Déclaration de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, sur les équipements de santé en Guyane et l'offre de soins, Paris le 3 octobre 2019.

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  • Adrien Taquet - Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires sociales, sur la santé en Guyane.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi de débattre de la Guyane. Permettez-moi de saisir cette occasion de rendre hommage à un grand homme politique qui nous a quittés tout récemment après avoir marqué notre Ve République, car il était un ami des outre-mer, parmi lesquels la Guyane, qu'il visita à neuf reprises comme Président de la République. « C'est grâce, en grande partie, à ces terres de l'outre-mer français que la France est et reste une grande Nation », disait-il.

Son parcours et ses décisions ont marqué profondément nos territoires ultramarins. Je songe en particulier à la décision de faire du 10 mai la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions.

Il avait compris bien avant nous la richesse de ce territoire, ses spécificités et ses défis, immenses, à la mesure d'un territoire où, peut-on penser, tout n'est qu'extrême. De fait, la population guyanaise a plus que doublé en vingt ans : les moins de vingt ans représentent 42 % de la population, contre moins de 24 % dans l'Hexagone. Mais l'espérance de vie est en Guyane inférieure de deux ans à celle observée en métropole. Par ailleurs, il y a sur le sol guyanais dix fois plus d'homicides que dans l'Hexagone.

L'économie locale est nourrie à 90 % par la commande publique. La Guyane, qui compte seulement soixante et un médecins pour 100 000 habitants, présente en outre un taux d'équipement trois fois inférieur à la moyenne nationale.

Comme vous l'avez expliqué, monsieur le président de la commission des affaires sociales, en vous appuyant sur le voyage que votre commission a accompli en Guyane, le diagnostic en matière de santé est sévère.

Je saisis cette occasion de m'excuser auprès des parlementaires guyanais, du président de la collectivité et de toutes les autorités locales d'avoir dû reporter, à mon grand regret, la visite que je devais faire sur place. J'accomplirai d'ici à la fin de l'année ce déplacement consacré à la protection de l'enfance et, plus globalement, aux questions qui nous rassemblent cet après-midi.

Oui, la Guyane connaît des difficultés particulières, liées notamment à son territoire, à sa démographie et à son histoire. Ce n'est pas un hasard si, quelques mois après son élection, le Président de la République s'est rendu sur place : la Guyane est connue comme l'un des territoires les plus difficiles et les plus en crise de nos outre-mer.

Dès le début du quinquennat, la Guyane a bénéficié, notamment en matière de santé, d'une mobilisation générale du Gouvernement. Ainsi, 25 millions d'euros ont été attribués dès 2017 au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni pour lui permettre de faire face à son budget d'investissement. Le centre médico-chirurgical de Kourou, mis en vente par la Croix-Rouge, a été transformé en hôpital public. Quant à l'hôpital de Cayenne, il a bénéficié d'un abondement exceptionnel de trésorerie de 20 millions d'euros, ainsi que de 40 millions d'euros pour un programme spécial d'investissement.

Au-delà de la nécessité de s'atteler à la rénovation des infrastructures, je ne puis, monsieur le président de la commission des affaires sociales, que vous donner raison : il faut également combattre le manque de professionnels de santé.

On comptait, au 1er janvier 2018, 611 médecins inscrits à l'Ordre de Guyane ou déclarant une activité dans ce territoire, dont 59 % sont des généralistes. La densité de médecins généralistes libéraux est en Guyane plus de deux fois inférieure à celle observée dans l'Hexagone, et les autres professions de santé sont également caractérisées par des effectifs et des densités pour 100 000 habitants très faibles relativement à d'autres territoires, et de manière générale à l'Hexagone.

Permettez toutefois au secrétaire d'État chargé de l'enfance de mettre en lumière une donnée positive : la densité de sages-femmes, en réponse au nombre élevé de naissances sur le territoire, est plus élevée en Guyane que dans l'Hexagone.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Les raisons en sont évidentes !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. Je puis vous assurer que, avec l'Agence régionale de santé, nous mettons tout en oeuvre pour attirer des professionnels sur place, soutenir la formation et enrichir les fonctions des professionnels paramédicaux, comme vous nous y avez invités, monsieur le président de la commission des affaires sociales. Au reste, l'évolution des effectifs des professionnels de santé a suivi une tendance plutôt favorable ces dernières années, même s'il reste du chemin à accomplir.

