Texte intégral
SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous ce matin sur Europe 1, Muriel PENICAUD, en direct depuis le Forum économique mondial de Davos. Vous avez dit vous rendre à Davos – je vous cite – pour affronter le capitalisme purement financier. Alors, comment se passe la confrontation sur place ?
MURIEL PENICAUD
Alors, on est venu en équipe de France, là aussi, avec Bruno LE MAIRE et Brune POIRSON pour porter une vision qui est que le capitalisme doit évoluer rapidement et profondément, s'il n'est que financier mais qu'il détruit de la valeur dans les ressources naturelles ou sur le plan du capital humain, à ce moment-là, on va tous dans le mur. Et donc, on n'est pas les seuls à le dire, mais je pense qu'on est à un moment d'inflexion dans le monde où il y a de plus en plus de gens qui se rendent compte de cette transformation nécessaire, que le social et l'environnemental doivent être pris en compte, et donc c'est un moment où il faut peser, on ne peut pas laisser simplement les Chinois, les Américains donner le ton, je dirais, de l'évolution du monde. Et je crois que c'est important que les Européens, les Français soient à Davos justement pour porter cette parole, et puis, concrètement, promouvoir aussi les avancées de la France. Donc je suis intervenue hier sur « mon compte formation », l'appli qui intéresse beaucoup d'autres pays, le droit de 25 millions de Français, tout à l'heure, j'interviens sur notre index de l'égalité homme/femme, là aussi, on est en pointe. Et puis, j'ai rencontré effectivement des fonds d'investissement pour voir comment on peut mesurer mieux les critères environnementaux…
SONIA MABROUK
Muriel PENICAUD, vous entendez ce que vous disent certains : essayez d'abord de réformer la France avant de vous attaquer au capitalisme mondial ?
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas d'abord, c'est en même temps, parce qu'on a besoin que l'Europe évolue pour qu'elle ait plus de contenu écologique et social, ça nous aide aussi en France. Donc notre action principale au gouvernement, et mon action, elle est à… je dirais, je passe 98 % de mon temps en France, mais je pense que c'est important aussi, parce qu'au plan international, il y a des normes, il y a des traités, il y a des règles qui se définissent au plan international, on n'est pas sur une île déserte. Donc il faut aussi mener cette vision au niveau européen et international.
SONIA MABROUK
Alors, internationale, avec qui, la question se pose, à Davos, où vous êtes, Muriel PENICAUD. L'air des montagnes a semble-t-il réussi à Donald TRUMP, tel un rouleau compresseur, il a imposé sa vision du monde et de l'économie, des réglementations, baisse massive des impôts et capitalisme financier, c'est une recette qui marche.
MURIEL PENICAUD
Je vais vous dire ici, à Davos, contrairement à ce qu'on croit, et puis, ça a évolué dans le temps, toutes les opinions sont représentées, il y a ceux qui pensent qu'il ne faut rien changer, et qu'on verra bien, et que tout va très bien dans le meilleur des mondes, mais il y a beaucoup, non seulement d'entreprises, de fonds d'investissement, mais il y a aussi des ONG, j'étais hier soir avec des jeunes militants de la cause écologique qui ont entre 13 et 20 ans et qui sont très déterminés et qui agissent, j'étais avec les organisations syndicales mondiales, il y a aussi beaucoup de gens qui aujourd'hui se disent : on est à ce point d'inflexion, et il y a une urgence pour s'occuper du long terme, parce que sinon, on va dans le mur. Donc, eh bien, Donald TRUMP a, il est président des Etats-Unis, les options qu'il veut, mais ça n'empêche pas que ce dialogue, cette discussion, cette confrontation et ses avancées puissent être faits avec les Etats-Unis et avec d'autres…
SONIA MABROUK
Dialogue, dialogue, dites-vous…
MURIEL PENICAUD
Je pense notamment par exemple sur le sujet des compétences, les Etats-Unis, eux, ça les intéresse, ça, par exemple, sur ce sujet-là, mais je crois que…
SONIA MABROUK
Dialogue, dites-vous, Muriel PENICAUD, mais…
MURIEL PENICAUD
Eh bien, le dialogue, ça ne veut pas dire qu'on est toujours d'accord, mais il faut passer à l'action, aux solutions concrètes…
SONIA MABROUK
Donald TRUMP a de nouveau menacé l'Europe avec la mise en place de taxes sur l'automobile, alors que sur la taxe GAFA, il semblait y avoir un compromis, il souffle le chaud et le froid, le président américain.
