Déclaration de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, sur les violences sur mineurs en institutions, Paris le 3 octobre 2019.

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Intervenant(s) : 
  • Adrien Taquet - Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance

Circonstance : Débat organisé à la demande de la mission commune d'information  sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs, au Sénat le 3 octobre 2019

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission commune d'information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs, sur les conclusions du rapport d'information Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la présidente de la mission commune d'information, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi au mois d'octobre dernier, bien avant ma nomination, par la création de cette mission commune d'information, de prolonger la réflexion du Sénat sur les violences faites aux enfants, déjà engagée de longue date, par une étude approfondie de la question des violences sexuelles sur les mineurs en institutions. Je l'ai déjà fait, mais je le réitère : je tiens très sincèrement à saluer la qualité de vos travaux.

J'ai bien noté les trente-huit propositions que vous formulez – j'aurai l'occasion d'y revenir – et le parti pris qui a été le vôtre d'aborder cette question difficile sous un angle très large, en questionnant l'efficience de notre arsenal législatif et en abordant la question des victimes, celle de la formation des professionnels, mais également celle de la prise en charge des auteurs – qui constitue souvent un angle mort de ces politiques. S'il ne règle pas à lui seul les insuffisances qu'il soulève, ce rapport d'information formule des propositions dans la recherche et la mise en place de solutions pour mettre fin aux violences en institutions.

L'état des lieux que vous dressez, les comparaisons internationales et les pistes que vous lancez ont retenu ma plus grande attention. Ces dernières rejoignent les réflexions et les travaux que nous menons en parallèle au sein du ministère. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de le dire au cours de nos échanges.

Le sujet de vos travaux, plus largement la question de la lutte contre toutes formes de violences faites aux enfants, est au coeur de mes préoccupations. Le nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants, que j'annoncerai prochainement, très probablement dans le courant du mois de novembre, à l'occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, a pour ambition de poursuivre le précédent plan, voire, je l'espère, d'aller au-delà.

Ce premier plan lancé en 2017 par Laurence Rossignol a permis de dire que les violences sexuelles faites aux enfants étaient encore trop souvent taboues et dissimulées au sein de la cellule familiale. Je souhaite que le nouveau plan d'action que je présenterai s'inscrive dans la continuité de ce premier plan : le chemin est encore long pour permettre la libération de la parole des enfants lorsqu'ils sont victimes dans l'intimité de leur famille. Nous devons donc redoubler d'efforts.

Je souhaite également qu'une nouvelle impulsion soit donnée à la lutte contre les violences faites aux enfants en tous lieux, à tout moment de leur vie d'enfant, afin de leur garantir qu'ils pourront grandir en sécurité, où qu'ils se trouvent.

Ce sujet doit mobiliser la société tout entière. C'est pour cela que j'ai parlé d'un pacte entre l'ensemble des composantes de notre société. La lutte contre les violences, notamment les violences sexuelles, doit évidemment dépasser les clivages.

Si je souligne une fois encore, au nom du Gouvernement, la qualité de vos travaux, je souhaite dans le même mouvement pouvoir vous assurer de ma volonté de mobiliser le Gouvernement tout entier, chacun de ses membres, sur ce sujet.

Mon intervention de ce jour a pour objet non pas de dévoiler les mesures de ce nouveau plan, je vous prie de m'en excuser, madame la présidente de la mission d'information – chaque chose en son temps –, mais de vous assurer qu'un intense travail interministériel est aujourd'hui en cours.

Il nous faut mieux appréhender la réalité, mais les chiffres dont nous disposons d'ores et déjà sont édifiants.

Vous proposez dans votre rapport de créer un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs. Or nous disposons déjà d'un Observatoire national de l'enfance en danger, dont la mission est de nous permettre de mieux connaître les problèmes dans ce domaine, de mieux les prévenir et les traiter. C'est un outil particulièrement utile, précieux, articulé avec les observatoires départementaux de la protection de l'enfance, même s'il est bien sûr encore perfectible, nous nous accordons tous sur ce point. Je pense notamment à sa gouvernance ou encore au croisement des données de chacun des ministères et des liens avec la Drees.

Nous pouvons donc travailler pour que cet observatoire nous permette d'appréhender de manière plus fine, plus précise, les violences sexuelles sur les mineurs, plus particulièrement dans les institutions, mais, à ce stade, et nous en rediscuterons, je ne suis pas sûr qu'il soit opportun de créer un nouvel outil. Appuyons-nous sur ce qui existe déjà.

Concernant les chiffres dont nous disposons à ce jour, l'ONPE, vous le savez, publie chaque année un rapport comprenant, d'une part, des données chiffrées relatives aux mineurs pris en charge et, d'autre part, une analyse qualitative de l'évolution du dispositif de protection de l'enfance. Dans son dernier rapport, l'Observatoire a poursuivi sa collaboration avec le service statistique ministériel de la sécurité intérieure concernant la population des mineurs victimes de violences physiques et sexuelles.

Les chiffres dont nous disposons, je l'ai dit, sont édifiants et nous obligent à faire mieux pour protéger nos enfants. En 2017, les forces de sécurité ont enregistré 22 000 mineurs victimes de violences sexuelles, soit un nombre en hausse de 10 % par rapport à l'année 2016. Des enquêtes dites « de victimisation » montrent également qu'il existe un écart très important entre ce qui est porté à la connaissance des forces de sécurité et la réalité. Le taux de victimisation est à son plus haut niveau pour les mineurs de sexe féminin, puisque, en 2017, 2,5 mineures sur 1 000 ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles.

Face à ce fléau, je ne pense pas que la meilleure piste soit de s'engager dans une nouvelle modification du droit. Comme dans bien des domaines, il faut d'abord et avant tout faire appliquer le droit existant. Si votre demande d'évaluer les conséquences de la loi du 3 août 2018, dite loi Schiappa, est évidemment légitime, n'oublions pas que ce texte a été voté il y a tout juste un an.

Je souligne que cette loi a permis des avancées notables. Elle a aggravé la répression contre les infractions sexuelles commises sur mineurs et précisé la notion de contrainte morale. Elle a porté à dix ans d'emprisonnement la peine encourue pour l'atteinte sexuelle afin de garantir une répression renforcée de ces faits d'une particulière gravité. Elle a également allongé le délai de prescription pour les personnes ayant subi des faits alors qu'elles étaient mineures. Il est important de rappeler ces évolutions.

Vous le savez, le Gouvernement a annoncé son intention de confier à la députée Alexandra Louis, comme Mme la secrétaire d'État s'y était engagée à l'Assemblée nationale, une mission d'évaluation de la loi. Celle-ci est en cours. Conformément à vos préoccupations, un recul suffisant sur cette loi récente est nécessaire pour en évaluer les incidences concrètes sur le terrain et dans les décisions de justice.

Vous avez évoqué le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant une activité habituelle en contact avec les mineurs et le fameux FIJAISV. Sachez que nous travaillons en partenariat étroit avec le ministère de la justice sur ce sujet. La méconnaissance des textes, conjuguée à une absence de lisibilité, conduit actuellement à un contrôle insuffisant par de nombreuses administrations. Il est indispensable d'engager une action forte pour coordonner et soutenir l'action des ministères afin de garantir une consultation plus systématique du FIJAISV, quand cette possibilité est offerte. Certains ministères, comme celui de l'éducation nationale ou celui des sports, ont déployé des moyens techniques et technologiques à la hauteur de cet enjeu pour y parvenir.

Dans le domaine de la santé, nous devons faire en sorte que les établissements bénéficient des soutiens nécessaires pour parvenir à ce contrôle systématique du personnel, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Je vais conclure, car le temps qui m'est imparti est écoulé.

Mme la présidente. Oui, vous aviez huit minutes !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. Je suis convaincu que nous ne parviendrons à nous attaquer à ce fléau que si la société tout entière se mobilise pour la protection de nos enfants : le législateur, bien évidemment, les associations, qui font d'ores et déjà un travail remarquable, les professionnels, dont je veux saluer le mérite, mais également tous les citoyens.

Je vous propose de répondre aux différents points que vous avez soulevés dans votre propos introductif, madame la présidente de la mission d'information, et dans votre rapport, mesdames les rapporteures, dans la suite du débat. Une fois encore, je vous remercie pour la qualité de vos travaux.