Trois mesures doivent permettre un meilleur accès à l'offre de soins.

D'abord, les trois maisons de santé du territoire font l'objet d'un accompagnement via une enveloppe du fonds d'intervention régional mise à disposition de l'ARS pour aider les porteurs de projet.

Ensuite, dans le cadre du comité interministériel de la santé, le Premier ministre et la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, ont présenté les mesures du plan Priorité prévention, parmi lesquelles figure la création, sur des crédits de l'assurance maladie, de 100 postes d'assistant spécialiste à temps partagé avec une obligation d'exercice en outre-mer, par recrutement annuel de 50 postes, à partir de novembre 2018. Cette mesure répond au double objectif de renforcer l'offre locale de soins et de participer à la réduction des inégalités territoriales, inscrit dans la stratégie nationale de santé et que nous déclinons spécifiquement pour l'outre-mer.

Enfin, l'ARS de Guyane a conclu une convention avec l'AP-HP aux fins de mieux structurer les relations, la supervision et la recherche de partenariats et de candidats de part et d'autre. Je pense que nous y reviendrons dans le débat à la faveur de certaines questions. Cet accord a des effets intéressants sur certaines filières de prise en charge ; j'aurai l'occasion de développer dans quelques instants.

Reste qu'il n'est pas possible d'agir sur les défis sanitaires sans prendre en considération d'autres facteurs. Ainsi, vous savez mieux que moi que le schéma routier doit être soutenu et développé : le Président de la République a annoncé que ce serait le cas. Je pense également aux partenariats avec les pays voisins, pour pouvoir recevoir des citoyens de ces pays limitrophes quand cela est nécessaire, tout en contrôlant l'afflux de ces femmes et de ces hommes qui, parfois, peuvent empêcher l'accès aux soins ou le rendre plus difficile encore.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, avant de répondre à vos questions. Je répondrai à certaines de vos questions, monsieur le président de la commission des affaires sociales, en même temps qu'à celles de vos collègues.

Soyez assurés que le ministère des solidarités et de la santé a pleinement conscience des problématiques de ce territoire, qui sont spécifiques, mais aussi de ses richesses et de son potentiel. Comme tous les territoires d'outre-mer, la Guyane a besoin du soutien de l'État et du respect des engagements pris. Notre volonté est sans faille, car, comme l'a dit le Président de la République, « les territoires d'outre-mer sont des trésors pour la République : c'est la République sur tous les océans ! »

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement dispose d'une durée équivalente pour y répondre.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nassimah Dindar.

Mme Nassimah Dindar. Je salue M. le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, qui a déjà formulé une partie des questions que, après avoir lu avec beaucoup d'attention le rapport publié par la commission à la suite de son déplacement en Guyane, je souhaite vous poser, monsieur le secrétaire d'État.

L'ensemble du territoire guyanais est classé déficitaire pour l'offre de soins. La pédiatrie, la protection maternelle et infantile, le handicap, le nombre de places en Ehpad : autant d'indicateurs qui virent au rouge, alors que nous parlons de l'accompagnement d'un public vulnérable sur un territoire, vous l'avez vous-même souligné, largement sinistré. En Guyane, dit-on souvent, les professionnels vivent une situation de crise permanente.

L'offre de soins, insuffisante, n'est pas adaptée, selon les Guyanais eux-mêmes, à l'organisation territoriale, en sorte que tous les bassins de population ne bénéficient pas d'un égal accès aux soins. Bassin de l'ouest, dans la vallée du Bas-Maroni, bassin de l'intérieur, bassin de l'est, dans la vallée de l'Oyapock, bassin dit des savanes, qui correspond à la région de Kourou et d'Iracoubo, et bassin du centre littoral, soit l'île de Cayenne : ces cinq zones identifiées par les professionnels ne sont pas toutes desservies. Créer, adapter et transformer les hôpitaux en tenant compte de l'organisation de ces cinq bassins de population est donc une nécessité impérieuse. À cet égard, si les trois maisons de santé que le Gouvernement a lancées pouvaient toucher les cinq bassins, cela contribuerait à l'amélioration de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire.

Une meilleure répartition de l'offre est nécessaire, parce que le transport des malades ne se limite pas aux trajets en ambulance : en l'absence de routes, l'hôpital envoie un hélicoptère ou un avion pour transporter les malades.

