30 millions qui a été dépensées, donc, en bonne rigueur budgétaire, en bonne technique budgétaire, ça ne sert à rien de mettre plus que ce qui est consommé. En revanche, nous savons mettre plus quand il y a besoin de plus, autrement dit cette somme de 30 millions peut être dépassée, mais ça n'a pas de sens, budgétairement, de programmer plus, quand il est consommé moins. En revanche, nous prenons des mesures sociales qui ne sont pas forcément dans les fonds sociaux, exemple les cités éducatives que nous sommes en train de créer, qui existent maintenant dans 80 endroits de France, et nous en développerons d'autres, nous faisons ça avec Julien DENORMANDIE, qui permettent de donner des moyens financiers aux chefs d'établissement pour des projets qui jouent sur les facteurs sociaux de la réussite scolaire. Donc ça, ce genre de polémique, c'est typiquement, ce que soulève en l'occurrence quelqu'un comme monsieur DELAHAYE, c'est fait pour essayer de faire une critique sociale au moment même où justement nous dépensons en réalité plus d'argent sur les sujets sociaux à l'école, je suis très sensible à cette question…

NICOLAS DEMORAND
Donc vous dites si ça passe à 30 c'est parce que 30 millions de crédit n'avaient pas été consommés l'année dernière, c'est ça ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Parce que la différence entre 50 et 30 n'avait pas été dépensée, tout simplement, mais c'est très classique, il le sait, il est ancien directeur général de l'Enseignement scolaire, il sait parfaitement ça, donc c'est une visée polémique. Vous savez, sur ces sujets, il y a les mots et puis il y a les faits, et ce qui me caractérise peut-être sur les sujets du progrès social c'est que je ne contente pas de mots, j'essaye d'agir pour de vrai.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, la question du voile fracture la majorité depuis quelques jours après l'esclandre dans un Conseil régional d'un élu Rassemblement national qui a pris à parti et humilié une mère de famille voilée. Vous avez déclaré que vous préféreriez que les mères ne se voilent pas parce que, je vous cite, le voile n'est pas souhaitable dans la société. Sibeth NDIAYE, du même gouvernement, elle ne voit pas le problème. Est-ce que vous assumez, d'abord, avoir des divergences, voire des contradictions sur ce sujet, au sein même du gouvernement ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, avec Sibeth NDIAYE on a plutôt des nuances que des divergences, vraiment profondément, d'ailleurs on en parle très clairement, ce qui est d'ailleurs normal, je pense que même quand vous avez un repas de famille sur ces sujets vous avez forcément des nuances, mais en tout cas ce n'est pas plus que des nuances.

LEA SALAME
C'est quoi vos nuances avec elle, si vous deviez mettre des mots ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, je voudrais dire plusieurs préalables parce qu'il y a beaucoup de confusions sur ces sujets. D'abord, ce sujet de l'accompagnement des mères voilées n'est pas un sujet très important, et je n'ai cessé de le dire, et d'ailleurs ce n'est jamais moi qui le met sur le devant de la scène, je suis obligé de répondre, comme je vais le faire maintenant, je ne veux pas me dérober, mais ce n'est pas un sujet très important, il y a des sujets beaucoup plus importants, relatifs à la laïcité, auxquels on doit faire face. Mais c'est un sujet qui est un sujet complexe parce que c'est un sujet hybride, c'est un sujet pour lequel nous raisonnement doit toujours être la laïcité, bien entendu, et donc la neutralité politique et religieuse que l'on doit avoir dans nos établissements et que nous devons aux enfants, comment nous leur assurons un environnement libre de tout prosélytisme, de toute pression religieuse ou politique, c'est ce que nous devons aux enfants et ça doit être le point de départ de tout raisonnement. A partir de là, la sortie scolaire c'est quelque chose d'hybride, parce que ce n'est pas tout à fait l'école, mais ce n'est pas non plus tout à fait comme se promener dans la rue, c'est quelque chose d'hybride, c'est donc assez normal qu'il y ait des positions hybrides sur le sujet. Ma thèse est toujours la même, je ne change pas, c'est-à-dire c'est la loi, la loi n'interdit pas l'accompagnement, maintenant est-ce que ça veut dire qu'on doit se réjouir du développement du voile dans notre société et des mères d'école accompagnatrices (sic), non, je ne peux pas m'en réjouir, sinon, dans ces cas-là il faudrait que j'abandonne l'objectif d'égalité hommes/ femmes auquel je tiens…

LEA SALAME
C'est là votre nuance avec Sibeth NDIAYE ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, parce que je pense que Sibeth pense la même chose que moi, et d'ailleurs Marlène SCHIAPPA, par exemple, pense 100 % de ce que je viens de vous dire, on en parle fréquemment. Donc, il n'y a pas une contradiction, on veut tous que les mamans voilées ne se sentent pas discriminées, on veut tous qu'elles aillent à l'école, on veut tous que leurs enfants soient scolarisés dans l'école de la République, on veut tous que les filles de ces mamans se sentent citoyennes de France et heureuses de l'être, et que ce soient des femmes égales des hommes, c'est ce que nous voulons.

