Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Deux fois n'est pas coutume le vendredi, nous recevons ce matin dans « Le grand entretien » du 7/9, le Haut commissaire aux retraites ; il est entré au gouvernement il y a dix jours pour la dernière phase d'une réforme sur laquelle j'attends toutes vos questions dans 10 minutes : 01 45 24 7000, réseaux sociaux et application FRANCE INTER. Vous êtes déjà très nombreux à vouloir dialoguer. Bonjour Jean-Paul DELEVOYE.
JEAN-PAUL DELEVOYE
Bonjour Nicolas DEMORAND, bonjour Léa SALAME.
LEA SALAME
Bonjour, merci d'avoir choisi FRANCE INTER pour votre première intervention depuis votre entrée au gouvernement…
JEAN-PAUL DELEVOYE
Oui mais j'ai beaucoup d'estime pour votre radio et je pense que le nombre de questions montre à quel point la pédagogie va devoir être extrêmement importante…
LEA SALAME
Oui parce qu'il y a un tsunami de questions d'auditeurs qui arrive…
JEAN-PAUL DELEVOYE
Je peux comprendre….
NICOLAS DEMORAND
Merci en tout cas donc d'être ici ; les concertations, c'est le Premier ministre qui l'a annoncé, avec les syndicats, vont continuer. Pour les citoyens, une consultation sur le modèle du grand débat national va être organisée d'ici la fin de l'année, la loi au Parlement vers l'été prochain. Dites-nous pour commencer Jean-Paul DELEVOYE pourquoi engager une telle réforme ? Un sondage récent indiquait que si deux tiers des Français pensent que l'harmonisation des régimes de retraite est une bonne chose, 40% des Français - 40 - estiment que la réforme des retraites en elle-même est inutile. Comment allez-vous les convaincre du contraire ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Il y a beaucoup de sondages, vous savez ; il y avait aussi un autre sondage BVA il n'y a pas très longtemps où 87% des Français estiment qu'il faut modifier le système des retraites, certains de façon radicale, d'autres de façon plutôt douce. La question très clairement posée par le président de la République et le Premier ministre qui a souhaité s'exprimer au Conseil économique, donc vous voyez déjà le symbole du lieu, c'est d'abord et avant tout un projet de société. Et je l'avais déjà expliqué, le système des retraites, c'est d'abord la société du travail. La retraite est le reflet du travail. Et donc nous avons dans le gouvernement engagé toute une réflexion sur le travail des jeunes et sur le travail des seniors. Et la retraite sera le reflet du travail ; si le monde du travail va mal, la retraite ira mal ; si les salaires des femmes restent inférieurs aux salaires des hommes, les retraites seront inférieures. Le second, c'est qu'on s'aperçoit que dès le départ, il y a une soif d'équité et de justice dans le pays extrêmement importante. Et chaque citoyen dit : mais pourquoi à cotisations égales, on n'a pas la même retraite et pourquoi à métier identique, on n'a pas la même retraite. Et donc le projet de société que nous voulons mettre en place, c'est qu'il y ait une solidarité collective dans un monde où personne ne sait ce que sera sa profession dans les 10 ou 15 ans qui viennent ; personne ne sait ce que sera l'évolution du salaire, le monde du travail. Avoir le système anglo-saxon d'une assurance individuelle, c'est absolument hors de question et la solidarité professionnelle porte une fragilité majeure, d'où la solidarité collective que nous embarquons.
LEA SALAME
Alors ça, c'est pour la philosophie. Maintenant, on va poser les questions, les questions concrètes. Sur le calendrier d'abord : le texte sera donc à l'Assemblée l'été prochain, a dit le Premier ministre, c'est-à-dire après les municipales, pour une entrée en vigueur qui commencera en 2025 et ne sera totale qu'en 2040. C'est long, c'est loin. Est-ce que vous êtes en train d'acheter du temps, vous essayez de gagner du temps ? Est-ce que la main tremble depuis les Gilets jaunes, Jean-Paul DELEVOYE ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Depuis les Gilets jaunes, il y a la prise de conscience importante d'une expression d'une souffrance. J'avais souvent indiqué que nous sommes dans un moment qui est presque l'effet miroir de 45 ; en 45, nos anciens, communistes et gaullistes, ont voulu mettre en place un système de protection sociale pour permettre aux travailleurs de faire face à l'incertitude du lendemain. Et on voit bien que pour beaucoup de nos concitoyens, l'incertitude du lendemain est dans leur quotidien et que cette angoisse s'est exprimée.