D'autre part, la démographie galopante, aggravée par l'immigration, transforme les centres de santé en services asphyxiés et inopérants.

Monsieur le secrétaire d'État, à travers le projet du Gouvernement de l'hôpital connecté, quelles aides comptez-vous accorder à la Guyane pour faciliter les coopérations entre professionnels de santé, mais aussi les coopérations sanitaires transfrontalières avec le Suriname ?

Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez largement dépassé le temps de parole, de deux minutes, attribué aux auteurs de question.

Mme Nassimah Dindar. Je vous prie de m'en excuser, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je ne répéterai pas ce que j'ai dit dans mon propos liminaire sur l'accès aux soins ; je m'attarderai plutôt, comme vous m'y avez invité à la fin de votre question, sur la coopération entre la Guyane et le Suriname.

Comme l'a indiqué le président de la commission des affaires sociales, une mission a été mise en place en 2018 sous l'égide de Dominique Voynet, ancienne sénatrice, et du préfet Marcel Renouf. Cinq comités de pilotage se sont tenus entre juin 2018 et février 2019, sous la présidence de ces deux personnalités, avec pour objectif d'arriver à un accord entre la Guyane et le Suriname en matière de coopération, avec des pistes concrètes.

À ce stade, les difficultés avec le Suriname n'ont pas permis d'aboutir à un accord permettant d'envisager une plus grande coopération. Le relais a été pris par l'Agence régionale de santé, avec un cadre de haut niveau pour prendre en charge cette coopération, dans l'attente qu'un accord soit formalisé avec le Suriname.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. La Guyane, ainsi qu'il a été expliqué, présente de grands indicateurs de santé dégradés par rapport à la moyenne nationale : l'espérance de vie y est de 79,8 ans, inférieure de deux à trois ans à la moyenne nationale, et la mortalité infantile de 11,7 pour 1 000, supérieure de trois fois à cette moyenne. Par ailleurs, la démographie est en hausse rapide : de 260 000 en 2016, la population a franchi depuis lors le cap des 300 000 habitants.

Il est donc impératif de réduire les inégalités de santé qui frappent les Guyanais, en y consacrant les moyens importants qu'impose la progression rapide de la démographie.

Dans le secteur hospitalier, les dernières années ont vu des investissements importants : construction à Saint-Laurent-du-Maroni d'un nouvel hôpital, ouvert voilà un an, intégration de l'hôpital de Kourou dans le secteur public hospitalier et redressement de la situation financière très difficile du centre hospitalier de Cayenne, grâce à des apports exceptionnels successifs pour plus de 30 millions d'euros au total. De premières modernisations sont en cours : le service de chirurgie a été modernisé, et des investissements complémentaires sont prévus à hauteur de 40 millions d'euros.

Cette remise à niveau ne doit être qu'une première étape, si l'on veut que les habitants du territoire aient droit à la même qualité de soins que les autres.

Monsieur le secrétaire d'État, quels sont les projets du Gouvernement en matière d'amélioration de l'offre hospitalière en Guyane, afin notamment de l'inscrire dans la durée ? Quelles évolutions prévoyez-vous pour le coefficient géographique, dont le niveau actuel ne prend en compte qu'imparfaitement les spécificités des charges pesant sur les hôpitaux guyanais, ce qui entraîne un déséquilibre structurel ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La situation des hôpitaux publics en Guyane est, en quelque sorte, paradoxale : malgré la hausse de plus en plus rapide des besoins de santé d'une population en forte augmentation, les établissements demeurent en situation de fragilité. C'est le fait de plusieurs facteurs, en partie décrits par M. le président de la commission des affaires sociales : difficultés à facturer et à recouvrer les sommes dues auprès des patients et des mutuelles, difficultés auxquelles les organismes sociaux sont eux-mêmes soumis, spécificités du territoire guyanais – on a parlé des problèmes d'attractivité, de la précarité très forte, de l'immigration importante et du turnover des équipes, qui ne facilite pas la tâche.

