Déclaration de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, en réponse aux questions sur les mesures pour lutter contre le chômage, à l'Assemblée nationale le 8 janvier 2020.

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Circonstance : Questions sur la politique de lutte contre le chômage, à l'Assemblée nationale le 8 janvier 2020

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions sur la politique de lutte contre le chômage.

Je rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.

(…)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Le premier des deux sujets que vous abordez, monsieur le député, porte sur les règles d'éligibilité à l'assurance chômage. Après notre réforme, ces règles restent, et c'est délibéré de la part du Gouvernement, parmi les plus généreuses d'Europe. Il fallait auparavant avoir travaillé au moins quatre mois durant les vingt-huit derniers mois pour pouvoir percevoir une allocation chômage à taux plein, et ce sera dorénavant six mois travaillés dans les vingt-quatre mois précédents. Je rappelle qu'en Espagne ou en Allemagne, par exemple, il faut avoir travaillé douze mois sur les derniers vingt-quatre mois, soit un jour sur deux, contre un jour sur quatre en France. La règle de l'affiliation minimale de quatre mois datait de 2009, et il faut comprendre qu'il était alors tout à fait logique d'avoir un régime adapté à un contexte de crise où il y avait très peu d'offres d'emploi dans un marché du travail atone. Revenir à ce qui avait été décidé à l'époque serait certes extrêmement protecteur, mais également peu incitatif alors que le contexte a changé.

S'agissant des règles actuelles de rechargement des droits en cas d'activité réduite, elles permettent de rester indéfiniment au chômage puisque je vous rappelle qu'un jour travaillé est reporté à la fin de la période d'indemnisation et donne donc droit à un jour d'indemnisation supplémentaire, ce qui conduit à prolonger en l'espèce de deux jours la durée potentielle de chômage. C'est aussi pour cette raison que la réforme de l'assurance chômage a été faite. Mais vous avez raison d'évoquer la responsabilisation des employeurs à l'égard des emplois de courte durée. Vous avez comme moi entendu certains de vos collègues regretter que soit mise en place une taxe sur les contrats à durée déterminée d'usage ou encore un bonus-malus. Mais leur regret prouve que ces mesures ont une certaine efficacité puisqu'elles vont amener les entreprises à changer de comportement. Ainsi, la taxe sur les CDDU est de 10 euros par contrat, par conséquent extrêmement peu ressentie si le contrat dure six mois ou plus, mais fortement s'il ne dure qu'une heure ou une journée. Et quand il est renouvelé cent fois, cela n'a aucun sens social ni aucun sens économique.

Mais je considère que le CDI ne peut être la règle, même s'il doit demeurer le point de référence. Je rappelle que 75 % des actifs sont aujourd'hui en CDI, et notre but est que cette proportion demeure majoritaire.

M. le président. Avant de donner la parole à M. Bernalicis, je rappelle à mes collègues ainsi qu'à vous, madame la ministre, que le temps de parole maximal a été fixé à deux minutes par la conférence des présidents, pour les questions comme pour les réponses.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. J'en tiendrai compte, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. La pédagogie étant affaire de répétition, je vais reprendre ce qu'ont dit les collègues de mon groupe, madame la ministre. Votre gouvernement continue de s'attaquer méthodiquement aux plus précaires et d'en augmenter le nombre. En effet, depuis septembre dernier, s'applique la réforme de l'assurance chômage – passée d'ailleurs, rappelons-le, en catimini cet été par décret. Son application aura lieu en deux temps, et sera achevée le 1er avril prochain… ce ne sera malheureusement pas un poisson d'avril.

Mais d'ores et déjà, cette réforme est, à tous points de vue, une attaque historique contre la protection face au chômage, et non un régime généreux comme vous le prétendez. Les conditions d'accès pour l'ouverture de droits au chômage sont nettement réduites, on l'a rappelé, puisque si hier encore quatre mois travaillés sur une période de vingt-huit mois permettaient l'ouverture de droits, il faudra désormais travailler six mois sur une période de vingt-quatre mois. De plus, vous supprimez le droit de rechargement : il faudra donc travailler à nouveau six mois pour prolonger ses droits au chômage au lieu d'un mois auparavant. Des économistes ont alerté le Gouvernement sur le fait que cette réforme risque de plonger encore un peu plus dans la précarité près de la moitié des 2,6 millions d'allocataires de l'assurance chômage. D'où ma première question : qu'en sera-t-il réellement selon vous et les chiffres dont vous disposez ?

Mais c'est surtout sur la seconde partie de la réforme de l'assurance chômage, prévue pour avril, que je souhaite vous interroger, madame la ministre. Je rappelle en effet que se prépare une refonte du mode de calcul du salaire journalier de référence, base de paiement des allocations chômage… et qui a visiblement des liens très forts avec la réforme des retraites. On a bien compris d'ailleurs que l'objectif de la réforme des retraites est de faire baisser les pensions par la prise en compte de toutes les années d'activité dans le calcul desdites pensions, y compris les années sans emploi. S'agissant de la réforme de l'assurance chômage, quel est l'objectif selon vous, sinon celui de baisser également les montants alloués aux chômeurs ? Car désormais ne sera plus pris en compte la moyenne des revenus perçus les jours travaillés mais ceux perçus sur l'ensemble des vingt-quatre mois, incluant ainsi les périodes non travaillées, ce qui mathématiquement va tirer la moyenne vers le bas. Pouvez-vous me donner des précisions sur l'impact de cette réforme, en particulier par tranche d'âge et par catégorie d'emploi, selon les chiffres dont vous disposez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

Et j'ai posé ma question en moins de deux minutes, monsieur le président !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je répondrai à votre question principale, celle qui porte sur les travailleurs « permittents », c'est-à-dire les salariés qui alternent les contrats courts et les périodes de chômage. Il faut savoir qu'en application du système actuel, en vigueur jusqu'au 1er avril, un demandeur d'emploi sur cinq se trouvant dans une telle situation reçoit durant ces premiers mois de chômage une indemnisation supérieure à son salaire moyen. Ce n'est pas logique et cela n'incite pas à reprendre un travail. Il ne faut bien sûr pas reprocher aux demandeurs d'emploi concernés de se comporter en fonction des règles existantes, sachant qu'ils n'ont aujourd'hui pas intérêt à reprendre un travail alors qu'ils gagneront pendant quelques mois davantage en restant dans le régime de l'assurance chômage. Cette anomalie du système, qui concerne un demandeur d'emploi sur cinq, va être corrigée le 1er avril. Par contre, le capital de droits ne change pas : l'ensemble des droits au chômage demeureront acquis et donneront lieu à une indemnisation plus longue que dans le cas général, sans pour autant dépasser 100 % du salaire antérieurement perçu. Cela signifie concrètement que tous les demandeurs d'emploi auront une indemnisation chômage qui ne pourra être inférieure à 65 % ni supérieure à 96 % de leur salaire net mensuel moyen.

Par ailleurs, je souligne que cette réforme de l'assurance chômage repose un triptyque : un, les règles d'indemnisation ; deux, la responsabilisation des employeurs – bonus-malus, taxe CDDU – ; trois, l'accompagnement des demandeurs d'emploi, qui est extrêmement renforcé – j'aurai sans doute l'occasion d'y revenir –, ce qui va donner beaucoup plus de chance de trouver un emploi.

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Madame la ministre, j'aurais sincèrement voulu vous questionner sur le thème de ces questions, à savoir votre politique de lutte contre le chômage. Mais j'ai eu beau creuser le sujet, je n'ai malheureusement pas trouvé trace d'une telle lutte dans votre politique. J'ai trouvé la trace de vos nombreux efforts pour accroître la précarité, y compris le travail à la tâche – avec l'augmentation du plafond de chiffre d'affaires des autoentrepreneurs –, de ceux destinés à réduire la protection des salariés par la loi qui porte votre nom, ainsi qu'une réforme des retraites exigeant de tous de travailler plus longtemps alors qu'il n'y a déjà pas suffisamment d'emplois pour tous, mais non, définitivement non, aucune trace de lutte contre le drame qu'est le chômage pour toutes les personnes qui le subissent, aucune tentative, par exemple, de repenser l'emploi et le temps de travail, notamment dans votre tragique réforme de l'assurance chômage.

Suivant mes deux collègues précédents, je souligne que cette réforme aura eu pour effet, en un an, de réduire les allocations de plus d'un million de Français, et même de les supprimer pour tous ceux qui n'ont pu cumuler que quatre et non six mois de temps d'activité en deux ans. J'ai compris que vous trouviez que la situation était meilleure pour eux qu'ailleurs en Europe, mais vous avez manifestement envie de rattraper ce retard ! J'ajoute que vous avez supprimé la possibilité de recharger des droits alors que le système présentait le double avantage d'inciter au retour à l'emploi tout en étant bénéfique financièrement pour les allocataires.

Non contente de pousser les chômeurs dans une précarité plus grande encore, vous nourrissez en plus le phantasme aberrant selon lequel s'ils ne trouvent pas d'emploi, c'est parce qu'ils n'en cherchent pas assez activement ou pas de la bonne façon, bref qu'ils ne savent pas traverser la rue assez vite. (M. Ugo Bernalicis applaudit.) Pourtant, si j'en crois les chiffres de votre ministère, le site de Pôle emploi ne propose que 700 000 offres, soit cinq fois moins que le nombre de chômeurs – sans parler du fait qu'il peut y avoir des doublons et que ces offres sont rarement des CDI ou des temps pleins. Il n'y a aucun doute pour moi : ce n'est pas contre le chômage que vous vous battez, mais contre les chômeurs, tout en excellant dans l'art de la manipulation des chiffres. J'aimerais donc que vous nous précisiez le nombre de nouveaux pauvres et autres précaires que vous avez prévu de créer par votre réforme de l'assurance chômage, et donc du nombre de chômeurs en moins que vous comptez annoncer parce que vous les aurez radiés de Pôle emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, puisque vous ne trouvez pas de trace de ma politique pour l'emploi,…

M. Ugo Bernalicis. De lutte contre le chômage !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. …je vais vous y aider. Ainsi, 300 000 demandeurs d'emploi qui retrouvent un emploi, il me semble que c'est significatif.

Mme Mathilde Panot. Et combien de radiés ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. De même est significatif le fait que 900 000 demandeurs d'emploi vont en formation, sachant que l'absence de qualification est le premier marqueur du chômage – le taux de chômage chez les personnes concernées atteint 18 %. La priorité des priorités, c'est donc de leur permettre d'acquérir une compétence et ainsi une valeur sur le marché du travail pour les aider à retrouver un emploi. Jamais un investissement d'une telle ampleur n'avait été fait en ce domaine. De plus, je rappelle que l'obligation d'embaucher 4 % d'apprentis va permettre à une foule de jeunes sortis de l'école sans qualification et sans projet de se projeter dans un avenir professionnel ; cela aussi fait partie de la politique de l'emploi. Autre trace importante : l'investissement de 1 milliard d'euros dans l'inclusion et l'insertion par l'économique pour que les plus vulnérables aient, eux aussi, une chance d'accéder à l'emploi, sachant que deux tiers d'entre eux retrouvent ainsi le chemin de l'emploi.

Dès lors, vous me permettrez de vous dire, monsieur le député, que pour voir, encore faut-il regarder.

M. Éric Coquerel. C'est ce que je viens de faire !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Un point m'a choqué dans ce que vous avez dit : je suis étonnée que La France insoumise, comme le Rassemblement national, nie la réalité des chiffres de l'INSEE et de l'ACOSS. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.) Cela me choque vraiment beaucoup et je crois que cela choque aussi tous les agents de ces organismes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Éric Coquerel. Vous n'avez pas répondu !

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Panot.

Mme Mathilde Panot. Madame la ministre, quelques rappels :

Mai 2016, Emmanuel Macron : « Vous allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler. »

Février 2017, Emmanuel Macron : « Le chômage de masse en France, c'est parce que les travailleurs sont trop protégés. »

Juin 2017, Emmanuel Macron : « Une gare, c'est un lieu où l'on croise les gens qui réussissent, et les gens qui ne sont rien. »

Octobre 2017, Christophe Castaner : « La liberté, c'est pas de bénéficier des allocations chômage pour partir deux ans en vacances. »

Novembre 2017, Damien Adam, député La République en marche : « Quand vous êtes salarié et que vous voyez certaines personnes qui partent en vacances aux Bahamas grâce à l'assurance chômage, il est légitime de se dire que ce système marche sur la tête. »

Juin 2018, Emmanuel Macron : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux. »

Septembre 2018, Emmanuel Macron : « Je traverse la rue et je vous trouve un emploi. »

Juin 2019, votre magnifique lapsus, madame la ministre : « La réforme de l'assurance chômage : une réforme résolument tournée vers le travail, vers l'emploi, contre le chômage et pour la précarité. »

Votre vrai visage est celui du mépris.