LEA SALAME
Et cette angoisse, pardonnez-moi, augmente avec cette réforme des retraites dont ils ont du mal à saisir les contours.
JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors est-ce que l'angoisse tétanise le décideur politique ou est-ce qu'on contraire elle le stimule ? Et j'entends le président de la République et le Premier ministre, c'est au contraire une stimulation pour apporter une réponse qui permette à nos concitoyens sur le plan de l'apprentissage, sur le plan de toutes les mesures qui sont faites de retrouver un emploi qui est la forme de stabilisation de leur quotidien, mais aussi de mettre en place un système de retraite. Vous parlez du temps. Dès le départ, il ne vous a pas échappé que le Président a accepté que je puisse prendre du temps, ce qui n'était pas forcément à l'époque courant pour pendant deux ans, discuter avec les organisations syndicales, faire le tour de France avec les citoyens et dès le départ, nous avions indiqué que la transition serait longue.
LEA SALAME
Oui mais Jean-Paul DELEVOYE, vous avez travaillé pendant deux ans, vous le dites vous-même ; vous avez annoncé un certain nombre de choses en juillet qui ont été cassées en août - on va le voir sur l'âge pivot notamment - pourquoi encore discuter et ne rien faire jusqu'en 2025 ? Et puis autre question précise : le Premier ministre hier semblait dire que la réforme n'entrerait en vigueur que si tout le monde a signé. Est-ce que vous ne prenez pas le risque d'être l'otage des régimes spéciaux ? Est-ce que la réforme entrera en vigueur si les régimes spéciaux ne signent pas ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors on va parler de ces conditionnalités. Dès le départ, nous avions indiqué - et c'est important à faire passer le message - d'abord que les retraités ne sont pas concernés, que ceux qui sont proches de la retraite, ne sont pas concernés et qu'ensuite, quand on parle de génération 63 - j'ai entendu une dame m'interpeller en disant « je suis né en 64, c'est compliqué pour moi » ! Pas du tout. Si vous êtes à 5 ans dans le nouveau système, vous aurez 5 40e de votre retraite ; donc il y a une transition douce, une transition longue et une visibilité. Dès le départ, nous avions indiqué que si nous voulions que la loi bascule pour la génération 63 pour qu'on rentre dans le nouveau système avec une application en 2025 pour cette neutralisation de 5 ans, il fallait que nous réfléchissions avec les partenaires sociaux au temps de la transition qui devait s'adapter. Il y a une solution pour chaque profession ; il y a une solution pour chaque régime spécial et cette solution, si la convergence… l'objectif sera clair, les chemins seront adaptés à chacun.