Ainsi, le centre hospitalier de Cayenne est depuis de nombreuses années dans une situation financière délicate. Ces difficultés importantes ont donné lieu à des accompagnements de l'État réguliers et croissants, que vous avez pour partie rappelés, monsieur le sénateur. Entre 2016 et 2018, environ 50 millions d'euros d'aides exceptionnelles ont été versés à l'établissement, tandis que 9 millions d'euros ont été accordés en revalorisation pérenne de dotations. Les difficultés financières et la fragilité de l'équipe de direction ont conduit l'ARS à placer l'établissement sous administration provisoire entre novembre 2018 et avril 2019. Cette mission a permis notamment de conforter le schéma directeur immobilier, financé par l'État à hauteur de 40 millions d'euros, de travailler au renforcement de l'attractivité de l'établissement et de faire aboutir favorablement la démarche de certification des comptes, après plusieurs années de non-certification.

Le centre hospitalier ouest-guyanais est également dans une situation de déséquilibre financier, mais sa reconstruction, qui a bénéficié d'une aide nationale de 48 millions d'euros, doit permettre un retour à l'équilibre à moyen terme.

Enfin, le centre hospitalier de Kourou a été créé en janvier 2018 en remplacement de l'établissement de la Croix-Rouge ; il présente aussi une situation financière déséquilibrée, mais sera suivi par le Copermo.

S'agissant du coefficient géographique, il a été réévalué en 2016, pour application au 1er janvier 2017 ; à ce stade et à ma connaissance, il n'est pas envisagé de le réévaluer, ni pour la Guyane ni pour aucun autre territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. La Guyane, comme de nombreux territoires ultramarins, connaît une crise dans le secteur de la santé, du social et du médico-social. Malgré les efforts des gouvernements successifs pour y faire face, la question de l'offre de soins est constamment au centre des préoccupations des élus et de la population guyanais.

Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite appeler votre attention sur un enjeu central : les évacuations sanitaires, au nombre de 4 000 environ par an. C'est une problématique d'importance pour le territoire, et leur coût élevé – entre 4 millions et 5 millions d'euros – pèse lourdement sur le budget des établissements hospitaliers, menaçant parfois jusqu'à leur existence.

Derrière ces chiffres impressionnants, je n'oublie pas qu'il y a des hommes et des femmes, mais il paraît indispensable qu'une réflexion en profondeur soit menée pour remédier à cette situation. Quelles sont vos pistes de réflexion et comment s'organise la coopération régionale avec les autres territoires français et avec les pays limitrophes ?

Par ailleurs, la problématique des évacuations sanitaires soulève également la question de la prise en charge des patients et, par extension, de leur accompagnant. Je souhaite donc également vous entendre sur les outils qui pourraient être mis en place pour mieux accompagner les patients et leur famille, lorsque la situation médicale l'exige.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. En effet, les évacuations sanitaires relèvent en Guyane du quotidien. Ces 4 000 opérations annuelles sont organisées à plusieurs niveaux, selon qu'elles se réalisent dans l'urgence ou de façon programmée, en fonction aussi du prescripteur, hôpital ou praticien libéral.

Nous menons en la matière un certain nombre de travaux visant, d'une part, à améliorer la pertinence et la qualité de l'organisation du transport et, d'autre part, à développer l'offre sur place et la coopération entre la Guyane et, notamment, les Antilles – c'est, monsieur le sénateur, l'un des aspects de votre question.

S'agissant de l'amélioration de la pertinence et de la qualité de l'organisation des transports, l'ARS et l'assurance maladie travaillent à la création d'une plateforme territoriale d'appui pour aider les professionnels de santé à organiser au mieux ces transports, qui sont complexes, pour améliorer l'orientation et l'accueil dans le territoire de destination. Il s'agit aussi d'alléger la charge de travail des professionnels. Nous espérons gagner collectivement en lisibilité dans ce domaine.

En ce qui concerne le développement de l'offre sur place et de la coopération entre la Guyane et les Antilles, destiné à limiter les évacuations sanitaires vers la métropole, je précise que, depuis peu, la Guyane propose une offre de cardiologie interventionnelle, alors que, auparavant, les patients devaient se rendre aux Antilles ou en métropole. Depuis le mois d'avril, une équipe de Martinique se rend à Cayenne une fois par mois pour traiter les patients sur place et former les équipes locales ; cette coopération permettra à l'équipe guyanaise de gagner en compétences et en autonomie, pour, à moyen terme, prendre en charge elle-même ses patients, y compris en urgence. Les patients les plus complexes continueront d'être pris en charge en Martinique, dans des conditions plus favorables, puisque les équipes auront appris à travailler ensemble.