LEA SALAME
Vous avez été choqué par ce qui s'est passé au Conseil régional, par l'élu Rassemblement national ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, et ce qui est très frappant c'est que je l'ai dit, j'ai condamné très fermement et très clairement ce qui s'est passé, qui est honteux, parce que c'est en plus… on ne doit jamais, dans cette situation, héler qui que ce soit, on ne se met pas dans la position de quelqu'un qui aurait une autorité de service public pour le faire comme ça, donc c'est déjà une première chose. Le faire devant des enfants, c'est une circonstance plus qu'aggravante, donc je l'ai condamné, mais comme par hasard, dans toutes les reprises que l'on fait, on isole un morceau de phrase, que j'assume parfaitement, quand je dis que le voile n'est pas souhaitable, oui, je pense que ce n'est pas souhaitable, c'est ma vision de l'émancipation de la femme, et je suis parfaitement libre de dire cela. Et par ailleurs, il y a plein de choses dans notre société qui sont autorisées et qui ne sont pas pour autant souhaitables. Regardez, sur un autre sujet de laïcité du quotidien, vous avez des hommes, maintenant, qui refusent de serrer la main à des femmes, est-ce qu'on va faire une loi pour obliger les hommes à serrer la main des femmes ? Non, bien entendu, ce serait absurde, pour autant ce n'est pas souhaitable qu'ils le fassent. Donc, soit on abandonne tout regard sur ces questions et on fait comme si il n'y avait pas un problème, soit on le dit, mais il faut le faire de manière apaisée et en ne confondant pas les sujets, et non plus en ne les accentuant pas, parce que ce sujet-là n'est pas – je sais que ça plaît au malstrom médiatique dont on a toujours besoin, ça nourrit le débat – mais moi je ne souhaite pas que ce sujet-là devienne un sujet récurrent dont on parle en permanence, je pense qu'il est réglé par la situation juridique actuelle, c'est important qu'on passe un peu à autre chose.

NICOLAS DEMORAND
Vous êtes interpellé, Jean-Michel BLANQUER, par 90 personnalités dans une tribune au Monde : jusqu'où laisserons-nous passer la haine des musulmans ? Ces 90 personnalités demandent au président de la République de condamner cette agression de cette mère accompagnatrice scolaire. Ils reviennent sur vos déclarations et disent que vous êtes, je les cite : l'illustration même d'une stigmatisation assumée jusqu'au plus haut niveau de l'Etat. Là encore, que leur répondez-vous ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, beaucoup de choses à dire sur un tel sujet, le temps manquerait, il faudrait une émission complète. D'abord, il y a des choses qui sont parfois insultantes dans ce type de propos.

NICOLAS DEMORAND
C'est le cas-là, pour vous ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Moi je suis l'héritier de la tradition républicaine, c'est très clair, je suis pour un modèle républicain, qui est un modèle français, qui est par exemple, pas le modèle anglais. Aujourd'hui, quand vous allez en Angleterre, en effet vous avez des sociétés juxtaposées, et ça, ça réunit des gens qui sont soit des partisans du laisser-faire, laisser-aller, donc peuvent avoir leur villa avec piscine, ce qui compte c'est qu'ils soient bien, ils se fichent de ce qui se passe dans le reste du pays, ce n'est pas ma vision des choses, et puis les gens qui sont pour le laisser-faire, laisser-aller, et puis les gens qui sont tout simplement pour la juxtaposition de principes communautaristes. La France s'est bâtie sur tout à fait autre chose, depuis 1789, et avec les moments très forts de la IIIe République, nous avons deux siècles de combats pour ça, qui est l'égalité des citoyens, le fait que nous formons une République, et que cette République sa colonne vertébrale c'est justement l'école. Donc voilà ! tout ce que je fais… et c'est pour cela que bien entendu il y a quelque chose d'insultant dans ce qui est dit là, et c'est d'ailleurs une vision communautariste qui s'exprime au travers de ça, c'est que je me fiche de savoir que quelqu'un est musulman, juif, bouddhiste, chrétien, athée, il est citoyen de France, et c'est précisément parce que j'ai la bienveillance la plus absolue vis-à-vis de tout enfant de France, de tout enfant de la République, que je prends les positions que je prends, et donc c'est pour ça que mon souci principal c'est d'ailleurs que tous les enfants aillent à l'école, qu'ils aillent à l'école de la République, c'est pour ça qu'on fait l'instruction obligatoire à 3 ans, c'est pour ça qu'on a des mesures sociales type REP et REP+. Vous savez, des mamans voilées j'en vois beaucoup moi, parce que je suis tout le temps sur le terrain et je vais souvent dans les quartiers défavorisés, et donc, en effet, je vois des mamans voilées, on a souvent des discussions très intéressantes, et il n'y a strictement aucune crispation, et je suis parfaitement conscient du fait qu'il faut justement avoir une politique d'intégration, mais sur le modèle républicain français, et sapristi, ne comptez pas sur moi pour avoir honte du modèle républicain français. C'est quand même incroyable, aujourd'hui, que quand vous dites une phrase comme « le voile n'est pas souhaitable », vous avez la terre entière qui vous traite de réactionnaire, alors que vous êtes juste républicain. Donc, je suis dans la ligne de Jules FERRY et de Jean ZAY, et je serai toujours avec ma colonne vertébrale sur ces questions-là, et je ne me laisserai pas impressionner par des gens qui défendent des thèses communautaristes.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, ce débat, vous dites les médias en font beaucoup sur cette question-là, c'est une question qui n'est pas fondamentale, mais ce débat arrive aussi après les déclarations d'Emmanuel MACRON sur la société de vigilance et la nécessaire détection de ce qu'il appelle “les signaux faibles”. Vous avez parlé de signes de radicalisation à l'école, vous avez dit on voit parfois des petits garçons qui refusent de tenir la main à une petite fille, si cela débouche sur un problème grave on le signale. Alors, combien de petits garçons il s'agit, combien il y en a qui ne tiennent pas la main des petites filles, et à qui on signale des petits garçons qui ne tiennent pas la main des petites filles ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, mais là encore, ne tombons pas dans la caricature. D'abord…