La réalité, c'est que 14 000 personnes meurent chaque année du fait du chômage de longue durée.

La réalité, c'est que plus d'un chômeur sur deux n'est pas indemnisé et, qu'en plus, votre gouvernement est en train d'exclure des centaines de milliers de personnes de l'assurance chômage et va fabriquer encore plus de chômage par sa réforme des retraites.

Ma question est donc simple : quand allez-vous arrêter de stigmatiser les chômeurs et les chômeuses pour vous attaquer enfin au chômage ? Est-ce leur faute s'il n'y a que 300 000 offres d'emploi non pourvues quand notre pays compte 6 millions de personnes sans emploi, que 10 milliards de cadeaux fiscaux ont été offerts aux plus riches, que vous avez détruit le code du travail en précarisant alors encore plus et que le CICE est perpétué, donnant ainsi 20 milliards d'argent public par an aux grandes entreprises qui détruisent de l'emploi, comme Carrefour et Auchan actuellement ? Non, c'est la vôtre ! Alors cessez ce mépris et admettez que le manque d'emplois dans le pays est de la responsabilité du Gouvernement et pas des personnes privées d'emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – M. Pierre Dharréville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la députée, vous citez beaucoup de petites phases, vous employez beaucoup de slogans, mais moi je voudrais parler faits et action !

M. Adrien Quatennens. On vous écoute !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Premièrement, vous confondez, navrée de vous le dire, chômeur et demandeur d'emploi. Pôle emploi est un service public de l'emploi ouvert aux personnes qui cherchent un emploi parce qu'elles n'en ont pas mais aussi à celles qui en ont un et en cherchent un autre – un meilleur, un différent ou un complémentaire. Contrairement à ce que vous dites, il n'y a donc pas 6 millions de personnes sans emploi mais, selon les statistiques de l'INSEE, chiffres reconnus par le Bureau international du travail, 2,8 millions de chômeurs, soit des personnes disponibles et qui cherchent un emploi. C'est encore beaucoup trop, j'en suis d'accord, mais il faut aussi parler des faits.

Toutes les enquêtes, tous les travaux sur le terrain – j'y passe deux jours par semaine, j'ai dû visiter plus de 130 sites en France depuis deux ans et demi – montrent la même chose. Les nombreuses données – qualitatives ou quantitatives – dont nous disposons suggèrent que le problème, une fois sur deux, vient de la compétence. Je puis vous assurer que la première des injustices réside dans le fait de ne pas avoir de qualifications : c'est ce qui conduit au chômage, aux emplois précaires ou mal payés, et à de moindres perspectives d'avenir. La première bataille est donc celle des compétences. Je ne reviendrai pas sur les réformes de l'apprentissage et de la formation professionnelle que nous avons engagées, ni sur la création du site Mon compte formation ou sur le plan d'investissement dans les compétences que nous avons lancé.

Dans l'autre moitié des cas, les difficultés sont différentes. Celles relatives à la mobilité constituent un enjeu réel. Il arrive ainsi que du travail soit disponible mais que, parce qu'il n'y a pas de transports en commun, on ne puisse pas s'y rendre. Je songe à un groupe de femmes des quartiers nord de Marseille, où je me trouvais il y a quelques jours : depuis cette zone, pour se rendre en centre-ville, les possibilités de transport sont très peu nombreuses et les temps de parcours extrêmement longs – vous connaissez bien ce problème. Il y a donc des sujets de mobilité.

Mme Mathilde Panot. J'entends bien ce que vous racontez là, mais où est la réponse concernant le mépris dont vous faites preuve ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Une autre question est celle de la garde d'enfants : de nombreuses femmes – elles sont les premières concernées, même si des hommes le sont également – ne peuvent pas accepter un emploi parce qu'il faut d'abord, pour obtenir une place en crèche, avoir un CDI. Comment peuvent-elles, dès lors, démarrer leur vie professionnelle ?

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Ce sont tous ces sujets auxquels nous – l'État, les collectivités locales et les acteurs économiques – nous attaquons et sur lesquels nous devons encore progresser. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. Éric Coquerel. Quatre questions posées par le groupe de La France insoumise : aucune réponse !

M. le président. La parole est à Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. Madame la ministre, avec votre réforme de l'assurance chômage, la nouvelle règle de calcul des indemnités fragilisera encore un peu plus les demandeurs d'emploi les plus âgés, puisqu'ils seront soumis à une période de référence plus longue pour le calcul du salaire journalier de référence. Ainsi, pour les demandeurs d'emploi âgés de 53 ans ou plus, une brève période d'activité en début de période de référence suivie d'une longue période d'inactivité pourra conduire à une diminution plus draconienne encore du salaire journalier de référence. Or nous savons que la capacité à retrouver un emploi à cet âge est moindre, et qu'elle n'est pas qu'une question de regard – j'y reviendrai.

Le projet de réforme des retraites ajoute de la vulnérabilité à cette précarité : il prévoit que nous travaillions plus longtemps, dans un système aligné par le bas, qui pousse à travailler davantage pour seulement espérer vivre dignement. Dans les pays que vous citez en modèle, les retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté sont d'ailleurs bien plus nombreux que dans notre système actuel.

Pour la moitié des Français de 60 ans, voir reculer l'âge où ils pourront prendre leur retraite ne signifie pas qu'ils devront rester plus longtemps à leur poste : beaucoup devront patienter encore au chômage – avec de maigres indemnités –, au RSA, en arrêt maladie ou en invalidité, voire ne compter que sur eux-mêmes dans l'attente de leur pension, tout en figurant dans le halo du chômage.

Vous parliez tout à l'heure de regard ; mais l'ampleur des inégalités en matière d'état de santé et d'employabilité selon les catégories socioprofessionnelles invite à agir au-delà de la question du regard, et même au-delà de celle de la pénibilité. L'inégalité entre un cadre et un agent d'entretien dépend largement de choix d'organisation du travail de la part des entreprises, sur lesquels vous avez un pouvoir d'action. Allez-vous utiliser ce pouvoir, et comment ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la députée, vous abordez plusieurs sujets liés. S'agissant tout d'abord des seniors, je rappelle que la durée maximale d'indemnisation du chômage n'est pas de deux ans, mais de trois ans – c'est d'ailleurs une très bonne chose, qu'il faut évidemment conserver, compte tenu du chômage de longue durée qui concerne notamment les personnes âgées de plus de 60 ans.

Je rappelle également que l'assurance chômage – conformément à la décision des partenaires sociaux et de l'État – assure le relais pendant le laps de temps qui peut s'écouler, pour certaines personnes seniors, entre la période d'indemnisation du chômage et la retraite. Nous entendons conserver ce système, car l'option inverse conduirait à plonger dans la pauvreté des personnes proches de la retraite.

Vous reposez la question – déjà soulevée – des demandeurs d'emploi enchaînant les contrats courts. Nous nous accordons sur un constat : personne ne choisit d'être précaire ; la précarité n'est jamais un but, elle est subie. Sur ce point, se pose la question de l'indemnisation, mais aussi celle de l'accompagnement. Nous avons observé – je l'ai vu dans beaucoup d'agences Pôle emploi – que ces personnes, qui sont souvent près de leur téléphone à attendre qu'on leur propose un contrat pour l'après-midi, le lendemain ou la semaine suivante, bénéficient assez peu des offres de services de Pôle emploi, parce que ces dernières ne sont pas accessibles, ou parce qu'elles sont obligées de décommander.

Nous avons donc, dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage, demandé à Pôle emploi de lancer un appel d'offres – il est en cours – afin de proposer une offre de services adaptée aux personnes permittentes, qui assurent des contrats courts. Ces dernières pourront ainsi bénéficier, à compter du 1er avril prochain, d'une offre supplémentaire en soirée et le week-end. Ce point me paraît important : ces personnes doivent être accompagnées pour trouver un emploi plus durable et donc avoir de meilleures perspectives.

M. le président. La parole est à M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Madame la ministre, le chômage atteint en France un niveau élevé – et, dans certains territoires, très élevé, comme notre collègue Jean-Philippe Nilor l'évoquait voilà quelques instants – et la précarité galope. Face à cela, se développe du travail sans statut, sans droit du travail, ubérisé. Ce modèle n'est pas soutenable. Que comptez-vous faire pour ne pas le voir se développer ? C'est en tout cas à cause de cette précarité que les parcours hachés, qui grèvent les pensions de retraite, se multiplient eux aussi.

Des femmes et des hommes, des jeunes, des moins jeunes, connaissent la souffrance de ne pas trouver d'emploi, à laquelle s'ajoute une culpabilisation destructrice. La réforme de l'assurance chômage que vous avez imposée et qui dégrade les droits n'arrange rien. Vous avez dit que nous appliquions un système d'indemnisation généreux. Je crois que ce système visait surtout à garantir la justice : nulle question de générosité ici, je ne partage pas votre manière de voir les choses.

Je souligne en passant que les organisations de privés d'emploi demandent toujours une reconnaissance, car elles ont des choses à dire sur les politiques de lutte contre le chômage.

Parmi les chômeurs, près d'un million de personnes cherchent du travail depuis au moins un an. Ce phénomène concerne 40 % des chômeurs en France métropolitaine, soit 3,4 % de la population active. Quels outils, quels moyens nouveaux pouvez-vous proposer pour y répondre ?

Face à ce constat, l'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée – dont il a déjà été question – a été lancée, en janvier 2017, dans dix territoires de 5 000 à 10 000 habitants. Elle a permis de démontrer que personne n'est inemployable et que le chômage n'est pas un choix de convenance pour les travailleurs. Selon l'Observatoire des inégalités, c'est le fait de rester longtemps sans emploi qui pose le plus problème : les conséquences sont bien plus graves sur le niveau d'indemnisation, les relations sociales et l'état psychologique des personnes concernées, qui se trouvent ainsi éloignées de leur univers professionnel.

Vous avez reçu trois rapports d'analyse intermédiaire. Les premières conclusions font état d'une amélioration significative de la situation professionnelle et personnelle des bénéficiaires du dispositif. Si des ajustements semblent nécessaires, une deuxième phase expérimentale est préconisée. Comptez-vous prolonger cette expérimentation ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, vous abordez plusieurs sujets, tous liés à la lutte contre le chômage. Nous aurons l'occasion, je crois, de reparler de l'ubérisation de l'économie, en réponse à laquelle il nous faut évidemment trouver des modes de régulation sociale. Chaque époque voit émerger de nouvelles formes d'emploi, et la puissance publique – en l'occurrence, aussi bien le Gouvernement que le Parlement – doit intervenir sur ce sujet.

Vous évoquez ensuite l'offre de services et la manière dont nous pouvons mieux aider les chômeurs de longue durée – car le chômage, c'est difficile, mais le chômage de longue durée, c'est une véritable souffrance, avec les éléments de santé et de désocialisation qu'il peut amener : c'est, plus qu'une simple perte d'emploi et de revenus, une perte de lien social, et cela a souvent un effet assez destructeur.

D'abord, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, nous réalisons, dans le cadre du plan d'investissements dans les compétences, un effort plus massif que par le passé. Il ne faut pas croire, en effet, qu'on ne se forme que quand on est jeune : on peut évoluer toute sa vie – c'est là le fruit d'un changement de la société. Il est d'ailleurs intéressant de constater que, dans l'application Mon compte formation, de nombreuses personnes demandent des reconversions, soit parce qu'elles anticipent des difficultés dans leur emploi, soit parce qu'elles ont envie d'apprendre un métier qu'elles n'ont jamais exercé : cela peut être vrai à tout âge.

Pour ce qui est ensuite de l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, sur laquelle vous m'interrogez plus précisément, mon histoire et mon expérience m'incitent à croire aux vertus de la mobilisation territoriale. Je crois, plus largement, à la mobilisation : quand des acteurs de bonne volonté s'engagent, ils trouvent sur le terrain des solutions qui n'existaient pas dans les seuls textes. Ces derniers doivent aider leur action – ils ne doivent pas l'empêcher –, mais, en réalité, c'est la mobilisation qui compte.