C'est donc un modèle de coopération gagnant-gagnant que nous souhaitons mettre en place et que la Guyane pourra dupliquer à d'autres filières de soins. Il s'agit, je le répète, de renforcer l'offre de soins sur place pour limiter les évacuations sanitaires, très lourdes à supporter pour les patients et leur famille.

J'ajoute qu'un nouveau chef du service des urgences a été recruté à Cayenne en septembre 2018 : le docteur Pujo, qui a notamment pour mission de restructurer les évacuations sanitaires, dans le cadre d'une amélioration de la collaboration avec les Antilles.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour la réplique.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le secrétaire d'État, on vous entend, mais cela ne peut plus durer. Il faut effectivement allouer les moyens nécessaires pour remédier à la fois au déficit de l'offre de soins et à la dérive en matière d'évacuations sanitaires. À Saint-Martin, nous avons trouvé un palliatif à cette dérive, qui était liée au déficit de l'offre de soins, mais également au fait que certaines évacuations pouvant relever de la desserte aérienne régulière se faisaient par évacuation sanitaire, avec un coût démultiplié.

Nous espérons que ce gouvernement nous prêtera une oreille plus attentive que par le passé, afin que les Guyanais puissent bénéficier de la même qualité de soins que l'ensemble de nos compatriotes.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie de votre intervention impartiale et objective ; elle reflète la réalité.

Le 23 janvier dernier a été signé l'arrêté de création du groupement hospitalier de territoire de Guyane, le GHTG. Première étape dans la structuration de l'offre de soins hospitalière, ce regroupement est censé aider les centres hospitaliers de Saint-Laurent-du-Maroni, de Kourou et de Cayenne à mieux travailler ensemble, au bénéfice des patients.

Force est néanmoins de reconnaître que des inquiétudes persistent au sein du personnel médical, notamment concernant l'organisation médicale et administrative du GHTG. Je me suis permis de les relayer par un courrier que je vous remettrai à l'issue de ce débat, monsieur le secrétaire d'État.

Système de soins sous tension, désertification médicale, difficultés d'accès aux soins, formation des professionnels… Mes collègues de la commission des affaires sociales ont pu l'observer : la Guyane doit relever de nombreux défis, amplifiés par le retard accumulé en matière d'infrastructures médicales.

Face à ces enjeux, monsieur le secrétaire d'État, comment la création de ce groupement hospitalier de territoire permettra-t-elle d'améliorer vraiment l'offre de soins dans toute la Guyane, jusque dans les sites les plus isolés ?

Par ailleurs, le code de la santé publique prévoit que tous les groupements hospitaliers de territoire soient associés à un centre hospitalier universitaire. Pour l'heure, une telle structure n'existe pas en Guyane, alors que sa présence constitue un enjeu en matière de développement et d'attractivité. Je rappelle que la création d'un CHU en Guyane figure parmi les engagements du protocole d'accord du 9 juin 2017, arraché après soixante-quinze jours de grève et dont je suis l'un des cosignataires. Dans la continuité de la mise en place du GHTG, quels engagements le Gouvernement peut-il prendre quant à la création d'un CHU en Guyane et d'une UFR de médecine au sein de l'université de Guyane ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Karam, le groupement hospitalier de territoire de Guyane est une réalité depuis le début de 2019. C'est le GHT le plus étendu de France. Il regroupe les trois hôpitaux publics du territoire : Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni.

Contrairement aux craintes qui s'étaient exprimées avant sa constitution, le GHT prend forme. Les équipes médico- soignantes se voient régulièrement et travaillent sur un projet médical partagé. Une prochaine session est d'ailleurs prévue en octobre prochain à Sinnamary.

Les hôpitaux s'entraident sur le plan de leurs ressources médicales par des envois réciproques de renforts ponctuels en fonction des besoins ; ils s'entraident aussi en orientant les patients entre eux. Ils travaillent sur une stratégie commune en matière de systèmes d'information, ainsi que de ressources humaines. Il s'agit, pour les hôpitaux publics, d'avancer de concert et de ne pas se faire de concurrence, notamment en termes de recrutement, au regard de la pénurie actuelle et d'un environnement global que nous savons fragile.