- Débat interactif - 

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement dispose d'une durée équivalente pour y répondre.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. En raison de leur grande vulnérabilité, les mineurs handicapés sont plus particulièrement exposés aux risques de subir des violences sexuelles en institutions. Par ailleurs, la multiplication des personnes intervenant auprès des mineurs handicapés augmente le risque d'agression.

La mission d'information a tout particulièrement exprimé sa préoccupation sur le décalage qu'elle a perçu entre la vulnérabilité des mineurs handicapés et la faiblesse des contrôles effectués au moment du recrutement par les établissements et services sociaux et médico-sociaux qui les accueillent. Elle a également indiqué qu'elle n'avait pas non plus perçu chez les grandes associations qui fédèrent ces établissements et ces services une mobilisation à la hauteur des enjeux.

Public fragile, vulnérable, exposé aux risques de subir des violences sexuelles tout en étant peu à même de les dénoncer, les mineurs handicapés doivent être mieux protégés, non seulement par une application stricte des contrôles exigés par la loi, mais également par des mesures supplémentaires. Ainsi, la mission d'information a fait part de la nécessité de renforcer les moyens de contrôle en mettant en oeuvre trois mesures : la diffusion par les services de l'État d'une information claire sur les procédures de contrôle à appliquer par les gestionnaires lors d'un recrutement ; l'obligation, en complément de la vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire, de consulter le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes préalablement au recrutement du personnel de ces établissements ; l'application de ces mesures de contrôle aux employés des prestataires de services des établissements susceptibles d'être en contact avec des mineurs handicapés.

Monsieur le secrétaire d'État, à la lumière des travaux de la mission d'information, quelles mesures envisagez-vous de prendre afin de mieux protéger les mineurs handicapés accueillis en institutions et dans quel délai ? (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Les personnes en situation de handicap sont effectivement plus vulnérables que les autres. C'est Maudy Piot, évoquant les femmes handicapées, qui disait qu'elles subissaient une double peine, car elles étaient à la fois femmes et handicapées. Les femmes handicapées sont cinq fois plus victimes de violences que le reste de la population féminine dans notre pays.

Nous devons une protection supplémentaire et renforcée aux populations plus vulnérables que sont les personnes en situation de handicap, en particulier les enfants. C'est un sujet sur lequel je suis très sensibilisé.

Vous le savez, avant d'être nommé secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, j'étais parlementaire. Lors de la discussion de la loi Schiappa, j'ai défendu un certain nombre d'amendements. L'un tendait notamment à prévoir que soit institué un référent sur les violences de tous types, notamment les violences sexuelles, dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux. Sauf erreur, et sans revenir sur les péripéties de la navette parlementaire de l'époque, cette disposition avait été supprimée au Sénat. C'est l'une des mesures auxquelles nous devons réfléchir.

De la même façon, vous l'avez évoqué, la formation des professionnels et leur sensibilisation à ces questions doivent évidemment être renforcées. Elles l'ont été dans le cadre de la loi Schiappa. J'avais également défendu un amendement en ce sens. Je pense que tous les établissements doivent mettre en place des procédures très claires de contrôle et de remontée des violences, à l'image de ce que les Apprentis d'Auteuil, par exemple, ont mis en oeuvre dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance.

Telles sont les mesures auxquelles nous réfléchissons depuis quelques mois. Elles feront l'objet d'annonces dans le courant du mois de novembre dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Je tiens au préalable à saluer la présence des élèves d'une classe du lycée Saint-Étienne de Sens. Leur professeure, Marion Bezine, a choisi notre mission d'information pour leur montrer comment se construit une politique publique. (Applaudissements.)

Pour ma part, j'aborderai le sujet des très rares auteurs d'infractions sexuelles qui ont à effectuer une peine de prison. Ma question porte sur la peine et, surtout, sur son sens.

Dans certains cas, la peine est la privation de liberté, laquelle est censée suffire pour éviter une récidive. Or pensez-vous, monsieur le secrétaire d'État, que la condamnation à deux ans d'enfermement d'un pédophile, années au cours desquelles il pourra tranquillement, dans sa cellule, regarder Gulli, la chaîne préférée des pédophiles – je l'ai découvert récemment –, feuilleter le magazine Parents et ses photos d'enfants, sera d'une réelle utilité ? Il faut en moyenne dix-huit mois avant qu'un détenu ne soit pris en charge par un psychiatre, et seulement s'il l'accepte. Il est donc probable qu'un prisonnier condamné à deux ans de prison ne verra pas de psychiatre. Or c'est en travaillant avec un psychiatre que les pédophiles peuvent maîtriser leurs attirances.

À titre d'exemple, la prison de Joux-la-Ville, dans l'Yonne, oblige les détenus à participer à des groupes de parole sur la perception du corps et de la sexualité. Si cette obligation est parfois mal vécue au départ par les prisonniers, ils finissent par participer volontairement à ces groupes, et les résultats sont bons. Pour autant, et les psychiatres que nous avons rencontrés, ceux du CRIAVS de Lyon, nous l'ont expliqué : tous les condamnés n'ont pas besoin de soins.

Ma question est donc triple : comment mieux identifier les auteurs ayant besoin d'une prise en charge médicale ? Leur peine de prison ne peut-elle être assortie d'une obligation de soins ? Que faire pour permettre une prise en charge médicale rapide ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. En matière de prise en charge des auteurs de violences sexuelles, la loi de 1998 – nous allons parler de la pratique, puisque c'est le sens de votre question – avait marqué une évolution majeure en instaurant un dispositif commun à la santé et à la justice. Une prise de conscience avait alors eu lieu sur la nécessité de prévoir, en complément de la sanction, un accompagnement thérapeutique.

Malgré les efforts consentis, encore trop peu d'auteurs de violences sexuelles, vous l'avez dit, bénéficient d'un suivi médical et thérapeutique de qualité, continu. Le rapport coordonné par M. Delarue a montré que ces insuffisances sont dues à la faible dénonciation des violences sexuelles par les victimes, à la proportion importante de plaintes classées sans suite et à l'extension de l'injonction de soins dans un contexte de pénurie de praticiens, vous l'avez évoqué.

Un protocole santé-justice prévoit une coordination régionale des acteurs sur ce sujet. Au sein de chaque région, l'ARS et la direction interrégionale des services pénitentiaires mettent en place des protocoles locaux, qui fixent un projet d'organisation des soins et les modalités d'organisation matérielle de cette prise en charge. Ce protocole associe un établissement de santé chargé en général de la psychiatrie à chaque établissement pénitentiaire.

Les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles qui ont été créés en 2006 sont régionalisés de la même façon. Aujourd'hui vingt-cinq CRIAVS sont en fonctionnement sur l'ensemble du territoire et assurent un rôle de formation et de coordination. Ces centres sont aussi un lieu de soutien et de recours pour les équipes soignantes et participent de plus au développement et à l'animation du réseau santé-justice.

Une action a été engagée ces dernières années pour renforcer la continuité de la prise en charge sanitaire des condamnés pour infractions sexuelles lors de leur sortie de détention. Il s'agit d'assurer une meilleure coordination entre les intervenants en milieu carcéral et ceux qui sont chargés du suivi du condamné en milieu ouvert. Cet objectif est partagé par la ministre des solidarités et de la santé et la ministre de la justice. Il figure dans la feuille de route 2019-2022 pour la santé des personnes placées sous main de justice.

Pour aller dans votre sens et dans celui du rapport que vous avez rédigé, je pense que la question des auteurs potentiels doit aussi être appréhendée en termes de prévention. Des dispositifs doivent être mis en oeuvre pour prévenir le passage à l'acte. De tels dispositifs ont été peu étudiés en France, contrairement à d'autres pays. Nous y reviendrons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier.

Mme Marie Mercier. Monsieur le secrétaire d'État, en guise d'introduction, je reprendrai vos propos : il faut prévenir pour protéger. Nous disposons d'outils pour prévenir la récidive. En revanche, nous ne savons pas vraiment prévenir le premier passage à l'acte.