Comme je l'indiquais tout à l'heure, nous aurons établi d'ici quelques semaines, avec l'association TZCLD, qui conduit l'expérimentation, un diagnostic entièrement partagé concernant ces territoires. Nous sommes prêts à aller plus loin dans l'expérimentation, en fonction des enseignements de la première phase. Nous disposons d'un recul de deux ans. Cela reste court pour une démarche relativement innovante, mais nous pouvons déjà en tirer de premiers enseignements.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Madame la ministre, en tant que membre de la commission des finances et rapporteure spéciale sur le travail, l'emploi, la formation professionnelle et l'apprentissage, je suis particulièrement sensibilisée à la réussite de notre projet commun : diminuer le chômage et retrouver le plein-emploi. Quoiqu'en disent les oppositions, les résultats sont déjà là, et ils se voient.

Cela étant, nous devons poursuivre notre effort. La réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle a constitué une réponse essentielle à un paradoxe français : la persistance d'un chômage de masse alors que de nombreuses entreprises peinent à recruter, faute de trouver les compétences dont elles ont besoin. Comme vous le savez, le plafond d'emplois pour 2019 de France compétences a été fixé, dans la loi de finances pour 2019, à 70 ETPT – équivalents temps plein travaillés. Ce plafond résulte d'une estimation effectuée au regard des missions légales d'un établissement qui n'existait alors pas encore : il paraît évident que l'État ne disposait pas des éléments nécessaires à une bonne estimation de la charge de travail correspondant à leur exercice.

Or les missions de France compétences ne sont pas exactement les mêmes que celles des trois structures que cet établissement est amené à remplacer. Si la principale mission en moins concerne les appels à projet du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, il s'ajoute néanmoins des nouvelles tâches de régulation – hors enregistrement des certifications – ainsi que d'autres charges telles que la passation et le pilotage du marché du conseil en évolution professionnelle. Dans le même temps, un accroissement du périmètre des missions existantes, telles que l'instruction des dossiers d'enregistrement au répertoire spécifique, est à souligner.

Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, est-il envisageable d'ajuster le plafond d'emplois de France compétences pour permettre une meilleure adéquation entre l'effectif de cet établissement et les missions qu'il exerce, et qui sont essentielles pour atteindre nos objectifs ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Merci, madame la députée, de votre soutien fort aux réformes que nous avons engagées et à la création de France compétences.

Cet établissement est effectivement un pilier du nouveau système de formation professionnelle et d'apprentissage : il s'agit en quelque sorte d'une autorité de régulation, pilotée par l'État, les régions et les partenaires sociaux, c'est-à-dire par l'ensemble des acteurs concernés par cette régulation. Je crois que sa création a constitué un grand progrès. Je voudrais, à cette occasion, saluer le travail formidable fourni par les équipes et le conseil d'administration de France compétences.

Mme Danielle Brulebois. Oui !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet organisme, créé en février 2019, et a été immédiatement opérationnel, et particulièrement rapide dans l'accomplissement de ses nouvelles missions. Il a par exemple permis la mise en place des contrats pour l'apprentissage et de la nouvelle certification.

Ses missions correspondent bien au cumul des missions des quatre instances qui ont été fusionnées. Le regroupement sous une unique direction de ces organismes, entre lesquels de nombreuses interactions étaient auparavant nécessaires, permet d'ailleurs de gagner du temps. C'est pourquoi nous avons estimé que les 70 ETP qui figurent dans la loi de finances pour 2019, et qui correspondent exactement à la somme des quatre instances existantes, étaient suffisants à ce stade. Nous devrons évidemment nous montrer vigilants dans le futur : si les missions s'accroissent, il faudra en tenir compte. Pour l'instant, toutefois, il me semble bon de considérer que les synergies créées par la fusion des quatre instances leur permettent de fonctionner correctement. (Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Brulebois.

Mme Danielle Brulebois. Madame la ministre, en France, grâce aux politiques gouvernementales menées depuis deux ans, et qui portent leurs fruits, le chômage atteint son plus bas niveau depuis dix ans, s'établissant en fin d'année 2019 à 8,5 % de la population active. Dans mon département du Jura, nous nous félicitons que le taux de chômage ait chuté à 6,1 % – une performance historique.

Cependant, la classe d'âge des 55 ans et plus reste encore trop touchée par le chômage : 27 % des demandeurs d'emploi appartenant aux catégories A, B et C sont des seniors. L'augmentation est de 0,5 % sur un an. Ces personnes perçoivent des allocations chômage, des allocations de fin de droit, ou des minima sociaux. Mais cette part de la population, durablement exclue du monde professionnel, se trouve en situation d'inactivité.

Les seniors en recherche d'emploi doivent faire face aux réticences des entreprises à recruter des salariés âgés, en raison de stéréotypes liés à l'âge, de la défiance des recruteurs quant à l'état de santé, la résistance et la capacité à s'adapter, ou encore de la crainte de devoir verser des salaires plus élevés. La précarité des seniors exclus du marché du travail représente un coût croissant pour la collectivité, ce qui a de quoi inquiéter si l'on prend en considération la baisse brutale des perspectives de retour à l'emploi après 52 ans.

À la veille de l'examen de la réforme des retraites, je souhaite savoir, madame la ministre, quelles politiques actives et quels dispositifs particuliers en faveur de l'emploi des seniors vous envisagez de poursuivre ou de mettre en oeuvre.

Enfin, le cumul emploi-retraite est de plus en plus souvent nécessaire pour améliorer une pension insuffisante.

Ne considérez-vous pas, madame la ministre, qu'une réforme des retraites ne pourra se faire sans une réflexion approfondie sur l'emploi des seniors ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la députée, comme vous, je me réjouis des très bons résultats du Jura. Des départements de plus en plus nombreux approchent, comme le vôtre, du chiffre de 6 % et c'est là un signe encourageant qui montre bien qu'il n'y a pas de fatalité. Je suis certaine que les habitants du Jura s'en aperçoivent, même si, sur certains bancs, certains ici nient la réalité.

L'emploi des seniors est, comme vous le rappelez à juste titre, un élément essentiel de la politique de l'emploi et il doit également être pris en considération dans la réforme des retraites. C'est la raison pour laquelle, hier, le Premier ministre et moi-même avons ouvert cette concertation avec les partenaires sociaux. A notamment été soulevée à cette occasion la question de savoir comment valoriser l'expérience des seniors, des plus expérimentés. De nombreux intervenants ont évoqué le tutorat, qui est encore mal reconnu en France alors que nous aurons un énorme besoin de transmission de compétences, ce qui en fait une opportunité. Les PME, qui manquent cruellement de compétences, sont parfois moins victimes des stéréotypes qui entourent l'embauche des seniors, mais elles peinent à accéder à des compétences très qualifiées et il nous faut voir comment les aider. Il en va un peu de même pour le secteur associatif.

Nous souhaitons aussi, avec les partenaires sociaux, travailler à l'amélioration de la retraite progressive et du cumul emploi-retraite. Nombreux, en effet, sont ceux qui aspirent, non pas à une opposition binaire entre le travail et la retraite, mais à un système plus progressif, qui est humainement plus équilibré et plus intéressant, car il permet aux personnes concernées d'avoir une utilité sociale et une incidence sur la vie économique, parallèlement à une progressivité dans l'évolution de leur quantité de travail. Cela me semble correspondre à une aspiration très forte de nos concitoyens et avoir un sens économique si nous trouvons le bon contour pour ce dispositif, que nous voulons donc encourager dans ce cadre.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Panonacle.

Mme Sophie Panonacle. Madame la ministre, penser la lutte contre le chômage, c'est également penser le renforcement de l'attractivité des secteurs d'avenir. À l'occasion des Assises de l'économie de la mer, en décembre dernier, le Président de la République a affirmé que le XXIe siècle serait maritime.

Le secteur maritime emploie 400 000 personnes dans des centaines de métiers différents et pèse environ 70 milliards d'euros en valeur de production annuelle. Ces chiffres pourraient atteindre un million d'emplois et 150 milliards d'euros à l'horizon 2030.

La croissance de l'activité de l'économie bleue s'accompagnera nécessairement d'une transformation des différentes filières destinée à les faire évoluer vers un modèle durable. Les énergies marines renouvelables, le transport maritime décarboné et le bateau du futur sont prometteurs. Des secteurs aussi divers que les ports connectés, les biotechnologies bleues ou le génie écologique côtier feront naître de nouveaux métiers. Il faut donc s'attendre à des centaines de milliers de nouveaux recrutements dans ces secteurs en expansion. Ils s'ajouteront, bien évidemment, aux nombreux emplois actuellement indispensables au fonctionnement des principales filières, notamment les chantiers navals, qui concentrent une grande diversité de métiers.

Pourtant, ce secteur souffre d'un réel problème d'attractivité, de recrutement et de formation. Une méconnaissance des métiers de la mer ainsi que les conditions difficiles de certains métiers sont la cause de ce manque d'attractivité. Des immersions professionnelles en entreprise marine ou des actions de formation préalable au recrutement ont déjà été suggérées par Pôle emploi pour maximiser l'embauche des profils concernés. Les filières maritimes ont incontestablement un rôle important à jouer dans la lutte contre le chômage.

Madame la ministre, quelles mesures envisagez-vous pour « maritimiser » les compétences des demandeurs d'emploi et, ainsi, servir le double objectif de lutter contre le chômage et d'accompagner l'économie bleue dans une croissance durable ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Merci, madame la députée, pour votre question. Les quinzièmes Assises de l'économie de la mer, en décembre dernier, ont en effet permis de partager ces objectifs ambitieux, et cela d'autant plus qu'il ne s'agit pas seulement du développement de l'économie bleue, mais aussi, comme vous l'avez souligné, d'une grande transformation, avec le développement des énergies renouvelables et le « verdissement » du transport maritime – qui revient, si j'ose dire, à verdir le bleu. (Sourires.)

Dans ce secteur, de très forts besoins de recrutement sont à prévoir d'ici 2025 mais, comme vous l'avez souligné, les professionnels de la mer sont pourtant confrontés à un important déficit de main-d'oeuvre. Il s'agit là de l'une des opportunités que j'évoquais tout à l'heure en disant qu'on en avait sous le pied. En effet, de nombreux secteurs cherchent à recruter et ont du mal à le faire.

Le secteur maritime connaît des problèmes spécifiques, avec des niveaux de formation technique initiale qui doivent progresser. Il est peu lisible et fragmenté, avec des déficits d'attractivité, et les candidats potentiels méconnaissent le niveau et l'intérêt de ces métiers de la mer. De fait, la proportion de jeunes diplômés embauchés décroît, alors que les besoins augmentent.

Face à cette situation, les professionnels de la mer se mobilisent et, en octobre 2018, sous l'égide du Conseil national de l'industrie, la filière des industriels de la mer a élaboré et signé un plan d'action ambitieux. Le ministère du travail accompagne cette démarche et, en 2019, le ministère du travail, l'UIMM – l'Union des industries et métiers de la métallurgie – et le campus des industries navales, ainsi que les organisations syndicales du secteur de la métallurgie, ont signé un engagement de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, ou GPEC, dans la filière des industriels de la mer, qui est une partie de la question. Nous travaillons sur plusieurs axes : l'ingénierie de formation par blocs de compétences, l'amélioration de l'attractivité de la filière et la consolidation de la GPEC de filière.

Ce qui est vrai pour les industriels de la mer l'est aussi pour d'autres secteurs, comme ceux de la transformation agroalimentaire ou cosmétique liée à l'économie bleue, ou des nouveaux éléments de tourisme. Il faut, de façon générale, développer cette approche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. C'est ce que nous allons faire dans le cadre du pacte productif. Nous avons des occasions de le faire, mais il faut les saisir, et les saisir ensemble.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Démoulin.

M. Nicolas Démoulin. Madame la ministre, le niveau du chômage n'a jamais été aussi bas en France depuis dix ans. Il convient d'intensifier nos efforts, mais nous pouvons convenir que les mesures mises en place depuis le début du quinquennat ont été efficaces.

La seule baisse de charges liées au coût du travail ne suffit pas. En effet, pour l'avoir vécu personnellement, je sais qu'un entrepreneur optimiste est un entrepreneur qui embauche. Porté par une croissance économique modeste, l'optimisme est la clé de voûte pour lutter efficacement contre le chômage. Cela est encore plus vrai pour les PME, qui sont à l'origine de la majorité des créations d'emplois en France.

Ce retour à la confiance est bien là, et nous devons nous en réjouir, mais il reste encore des freins à l'embauche, souvent liés à l'âge du candidat : les seniors sont trop expérimentés, et les jeunes pas assez. C'est un paradoxe très français, contre lequel nous devons lutter en changeant les mentalités.