NICOLAS DEMORAND
A quel âge, Jean-Paul DELEVOYE, les Français vont-ils réellement prendre leur retraite de plein droit ? 62, 63 et demi, 64 ? Est-ce que vous pouvez nous le dire ce matin de manière claire et nette ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
C'est tout le changement culturel du système universel que nous mettons en place, c'est la liberté qui sera offerte à chacun de pouvoir choisir le moment de son départ. Quand vous parlez d'âge, il y a 7 âges différents : il y a l'âge de l'annulation de la décote – c'est 67 ans - je parle dans le système actuel ; il y a l'âge minimum légal, c'est 62 ans. Il y a l'âge auquel vous liquidez votre retraite, c'est votre décision personnelle ; il y a l'âge du taux plein… Vous voyez, donc c'est très compliqué de parler d'âge. Qu'est-ce que nous mettons en place ? Un âge minimal de 62 ans. Et ensuite, il faut que nous trouvions un âge d'équilibre qui permette la stabilité du système pour embarquer la confiance de nos futures générations, ce qu'on appelle l'âge d'équilibre, c'est l'âge…
NICOLAS DEMORAND
Pivot…
JEAN-PAUL DELEVOYE
Non… oui… enfin on l'appelle comme on veut. C'est-à-dire qu'on voit bien qu'aujourd'hui, le système par répartition qui a été réaffirmé par le Premier ministre et qui fait partie de la richesse nationale, c'est un âge qui permet à ce que le montant des cotisations corresponde au montant des pensions et puis il y a votre âge à vous - c'est ce qu'on appelle le taux de remplacement - qui fait que si vous estimez que le montant de votre retraite par rapport à votre salaire est suffisamment élevé – 60, 65, 70 – vous décidez de partir.
LEA SALAME
Monsieur DELEVOYE, pardon de vous couper mais qu'on comprenne bien : vous aviez parlé d'un âge pivot de 64 ans ; est-ce que c'est toujours sur la table ou pas ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, un âge d'équilibre… Bien sûr…
LEA SALAME
C'est toujours sur la table.
JEAN-PAUL DELEVOYE
Bien sûr.
LEA SALAME
Donc quand le Président de la République dit : je préfère allonger la durée de cotisation…
JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, il n'a pas dit ça ; il a dit : je préfère un accord sur la durée de cotisation, ce n'est pas la même chose. C'est-à-dire que vous voyez bien la difficulté que nous avons et qui nécessite le dialogue, c'est qu'il faut que nous trouvions un moyen de pérenniser pour embarquer la confiance des jeunes sur le fait que le système sera équilibré, solide parce qu'aujourd'hui, la moitié des jeunes ne croyant pas au système, disent : ça ne sert à rien de cotiser pour un système qui ne me donnera pas de retraite…
LEA SALAME
Donc vous maintenez ce matin qu'il y aura un âge d'��quilibre de 64 ans ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, je maintiens qu'il y a une réflexion qui est comment concilier l'intérêt collectif par un âge collectif et l'intérêt individuel qu'a ouvert le président de la République mais qui était déjà dans mon rapport - qui était déjà dans mon rapport. Deuxièmement, ça me permet de préciser que toutes celles et ceux qui aujourd'hui cultivent le discours « 62 ans taux plein », dans le système actuel, le système est bien plus pénalisant que le système que nous allons proposer. Il y a 42 ans de cotisations obligatoires ; si vous démarrez votre travail à 22 ans - ce qui est malheureusement ou heureusement est le cas aujourd'hui - c'est à 64 ans que vous aurez le taux plein et dans le système actuel, c'est compliqué, c'est 15% de décote si partez à 62 ans…
LEA SALAME
Vous le dites vous-même, c'est compliqué…
JEAN-PAUL DELEVOYE
C'est pour ça que c'est compliqué… donc toutes les formules simplistes sont extrêmement préoccupantes parce qu'elles tétanisent ou elles donnent des inquiétudes qui n'ont pas lieu d'être. Mon ambition, c'est que le système actuel sera meilleur que le système…
LEA SALAME
C'est ce que vous répétez, vous répétez que ce sera une réforme de simplification des retraites et de justice sociale ; vous dites : le nouveau monde, c'est la simplification et quand on vous écoute, Monsieur DELEVOYE ou quand on écoute Edouard PHILIPPE, malheureusement, on comprend de moins en moins si je peux me permettre. Est-ce que vous n'êtes pas en train de faire une réforme… une usine à gaz technocratique que personne ne comprendra à part si vous êtes conseiller d'Etat, énarque ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Ce qui est intéressant d'ailleurs, c'est que le débat que nous avons ouvert est un moyen pour les concitoyens de découvrir pour beaucoup d'entre eux ce qu'est le système de retraite. Et tout le tour de France que nous avons fait dans la première phase - je reviens à votre question - dans la première phase que nous avons mis en oeuvre du dialogue constructif avec les syndicats, les journalistes et les citoyens, a permis d'établir un rapport et le Premier ministre a dit : nous rentrons maintenant dans une seconde phase qui est l'écriture de la loi. Nous ne partons pas de rien, nous partons du rapport. Et le président de la République, d'ici la fin du mois, lancera une plateforme citoyenne ou consultation citoyenne qui ne sera pas le reflet du grand débat. Le grand débat, c'était simplement l'expression de colères, d'inquiétudes, d'interpellations du monde politique. Là, c'est la volonté - et c'est une méthode extrêmement importante - de pouvoir éveiller l'intérêt des citoyens pour qu'ils se construisent des convictions, même si elles ne sont pas celles que nous partageons, pour pouvoir appréhender ce projet de société.