MURIEL PENICAUD
Alors, sur la taxe GAFA, je crois que les négociations qu'a menées Bruno LE MAIRE ont permis d'avancer significativement hier, puisque, on a dit qu'on ne retirait pas la taxe GAFA en France, mais que le paiement serait différé à décembre 2020 pour laisser la chance que d'ici là, ça soit plutôt une taxe internationale ou européenne, c'est évidemment mieux si on y va, en force, à plusieurs ça a plus de portée, plus de sens. Et donc, je crois que là, on avance. Vous savez, rien n'est jamais écrit d'avance, c'est vrai sur le plan économique, sur le plan de l'emploi, sur le plan du dialogue social, sur le plan écologique, c'est vrai aussi sur ces négociations internationales ; donc il faut toujours être sur le pont pour faire avancer les choses.
SONIA MABROUK
Rien n'est jamais écrit d'avance sur le front social également, ce vendredi, le projet de loi sur les retraites sera présenté en Conseil des ministres, et ce vendredi aussi, ce sera une journée de mobilisation contre la réforme ; est-ce que pour vous, ce sera un baroud d'honneur social ?
MURIEL PENICAUD
Moi, je fais une différence énorme entre le droit de manifester, le droit de faire grève, qui est un droit tout à fait… plus que respectable, c'est notre droit, c'est notre Constitution, et c'est notre droit du travail, et puis, certaines actions qui sont des actions dites coup de poing, qui sont des actions qui finalement se retournent contre d'ailleurs le droit syndical, contre les avancées ; aujourd'hui, on est dans une phase de négociations sur beaucoup de sujets, on est plusieurs ministres à apporter différents pans de la négociation, par exemple, moi, depuis quelques semaines, je travaille avec les partenaires sociaux sur comment prendre en compte les métiers pénibles dans le système des retraites et l'emploi des seniors…
SONIA MABROUK
Oui, c'est important, on va en parler, Muriel PENICAUD mais, la question est précise : qui jette de l'huile sur le feu, qui souffle sur les braises incandescentes du climat social ?
MURIEL PENICAUD
Eh bien, il y a une minorité de gens violents qui ne veulent pas que ça aboutisse, mais ils ne veulent rien, ils ne proposent rien. Je crois qu'il y a une différence entre ceux qui sont d'accord ou pas d'accord avec cette réforme ou veulent bénéficier de cette réforme pour négocier des avancées et des avancées sociales, et ça, c'est plus que légitime et tout à fait respecté. Et puis, une toute petite minorité violente qui est prête s'attaquer, y compris aux syndicats, aux politiques et aux citoyens, et à prendre en otages les citoyens. Donc je crois qu'il faut bien faire la différence, on est dans un Etat de droit, c'est ça, une démocratie, Etat de droit, c'est : on peut faire grève, on peut manifester, on peut négocier, mais on ne fait pas des opérations violentes qui sont antidémocratiques et anti droit syndical…
SONIA MABROUK
Parlons des négociations justement, vous êtes en charge, Muriel PENICAUD, de la question sensible, importante de la pénibilité, la gauche a présenté hier un contre-projet de réforme avec une demande qui vous est directement adressée, le rétablissement des 4 critères de pénibilité supprimés par la loi, ceux que vous avez supprimés, qu'est-ce que vous répondez.
SONIA MABROUK
Alors merci de la question, parce qu'on ne les a pas supprimés, c'est l'occasion de rétablir les faits, dans le cadre des ordonnances travail, on a dit qu'il y avait 10 critères de pénibilité, 6 qui sont mesurés par le compte personnel de… qui donnent des points dans le compte de prévention, et 4 qu'on va mesurer autrement pourquoi, mesurer autrement, parce qu'un artisan, un commerçant, il ne peut pas être derrière son salarié chaque jour à me chronométrer et à mesurer combien de poids… combien de charges lourdes par exemple il a…
SONIA MABROUK
Non, mais attendez, vous ne les rétablissez pas ?
MURIEL PENICAUD
Et donc, on ne les a pas supprimés. On a créé, il y a deux ans, le droit, si on a des effets sur la santé, et qu'une incapacité de 10 % est retenue, de partir deux ans à la retraite avant. Il y a déjà plus de 5.000 personnes qui sont parties à la retraite depuis deux ans, plus tôt, grâce à cette réforme. Donc, on ne les a pas supprimés, on a fait autrement. Mais en ce moment, ce qu'on est en train de discuter, c'est d'aller plus loin…
SONIA MABROUK
Mais ma question, Muriel PENICAUD, pour aller plu loin, c'est que ces critères, Laurent BERGER aimerait les voir réintégrés, est-ce que pour vous, c'est un point non-négociable ou alors, il peut y avoir une réflexion sur ce sujet ?