Ce combat est mené depuis deux ans et demi et commence à porter ses fruits. En effet, le recul du chômage des jeunes est enclenché : en 2019, il est de plus de 2,3 points. C'est, pour les jeunes Françaises et Français, un chiffre encourageant, qui s'explique par des mesures engagées par la majorité en faveur de l'apprentissage et de l'alternance avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Il me semble possible d'accroître les ambitions en matière de formation professionnelle des jeunes, en favorisant par exemple la structuration de marchés professionnels, avec une mobilité centrée autour d'entreprises du même secteur, donnant une place importante à l'apprentissage.

Madame la ministre, pouvez-vous nous donner de plus amples précisions sur la feuille de route du Gouvernement pour lutter contre le chômage des jeunes, en particulier de ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, merci pour cette question. En effet, le chômage des jeunes est, de tous les angles morts du marché du travail, celui qui me préoccupe le plus. Il n'est pas acceptable que, durablement, plus d'un million de jeunes de notre pays ne se projettent pas dans l'avenir. C'est aberrant du point de vue social, économique ou citoyen. Il n'est pas possible que la jeunesse ait l'impression que l'on n'a pas besoin d'elle – c'est faux, mais c'est ce que perçoivent certains.

Nous progressons, en effet. Le taux de chômage, qui était de 21,7 % lorsque nous sommes arrivés, est aujourd'hui de 19,1 %, mais il reste encore tant d'efforts à faire dans ce domaine !

La première chose à faire est donc d'aller vers les jeunes qui échappent aux radars. Plusieurs centaines de milliers de jeunes dits « NEET », c'est-à-dire ni en emploi, ni en formation, ni en études, ne se rendent même pas auprès d'une mission locale ou de Pôle emploi, ni dans aucune structure d'insertion, et considèrent déjà qu'on ne leur offre pas une place sur le marché du travail. Il faut aller vers eux et les trouver là où ils sont.

C'est la raison pour laquelle nous avons, dans le cadre du PIC, le programme d'investissement dans les compétences, lancé un appel d'offres pour la mobilisation de ces jeunes dits « invisibles ». Trois projets ont d'ailleurs été sélectionnés dans votre département de l'Hérault, sur 210 qui l'ont été au plan national, pour un montant de plus de 60 millions d'euros. Il convient de raccrocher ces jeunes décrocheurs en leur donnant l'espoir réel de trouver une solution.

L'apprentissage, dans lequel nous investissons massivement, est bien évidemment une solution particulièrement efficace, mais il faut citer également le programme d'investissement dans les compétences et la garantie jeune, qui fonctionne bien. Nous avons également augmenté de 17 %, portant le total à 330 000 jeunes, le nombre des entrées en parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie – PACEA –, avec l'apport des missions locales, qui reçoivent des moyens supplémentaires dans ce domaine. Il y a enfin l'offre de services des écoles de la deuxième chance de l'EPIDE. Il faut mobiliser encore plus toutes ces structures. Nous nous en sommes donné les moyens dans le budget 2020, afin que des centaines de milliers de jeunes de plus puissent avoir un accès à l'emploi.

M. le président. La parole est à M. Gaël Le Bohec.

M. Gaël Le Bohec. Madame la ministre, je voudrais, en tout premier lieu, féliciter le Gouvernement pour son action, qui a donné à l'emploi une dynamique réelle et sans précédent dans notre pays : plusieurs centaines de milliers d'emplois ont ainsi été créés en ce début de quinquennat. Je saisis cette occasion pour féliciter aussi l'ensemble des fonctionnaires qui construisent ces chiffres et travaillent avec une grande conscience professionnelle, mais qui ont malheureusement été mis en cause tout à l'heure par certains et certaines de ceux qui se sont exprimés avant moi, ce qui est tout à fait dommage.

Le chômage a, en effet, évolué dans un sens positif. Certaines zones d'ombre demeurent néanmoins et le chômage reste trop prégnant, en particulier chez les femmes, les seniors et les chômeurs de longue durée.

À cet égard, la circonscription dont je suis élu compte un territoire zéro chômeur de longue durée : celui de Pipriac et Saint-Ganton, que vous êtes venu visiter le 4 octobre 2018. Cette expérimentation au plus près des territoires a fait ses preuves et démontre cette vérité fondamentale que personne n'est inemployable. J'insiste sur les mots : « au plus près des territoires », et cela pour deux raisons.

Tout d'abord, le territoire que je viens d'évoquer se situe au coeur de l'alliance intermétropolitaine Loire-Bretagne, représentée ici par les circonscriptions de Paul Molac et Yves Daniel, et dans le triangle d'or Nantes-Rennes-Vannes. Cette zone métropolitaine porte – et jusqu'à Angers même – de nombreux projets.

L'approche territoriale a des avantages indéniables pour les demandeurs d'emploi comme pour l'ensemble des populations locales. Le dispositif favorise en effet la création de nouveaux services, avec par exemple la reprise de commerces de proximité. Il a créé une dynamique entre tous les acteurs locaux, les élus de tous bords, les associations, les entreprises et les institutions. Enfin, le bénéfice écologique est également important, avec la création de recycleries et de services de tri qui ne seraient économiquement pas rentables dans des modèles classiques.

Le dispositif a besoin de plusieurs améliorations. Il faudrait notamment prévoir des fonds propres suffisants et renforcer son organisation, par exemple pour un meilleur management.

Madame la ministre, pouvez-vous donc nous préciser le calendrier et les contours du dispositif prévu par la nouvelle loi qui est annoncée ? Permettez-moi d'insister sur le calendrier, à propos duquel vous avez du reste déjà beaucoup répondu. J'aimerais, sur ce point, recevoir de vous des informations précises. (M. Paul Molac applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce point tout à l'heure et nous avons, je crois, la même conviction : lorsque des élus se mobilisent et trouvent des solutions nouvelles avec les acteurs locaux, il est bon que les dispositifs publics nationaux viennent appuyer ces démarches pour les rendre possibles à grande échelle. C'est l'esprit du soutien que j'apporte à cette expérimentation.

Je ferai deux remarques. Tout d'abord, avec les initiateurs de cette démarche et les organismes d'expertise, qui ont procédé à des audits, nous sommes en train d'identifier les freins et les leviers, les améliorations nécessaires et les aspects incontournables – comme, bien évidemment, le rôle des élus dans la gouvernance. Tout cela sera affiné dans les semaines qui viennent.

La loi de 2016 qui inaugure cette expérimentation lui fixait un horizon cinq ans, de telle sorte que la prochaine loi en la matière devrait, en principe, intervenir en 2021. Cependant, la loi ne prévoyait que dix expérimentations : il faut, pour les multiplier, un nouveau véhicule législatif, mais il n'est pas forcément nécessaire d'attendre 2021 pour cela. De même, nous n'avons pas forcément besoin d'une loi ad hoc : le dispositif souhaité, dont il reste à définir le contenu, peut emprunter un autre véhicule législatif – j'en proposerai un ou deux dans le courant de cette année. Nous serons donc assez pragmatiques en la matière, l'important étant de nous entendre sur ce qui doit être corrigé et amélioré pour permettre l'amplification de l'expérimentation.

Je voudrais également, à travers vous, lancer un appel aux élus : il ne faut pas opposer les dispositifs. Nous avons besoin de tous et nous avons les moyens, en matière d'insertion par l'économie, de créer des chantiers et des entreprises d'insertion, notamment, comme vous l'avez dit, avec des ressourceries ou des recycleries, ou avec des entreprises adaptées. Si les élus le demandent, nous le ferons.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Je souhaite vous poser quatre questions relatives aux mesures à explorer en matière de lutte contre le chômage. La première porte sur les initiatives territoriales pour l'emploi, déjà largement évoquées sur ces bancs. Je sais quelle est votre position à propos des maisons de l'emploi, un dispositif qui a parfois abouti à des résultats exceptionnels. Dans certains secteurs, dans certaines filières économiques, il peut être pertinent de réunir autour de la table des représentants du public et du privé ainsi que des chercheurs, et cela peut même produire de très bons résultats. Je sais que vous ne partagez pas ce point de vue. Seriez-vous néanmoins disposée à permettre, au cas par cas, selon le potentiel de chacun des territoires, l'utilisation d'un tel dispositif, dans une nouvelle version, afin de favoriser l'emploi dans ces territoires ?

Ma deuxième question porte sur l'insertion par l'activité économique – IAE. Je suis en effet convaincu qu'on peut aller plus loin dans ce domaine. Considérez-vous qu'il faille désormais intégrer des formations professionnelles dans les structures d'insertion par l'activité économique – SIAE –, dans la mesure où leur schéma s'assimile à de l'alternance, avec des mesures sur le terrain et de la formation ? Certains freins empêchaient jusqu'alors les SIAE d'inclure des structures de formation professionnelle. J'aimerais connaître votre avis. Et, à propos des SIAE toujours, pensez-vous qu'il soit possible d'être plus contraignant s'agissant des commandes publiques et des clauses d'insertion, afin de mobiliser certains prescripteurs publics et de donner de l'emploi à des hommes et à des femmes ?

Ma troisième question concerne l'emploi associatif, un sujet dont je vous ai déjà parlé. Je considère que des emplois peuvent être créés au sein des associations, notamment pour des premiers postes.

Ma dernière question porte sur les travailleurs indépendants. Certes, la loi d'orientation des mobilités – LOM – offre une clarification et favorise, à travers l'adoption d'une charte, le recours au travail indépendant. Je suis convaincu pour ma part qu'il s'agit d'un moyen de donner du travail à des hommes et à des femmes mais il me semble qu'il existe un blocage culturel sur cette question. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Vous avez réussi à poser toutes ces questions en deux minutes, et j'essaierai de tenir le défi.

Concernant les maisons de l'emploi, l'approche a évolué. Aujourd'hui, elles se portent candidates à la suite d'appels d'offres et d'appels à projets, assez nombreux, du ministère, au sujet par exemple de la gestion professionnelle des emplois, qui peut être locale. Nous sommes plutôt dans une logique de projets car, comme vous l'avez dit, l'appellation recouvre, d'un site à l'autre, des situations très différentes. L'idée est donc, plutôt que d'adopter une politique nationale en la matière, de faire en sorte que les maisons de l'emploi puissent bénéficier des financements dans le cadre des dispositifs de droit commun qui incluent beaucoup d'appels à projet. Elles bénéficient d'ailleurs aussi des financements du Fonds social européen.

À propos de l'IAE, une question se pose en effet. Nous convenons tous que le triptyque gagnant lorsqu'on cherche du travail, c'est d'être placé en situation réelle d'emploi, d'obtenir une formation et de bénéficier d'un accompagnement social. Le deuxième volet du triptyque est souvent celui qui fait défaut dans le secteur de l'IAE. Le secteur a-t-il donc plutôt intérêt à nouer des partenariats avec des professionnels de la formation, ou doit-il lui-même devenir également un organisme de formation ? Ce n'est pas au moment où je permets à chacun d'être à l'initiative en matière d'apprentissage que je vais empêcher qu'il en soit de même pour la formation. C'est au secteur de se structurer sur cette question.

S'agissant des clauses d'insertion, je pense comme vous que nous pouvons aller beaucoup plus loin. Dans le cadre des Jeux olympiques, nous avons prévu, avec le Comité d'organisation et son président Tony Estanguet, que 10 % des heures travaillées soient des heures d'insertion. Cela suppose des dispositifs appropriés. C'est pourquoi les clubs « La France, une chance. Les entreprises s'engagent ! », que j'évoquais tout à l'heure, s'impliqueront dans ce projet. Il faut que des entreprises d'insertion, adaptées, soient en mesure de s'investir. Au-delà des JO, je crois que c'est une voie d'avenir pour la commande publique et privée. Une des modalités de l'engagement des entreprises peut être de réserver une partie de leurs travaux de sous-traitance à l'insertion.

L'emploi associatif, que vous citez dans votre troisième question, est en pleine dynamique. Enfin, concernant le travail indépendant, l'adoption de la charte constitue une avancée. Le travail dans les plateformes peut représenter une première chance d'emploi mais il faut aller plus loin dans la régulation sociale et augmenter les possibilités de promotion de ces personnes.  