LEA SALAME
Je reprends votre citation.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, non, mais d'abord on confond différents sujets. Il y a le sujet de la loi contre la radicalisation, c'est un sujet, c'est ce sujet-là qu'a traité le président de la République dans son discours à la préfecture de police de Paris, d'une part, il y a la lutte contre le communautarisme, ce n'est pas la même chose, ce n'est pas parce que vous êtes communautariste que vous êtes dans la radicalisation, mais on peut aussi être contre le communautarisme parce que ce n'est pas notre modèle de société, et puis troisièmement il y a le sujet de la laïcité.

LEA SALAME
Si je peux me permettre, c'est ces signaux faibles qui incluent…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors après il y a des liens, il y a des liens entre les sujets, bien sûr.

LEA SALAME
Eh bien oui, c'est le président de la République, d'une certaine manière, qui ouvre la voie à ce qui s'est passé aussi à l'université de Cergy-Pontoise.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, non… non, c'est faux, c'est justement parce qu'on installe de la confusion dans la société qu'on fait ce type de raccourci. Non, le président de la République…

LEA SALAME
Alors clarifiez.

JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est ce que je suis en train de faire. Encore une fois je vous proposerai trois catégories de réflexion. Il y a une catégorie de réflexion qui est la lutte contre la radicalisation, et je vais vous en parler un instant, il y a la lutte contre le communautarisme, c'est le propos que je tenais il y a un instant, c'est dire quel est notre modèle républicain, et donc je l'assume, je le défends. Voyez, nous sommes tous égaux, citoyens de la République, avec notamment une liberté hommes/femmes à laquelle nous tenons énormément, et nous sommes pour l'émancipation par l'éducation, voilà, c'est clair, c'est dit, c'est le modèle républicain, ce n'est pas le modèle communautariste. Il y a d'autres sociétés, y compris démocratiques, y compris en Europe, comme l'Angleterre, qui vivent sur le modèle communautariste, ce n'est pas le nôtre, et je pense que ce modèle est dangereux, voilà.

LEA SALAME
Et le troisième ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Le troisième c'est le sujet du respect de la laïcité dans la vie quotidienne, et notamment dans l'école, et donc le respect de la laïcité, ça c'est tout simplement la neutralité politique et religieuse, qui est une garantie que nous devons à chaque enfant de la République.

LEA SALAME
Alors, sur la radicalisation, les petits enfants qu'on doit signaler ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Sur la radicalisation… j'ai été interrogé sur le fait qu'il y avait des signes de communautarisme et puis des signes de radicalisation, c'est pour ça qu'il y a ce compactage des deux sujets, mais c'est deux sujets un peu différents, bien sûr il peut y avoir un lien. Donc, oui, ce que l'on constate de plus en plus, et les professeurs d'école primaire le savent, je parle avec eux, je ne dis pas ça de nulle part, eh bien oui, ils vivent des phénomènes qu'ils traduisent un impact communautariste et parfois qui peut être un signal de radicalisation, dans les écoles. Et donc, oui, nous demandons de le signaler, parce que si on ne le faisait pas on serait dans quelque chose qu'on nous reprocherait. Si un jour il y a un problème de sécurité grave dans une école et qu'il y avait des signes que nous n'avons pas détectés, eh bien on nous le dirait. C'est pourquoi il y a des remontées, j'ai des remontées quotidiennes sur les sujets de violence et sur les sujets de radicalisation, donc c'est la première fois que nous avons introduit cela, avec méthode, avec sérieux, avec rigueur, et c'est ce qui me permet de rendre compte de ces sujets-là régulièrement, comme je m'y suis engagé, et pour le sujet de la violence, et pour le sujet de la radicalisation.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 octobre 2019