Nous avons auditionné des associations, des professionnels. Que fait-on quand un adulte sait déjà depuis longtemps qu'il est attiré sexuellement par de jeunes, tout jeunes enfants, ou de très jeunes adolescents ? Que faire pour l'accompagner ? Il sait bien que ce n'est pas acceptable, mais il ne sait pas vers qui se tourner.

Les associations que nous avons entendues nous ont parlé du dispositif Dunkelfeld, qui a été créé en Allemagne, dans un hôpital berlinois. Il s'agit d'un service téléphonique qu'on peut appeler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et qui est à l'écoute de ces jeunes adultes, qui se sentent en souffrance aussi. Un accompagnement thérapeutique leur est proposé.

Un Dunkelfeld à la française est-il possible ? Aurait-il votre soutien ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Des dispositifs existent dans d'autres pays. Nous avons l'impression que cette question n'a pas été étudiée en France.

Le Dunkelfeld allemand que vous évoquez, qui signifie « zone d'ombre », est l'équivalent du Don't offend britannique, qui a permis des campagnes de communication grand public, des films diffusés à la télévision. Il s'agit de services d'écoute et d'accompagnement des personnes attirées sexuellement par les enfants ou les adolescents. L'accompagnement proposé est entièrement gratuit, l'anonymat est garanti.

De tels services, vous l'avez dit, s'adressent aux personnes attirées sexuellement par des mineurs, avant leur premier passage à l'acte, aux auteurs d'infractions sexuelles sur mineurs dont les actes ne sont pas connus de la justice et aux auteurs condamnés ayant purgé leur peine et craignant de récidiver. Ils peuvent aussi être des outils de lutte contre la récidive. Ils permettent d'éviter le passage à l'acte, mais aussi de sensibiliser le grand public. La vertu de ce genre de dispositifs, notamment quand on communique à leur sujet, c'est qu'ils contribuent à faire prendre conscience que les problèmes existent bel et bien.

Le nombre élevé de consultations du site internet de l'association PedoHelp, qui oriente les personnes pédophiles vers des professionnels, ou encore de celui d'Une Vie, qui s'adresse aux soignants, démontre qu'il y a bien des besoins en la matière.

En France, les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, qui sont des structures de service public réunies dans une fédération française, proposent un réseau d'écoute et d'orientation, à titre expérimental pour l'instant et au niveau local. Ce réseau, notamment, défend l'idée d'un numéro national gratuit. C'est également l'une des recommandations de votre rapport et de celui qui a ��té coordonné par M. Delarue sur les auteurs de violences sexuelles. Une campagne nationale d'information, tant sur son numéro vert que sur la plateforme PedoHelp, est également préconisée.

Ces initiatives me semblent fondamentales pour répondre aux difficultés des pédophiles avant que leur agression destructrice ne prenne une tournure pénale. Toutes ces propositions font actuellement l'objet de la part de mes équipes d'une analyse et d'une expertise, car elles nous semblent intéressantes. Notre réflexion n'est pas totalement aboutie, mais elle est en cours, en vue de l'annonce du plan de lutte contre les violences faites aux enfants en novembre prochain.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Mme Marie Mercier. Nous sommes ravis d'apprendre que le dispositif expérimental pourra être étendu à la France entière.

Vous n'avez pas parlé des moyens, monsieur le secrétaire d'État, et je vous en remercie. Ils doivent en effet être à la hauteur de l'enjeu. Nous ne considérons pas qu'ils constituent une dépense. Il s'agit plutôt d'un investissement pour l'avenir. Il faut prendre en charge nos enfants, dès le début, pour les protéger contre les violences sexuelles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. La parole s'est libérée. Au cours des dernières années, une association a incarné le combat mené pour dévoiler les agressions pédocriminelles graves et les porter sur la place publique. D'abord limitée aux violences sexuelles sur mineurs émanant du clergé catholique, cette parole poursuit sa libération partout ailleurs.

Ma collègue Marie-Pierre de la Gontrie reviendra sur la genèse de notre rapport et sur ses conséquences dans l'Église. Pour ma part, j'évoquerai les pistes que nous traçons pour accueillir la libération de la parole, afin qu'elle ne soit pas vaine.

Un enfant sur cinq est confronté à la violence sexuelle d'un adulte. Nous devons donc collectivement apprendre à nos enfants à parler des faits qui les dérangent dans leurs relations avec les adultes qui les entourent. Nous devons également apprendre aux adultes à écouter la parole des enfants. Ensuite, il faut signaler ces suspicions, sans hésitation.

La plateforme du 119 doit être renforcée : nous demandons des campagnes de communication et de sensibilisation pour la faire davantage connaître. Quels moyens allez-vous y consacrer, monsieur le secrétaire d'État ?

Par ailleurs, nous avons besoin d'un réel changement de posture pour qu'aucun enfant ne pâtisse des hésitations des adultes autour de lui. Effectuer un signalement quand on soupçonne qu'un enfant a subi des violences doit être un acte protecteur. Il faut faire évoluer les mentalités : il faut cesser de penser qu'on s'occuperait un peu trop de ce qui ne nous regarde pas. Pour cela, les professionnels et les bénévoles qui signalent ces violences doivent être informés des suites données à leurs alertes. Comment entendez-vous permettre ces nouvelles pratiques professionnelles ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je l'ai évoqué dans mon propos liminaire, la question de la parole est centrale. Il faut libérer la parole dans notre pays. Ce que vous faites, ma nomination, les interventions dans les médias concourent à la libération de la parole. Il faut continuer.

Encore faut-il, vous avez raison, accueillir cette parole qui se libère. Il n'est plus acceptable, c'est clair, que plus de 60 % des appels au 119 aujourd'hui ne donnent pas lieu à une écoute, faute d'écoutants. C'est la raison pour laquelle j'ai d'ores et déjà annoncé que les moyens du 119 seront renforcés afin que 100 % des appels soient écoutés et traités.

La parole doit aussi être protégée. J'en parle brièvement, car ce sujet fera peut-être l'objet d'une autre question. C'est la question des unités d'accueil médico-judiciaires pédiatriques. On ne recueille pas la parole d'un enfant de trois ou quatre ans victime de violences sexuelles comme celle d'un adulte dans un commissariat. Ce n'est pas possible. Nous allons donc développer, généraliser, pérenniser les UAMJP.

Enfin, les cellules de recueil des informations préoccupantes, qui sont des maillons importants dans notre dispositif de signalement, ont aujourd'hui des pratiques hétérogènes sur notre territoire, ce qui pose des problèmes en termes de connaissance, les données remontées étant de la même façon hétérogènes. Il en résulte une connaissance imparfaite des violences dans chacun des départements.

Dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance, qui concerne l'aide sociale à l'enfance, et que je dévoilerai le 14 octobre prochain, à la suite de mon discours lors des Assises de la protection de l'enfance à Marseille le 4 juillet dernier, j'annoncerai, d'une part, un investissement afin d'accompagner la modernisation d'un certain nombre de CRIP et, d'autre part, la rédaction d'un référentiel sur les informations préoccupantes afin d'harmoniser leur recueil sur l'ensemble du territoire et les remontées des données elles-mêmes.

Quant à la campagne, elle aura lieu en novembre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.

Mme Michelle Meunier. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de ces constats, que nous partageons, et de la volonté dont vous faites preuve.

Nous sommes à quelques semaines de l'examen du projet de loi de finances pour 2020. Soyez assuré que nous serons nombreux ici à veiller à la traduction concrète de nos ambitions communes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. J'ai eu l'honneur de participer aux travaux de la mission commune d'information. Les trente-huit propositions auxquelles ont abouti nos échanges contribueront, si elles sont suivies d'effets, monsieur le secrétaire d'État, non seulement à briser ce tabou, mais aussi à mettre en oeuvre une politique globale de prévention de la pédocriminalité.

Les propositions du rapport ne sont pas suffisantes à mes yeux en ce qui concerne la problématique, tabou des tabous, des violences sexuelles intrafamiliales envers les mineurs, autrement dit les violences à caractère incestueux, même si je sais que la mission ne traitait que les violences en institutions.

Si la loi votée en août 2018 a instauré un arsenal de mesures utiles et nécessaires, je regrette que, lors de l'examen de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, aucun de mes amendements tendant à proposer une surqualification pénale de l'inceste n'ait été repris par le Gouvernement. J'estime en effet qu'il est urgent de durcir la pénalisation des infractions sexuelles à caractère incestueux. Ce dossier doit être ouvert à la réflexion des parlementaires. Notre pays est très en retard dans la mesure du phénomène et ne dispose pas d'outils statistiques satisfaisants.