M. le président. La parole est à M. Julien Dive.

M. Julien Dive. Face à l'actualité, et notamment à la construction du régime de retraites de demain, dont nous allons débattre dans l'hémicycle, je souhaite réaffirmer que la mère des batailles reste, comme vous le savez, la lutte contre le chômage de masse et pour l'emploi pour tous. Comment imaginer sa retraite lorsqu'on est sans emploi ? À quoi bon espérer un système de retraites digne si on n'est pas capable de sortir du chômage de masse ?

Votre gouvernement s'est gargarisé d'une embellie du marché de l'emploi au cours des derniers mois, en s'appuyant sur les chiffres globaux. Mais, comme vous le savez, le diable se cache dans les détails. Si je ne devais en évoquer qu'un seul, je le résumerais en un chiffre : 18 %. C'est le taux de chômage chez les personnes en situation de handicap, et il n'a pas évolué depuis dix ans.

Vous avez annoncé quelques mesures, par exemple le toilettage de certains dispositifs dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui entre en vigueur ce mois-ci. Mais, très largement insuffisantes, elles ne permettront pas de réduire significativement le chômage chez les personnes en situation de handicap. Parmi celles-ci, les premières victimes sont les femmes, dont le taux de chômage s'élève à 50 % – soit une augmentation de trois points en un an –, les seniors, pour qui ce taux atteint 44 %, ou encore les personnes ayant un faible niveau de qualification, le taux étant alors de 37 %.

Aucune réelle mesure spécifique n'a été prise pour ces publics. Les contrats aidés sont en baisse, la croissance des embauches est trois fois moins importante, le nombre moyen de jours au chômage pour les personnes en situation de handicap s'élève à 824.

L'obligation d'emploi des travailleurs handicapés est une avancée de la loi de 2005 adoptée sous la présidence de Jacques Chirac. Il faut désormais aller plus loin pour inclure réellement ces personnes dans le monde du travail : multiplier les expérimentations, telles que les territoires zéro chômeur de longue durée, et les solutions d'accompagnement, faciliter l'accès aux informations pour que chacun sache auprès de quel organisme – Pôle emploi, Cap emploi – entamer les bonnes démarches. Ces recherches s'apparentent aujourd'hui à un deuxième parcours du combattant pour ces personnes qui doivent déjà en mener un, celui de leur vie.

Je vous pose deux questions précises, madame la ministre. Êtes-vous prête à prendre rapidement des mesures pour favoriser l'employabilité des femmes, des seniors et des personnes peu qualifiées en situation de handicap ? Pouvons-nous lancer une simplification dans l'accompagnement de ces publics en recherche d'emploi, y compris concernant le guichet d'accompagnement ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous partons du même constat : en France, nous ne sommes pas bons en matière d'emploi des personnes en situation de handicap. Trente-deux ans après l'adoption de la loi obligeant les entreprises à employer au minimum 6 % de personnes en situation de handicap, le taux n'atteint que 3,5 % dans le secteur privé et ne progresse plus beaucoup.

C'est pourquoi, avec Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, nous avons beaucoup travaillé sur cette question dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous avons mené une longue concertation avec les partenaires sociaux et les organismes concernés, ce qui nous a déjà permis de prendre cinq mesures.

La première est la réforme de l'OETH, afin d'encourager les entreprises à embaucher plutôt qu'à payer une contribution pour se dégager de leurs obligations.

La deuxième est l'obligation pour tout CFA d'avoir un référent apprentissage chargé d'examiner la question avec la famille, les jeunes et les entreprises. Aujourd'hui en effet, seuls 1 % des jeunes apprentis sont en situation de handicap alors qu'ils devraient être 6 ou 7 %, à l'image de leur part dans la population. En outre, on sait très bien que les personnes concernées cumulent souvent le préjudice lié aux stéréotypes que suscite leur handicap avec un niveau de qualification plus faible que la moyenne.

La troisième est le lancement du plan d'investissement dans les compétences, dont 8,4 % des bénéficiaires sont en situation de handicap – mais il faut toujours aller plus loin.

La quatrième est l'augmentation de l'offre dans les entreprises adaptées. Dans notre trajectoire budgétaire, nous nous donnons les moyens de passer de 40 000 places à 80 000 places, dans le cadre du Tour de France inclusif que nous organisons avec l'Union nationale des entreprises adaptées, l'UNAPEI et APF France handicap.

La dernière est le rapprochement de Pôle emploi et Cap emploi, qui collaborent à présent étroitement, ce qui permet d'éviter le parcours du combattant que vous avez évoqué. Notre objectif est de les faire cohabiter dans les mêmes locaux afin que chaque personne puisse accéder à l'ensemble de l'offre. De son côté, Sophie Cluzel travaille à un rapprochement des Maisons des habitants et de Pôle emploi. L'idée est que tout le monde se mette au service des personnes concernées pour faciliter leur parcours.

Il reste du travail à accomplir. C'est la qualité de l'exécution qui fera la différence mais nous nous sommes donné les moyens législatifs et financiers pour progresser.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Kuster.

Mme Brigitte Kuster. Fin 2019, la France comptait 3,3 millions de chômeurs. Si nous devons nous réjouir que près de 200 000 chômeurs de catégorie A aient retrouvé un emploi, notons que le nombre de demandeurs d'emploi de 50 ans et plus a augmenté depuis mai 2017 et stagne chez les femmes dans les catégories A, B et C. Rappelons aussi que le taux de chômage français reste encore supérieur à la moyenne tant de la zone euro que de l'ensemble de l'Union européenne. La croissance française en 2019 aurait pu laisser espérer une évolution mais force est de constater que le climat social actuel n'augure pas d'une amélioration en 2020.

Pourtant, selon votre ministère, au troisième trimestre 2019, plus de 185 000 emplois étaient toujours vacants en France, faute de candidats – pour des raisons de manque de qualification, parfois de distance, voire peut-être de rémunération, mais aussi parce que le rapport au travail a changé et que beaucoup se satisfont de l'intermittence ou du travail temporaire. Le zapping professionnel existe, comme vous avez sans doute pu le constater et comme le signalent les représentants de Pôle emploi dans les régions. Ce problème, difficile à régler au demeurant, mérite qu'on s'y arrête : il faut examiner avec attention la persistance d'une inadéquation de plus en plus forte entre l'offre et la demande de travail.

J'en veux pour preuve le fait que 60 % des entreprises de plus de 10 salariés ont exprimé ces derniers temps des difficultés de recrutement. Le taux d'emplois non pourvus, en hausse continue, atteint un niveau record de 1,4 %. Dans le contexte d'un chômage qui reste encore élevé dans notre pays, il est essentiel de conduire des politiques de l'emploi qui font se rapprocher les attentes des entreprises et le profil des candidats au recrutement. C'est pourtant le moment que vous choisissez, madame la ministre, pour réduire encore les moyens de Pôle emploi, dont c'est l'une des missions  – une baisse de 136 millions d'euros en 2020, je le rappelle.

Permettez-moi de m'étonner de cette gestion un peu erratique et de vous demander si la stratégie poursuivie pour rapprocher les qualifications et les besoins des entreprises n'est pas une occasion manquée, particulièrement pour les régions, acteurs historiques en la matière, auxquelles vous avez enlevé du pouvoir lors de la discussion sur la loi travail.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Tout d'abord, madame Kuster, je me permets de rectifier un chiffre, car je suis une obsédée des chiffres incontestables. Nous sommes passés de 2,8 à 2,5 millions de chômeurs disponibles pour travailler en 2017. Ces chiffres ne sortent pas de mon chapeau : je me réfère toujours au même baromètre, publié chaque trimestre et il s'agit des chiffres de l'INSEE, reconnus par le Bureau international du travail. Tous les chiffres sont discutables mais il faut toujours prendre la même référence pour comparer ce qui est comparable.

En ce qui concerne les sujets que vous évoquez, vous avez raison, les causes sont multiples. Je partage votre constat : il est certain qu'au moins une entreprise sur deux connaît des difficultés pour trouver les compétences qu'elle recherche, ce qui est une proportion énorme. Si nous parvenons à la réduire, c'est en fait une chance, mais si nous n'y arrivons pas ce sera un grave problème, car il s'agit d'un enjeu à la fois social et économique.

Les raisons de ces difficultés sont connues, et je crois à une politique de l'emploi qui utilise tous les leviers. Le premier, dont j'ai déjà parlé, est la compétence. Il existe un très grand écart entre les compétences demandées et celles qui sont disponibles. Le plan d'investissement pour les compétences et les mesures pour l'apprentissage sont là pour y remédier.

D'autre part, certains métiers ne sont pas assez attractifs ou parfois, simplement, pas assez connus. Le cas des chaudronniers est célèbre : des dizaines de milliers de postes sont à pourvoir, c'est un métier bien payé, les conditions d'exercice se sont améliorées et il est très valorisant de travailler sur les ailes d'un Airbus, néanmoins le métier reste peu connu.

Mais parfois aussi, certaines branches doivent réfléchir à des améliorations concernant les conditions de travail, les salaires ou la part d'emplois précaires. Si elles ne proposent que des emplois précaires et jamais de perspective d'embauche durable, elles ne sont pas attractives !

Il faut donc travailler sur toutes ces questions. Je peux citer aussi celle de la mobilité, des transports, que vous avez évoquée et qui suppose un partenariat de plus en plus étroit entre Pôle emploi et les collectivités territoriales, responsables en la matière. Il en va de même pour la question de la garde d'enfants qui donne lieu, comme nous l'avons vu, à des mesures dans le cadre des initiatives locales pour l'emploi.

En ce qui concerne les régions, je m'inscris en faux contre vos propos : dans le cadre du PIC, nous transférons 6 milliards d'euros aux régions pour les aider à se renforcer. Ce large partenariat se passe très bien dans la plupart des seize régions qui l'ont noué. Sur ce sujet, les régions sont actives et nous les aidons à l'être encore plus. Enfin, concernant l'apprentissage, les résultats parlent d'eux-mêmes.

M. le président. La parole est à M. Sylvain Waserman.

M. Sylvain Waserman. Madame la ministre, lorsque j'étais chef d'entreprise, j'avais tendance à dire que les chiffres sont plus parlants que les beaux discours. En matière de lutte contre le chômage, force est de constater objectivement que vous-même, les politiques que vous avez insufflées et donc le pays obtiennent aujourd'hui des résultats factuellement positifs.

Surtout, nous avons tous conscience que, derrière ces chiffres, il y a des hommes et des femmes qui reconstruisent des projets de vie et retrouvent une dynamique et un espoir : c'est cela qui nous incite à poursuivre la démarche.

Cependant, alors que la situation s'améliore, nous devons choisir entre une politique de continuité ou une approche d'expérimentation et de rupture, au moins dans certains domaines.

La décentralisation des politiques de l'emploi vers les régions constitue l'une des ruptures possibles. En effet, deux atouts majeurs jouent en faveur de l'acteur régional. Il y a, d'une part, sa connaissance du tissu économique en raison de sa proximité – depuis que les régions ont la compétence économique, elles ont créé des liens forts avec les entreprises. D'autre part, les régions ont la capacité de répandre et d'essaimer les innovations que vous avez évoquées de façon efficace sur le terrain.

Les expérimentations menées dans ma circonscription constituent un bon exemple. Je pense en matière de chômage des jeunes à « Café contact emploi », une initiative associative qui s'est déployée et permet aujourd'hui de travailler sur l'insertion. Je pense aussi à l'expérience du parrainage de trente jeunes de quartiers difficiles au chômage par des cadres d'entreprise. Devant les résultats positifs, la région a proposé de multiplier leur nombre par dix en travaillant avec la maison de l'emploi grâce à un appel à projets de l'État « 100 % inclusion ».

L'État est-il prêt à envisager une expérimentation réelle de décentralisation des acteurs de l'emploi, Pôle emploi compris, vers les régions ? (Mme Justine Benin et Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Dans ma jeunesse, j'ai été administrateur territorial. Je connais donc un peu les collectivités locales : je travaille avec elles depuis des décennies, y compris de l'intérieur. Par définition, la décentralisation permet la différenciation mais, en ce qui concerne l'emploi, il est difficile de répondre à votre question par un oui ou un non. Je m'en tiendrai donc à un « oui mais ».

En effet, l'expérience montre qu'en matière de formation des demandeurs d'emploi, l'action des régions est très inégale. Certaines d'entre elles font un travail formidable, mais j'ai déjà évoqué le cas du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, qui a supprimé 65 % des formations pour les demandeurs d'emploi, dont toutes les formations de bas niveaux de qualification, parce qu'il considère que ce n'est pas son rôle de faire de la solidarité et d'aider les plus vulnérables. Alors que la plupart des régions ont supprimé les formations en faveur de la réinsertion des détenus, ou celles visant à lutter contre l'illettrisme, il revient à l'État de s'assurer que, partout sur le territoire, les plus vulnérables sont pris en compte.