NICOLAS DEMORAND
Ils auront un pouvoir, les citoyens, Jean-Paul DELEVOYE, d'arbitrer entre eux les différents scénarios qui sont sur la table ou est-ce que vous allez juste leur demander de valider a posteriori ce que vous aurez décidé pour eux ? Comment ça va se passer exactement ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Comme la première étape…
NICOLAS DEMORAND
C'est-à-dire ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
La première étape, l'écriture du rapport, j'en suis responsable ; donc le décideur est toujours unique. Mais l'élaboration de la décision est collective. Et sur un certain nombre de sujets, j'ai considérablement évolué, notamment sur les droits familiaux grâce à la contribution des citoyens. Et ce qui est proposé, ce n'est pas que le citoyen remplace le décideur, au contraire, c'est de renforcer le décideur politique, de renforcer le décideur syndical mais de responsabiliser le citoyen et de dire : ce projet de société vous concerne, soyez acteurs vous-mêmes de ce pacte social.
LEA SALAME
Alors que dit le décideur aux conducteurs de bus de la RATP ce matin, qui est massivement en grève, une grève jamais vue depuis 12 ans ? Est-ce que le décideur que vous êtes leur dit ce matin… dit aux conducteurs de bus que c'est terminé pour lui les régimes spéciaux, c'est terminé pour lui de partir en moyenne à 55 ans à la retraite ?
JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors je dis aux conducteurs de bus : le dialogue est ouvert. Dès le départ, tous les sondages montraient que les Français me disaient sur la plateforme citoyenne : Monsieur DELEVOYE, vous faites un système universel, supprimez le régime des parlementaires, supprimez le régime des régimes spéciaux. J'ai refusé que l'on stigmatise une catégorie de Français par rapport aux autres. Nous sommes malades de cela, de la jalousie de l'autre, de la hiérarchisation de l'autre etc. Par contre, le Premier ministre l'a réaffirmé hier, c'est à métier identique, retraite identique. Comment justifier dans une société pétrie d'équité que le chauffeur de bus à Bordeaux n'ait pas la même retraite que le chauffeur de bus à Paris !
LEA SALAME
Donc vous dites au chauffeur de bus à Paris : c'est fini.
JEAN-PAUL DELEVOYE
Bien sûr, mais nous l'avons dit, nous l'assumons. Nous avons dit : regardez, là vous êtes dans la confrontation, c'est la méthode d'expression classique ; venez dans la concertation puisque pour les régimes spéciaux, nous avons pris un certain nombre de principes : pour celles et ceux qui auront les temps d'années, ils garderont leur avantage et le départ anticipé. 50% des aides soignantes seront concernées par ça. Et ensuite, on mettra une transition longue, de 15 ans, de 20 ans ! C'est ça l'objet de la discussion. Et donc je dis aux chauffeurs de bus : je comprends votre inquiétude ; les Françaises et les Français ne la partagent peut-être pas ; venez donc autour de la table, nous discuterons et nous verrons très clairement comment construire un chemin de convergence sur un objectif qui vous concerne vous et vos enfants.
NICOLAS DEMORAND
Le temps file. La parole aux auditeurs de FRANCE INTER.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 septembre 2019