Le bilan de cette réforme devant le Parlement permettra-t-il de combler ce vide ? Pouvez-vous nous préciser quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour agir contre ce fléau ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La seule étude épidémiologique sérieuse sur l'inceste qui ait été faite dans le monde a été réalisée aux États-Unis. On estime que 6 % de la population américaine a été victime d'inceste.

La seule étude, déclarative, qui a été faite en France conclut que 4 millions de nos concitoyens ont été victimes d'inceste, ce qui correspond à 6 % de la population française.

Vous avez raison, c'est probablement le tabou des tabous, parce qu'il renvoie à ce que l'homme a sans doute de plus abject en lui et parce qu'il sape l'un des fondements de notre société, la famille. J'ai évidemment rencontré de nombreuses associations ces dernières semaines, en particulier l'association Les Papillons de Laurent Boyet, que vous devez connaître, pour voir comment traiter ce sujet.

Toutes les mesures que nous allons annoncer en novembre prochain auront aussi pour but de tenter de diminuer le nombre de comportements incestueux dans notre pays. Nous ne prévoyons pas de mesures spécifiques, à ce stade tout du moins, pour traiter l'inceste, mais toutes les mesures que nous allons prendre auront vocation à s'attaquer aussi à ce fléau.

Je le répète, je pense que la libération de la parole est l'un des leviers que nous devons collectivement actionner, sachant que le cercle familial est celui où la parole est la plus verrouillée. Ce verrou est le plus difficile à faire sauter, il nécessite un travail de fond.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.

Mme Françoise Laborde. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de votre réponse. Nous poursuivrons cette discussion lors de l'examen de la proposition de résolution n° 751 que je viens de déposer et qui sera cosignée, je pense, par bon nombre de mes collègues, au sujet de la surqualification pénale de l'inceste.

Bien sûr, dans le prolongement du rapport d'information dont nous débattons aujourd'hui, je salue la constitution par le Sénat du groupe de travail sur l'obligation de signalement des violences commises sur mineurs pour les professions tenues au secret. Je suis favorable à une telle mesure, que nous avions d'ailleurs demandée en vain lors de l'examen de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Nos recommandations, monsieur le secrétaire d'État, sont souvent qualifiées d'intéressantes, mais finalement rejetées. C'est peut-être par manque de cohérence ou de cohésion dans l'hémicycle, mais aussi à cause de l'article 40 de la Constitution. J'espère que vous serez de notre côté.

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Le 5 septembre dernier, un protocole de signalement des violences sexuelles a été signé entre le procureur et l'archevêque de Paris, et ce pour une période d'expérimentation d'un an. Cette démarche, déjà entreprise par les parquets avec d'autres institutions telles que l'éducation nationale ou les hôpitaux, est inédite pour l'Église. Elle va dans le bon sens : d'abord, parce qu'elle enclenche une dynamique de facilitation des signalements ; ensuite, parce qu'elle a le mérite de responsabiliser les parties prenantes.

Cependant, ce genre de protocole nous interroge déjà par son caractère expérimental et coopératif. L'existence d'un tel dispositif met notamment au jour nos lacunes juridiques en matière de signalement des violences sexuelles sur mineurs. Certains acteurs auditionnés par la mission d'information ont en effet souligné que l'option de conscience permettant aux personnes soumises au secret professionnel de dénoncer des infractions sur mineurs ne suffit pas à établir un cadre légal lisible. Cette clarté constitue pourtant un enjeu primordial, à la fois pour protéger l'enfant victime de violences sexuelles et le professionnel susceptible d'en avoir connaissance.

Le rapport d'information préconise d'ouvrir une réflexion sur l'introduction dans le code pénal d'une obligation de signalement pour les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les ministres du culte lorsqu'ils constatent qu'un mineur est victime de violences physiques, psychiques ou sexuelles. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le secrétaire d'État ? Cela vous paraît-il pertinent pour renforcer la protection des mineurs victimes de violences sexuelles dans un cadre institutionnel ?

Par ailleurs, dans le cadre de la stratégie nationale pour la protection de l'enfance, envisagez-vous de prendre des mesures pour garantir que les violences sur mineurs soient signalées ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Le protocole conclu entre l'Église et le parquet que vous mentionnez intervient à juste titre pour faciliter le signalement dans ce cas de figure.

Je rappellerai en préambule l'état du droit, si vous le permettez, car des dispositions existent et, comme souvent, ce sont nos pratiques qui font défaut, en particulier l'absence de coordination et de partage d'information.

Le rapport souligne que bien peu de signalements - 4 % à 10 % - proviennent du secteur médical, qui est pourtant dans une position privilégiée pour repérer les maltraitances. Ce phénomène m'a également alerté. Cependant, l'article 226-14 du code pénal prévoit une levée du secret professionnel médical en cas de suspicion permettant de présumer des violences physiques, psychiques ou sexuelles. Les dispositions existantes sont cohérentes avec le caractère subsidiaire de l'intervention judiciaire par rapport à la protection de l'enfance, tant en termes de repérage que d'intervention.

Dans ce cadre, introduire une obligation de signalement au sens judiciaire du terme serait contre-productif, et ce pour trois raisons. Premièrement, cela risquerait de mettre en péril la centralisation des informations à la CRIP, et donc sa capacité à évaluer correctement les situations. Deuxièmement, l'autorité judiciaire serait engorgée par des signalements, qui, par la suite, ne seraient pas évalués correctement ni croisés avec d'autres informations, mais simplement classés. Troisièmement, une telle obligation pourrait donner lieu à des placements judiciaires intempestifs, alors qu'une évaluation par la CRIP ou une intervention au niveau administratif aurait pu suffire.

En revanche, nous souhaitons faire en sorte que l'obligation de transmettre des informations préoccupantes soit pleinement respectée par les professionnels. C'est le sens sous-jacent de votre question. Un travail prenant en compte deux difficultés que nous avons pu repérer est engagé : les professionnels ne sont pas suffisamment sensibilisés et informés, et les institutions ne font pas remonter les signalements en interne. Ainsi, un guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes à destination des professionnels est en cours d'actualisation et devrait être prochainement diffusé à l'ensemble d'entre eux.

Le problème ne vient pas tant, nous semble-t-il, d'un défaut d'obligation que d'un manque d'information et de coordination. Les textes sont explicites ; il s'agit de mieux les faire connaître et respecter.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Un chiffre : 265 000 ! Il s'agit du nombre de personnes s'estimant victimes d'abus sexuels en France en 2017. Plus que des faits divers, c'est un véritable phénomène de masse que révèle ce chiffre. Dès l'enfance, ce sont des vies brisées. Dès lors, quelle est la réponse du Gouvernement à cette pandémie ? Quelle réponse l'exécutif souhaite-t-il donner à ces enfants souffrant de traumatismes durables ?

C'est pour répondre à ces attentes que le Sénat s'est saisi de cette thématique par le biais d'une mission d'information. Par nos travaux, nous avons notamment constaté l'absence de moyens mis en place afin d'aider les victimes à surmonter leur psychotraumatisme : manque de formation des praticiens médicaux, manque d'infrastructures spécialisées aux besoins psychiatriques et infantiles, prise en charge incomplète des frais médicaux. Le chemin est encore long pour que nous donnions aux victimes le suivi qu'elles méritent.

Mes questions sont donc les suivantes : dans un contexte où la psychiatrie des mineurs est sinistrée, quels moyens seront mis en place afin de mettre fin à ces déserts médicaux ? Enfin, prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux d'accompagnement psychologique ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Pour répondre brièvement à votre première question, j'indique que le Gouvernement présentera en novembre un plan de lutte contre les violences et mettra l'accent sur la prévention, parce que, pour protéger les enfants, il faut parfois mieux accompagner les parents dans leur projet parental. Il s'agit notamment de tout ce qui a trait aux 1 000 premiers jours de la vie de l'enfant, projet évoqué par Mme la présidente Deroche.