Certaines régions jouent leur rôle, je l'ai dit, mais, parce que ce n'est pas le cas de la totalité d'entre elles, nous ne pouvons pas, aujourd'hui, leur déléguer la totalité de la compétence de l'emploi. Je constate d'ailleurs que, pour ces mêmes raisons, ce n'est le cas dans aucun autre pays européen, y compris dans des pays très fédéraux comme l'Allemagne.

Néanmoins, nous sommes prêts à aller plus loin avec les régions. Au congrès des régions de France, le Premier ministre a proposé une expérimentation sur une instance de gouvernance régionale de Pôle emploi. Nous avons aussi prouvé notre bonne volonté, à travers les 6 milliards d'euros supplémentaires apportés par le plan d'investissement dans les compétences – les « 100 % inclusion » que vous évoquiez en relèvent – et notre action en matière d'emploi.

L'expérimentation, qui commencera dans quelques régions volontaires en 2020, verra s'ériger une nouvelle instance de gouvernance, présidée par le conseil régional, avec un rôle opérationnel concernant les grands objectifs de Pôle emploi en matière de formation professionnelle, les expérimentations, notamment pour les parcours de demandeurs d'emploi et leur formation, ou la coordination du contrôle des organismes de formation. Cette expérimentation nous permettra de voir comment il est possible de travailler avec les régions qui le souhaitent et qui s'engagent.

M. le président. La parole est à Mme Justine Benin.

Mme Justine Benin. En 2018, le nombre de créations d'emplois a progressé de 2,4 % en Guadeloupe, ce qui met ce territoire au troisième rang de ceux qui créent le plus d'emplois en France. Pour autant, beaucoup reste à faire pour relever le défi de l'emploi dans les outre-mer, singulièrement en Guadeloupe où le taux de chômage s'élève toujours à 23 %.

Nous avons voté, il y a plus d'un an, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a institué France compétences, institution publique chargée de réguler, de financer et d'organiser la formation professionnelle et l'apprentissage sur tout le territoire national. Sachant que les territoires d'outre-mer ont des particularités et des caractéristiques très spécifiques, liées à l'insularité, à l'éloignement et à l'étroitesse des marchés, j'aimerais vous entendre, madame la ministre, sur l'opportunité de créer des antennes de France compétences dans chaque bassin océanique, et singulièrement aux Antilles-Guyane.

Cela répondrait à un besoin de proximité et à l'impératif de professionnalisation des organismes de formation sur place. Cette évolution est aujourd'hui indispensable en raison du vieillissement de notre population, en Guadeloupe et en Martinique, vieillissement lié à l'exode de notre jeunesse, partie travailler dans l'hexagone ou à l'étranger faute de propositions professionnelles sur place. Que faire pour créer des emplois afin que nos jeunes puissent s'épanouir professionnellement dans l'ensemble des territoires de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion ou de la Guyane ?

Par ailleurs, madame la ministre, j'étais à vos côtés en mars 2019, à Cachan, dans le Val-de-Marne, afin de lancer le dispositif des emplois francs dans les départements d'outre-mer. Cette démarche, innovante et incitative, permet aux entreprises qui recrutent des jeunes demandeurs d'emploi vivant en zones prioritaires de bénéficier de primes à l'embauche, à hauteur de 5 000 euros pendant trois ans pour un contrat à durée indéterminée et de 2 500 euros pendant deux ans pour un contrat à durée déterminée. Quel premier bilan en tirez-vous ? Surtout, comment pourrions-nous simplifier l'accès à ce dispositif afin qu'il puisse pleinement bénéficier aux associations ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous partageons les mêmes convictions, madame Benin. Nous en avons discuté lors de ma visite en Guadeloupe, mais aussi lors de tous nos débats sur l'ordonnance d'adaptation à l'outre-mer de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Je veux d'ailleurs souligner que ce travail a été effectué par des députés et des sénateurs issus de tous les groupes politiques, ce que je tiens à saluer.

Je me réjouis comme vous de la dynamique d'emploi que connaît aujourd'hui la Guadeloupe. Je partage aussi votre sentiment que le taux de chômage sur place est encore très élevé et qu'en conséquence, pour ce qui concerne l'emploi, il faut renforcer l'attractivité du territoire pour les jeunes. C'est la raison pour laquelle nous sommes prêts à expérimenter des formes d'apprentissage innovantes, des sortes d'Erasmus Caraïbes. Il faut avancer en la matière car les regards ne peuvent pas être tournés vers la seule métropole : il faut aussi qu'ils se portent sur le bassin économique naturel que constituent les Caraïbes.

France compétences n'exerce pas de rôle direct auprès des opérateurs : sa mission de régulation financière et administrative est d'ordre général. Elle ne dispose donc d'antenne régionale nulle part. En revanche, nous pourrions regarder ensemble comment le CREFOP – comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles – et le CARIF – centre d'animation et de ressources d'information sur la formation – pourraient monter en puissance, en jouant peut-être des rôles spécifiques et renforcés pour les outre-mer.

Comme vous l'avez souligné, il y a outre-mer un enjeu de montée en professionnalisation qui concerne en particulier l'offre de formation et peut-être aussi l'offre d'accompagnement de l'insertion. Sur ces sujets, il y a un besoin d'ingénierie et nous pourrions peut-être renforcer les capacités d'ingénierie du CREFOP et du CARIF.

S'agissant des emplois francs, nous étions ensemble l'année dernière, lors du lancement de l'extension du dispositif, comme vous l'avez rappelé. Depuis le 1er avril dernier, tous les quartiers prioritaires de la ville peuvent en bénéficier. On compte aujourd'hui 18 000 emplois francs. Nous allons continuer et je suis évidemment d'accord pour vérifier que l'expérimentation fonctionne bien, mais pour l'instant, les choses ont l'air d'être bien parties.

M. le président. La parole est à Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur le chômage des seniors. La situation en la matière est préoccupante, comme cela a déjà été souligné à plusieurs reprises par la Cour des comptes. Je pense en particulier à un référé en date du 23 juillet 2019, rendu public le 10 octobre dernier.

Ce document dresse un constat effarant. Le taux d'emploi des salariés âgés de 55 à 64 ans est de 52 % au premier trimestre de l'année 2019, soit sept points de moins que la moyenne européenne. Les périodes de chômage de cette population sont par ailleurs bien plus longues que celles de l'ensemble des demandeurs d'emploi, et leur niveau de qualification est inférieur. On constate surtout que la situation est encore plus alarmante pour les chômeurs âgés de 60 à 64 ans, dont le taux d'emploi n'est que de 32 %.

Les périodes de chômage, délétères pour tous, sont particulièrement difficiles pour les seniors, qui se retrouvent dans une sorte de période transitoire assez difficile à vivre entre emploi et retraite, avec des conséquences désastreuses. J'ai été particulièrement choquée par la hausse des montants versés aux chômeurs de 60 à 64 ans au titre du RSA-socle – il s'agit pour eux de la dernière des protections –, une augmentation qui se monte à 157 % depuis dix ans

Ces quelques chiffres m'ont profondément interpellée. Ils me semblent appeler, madame la ministre, quelques éclairages sur l'action en cours en la matière. Ces périodes de chômages peuvent constituer pour certains de véritables trappes à pauvreté. Où en sommes-nous de la mise en place du compte personnel de formation ? À mon sens, ce dispositif constitue une vraie opportunité pour accompagner dès l'âge de 55 ans des transitions accélérées. Quelles actions pourraient mener Pôle emploi pour améliorer l'accès à la formation de nos seniors ?

Afin de répondre au référé de la Cour des comptes, le Premier ministre a évoqué la création d'une mission afin de dégager des propositions. Pouvez nous en dire plus aujourd'hui ? Vous-même, madame la ministre, avez évoqué l'année dernière, en répondant à une question écrite, le déploiement d'outils informatiques de sensibilisation et d'information des seniors et des entreprises. Quelles informations pouvez-vous nous donner à ce sujet ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la députée, nous avons lu le même document de la Cour des comptes, et toutes les analyses dont nous disposons sur le sujet convergent. Comme vous l'avez dit, la situation est préoccupante. D'une part, le taux d'activité des seniors est plus bas que la moyenne européenne, surtout celui des 60-64 ans – il y a là un vrai sujet. D'autre part, le taux de chômage de longue durée est très élevé. Certes, globalement, le taux de chômage des seniors est inférieur au taux national, mais, pour ceux qui sont touchés, il est extrêmement difficile de revenir à l'emploi. Le chômage est moins fréquent, mais ses effets sont plus graves.

De plus, dans cette position intermédiaire entre l'emploi et la retraite, si les deux tiers des personnes concernées tirent leurs revenus de l'assurance chômage, un autre tiers vit grâce aux minima sociaux, dans les situations de précarité qu'on imagine. Il s'agit d'un gâchis humain et d'une perte économique pour la nation, car les personnes en question sont souvent expérimentées et ont des choses à apporter.

C'est dans ce cadre que nous avons confié à trois personnes, dont Mme Sophie Bellon, présidente du conseil d'administration de SODEXO, une mission sur l'emploi des seniors. Mardi prochain, ils remettront au Gouvernement et aux partenaires sociaux leur rapport qui nourrira les travaux entamés hier avec le Premier ministre et les partenaires sociaux d'une part sur l'emploi des seniors et d'autre part sur la pénibilité, sujets qui sont évidemment intriqués.

Le compte personnel de formation constitue bien une opportunité. Aujourd'hui, dans les entreprises, on ne forme pas les seniors : on se contente de constater que leurs connaissances ne sont plus à jour. Mais on peut se former à 50, à 55 ou à 60 ans ! Il est trop tôt pour l'affirmer, mais je pense que l'application Mon compte formation permettra aussi de rouvrir le droit à la formation des seniors.

Du côté de Pôle emploi, pendant une longue période, les seniors ont été un peu oubliés : très peu d'offres d'emploi leur étaient destinées. Aujourd'hui, alors qu'une entreprise sur deux cherche des compétences, nous devons remobiliser les agences de Pôle emploi sur ce sujet. D'autres pistes feront l'objet de la concertation en cours avec les partenaires sociaux – nous pourrons les évoquer ensemble très bientôt.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Alors que le chômage est un fléau pour notre pays et surtout pour les Français qui le subissent, il est depuis plusieurs décennies l'un des défis majeurs que doit relever chaque gouvernement. Il existe aujourd'hui un projet audacieux, qui porte ses fruits sur le front de la lutte contre le chômage : l'initiative « territoires zéro chômeur de longue durée », née d'une proposition de loi déposée par notre ancien collègue Laurent Grandguillaume, adoptée à l'unanimité dans cet hémicycle et au Sénat en 2016.

Partant du constat que personne n'est inemployable, cette initiative vise à rendre effectif un « droit à l'emploi » en sortant des personnes d'une situation de privation d'emploi et en les préparant à la réinsertion dans le monde du travail. On peut considérer aujourd'hui qu'il s'agit d'un succès. Plusieurs rapports intermédiaires ont été publiés : trois ans après le début de l'expérimentation sur dix territoires, 900 personnes en situation de chômage de longue durée ont été embauchées en CDI.

Il est clair que cette initiative redonne confiance, qu'elle remet du lien entre les individus, et entre l'individu et la société. Elle réussit parce que, contrairement aux politiques classiques de lutte contre le chômage, elle part des territoires, elle colle à leurs nécessités en ne se déployant que pour les besoins utiles et non satisfaits.

Madame la ministre, vous avez indiqué que le Gouvernement communiquerait les suites qu'il souhaite donner au projet au cours du mois de janvier. Le moment est donc venu. Les rapports de l'IGAS, de l'IGF et du conseil scientifique de l'évaluation consacrent les éléments positifs que je viens d'évoquer, mais ils se font critiques devant l'impact nul du dispositif sur les finances publiques.

Ces rapports relèvent d'une vision gestionnaire, ce que je regrette, et portent davantage sur les économies réalisées que sur les retombées pour les territoires et le bénéfice humain, pourtant au centre du projet.