MURIEL PENICAUD
Alors, moi, je ne crois pas aux droits formels qui ne sont pas applicables, ça n'intéresse personne d'avoir un droit qui est super théorique et qui ne marche pas dans votre vraie vie, et donc quelque chose qu'on ne savait pas mesurer, ça ne sert à rien, on l'écrit dans la loi, mais personne ne partira… ça n'aidera personne. Par contre, ce qu'on est en train de discuter avec les organisations syndicales et patronales, c'est comment on va plus loin sur ces sujets de pénibilité, notamment là où n'est pas bon en France, c'est la prévention. Donc je crois que personne n'a envie d'arriver abîmé, voir cassé à la retraite, or, il y a nos concitoyens qui arrivent dans cette situation-là. Donc il faut faire beaucoup plus de prévention, on est en train de négocier aussi le fait de pouvoir se reconvertir, parce qu'il y a des métiers qu'on peut faire 15, 20 ans, mais travailler la nuit, toute la vie, eh bien, on sait que ça abîme la santé, ce n'est pas évident d'être couvreur, de monter sur les toits à 62 ans, ce n'est pas évident non plus d'être carreleur, déménageur. Donc il faut pouvoir… plus de prévention, plus de reconversion. Et aussi, on est en train de regarder sur les métiers pénibles, comment on peut améliorer le dispositif…
SONIA MABROUK
Justement, justement…
MURIEL PENICAUD
On va par exemple diminuer le nombre d'heures qu'il faut avoir travaillé de nuit pour y avoir droit…
SONIA MABROUK
Sur ces métiers, Muriel PENICAUD, est-ce que la question de la pénibilité est la même dans le public et dans le privé ?
MURIEL PENICAUD
Alors c'est justement un des sujets aujourd'hui, c'est que par exemple, et ça, c'est Agnès BUZYN qui s'occupe de ce volet-là, une aide-soignante dans le secteur public ou le secteur privé, elle n'a pas du tout le même système de retraite. La pénibilité n'est pas reconnue aujourd'hui dans le secteur public en tant que telle, il n'y a pas le C2P, les comptes de points, ça, on veut le généraliser. Dans le secteur public, le travail de nuit, par exemple, un veilleur de nuit, eh bien, ce n'est pas pris en compte, alors que c'est pris en compte dans le secteur privé. De façon générale, je dirais, la pénibilité est mieux prise en compte dans le secteur privé, même si, à cette occasion-là, on veut l'améliorer. Et donc, oui, c'est plus juste si on a les mêmes règles dans le secteur privé et le secteur public, pour le même métier…
SONIA MABROUK
Clairement, ça veut dire que vous allez autoriser encore plus de fonctionnaires à partir encore plus tôt à la retraite, alors que l'âge de départ chez eux est déjà beaucoup plus faible que dans le privé ?
MURIEL PENICAUD
Non, mais ça veut dire que les systèmes de prévention, de reconversion, de compte de points doivent être pris en compte, et c'est aussi une contrepartie au fait qu'on arrête les régimes spéciaux, mais par contre, on arrête les régimes spéciaux, mais on prend en compte le fait qu'il y ait des métiers pénibles égaux dans le privé et le public.
SONIA MABROUK
Et les négociations se poursuivent évidemment sur cette question sensible de la pénibilité. Pour conclure, Muriel PENICAUD, vous êtes à Davos, est-ce qu'on a commenté l'instant CHIRAC d'Emmanuel MACRON depuis Davos ?
MURIEL PENICAUD
Honnêtement, non…
SONIA MABROUK
Non, il y avait plus important à traiter, n'est-ce pas ?
MURIEL PENICAUD
Voilà, les sujets très présents à Davos cette année, c'est vraiment… il y en a deux très présents, il y a l'écologie et les compétences ; comment on va, par rapport à l'extraordinaire transformation digitale et climatique, permettre à tous les salariés, tous les jeunes…
SONIA MABROUK
Dont on a peu parlé Donald TRUMP, qui a surtout mis en avant…
MURIEL PENICAUD
Oui, oui, c'est dans le Manifesto des conclusions de Davos, il y a six thèmes principaux dont ces deux-là…
SONIA MABROUK
Merci Muriel PENICAUD d'avoir été notre invitée sur Europe 1, depuis donc le forum économique de Davos en Suisse. Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 janvier 2020