S'agissant de la prise en charge du psychotraumatisme, vous avez raison, tous les acteurs que j'ai rencontrés au cours de mes déplacements m'ont parlé des problèmes rencontrés par la pédopsychiatrie dans notre pays. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, en a conscience. Elle a annoncé l'année dernière un plan d'investissement de 100 millions d'euros pour la psychiatrie, qui concernera pour partie la pédopsychiatrie. Il s'agit de reconstituer une filière, madame la sénatrice. Or, nous le savons, cela prendra cinq à six ans.

Nous avons créé dix postes de chef de clinique l'an dernier ; nous en créons dix autres cette année, sauf erreur de ma part. Dans l'intervalle, nous constituons des équipes mobiles afin d'accompagner les enfants victimes. Comme vous le savez probablement, le Président de la République a par ailleurs annoncé la création de dix centres de prise en charge traumatique, qui commencent à déployer leur action auprès des personnes victimes de violences.

C'est l'ensemble de ces mesures que nous sommes en train de mettre en place.

Quant à la question de l'extension aux soins psychologiques, c'est une proposition qui doit être expertisée tant dans son coût, vous vous en doutez, que dans sa mise en oeuvre en termes notamment de procédure d'orientation, de formation et de coordination des professionnels. Une expérimentation que vous connaissez peut-être, appelée « Écoutez-moi », est mise en oeuvre pour une durée de trois ans, avec un suivi national interministériel, ainsi qu'une évaluation prévue avant sa généralisation éventuelle si tant est que le modèle s'avère pertinent.

J'espère avoir répondu à vos deux questions, madame la sénatrice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Vous n'avez pas répondu à ma deuxième question : prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux d'accompagnement psychologique ? Soyez sûr que notre groupe sera particulièrement vigilant quant aux moyens alloués à ces domaines au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

J'attends votre réponse à ma deuxième question, monsieur le secrétaire d'État !

M. Stéphane Piednoir. Ce ne sera pas pour aujourd'hui ! (Sourires.)

Mme la présidente. Effectivement, M. le secrétaire d'État a épuisé son temps de parole.

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. J'ai participé avec intérêt aux travaux de la mission commune d'information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs, et je tiens à saluer le travail accompli par sa présidente et les corapporteures. Le rapport formule des propositions utiles et pertinentes qui permettront d'avancer dans la prévention, la prise en charge des victimes, mais aussi des auteurs, ainsi que dans la connaissance du phénomène.

Je souhaiterais revenir sur la question du signalement, au risque d'être redondante. Cette disposition, pourtant adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, avait été par la suite supprimée par la commission mixte paritaire. Une mission commune aux commissions des affaires sociales et des lois travaille actuellement sur cette question spécifique du signalement. Il me paraît en effet nécessaire de poursuivre les investigations sur ce sujet pour clarifier le droit applicable, parfois méconnu, et franchir une étape supplémentaire au bénéfice de la protection des enfants. Car le signalement ne saurait être associé à la délation ! Au contraire, il s'agit d'une responsabilité qui peut sauver des vies.

Le secret médical est certes un principe cardinal du code de déontologie médicale, mais il ne saurait supplanter la protection de l'enfant. Je rappelle, à ce titre, que 5 % seulement des enfants victimes de violence sont détectés par les médecins. Ce chiffre est forcément trop faible. Par ailleurs, le nombre de médecins scolaires a chuté de 25 % ces dix dernières années. Dans ces circonstances, comment repérer les violences ?

C'est pourquoi je souhaiterais vous demander, monsieur le secrétaire d'État, même si vous avez déjà en partie répondu à mon collègue Mohamed Soilihi, quelle est la position du Gouvernement sur l'introduction dans le code pénal d'une obligation de signalement des violences à l'attention des professionnels de santé. Enfin, des financements sont-ils prévus dans le budget pour 2020 afin de compenser l'alarmante déperdition de médecins et d'infirmiers scolaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous me parlez des professionnels, je vais vous parler des citoyens. Seul un Français sur quatre, face à une suspicion de violence, appelle le 119 ou un service d'urgence. Je le dis solennellement, cette responsabilité repose aussi sur chacun de nous. Face à cette situation, il n'est pas question de délation, seulement de protéger les enfants.

S'agissant des professionnels, au risque d'être redondant dans ma réponse…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Dans ce cas-là, répondez plutôt à Mme Benbassa !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. J'ai répondu à Mme Benbassa, contrairement à ce qu'elle a dit.

Les textes existent, madame la sénatrice. Une obligation de dénoncer s'impose, y compris au dépositaire d'un secret professionnel lorsque le crime ou le délit est susceptible de se produire. Si une meilleure connaissance de la procédure de signalement par les praticiens de santé apparaît nécessaire, des outils existent et un travail est engagé pour améliorer leur diffusion, je l'évoquais précédemment.

La systématisation d'une obligation de signalement pour l'ensemble des infractions pénales pourrait avoir pour conséquence d'entamer la confiance dont bénéficient au premier chef les professionnels de santé et d'empêcher le recueil d'informations préoccupantes, ou encore de constituer un obstacle supplémentaire aux soins nécessaires aux enfants victimes, sans compter le risque de noyer les services départementaux.

En réalité, le problème ne vient pas tant, me semble-t-il, d'un défaut d'obligation, laquelle existe, y compris pour les professionnels soumis au secret médical, que d'un manque d'information et de coordination dans la mise en oeuvre des dispositifs existants.

Le plan 2017-2019 élaboré par Laurence Rossignol prévoit la mise en place d'un référent sur les violences sexuelles au sein de l'hôpital – on pourrait l'envisager au sein des unités d'accueil médico-judiciaires pédiatriques. Ce dernier pourrait être l'interlocuteur des professionnels de santé pour faire remonter les suspicions de violences, en évitant le sentiment d'isolement face à une telle situation.

Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer en tribune les membres du conseil municipal de Ranspach-le-Bas, dont je suis moi aussi membre (Sourires.), et Mme le maire, Sandra Muth. Soyez-les bienvenus ! (Applaudissements.)

La parole est à M. Bernard Bonne.

M. Bernard Bonne. Permettez-moi d'abord de saluer le travail remarquable fourni par nos collègues rapporteures et, en particulier, par la présidente Catherine Deroche.

Le rapport montre clairement que la consultation du FIJAISV, qui contient davantage d'informations que le casier judiciaire, notamment l'ensemble des condamnations même non encore définitives, est loin d'être systématique.

Ainsi, au sein des établissements d'accueil du jeune enfant agréés par les conseils départementaux et dans ceux agissant dans le cadre de la protection de l'enfance, seul le bulletin n° 2 du casier judiciaire est interrogé. Il en va de même pour le contrôle effectué pour les employés travaillant au contact des enfants handicapés. C'est aussi le cas lors de la procédure d'agrément des assistantes maternelles par les services du conseil départemental.

Ce contrôle paraît largement insuffisant au regard de la vulnérabilité des publics concernés.

Mais, plus encore, il arrive que ces structures, pour faire face à des absences ou a un manque de personnel, soient contraintes d'embaucher à titre temporaire du personnel moins qualifié, parfois même sans diplôme. Elles n'interrogent alors que très rarement le bulletin n° 2, et le président du conseil départemental ne peut exercer son contrôle sur les recrutements.

Monsieur le secrétaire d'État, comment rendre obligatoire par les organismes employeurs la consultation du FIJAISV avant tout recrutement, quel qu'il soit ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La question du FIJAISV se décompose en trois sous-questions : les conditions d'inscription à ce fichier, les conditions de consultation et les modalités de mise en oeuvre de cette consultation auxquelles sont confrontées un certain nombre de collectivités ou d'associations.

Vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, deux outils nous permettent d'identifier les personnes qui ne doivent pas être mises en contact, occasionnel ou régulier, avec les mineurs : le B2 et le FIJAISV, qui comprend davantage de garanties puisqu'y figurent toutes les infractions, notamment celles en attente de jugement.

Nous voulons que ces outils performants soient plus efficacement utilisés. Les fichiers peuvent être améliorés, notamment les conditions d'inscription, et nous y travaillons avec la garde des sceaux. Il importe surtout de lever les freins à un usage massif et systématique de ces deux outils. Le FIJAISV, notamment, est insuffisamment consulté.