Ce dispositif mérite d'être poursuivi, encouragé et déployé. Prévoit-on de l'étendre par le biais d'une nouvelle loi ? Vous avez partiellement répondu à cette question : il semble que le Gouvernement ne souhaite pas généraliser l'expérience. Pouvez-vous confirmer cette orientation et nous préciser les critères qui permettront à de nouveaux territoires de profiter du dispositif ? Je pense particulièrement au Trièves, dans ma circonscription, qui a fait un gros travail en ce sens depuis plusieurs années et qui est très volontaire. Enfin, comment répondre au nécessaire besoin de formation dans le cadre des expérimentations en cours ?

Mme Valérie Rabault. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame Battistel, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire plusieurs fois, je trouve cette expérimentation intéressante. Aux termes de la loi de 2016, l'expérimentation devait durer cinq ans et concerner dix sites ; elle a bien été menée dans les territoires concernés, bénéficiant à 900 personnes, dont 750 restent actuellement salariées. Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, j'ai prévu, sans changer la loi ni le nombre de sites, de doubler l'effort pour le porter à 1 000 équivalents temps plein  supplémentaires.

À la demande des initiateurs du projet, Laurent Grandguillaume et Louis Gallois, nous avons décidé, plutôt que d'attendre cinq ans, d'évaluer le dispositif à mi-parcours. Trois évaluations ont été réalisées. La première a été menée par l'IGF et l'IGAS, qui cherchaient principalement à établir si l'hypothèse de départ – la transformation des dépenses passives en dépenses actives – se vérifiait, c'est-à-dire si l'investissement social se retrouvait bien dans l'économie. Je rappelle que dans le cadre de ce dispositif, le ministère du travail alloue 18 000 euros par personne sous forme de salaires, et encore 5 000 euros d'aide au démarrage. Une autre évaluation, plus qualitative, a été réalisée par des experts indépendants. Enfin, les promoteurs du projet ont procédé à une auto-évaluation.

Ces trois évaluations se recoupent partiellement, et partiellement divergent. Nous avons décidé, de façon innovante, de mettre tout le monde dans la même salle pour s'expliquer au fond et comprendre ces écarts : sont-ils dus au fait que les évaluateurs n'ont pas pris en compte les mêmes éléments ? On tente de parvenir à un diagnostic commun pour identifier ensemble les conditions d'une extension du dispositif.

Celle-ci peut intervenir sans attendre la fin des cinq ans, mais il faut pour cela déterminer les éléments qui marchent bien et qu'il faut conforter – c'est par exemple le cas de la gouvernance locale, un élément essentiel à l'origine même du projet – et les éléments qu'il faut améliorer, à spécifier selon le contexte local – zone rurale ou urbaine… D'ici quelques semaines, nous disposerons d'un bilan partagé et de propositions convergentes, qui permettront d'intégrer l'extension de l'expérimentation à un projet de loi au cours de l'année 2020.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Madame la ministre, vous avez indiqué tout à l'heure que vous aimiez bien les chiffres de l'INSEE. Moi aussi, donc je vous en citerai deux. Il y a deux jours, le 6 janvier, l'INSEE a publié une étude sur le nombre d'emplois salariés et non salariés par département, et sur son évolution entre 2017 et 2018. On y constate que trente-huit départements – un nombre très significatif ! – ont affiché en 2018 une baisse du nombre de leurs emplois, salariés et non salariés. Parmi ces départements figurent de nombreux départements ruraux du centre de la France. Vous allez sans doute me répondre que cette évolution découle d'un recul démographique dans ces départements. Mais dans la plupart d'entre eux – je pense notamment au Tarn-et-Garonne, que connaît bien ma collègue Sylvia Pinel ici présente – la population a continué à augmenter alors que le nombre d'emplois a baissé.

Madame la ministre, les politiques que vous avez lancées depuis deux ans conduisent à fragiliser la situation de l'emploi dans certains départements. La réforme de l'assurance chômage, que vous avez imposée aux partenaires sociaux, contribue également à ce déséquilibre. Dès lors, que comptez-vous faire pour éviter que les fractures sociales et territoriales ne s'aggravent, les distorsions étant aujourd'hui très importantes ?

Ma deuxième question porte sur les effectifs dans la fonction publique hospitalière. L'étude publiée par l'INSEE le 17 décembre 2019 révèle que « dans la fonction publique hospitalière, les effectifs diminuent légèrement en 2018 […], après une quasi-stabilité en 2017 […]. Ici aussi, la baisse est la conséquence de la réduction du nombre de contrats aidés. […] La baisse d'effectifs touche notamment les hôpitaux (– 0,4 % y compris contrats aidés) ».

Vous le constatez, madame la ministre, votre politique en matière de contrats aidés a eu un impact néfaste sur les hôpitaux, dont certains subissent des grèves depuis juin 2019 – une première, tant par leur ampleur que par leur durée. Lorsque vous avez supprimé les emplois aidés, vous disiez vouloir apporter des solutions de remplacement. On n'en a pas vu pour les hôpitaux. Que comptez-vous faire ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame Rabault, vous posez plusieurs questions importantes. L'un des risques du développement économique, c'est en effet l'accroissement de la différenciation territoriale que l'on observe depuis vingt ans en matière de chômage. L'emploi va à l'emploi, l'activité économique à l'activité économique. Les emplois se concentrent dans les métropoles alors que les zones rurales connaissent une désertification. Ainsi, dans une vingtaine de départements, le taux de chômage est à 7 % quand dans d'autres, il est à 10 %, 14 %, voire 23 % dans les outre-mer.

Cette différenciation exige des corrections, qui peuvent passer par une action sur les infrastructures – la mobilité et l'accès à la 4G représentent des éléments essentiels de la lutte contre la perte des emplois dans les territoires –, action de nature interministérielle, mais aussi, en matière de politiques de l'emploi, par une discrimination sélective visant à soutenir les populations et les territoires qui en ont le plus besoin. Nous en avons d'ailleurs tenu compte dans les contrats que nous avons passés avec les régions pour les plans d'investissement dans les compétences.

Pour ce qui est des contrats aidés, ils n'ont pas été supprimés – le socle juridique existe toujours – mais transformés en parcours emploi compétences, pour des raisons que nous avons déjà longuement explicitées. Nous y avons ajouté l'accompagnement et la formation, et l'on constate qu'à l'issue des nouveaux parcours emploi compétences, les taux d'embauche durable sont plus importants. En effet, le but des contrats aidés, ce n'est pas de donner de la main-d'oeuvre gratuite aux employeurs, fussent-ils publics, mais de permettre aux personnes en difficulté de retourner à l'emploi. Les hôpitaux peuvent en bénéficier, à condition qu'ils offrent accompagnement et formation.

Mais la fonction publique hospitalière souffre aussi d'un manque d'attractivité et beaucoup de postes restent vacants. C'est un sujet sur lequel ma collègue ministre des solidarités et de la santé est en train de travailler avec les professionnels du secteur, afin d'améliorer les conditions de travail et parfois de rémunération dans les hôpitaux.

M. le président. La parole est à M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Madame la ministre, interroger le Gouvernement sur la politique de lutte contre le chômage, c'est évidemment l'interroger sur les moyens qu'il met en oeuvre afin d'accompagner les demandeurs d'emploi. À l'occasion des débats sur le budget de la mission « Travail et emploi » pour 2020, nous avions déjà été quelques-uns à vous interroger sur la place des initiatives en faveur de l'emploi lancées par les territoires, et sur les moyens de les soutenir.

Parmi ces initiatives, citons les maisons de l'emploi : celles-ci avaient été créées en 2004, à l'initiative de Jean-Louis Borloo, afin de se voir confier, au plus près des réalités des bassins d'emploi, un rôle de coordination des différents acteurs de l'emploi : le service public de l'emploi, mais également les collectivités locales, les entreprises, les organisations professionnelles, les partenaires sociaux et les associations. Ainsi, les maisons de l'emploi, dans le cadre d'un partenariat étroit avec l'État, défini par leur cahier des charges, orchestraient les initiatives territoriales afin de mieux répondre aux spécificités des bassins d'emploi face au chômage. L'État a fait pourtant le choix, ces dernières années, de s'en désengager sur le plan financier.

En novembre dernier, à l'occasion du débat budgétaire, certains collègues ont proposé la création d'un fonds d'expérimentation en faveur des initiatives territoriales. Nous avons suggéré de lancer, dans les quartiers de la politique de la ville, une expérimentation visant à décloisonner le travail des acteurs locaux de l'emploi en s'appuyant sur l'expérience d'un groupe de travail créé l'année dernière au sein de la Métropole européenne de Lille. Cette expérience a permis de faire travailler ensemble des organismes qui, bien que participant à la lutte contre le chômage, n'ont pas l'habitude d'agir en partenariat.

Ainsi, d'une manière générale, on constate que les initiatives territoriales pour l'emploi se développent, que les territoires sont des lieux d'innovation, et que l'État devrait soutenir et encourager ces initiatives. Aussi, madame la ministre, quelle place entendez-vous donner aux initiatives des territoires en faveur de l'emploi ? De quels outils et dispositifs comptez-vous partir pour donner à ces initiatives les moyens de se développer ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur Christophe, beaucoup d'initiatives territoriales peuvent faire l'objet d'un soutien et d'un accompagnement de la part de mon ministère. C'est vrai du dispositif territoires zéro chômeur de longue durée, que nous avons évoqué, de l'insertion par l'activité économique, des entreprises adaptées et des initiatives locales.

S'agissant des maisons de l'emploi, j'ai décidé d'en maintenir le financement au même niveau que l'année dernière, à 5 millions d'euros. Ces organismes travaillent en lien étroit avec l'association Alliance villes emploi, qui les coordonne ; elle estime qu'il faut continuer à faire évoluer le réseau. En effet, quand le dispositif a été créé – et c'était une très bonne idée – il n'y avait pas le service public de l'emploi d'aujourd'hui. La plupart des acteurs comprennent qu'il faut agir en complémentarité et en bonne intelligence avec les autres : ce travail est en cours.

Mais les maisons de l'emploi peuvent également bénéficier des opportunités de financement que représentent les appels à projets en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences – beaucoup en font au niveau local –, de formation au numérique ou aux emplois verts, et d'innovation de façon générale. Un exemple : la maison de l'emploi du Grand Périgueux a répondu à l'appel à projets « Intégration professionnelle des réfugiés » et a été sélectionnée ; elle va recevoir 450 000 euros sur trois ans pour faire partie des acteurs innovants dans le domaine de l'intégration et de la formation des réfugiés, et va embaucher des personnes qui vont s'en occuper à temps plein.

Ainsi, on peut aussi agir en mode contractuel, par projet : cela laisse à chacun sa liberté d'initiative, mais permet d'élaborer ensemble de meilleures solutions dans les territoires.

M. le président. La parole est à M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen. Madame la ministre, j'aimerais vous interroger sur le chômage des personnes en situation de handicap et plus précisément sur le mécanisme de dégressivité de l'allocation adulte handicapé – AAH – prévu dans le cas où le bénéficiaire aurait un emploi. L'AAH est une aide accordée sous certaines conditions aux personnes handicapées, afin de garantir un minimum de revenus. Bien que nous saluions son augmentation, décidée par le Gouvernement, la dégressivité de cette aide, proportionnellement aux ressources perçues tirées du travail, n'incite pas à la recherche et à l'obtention d'un emploi.

En effet, beaucoup de personnes handicapées et motivées pour trouver un emploi n'ont en fait aucun avantage à le faire puisqu'en restant sans emploi elles toucheront au moins autant. J'ai d'ailleurs eu ce cas précis dans ma circonscription des Vosges où la personne, très motivée, se désolait de cet état de fait. La dégressivité de l'AAH ne favorise donc pas la lutte contre le chômage : elle représente même clairement une entrave à l'incitation à trouver un emploi.

Madame la ministre, il faudrait faire en sorte que le mécanisme de l'AAH soit calibré de façon à être incitatif pour les personnes en situation de handicap désirant s'épanouir dans le monde du travail, c'est-à-dire, tout simplement, de façon à favoriser une personne qui travaille par rapport à une personne qui est au chômage. Cela paraît juste et de bon sens.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, la question que vous posez vaut non seulement pour les personnes en situation de handicap, mais plus généralement pour nos politiques publiques. L'inévitable cloisonnement de celles-ci – politiques de ressources pour les personnes en difficulté ou en situation de handicap, politiques d'aide à l'emploi… – crée des situations où les personnes ne sont pas incitées à retourner à l'emploi, et vous en avez décrit une. La secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, travaille sur ce problème de lissage.