Les institutions que vous évoquez, l'aide sociale à l'enfance, les établissements d'accueil de jeunes enfants, ont la possibilité de consulter le FIJAISV, mais elles ne le font pas. Le ministère des sports et celui de l'éducation nationale ont instauré un système automatisé qui permet une consultation massive dans des délais conformes à la réalité de l'activité des personnes concernées. C'est ce que nous devons développer. En partenariat étroit avec le ministère de la justice, nous travaillons ainsi à garantir, par une action interministérielle d'envergure, un contrôle effectif des antécédents par l'intermédiaire du FIJAISV de toute personne exerçant une activité en contact régulier avec les mineurs. Nous devons coordonner et soutenir l'action des ministères à cet égard.

Au-delà de l'évolution normative et technique, nous devons mener une réflexion quant à la société que nous voulons pour nos concitoyens et leurs enfants. C'est un sujet sensible qui allie la protection des mineurs, mais aussi la liberté individuelle et la protection des données.

Mme la présidente. Je vous invite à conclure !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. Pour moi, la protection des mineurs est supérieure à toute autre chose.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.

M. Bernard Bonne. Le rapport de nos collègues préconise, pour plus d'efficacité, de mettre en place un dispositif de télédéclaration par l'employeur via une application sécurisée permettant d'interroger directement le fichier. Cet accès facilité au fichier ne pourrait-il pas être mis en place rapidement pour que les organismes puissent le consulter sur les personnes qu'ils emploient, temporairement ou pour une période plus longue ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, permettez-moi de commencer mon propos par une pensée solidaire pour les fonctionnaires de la préfecture de police de Paris et leurs familles, frappés par un drame terrible il y a quelques minutes seulement. Plusieurs fonctionnaires de police sont décédés.

Monsieur le secrétaire d'État, le 28 septembre dernier, j'ai signé, avec ma collègue Laurence Rossignol notamment, l'appel visant à demander la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les abus sexuels au sein de l'Église catholique, aux côtés de l'association La Parole libérée, de Mme Bachelot et de Témoignage chrétien. En quelques jours, 30 000 signatures ont été recueillies. Le Sénat, pour des raisons qui lui appartiennent, a refusé la création de cette commission d'enquête, et la mission d'information est née.

Vous l'avez dit, tous les citoyens doivent se mobiliser.

Je rappelle que l'Australie a consacré 300 millions de dollars à la lutte contre ces phénomènes ; 40 000 personnes ont ainsi été identifiées. L'Irlande a nommé une commission d'enquête gouvernementale. Aux États-Unis, un procureur de Pennsylvanie a identifié 300 prêtres pédophiles. En Belgique, une commission parlementaire a été mise en place. En France, c'est la Conférence des évêques qui a créé la commission Sauvé, laquelle a déjà reçu 2 500 appels.

Ma question est donc la suivante : que fait l'État, puisque vous dites vouloir libérer la parole, pour permettre à toutes les victimes, actuelles ou passées, d'oser parler ? Le numéro d'appel d'urgence, le 119, est destiné à la maltraitance actuelle, mais que fait l'État pour les victimes antérieures ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Madame de la Gontrie, le Sénat tout entier s'associe à vos propos concernant le décès de ces quatre policiers, auxquels nous rendons hommage.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. L'année 2018 a révélé en cascade l'ampleur insoupçonnée des abus sexuels commis par des membres du clergé catholique dans notre pays et, surtout, une forme de dissimulation de la part de la hiérarchie. Que fait l'État face à cela ?

Je ne me prononcerai pas sur la décision qui a été prise par cette noble assemblée ; cela ne relève pas de l'exécutif. Du point de vue du signalement, un protocole a été signé entre le procureur de la République et l'archevêque de Paris afin que toutes les dénonciations d'infractions sexuelles faites dans les diocèses soient désormais transmises systématiquement au parquet, même si la victime n'a pas porté plainte, de façon dérogatoire. Cela contribue à libérer la parole et à éviter que des affaires restent enfouies ou non traitées.

En outre, vous l'avez dit, la commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé est chargée d'enquêter sur les abus sexuels commis sur les mineurs depuis les années cinquante. Elle bénéficie du soutien de l'État, de l'Inserm, qui analysera les témoignages, de la Maison des sciences de l'homme, qui produira des monographies sur des congrégations et diocèses déterminés, de l'École pratique des hautes études, qui travaillera sur la dimension sociohistorique et plongera dans les archives, mais aussi du ministère de la justice, qui demandera au parquet un inventaire des faits dont il a pu avoir connaissance. Enfin, les archives nationales et départementales pourront être sollicitées pour l'accompagner dans sa mission. Nous attendons les préconisations de cette commission.

Enfin, tout ce que nous allons mettre en place sur la prise en charge du psychotraumatisme, pour continuer de répondre à Mme Benbassa, bénéficiera aussi aux victimes de l'Église sur le chemin de la reconstruction.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour la réplique.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le secrétaire d'État, je suis attristée par votre réponse, ou alors nous ne nous sommes pas compris. La commission Sauvé, que je sache, n'est pas une initiative de l'État. Vous vous appuyez sur l'initiative de la Conférence des évêques de France : vous avouerez que c'est tout de même singulier !

La Chancellerie, dites-vous, demandera un inventaire au parquet. J'en conclus que ce n'est pas encore fait, et je pense qu'il serait utile que cette circulaire soit rendue publique.

Surtout, je parle aussi d'information, de communication. Lorsque l'Australie consacre 300 millions de dollars à la question, elle n'envoie pas une simple circulaire au parquet. Massivement, les victimes doivent savoir qu'elles ont le droit de parler et que nous serons à leurs côtés. C'est sur ce point que j'espérais du Gouvernement des engagements ambitieux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne.

Mme Chantal Deseyne. Ma question porte sur l'évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa.

Si cette loi a permis plusieurs avancées pour protéger les mineurs contre les infractions sexuelles, elle est loin d'avoir répondu à toutes les attentes, notamment des associations de victimes. Il suffit d'analyser les décisions judiciaires prises depuis l'entrée en vigueur de la loi pour comprendre que les jugements ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux. Je ne citerai que l'affaire du Mans concernant ce grand-père récidiviste ayant commis un viol sur sa petite-fille âgée de huit ans. Alors qu'il encourait théoriquement vingt ans de réclusion pour viol devant une cour d'assises, il a été condamné, en mars dernier, par un tribunal correctionnel, à huit mois seulement, et avec sursis !

Beaucoup d'experts doutent que la loi suffise à mettre fin à la correctionnalisation des procédures, au détriment des victimes. Près de quinze mois après son entrée en vigueur, il est donc souhaitable d'en évaluer les effets, un souhait d'ailleurs partagé par le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, puisque vous avez récemment confié une mission d'évaluation à la députée Alexandra Louis.

Ma question est double. Premièrement, la garde des sceaux Nicole Belloubet a déclaré en juin dernier à l'Assemblée nationale que la loi Schiappa contenait des évolutions positives dont les juges s'étaient déjà emparés. Pouvez-vous nous faire part de vos premiers retours d'expérience permettant de mesurer l'impact de cette loi ? Conduit-elle les juges à retenir plus fréquemment la qualification de viol ? Permet-elle aux victimes déposant plainte plus de trente ans après les faits de faire condamner plus facilement leur agresseur ou aboutit-elle au contraire à des classements sans suite décevants ?

Ma deuxième question a davantage trait à la méthode que vous avez choisie pour procéder à l'évaluation de la loi. Accepteriez-vous de confier cette démarche d'évaluation à un collège pluraliste associant députés et sénateurs ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne souhaite pas polémiquer sur les débats qui ont eu lieu à l'époque de l'examen de la loi Schiappa. Attendons les conclusions de la mission d'évaluation confiée à Alexandra Louis, qui étudiera l'ensemble des mesures qui ont été prises depuis.

Dans mes déplacements, sans en tirer aucune conclusion, car nous n'avons, vous comme moi, qu'une vision parcellaire à ce stade, certains juges que je rencontre se félicitent de la correctionnalisation, qui a permis d'accélérer les procédures et d'engager des poursuites qui n'auraient pas pu l'être précédemment. Ce n'est, bien entendu, qu'une remontée de terrain : il convient de la laisser à sa juste place, parmi l'ensemble des autres données à analyser.

Nous devons certes porter un regard exigeant sur notre action, mais la loi du 3 août 2018 a aggravé la répression et retardé la prescription d'un certain nombre d'infractions sexuelles. Elle comporte de réelles avancées, rappelons-le.

Dès le départ, la secrétaire d'État s'est engagée à suivre les recommandations de la mission. Quant à savoir si nous accepterions qu'une mission transpartisane procède à l'évaluation de la loi, je ne peux pas répondre à la place de Mme Schiappa, mais je lui transmettrai votre demande.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Tous les mois, la presse se fait l'écho de scandales insupportables au sein même des institutions qui accueillent des enfants et qui ont aussi pour mission de les protéger. Ainsi, le 23 septembre dernier, au Mans, une éducatrice a été condamnée pour des atteintes sexuelles sur mineurs commises entre 2011 et 2018. Deux jours plus tard, le 25 septembre, Le Parisien rapportait qu'un directeur de centre de loisirs des Yvelines, accusé du viol d'une enfant de trois ans, était mis en examen. Pourtant, ce dernier avait déjà été condamné en 2017 pour exhibition sexuelle. Comment est-il possible que des personnes condamnées pour exhibition sexuelle puissent encore travailler au sein d'institutions accueillant des enfants ?

Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV, a justement pour objectif de prévenir la récidive des personnes déjà condamnées. Ne faudrait-il pas également inscrire dans ce fichier, par exemple, les personnes condamnées pour exhibition sexuelle ?

Ces drames posent aussi la question de l'évaluation des casiers judiciaires des personnes travaillant pour la protection de l'enfance. Si les structures ont accès à ces fichiers et sont en devoir de vérifier le casier judiciaire d'un salarié lors de son embauche, on constate qu'elles font très peu de vérifications ensuite au fil des carrières. Dans certaines situations, les structures ne sont même pas au courant de la condamnation d'un de leurs salariés, alors qu'il y a un risque évident pour les enfants !

Monsieur le secrétaire d'État, vous lancerez dans les semaines qui viennent un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, à l'occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant. Je vous sais sensible à ces questions, que nous avons eu l'occasion d'évoquer ensemble. Dès lors, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures le Gouvernement compte prendre ? Intégrerez-vous dans le plan que vous annoncerez au mois de novembre les propositions que j'ai avancées dans mon intervention ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne me prononcerai pas sur les affaires en cours, par respect du principe de présomption d'innocence.

Évidemment, nous sommes tous bouleversés par ce genre de situations, qui peuvent susciter indignation, incompréhension et sentiment d'injustice. C'est pour combattre de telles réalités, notamment les difficultés rencontrées par certains établissements, que la loi dite Villefontaine du 14 avril 2016 a créé une obligation d'information des administrations par le procureur quand une personne a été condamnée, avec un régime spécifique pour la protection des mineurs.

Désormais, pour des infractions graves à caractère violent ou de nature sexuelle commises par des personnes en contact habituel avec des mineurs, le parquet doit obligatoirement transmettre les informations à l'établissement employeur, via l'administration de tutelle.

Dans les faits, on constate que cette obligation n'est pas toujours respectée et que cette possibilité pour l'employeur de consulter le fichier n'est pas forcément connue et utilisée. Quand elle l'est, les délais de réponse du FIJAISV sont parfois trop longs : les personnes sont déjà employées quand l'information est connue.

En partenariat étroit avec la garde des sceaux, nous travaillons à essayer de garantir que l'arsenal législatif dont nous disposons soit effectivement appliqué. Nous devons pour cela évaluer la mise en oeuvre des dispositions récentes de la loi du 14 avril 2016 et mieux appréhender les difficultés rencontrées, pour rendre le cas échéant cette obligation plus effective.

Nous ne devons pas non plus nous leurrer et penser que le fichage de tous les individus condamnés pour des infractions sexuelles, quelle qu'en soit la nature, résoudra la question du passage à l'acte des agresseurs. Je renvoie à nos échanges sur la prévention, un aspect sur lequel nous devons également travailler.

Enfin, je ne pourrai répondre complètement à votre question sur notre plan en cours de préparation. Nos travaux doivent encore être finalisés, et je souhaite réserver la primeur de l'annonce, le 20 novembre prochain, aux différents acteurs, dont je ne doute pas que vous ferez partie, monsieur le sénateur. Sachez toutefois que la question des conditions d'inscription au fichier des agresseurs sexuels et des modalités concrètes de consultation de celui-ci fait partie de nos réflexions depuis le départ.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Le sport n'est pas épargné par les violences sexuelles, comme tant d'autres milieux. Je le regrette profondément.

De nombreux sportifs ont récemment fait état de tels comportements à leur égard. Cette prise de conscience est importante, même si elle est encore trop faible. Leur mobilisation, comme celle, croissante, des pouvoirs publics, est une réelle avancée que nous devons profondément encourager.

La difficulté que le monde sportif rencontre pour lutter contre les violences sexuelles tient à l'absence de données sur le nombre d'actes et l'âge des victimes. Mais elle vient aussi d'un manque d'information et d'une véritable omerta sur le sujet. Trop souvent, les enfants se murent dans le silence.

L'association Colosse aux pieds d'argile, reconnue pour ses engagements contre les violences sexuelles dans le milieu du sport, nous rappelle que ces violences toucheraient environ 10 % des sportifs et 13 % des sportives.

Lors des auditions de notre mission, il a été souligné que la majorité des violences sexuelles commises dans le sport sont commises entre sportifs. Il n'en demeure pas moins qu'il existe malheureusement trop d'abus sexuels commis sur des enfants par un éducateur sportif ou un entraîneur. Je rappelle que, depuis 2015, près d'une centaine de cas d'éducateurs inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes ont été recensés. De nombreux trous dans la raquette demeurent toutefois. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous informer des mesures que compte prendre le Gouvernement sur la formation et l'information des éducateurs sportifs et des entraîneurs, mais aussi des présidents d'association, pour mieux les sensibiliser et les accompagner dans leurs missions ?

La ministre des sports avait annoncé vouloir expérimenter un dispositif de contrôle des casiers judiciaires des bénévoles, afin de protéger les jeunes licenciés. Qu'en est-il ? Aujourd'hui, des bénévoles peuvent être condamnés dans un département puis s'engager de nouveau dans un autre département. Comment avancer rapidement et concrètement sur ce sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le sénateur, le sport n'est pas épargné par les violences sexuelles, pour des raisons que le rapport a parfaitement soulignées.

Nous avons cherché à approfondir trois aspects, dans tous les milieux sportifs : la prévention, le signalement et le contrôle.

Prévenir suppose à la fois de mieux former les intervenants et de renforcer la sensibilisation. Je peux vous assurer que la ministre des sports est particulièrement concernée par ce sujet.

Depuis le premier semestre de 2019, la formation des cadres et des éducateurs sportifs intègre un module spécifique sur les violences sexuelles. C'est la première étape d'un plan de formation plus complet qui va mettre en place des modules spécifiques et obligatoires à destination des agents de la jeunesse et des sports.

Il est important de rappeler à l'éducateur qu'il est en position d'autorité par rapport à la personne qu'il encadre. J'assistais récemment avec la ministre des sports et l'association Colosse aux pieds d'argile au lancement de ce tour de France au Creps d'Île-de-France. Il était assez étonnant de découvrir la réaction des professionnels à cette sensibilisation. Leurs pratiques habituelles étaient subitement remises en cause, et on les voyait s'interroger sur la relation qu'ils entretiennent avec leurs élèves. C'est tout l'objet de cette sensibilisation, lancée depuis le 28 août dernier par le ministère des sports, qui soutient financièrement Colosse au pied d'argile ainsi que d'autres associations.

S'agissant du signalement des violences, nous travaillons à mieux informer les établissements et les structures de formation à travers une nouvelle collection d'outils, notamment des fiches réflexes pour mieux sensibiliser et accompagner les agents. Les mineurs doivent aussi davantage participer au signalement : un guide juridique à leur destination a été élaboré en octobre 2018.