C'est dans le même esprit que nous avons augmenté la prime d'activité dans le cadre de la loi portant mesures d'urgence économiques et sociales, car pour certaines personnes, il n'était pas intéressant de prendre un emploi. La prime d'activité a permis de franchir cette barre : non seulement a-t-elle augmenté le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus précaires, au revenu le plus modeste, mais elle a également assuré de gagner toujours plus en choisissant de travailler.

Quoi qu'il en soit, notre philosophie est claire : on doit toujours gagner plus en travaillant qu'en recevant une allocation ou l'assurance chômage. C'est donc dans cet état d'esprit – le travail doit toujours payer plus que l'inactivité – qu'il nous faut traiter avec Sophie Cluzel le problème que vous soulevez.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. De nombreux territoires comme mon département, le Tarn-et-Garonne, justifient un effort particulier en matière de formation et de lutte contre le chômage. Malgré le besoin évident de proximité pour lutter efficacement contre le chômage et répondre aux différentes dynamiques territoriales, les régions se sont vu retirer la régulation de l'ouverture des centres de formation d'apprentis par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Cette compétence a été confiée aux branches professionnelles, qui développent un marché privé de l'apprentissage, financé selon un coût au contrat qu'elles fixent uniformément. Ce nouveau modèle de financement met en péril d'anciens CFA, notamment ceux qui sont situés en zone rurale ou ceux qui forment à des métiers rares.

Madame la ministre, comment pouvez-vous justifier ce choix alors que le Gouvernement saluait le nombre record d'apprentis formés dans notre pays en juin 2019, fruit des efforts persistants des élus régionaux ? Ne serait-il pas judicieux de faire confiance aux régions et aux collectivités territoriales, qui disposent d'une véritable expertise en la matière ?

Je suis convaincue que seule une gouvernance régionale forte permettra d'unir les divers acteurs à travers des partenariats associant l'État, les branches professionnelles, les organismes de formation et les entreprises.

Je souhaitais vous interroger sur un second sujet : la nécessité, pour faciliter le retour à l'emploi, de renforcer l'attractivité de certains métiers, notamment dans des filières où de nombreux emplois ne sont pas pourvus. Les arboriculteurs du Tarn-et-Garonne, par exemple, ont peiné cette année à recruter des saisonniers, au point que les fruits de certains vergers n'ont pu être ramassés, entraînant un manque à gagner évident pour les producteurs. Mais les métiers du grand âge ou du bâtiment subissent les mêmes difficultés de recrutement, notamment en raison de leur pénibilité.

Comment comptez-vous investir dans la revalorisation de ces métiers, étape incontournable pour orienter les chômeurs vers les secteurs en tension ? Comment mieux reconnaître la pénibilité de ces métiers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame Pinel, vous posez deux questions importantes.

S'agissant de l'apprentissage, je n'ai rien contre la décentralisation, bien au contraire. Nous apportons d'ailleurs la preuve de notre foi en la décentralisation puisque, dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences, nous transférons 6 milliards d'euros supplémentaires aux régions pour la formation des demandeurs d'emploi.

Il faut néanmoins reconnaître que l'apprentissage stagnait depuis des années. En fait, il augmentait pour les sorties avec un niveau de l'enseignement supérieur mais diminuait pour les autres, notamment pour les sorties avec un niveau 4 ou 5.

Pendant des mois, nous avons mené des concertations avec les partenaires sociaux, les régions, les directeurs de CFA, les acteurs de terrain. Une fois identifiés, tous les freins ont été levés. Comme nous croyons à la liberté d'initiative, nous avons ainsi autorisé le développement de CFA sans autorisation administrative. Nous l'avons fait malgré le désaccord des régions parce que nous estimions qu'il y allait de l'intérêt général.

Que constatons-nous ? Grâce à cette liberté qu'a donnée la loi, le nombre d'apprentis a augmenté de 8,4 % ; plusieurs dizaines de lieux de formation ont d'ores et déjà été créés sur les 500 projets annoncés. Les compteurs sont en train d'exploser partout, que ce soit dans les chambres de commerce et d'industrie, dans les chambres de métiers et de l'artisanat, chez les Compagnons du devoir ou dans les maisons familiales rurales, grâce à la dynamique que nous avons permise chez les acteurs. D'ailleurs, après avoir été inquiets, les directeurs de CFA sont désormais très satisfaits de la réforme.

À présent, nous devons passer à l'étape suivante. Nous avons laissé aux régions la compétence d'investissement tout en renforçant leurs prérogatives dans le domaine de l'orientation. Nous travaillons main dans la main avec de nombreuses régions. Chacun a son rôle à jouer : les entreprises, les branches, les régions, l'État. Nous n'avons pas recentralisé mais nous avons libéré le jeu des acteurs et donné des moyens de financement. L'apprentissage mobilise beaucoup plus d'argent et d'acteurs, ce dont nous pouvons nous réjouir pour la jeunesse de notre pays et pour les entreprises.

M. le président. La parole est à M. M'jid El Guerrab.

M. M'jid El Guerrab. En octobre dernier, la Cour des comptes nous a alertés sur la situation de l'emploi de nos compatriotes de plus de 50 ans. Son constat est sans appel : dans notre pays, le taux d'emploi des 55-64 ans est de 52,3 %, c'est-à-dire de six points inférieur à la moyenne européenne. Plus problématique encore, on observe qu'un senior reste deux fois plus longtemps au chômage que l'ensemble des autres demandeurs d'emploi.

D'après ce rapport, les entreprises se montrent particulièrement réticentes à embaucher des salariés de plus de 52 ans, réputés trop âgés pour le monde du travail. À titre personnel, je crois que ce constat doit nous conduire à nous interroger sur notre conception sociale de l'âge. Là où certains voient une tare, je  vois la garantie d'une expérience certaine.

Dans ce contexte, en attendant de prendre leur retraite, nos concitoyens se résolvent souvent à vivre d'une allocation chômage, d'une allocation de solidarité spécifique – ASS – quand ils ont épuisé leurs droits, ou d'autres minima sociaux, car ils sont sans aucune perspective d'emploi. Cette prise en charge par la solidarité nationale et l'assurance chômage s'élève d'ailleurs à 1,5 milliard d'euros par an.

Madame la ministre, à l'heure où nous évoquons la réforme de notre système de retraite et l'éventuelle création d'un âge d'équilibre, cette réalité est inacceptable. À ce propos, permettez-moi de citer un proverbe de chez moi, du Cantal : pain de vieillesse se pétrit pendant la jeunesse !

Comment le Gouvernement compte-t-il favoriser l'emploi des seniors et faciliter leur transition vers la retraite ? Comment comptez-vous lutter contre l'exclusion et la précarité qui les touchent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur El Guerrab, nous faisons le même constat. Le taux d'emploi des personnes jusqu'à 59 ans correspond à la moyenne européenne et est assez élevé, mais il s'écroule pour les personnes plus âgées : seulement une personne sur trois travaille après 60 ans. Et si le taux de chômage des seniors n'est que de 6 %, le chômage de longue durée est plus beaucoup important dans cette catégorie que dans les autres. C'est une trappe dont il est difficile de sortir.

Dans le contexte de la réforme de notre système de retraite, il est impossible de ne pas aborder ce sujet. Cette réforme représente même une opportunité d'entreprendre des actions encore plus audacieuses que celles que nous menons déjà, afin de permettre aux seniors, aux expérimentés, d'apporter leur contribution à la société et à l'économie.

Voilà pourquoi nous avons tenu hier une réunion au ministère du travail avec le Premier ministre et Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites, afin de lancer une concertation sur l'emploi des seniors et une autre sur la pénibilité, les deux sujets étant liés puisque la prévention de la pénibilité joue un rôle dans l'employabilité des seniors.

Il faut aussi prévenir l'obsolescence des compétences. La réforme de la formation professionnelle va permettre aux seniors d'accéder davantage au droit à la formation dont ils sont souvent écartés alors qu'ils ont les mêmes capacités et les mêmes besoins que les autres en la matière. Il faut également penser à adapter les conditions de travail et à améliorer le système de retraite progressive et de cumul emploi-retraite, qui correspond à une grande aspiration sociale.

Il va falloir aussi changer les logiciels de recrutement, les mentalités. Alors qu'une entreprise sur deux peine à recruter, on ne peut pas continuer à exclure les jeunes, une partie des femmes, les seniors, les personnes en situation de handicap, les réfugiés et les personnes en réinsertion ! Nous avons besoin de tout le monde. Nul n'est inemployable, à condition d'y mettre les moyens, ce qui sera l'objet de futurs débats dans cet hémicycle.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Chenu pour la dernière question de ce débat.

M. Sébastien Chenu. Il y a quarante et un ans, le 12 décembre 1978, avait lieu la fermeture de l'usine Usinor-Denain. La France connaissait le plus dramatique plan de licenciements de son histoire : 12 000 emplois sacrifiés, dont 5 000 dans la seule ville de Denain dont je suis le député.

À l'époque, les ouvriers français étaient déjà les victimes de la mondialisation et d'une mise en concurrence sauvage avec l'acier chinois. La fermeture de l'usine Usinor-Denain n'est malheureusement qu'un épisode de la longue liste de plans sociaux et de fermetures d'usines abandonnées par l'État au nom du sacro-saint principe de la libre ouverture des frontières et du libre-échangisme.

Depuis, le processus s'est encore accéléré. Depuis 1980, 1,5 million d'emplois industriels ont été détruits dans notre pays. La litanie des fermetures d'usines s'égrène sans fin : Michelin, Moulinex, Danone, Alstom… L'État qui ne pouvait pas tout, pour reprendre une expression bien connue, a multiplié les effets de manches inutiles et, trop souvent, a laissé l'industrie française seule face à une concurrence déloyale.

En septembre dernier, la SNCF, pour l'achat de vingt-huit rames automotrices électriques de trains intercités, a préféré passer commande à un constructeur espagnol au lieu de faire appel à Alstom. Dernier épisode en date : la direction générale de l'armement vient de commander pour 44 millions d'euros de pistolets à des sociétés autrichiennes et tchèques, le marché des munitions ayant été emporté par une société américaine. Le dernier manufacturier d'armes français, Verney-Carron, a été écarté de l'appel d'offres de manière contestable. Nous avions un savoir-faire prodigieux dans le domaine des armes légères, qui a été sabordé.

Si les dirigeants français avaient été soucieux des intérêts stratégiques de la France, jamais les industries françaises et leurs emplois n'auraient ainsi disparu.

Comment pouvez-vous, madame le ministre, affirmer mettre en oeuvre une politique de l'emploi efficace alors que vous refusez d'appliquer un vrai patriotisme économique, que le Rassemblement national est le seul à défendre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, vous faites deux affirmations avec lesquelles je ne suis pas d'accord. En fait, nous ne sommes d'accord que sur un point : l'industrie est importante dans un pays, car chaque emploi industriel génère quatre emplois autour, notamment dans les services.

C'est pourquoi nous conduisons une politique vigoureuse à travers le programme Territoires d'industrie et le futur pacte productif. Nous travaillons avec tous les professionnels de l'industrie, car il faut anticiper l'avenir. On ne peut pas arrêter le progrès et l'évolution technologique, supprimer internet. Notre industrie va être profondément transformée par le numérique et l'écologie. Dans le cadre du pacte productif, nous allons aider les entreprises à évoluer.

L'année dernière, et pour la première fois depuis bien longtemps, l'industrie a recréé des emplois nets, après en avoir perdu beaucoup. Mais ce ne sont pas forcément les mêmes que par le passé : il faut donc former les salariés à ces nouveaux emplois.

Je suis en total désaccord avec vous quand vous imaginez que la fermeture des frontières protégerait l'emploi. Toutes les expériences prouvent le contraire. Une entreprise espagnole ou allemande peut, en effet, sortir gagnante d'un appel à projets. Il n'empêche que, dans nombre de cas, ce sont des entreprises françaises qui bénéficient de cette ouverture des marchés, régulée par l'Europe et les traités internationaux, ce qui a des conséquences positives sur l'emploi en France.

Rappelons que, sur notre sol, 6 millions d'emplois du secteur privé résultent de notre ouverture internationale : 2 millions sont le fruit d'investissements étrangers et 4 millions produisent pour l'exportation.

Nous devons continuer à transformer l'industrie pour qu'elle crée plus d'emplois à l'avenir. C'est l'une de nos grandes priorités. Nous réussirons non pas en essayant de nous protéger par la fermeture mais en étant meilleurs, compétitifs, grâce à des salariés bien formés qui voient leur avenir dans l'industrie.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 20 janvier 2020