Enfin, nous devons être plus vigilants sur le contrôle des intervenants et la question des bénévoles. Nous avons encore évoqué le sujet ce matin même, lors d'un déplacement avec la ministre au Creps des Hauts-de-France. En revanche, la question des modalités de mise en oeuvre reste posée : par quel biais pouvons-nous contrôler l'honorabilité des bénévoles ? Faut-il en passer par une licence ou un autre dispositif ? La ministre est en train d'expertiser cette question.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Nous débattons aujourd'hui d'un sujet extrêmement grave, qui touche à la dignité de nos enfants. En effet, en 2017, 8 788 plaintes pour viol et 14 673 plaintes pour atteintes sexuelles sur mineurs ont été enregistrées. Mais combien de souffrances échappent à notre lecture ?

Comme le disait le juriste Denys de Béchillon, la correction des erreurs doit pouvoir suivre l'essai ; l'auteur de la norme doit pouvoir la reprendre ou l'amender assez aisément si l'expérience l'a vérifiée inappropriée, inefficace, voire dangereuse.

Ainsi, une double prévention est nécessaire : le signalement par l'entourage, d'une part, la facilitation de la libération de la parole, d'autre part. En complément, un recueil d'informations plus large doit également être établi. En effet, les démarches visant à accroître la connaissance du phénomène sont consubstantielles à celles qui visent à l'enrayer. Ces démarches doivent avoir pour triple finalité de déterminer selon quels indicateurs évaluer l'efficacité des mesures, vers quels secteurs porter l'attention du législateur et quelles sont les méthodes de prévention ou de lutte contre la récidive les plus appropriées dans les institutions.

Je tiens à saluer l'excellent et remarquable travail réalisé par la mission commune d'information, en particulier par sa présidente, Catherine Deroche, ainsi que par nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, dont le rapport propose la création d'un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs, affilié à l'Observatoire national de la protection de l'enfance. Cet observatoire aurait notamment pour rôle la réalisation d'enquêtes épidémiologiques et criminologiques, sur le modèle de l'enquête Virage sur les violences faites aux femmes. Cette enquête aurait évidemment plus d'impact en étant établie selon un rythme régulier.

Aussi, monsieur le secrétaire d'État, quel est votre avis sur la fonction de cet observatoire ? Quelle fréquence pourrait être envisagée pour ses études et quels moyens souhaitez-vous y consacrer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La mission a été étonnée de constater à quel point nous disposions de peu de données sur les violences sexuelles. Mon étonnement fut le même quand je suis arrivé au ministère. Les informations étaient également rares sur les trajectoires et les parcours des jeunes de l'aide sociale à l'enfance, que l'on ne connaît pas. Or le pouvoir exécutif et les parlementaires ne peuvent pas mener des politiques publiques sans avoir une connaissance précise des personnes auxquelles elles s'adressent.

L'Observatoire national de la protection de l'enfance mène toutefois un certain nombre d'études. Des rapports assez documentés sur le plan scientifique ont également été rédigés récemment. Je pense en particulier au rapport assez dense du CNRS de 2017 sur les violences sexuelles à caractère incestueux sur mineurs. L'enquête de victimisation Virage de l'INED, que vous évoquiez à l'instant, madame la sénatrice, apporte notamment un éclairage sur l'articulation entre âge et exposition aux violences sexuelles et des données précises sur les impacts de ces violences dans le temps.

Pour autant, je vous rejoins sur ce point, nous devons améliorer notre connaissance de la protection de l'enfance dans son ensemble, qu'il s'agisse des violences sexuelles, des violences dans leur ensemble et de l'efficacité de notre système de protection de l'enfance.

Ce sujet recoupe celui de la gouvernance de la politique publique de protection de l'enfance. Comme vous le savez, elle est partagée entre l'État et les départements, qui en assurent la mise en oeuvre très concrète dans les territoires. Nous devons améliorer ce pilotage conjoint. Nous devrions en la matière nous doter d'un véritable outil de recherche et de connaissance statistique – pourquoi pas un observatoire ? – dans lequel d'autres institutions, comme la Drees, par exemple, qui a des données statistiques, auront un rôle à jouer. Nous travaillerons au développement de ce projet l'année prochaine, pour une mise en place effective, je l'espère, au 1er janvier 2021.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. La mission d'information du Sénat ne traitait pas des infractions sexuelles commises dans le cadre familial, mais nous savons, chiffres à l'appui, que ce sont de loin les plus nombreuses.

L'un des axes de nos travaux porte en revanche sur la prévention de ces actes. Or, après les membres de la famille, les enseignants sont les adultes les plus fréquemment en contact avec les enfants et adolescents. Ils ont donc, de fait, un rôle non négligeable à jouer dans la détection des infractions sexuelles qui pourraient être commises à l'encontre de leurs élèves.

Sans prétention d'exhaustivité, nos auditions ont permis de dégager des « signaux d'alerte » qui peuvent permettre de reconnaître un enfant ou un adolescent victime : changement brutal de comportement ou de niveau scolaire, apparition de troubles auparavant absents, gestes sexualisés sans rapport avec ce qui est habituel pour un enfant de cet âge, etc. Aussi, pour que davantage d'infractions sexuelles puissent être détectées et ainsi stoppées dès le plus jeune âge, il me paraît essentiel d'intégrer à la formation des enseignants de l'éducation nationale un volet lié à l'identification de ces signes.

Par ailleurs, notre commission a souligné le rôle majeur joué par l'éducation nationale dans la sensibilisation aux violences sexuelles et à leur prévention auprès des enfants et adolescents. Or nous avons constaté que l'éducation à la sexualité dans le cadre scolaire n'est souvent pas effective, alors qu'elle pourrait justement permettre aux jeunes d'identifier plus facilement les limites que les adultes ne doivent pas franchir dans le cadre d'une classe. Là encore, les enseignants sont souvent peu formés et incapables de dispenser de tels « enseignements » à leurs élèves.

Monsieur le secrétaire d'État, j'en suis convaincu, la formation et la sensibilisation des enseignants constituent un levier important de la lutte contre les violences sexuelles commises à l'encontre des enfants. Le Gouvernement entend-il l'activer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Oui, nous comptons l'activer, monsieur le sénateur.

Nous partageons votre point de vue sur le rôle que peuvent jouer les enseignants et l'importance de la formation et de la sensibilisation de ces personnels à la prévention et la détection des violences. Ils sont dans une position privilégiée pour transmettre les valeurs de respect du corps et de la dignité, sensibiliser les enfants aux violences sexuelles et repérer les situations d'abus ou de maltraitance. Il est donc essentiel qu'ils soient formés aux comportements à adopter, aux informations à communiquer et aux procédures à mettre en oeuvre. C'est déjà le cas, en grande partie.

La formation, qu'elle soit initiale ou continue, est une obligation légale inscrite dans le code de l'éducation. Lors du cursus initial, une formation pluridisciplinaire à la prévention des violences, notamment sexuelles, est prévue pour le personnel scolaire. Dans le cadre de la formation continue, l'accent est mis sur la sensibilisation au repérage de signaux d'alerte, la connaissance du fonctionnement des dispositifs départementaux ou encore l'acquisition de compétences pour protéger les enfants en danger ou qui sont susceptibles de l'être.

Par ailleurs, tous les ans, un séminaire de formation dédié spécifiquement à l'éducation à la sexualité est inscrit dans la formation continue des cadres de l'éducation nationale.

En outre, le site Éduscol met à disposition de plus en plus de ressources pour aider les acteurs à repérer ces problématiques, à agir et à sensibiliser au moyen de guides, de plaquettes, de fiches techniques et de petits films.

Le problème ne réside donc pas tant dans le contenu que dans l'accès à celui-ci. Les efforts réalisés pour faire connaître davantage ces ressources exigent probablement un peu de temps pour que les effets soient véritablement visibles. Il faut donc que, sur le terrain, les professionnels de la protection de l'enfance et de l'éducation nationale se connaissent et travaillent plus souvent ensemble. Quand on se coordonne, que l'on partage l'information et que l'on essaye de développer une culture commune, cela se passe généralement tout de suite beaucoup mieux.

Enfin, sachez que nous travaillons avec le ministre de l'éducation nationale sur la question de la sensibilisation des enfants, dès la dernière année de maternelle, dans le cadre de l'éducation à la sexualité. Des annonces interviendront en novembre.


Source http://www.senat.fr, le 9 octobre 2019