Enfin, sur le plan des achats, le programme Performance hospitalière pour des achats responsables, dit Phare, a démarré le 30 septembre dernier. Soutenu par le ministère de la santé, ce programme va permettre de mutualiser et de structurer les achats des trois établissements de santé, et ainsi contribuer à améliorer l'offre de soins sur le territoire.

Les spécificités de chaque hôpital et de chaque territoire me semblent être mieux comprises et respectées. Soyez convaincu, monsieur le sénateur, de la forte volonté de l'agence régionale de santé de s'inscrire dans ce mouvement et de celle du ministère de s'assurer, si besoin était, qu'il en sera bien ainsi. Quant à la création d'un CHU, je me permettrai de répondre à cette question dans la suite du débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, pour la réplique.

M. Antoine Karam. Monsieur le secrétaire d'État, la création d'un CHU n'est peut-être pas une fin en soi, mais cette demande marque la volonté forte des Guyanais de ne plus être les spectateurs impuissants de leur destin. Nous voulons renverser cette table pour changer l'image désastreuse d'un système de santé défaillant depuis bien longtemps. Nous restons donc mobilisés, vigilants et déterminés !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je faisais partie de la délégation de la commission des affaires sociales qui s'est rendue en Guyane et en Guadeloupe du 22 au 27 avril 2018.

Lors de ce déplacement, nous avons pu constater, outre les conséquences désastreuses de l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, l'attente des Guyanaises et des Guyanais à la suite notamment du mouvement social de 2017, qui avait débouché sur les accords de Cayenne. Comme l'a souligné mon collègue Antoine Karam, l'engagement avait été pris, au travers du protocole de fin de conflit, de transformer le centre hospitalier de Cayenne en centre hospitalier universitaire. Le dossier est aujourd'hui au point mort ; monsieur le secrétaire d'État, j'ai du mal à comprendre pourquoi un territoire tel que celui de la Guyane, qui compte près de 300 000 habitantes et habitants, ne dispose pas d'un centre hospitalier universitaire. En l'absence d'un CHU, les étudiantes et les étudiants guyanais sont contraints de quitter leur territoire pour terminer leur formation. Cette mobilité forcée renforce les difficultés de la Guyane en matière d'attractivité, mais aussi d'accès aux soins. Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais donc savoir où en est ce projet : quand va-t-il réellement déboucher ?

Enfin, j'avais interpellé la ministre des outre-mer en décembre 2018 sur le mal-être des populations amérindiennes de Guyane, à la suite d'une vague de suicides. Le taux de suicide est de dix à vingt fois plus élevé que dans l'Hexagone, et les populations amérindiennes, qui souffrent de discrimination et d'isolement, sont particulièrement touchées. Je souhaiterais donc savoir quelles mesures vont être mises en place pour enrayer cette vague de suicides et renforcer les moyens alloués au suivi psychologique et psychiatrique, ainsi qu'à l'amélioration des conditions de vie de ces populations.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, ma réponse sera un peu technique, mais il est important de rappeler les règles. Désigner un établissement de santé comme CHU est une prérogative de l'université, qui dispose de sa propre stratégie de développement en tant qu'établissement autonome. Le développement de départements universitaires repose sur la définition d'une stratégie et la création de filières de recrutement d'enseignants. Actuellement, il n'existe pas de département de médecine au sein de l'université de Guyane.

Le modèle d'avenir pour le centre hospitalier de Cayenne est avant tout, me semble-t-il, celui de la consolidation en tant qu'établissement de référence. Le ministère des solidarités et de la santé soutiendra fortement le développement de la recherche en Guyane et l'affirmation de ce centre hospitalier comme établissement de référence.

J'en viens à votre seconde question. Le rapport parlementaire Archimbaud avait permis d'attirer l'attention sur la problématique des suicides et tentatives de suicide au sein de la population amérindienne. On constate ces dernières années que les personnes concernées sont de plus en plus jeunes.

Le programme « bien-être des populations de l'intérieur », doté de 1,5 million d'euros à débloquer sur trois ans, a été conçu avec la population pour soutenir l'émergence de projets locaux et renforcer les facteurs protecteurs, notamment liés à l'estime de soi. Sachez que l'ARS travaille en ce moment sur la mise en place de la formation nationale de prévention du suicide, d'une ligne téléphonique d'écoute du type « SOS Kriz », du dispositif VigilanS de recontact de personnes ayant tenté de mettre fin à leurs jours ou encore d'un observatoire du suicide.

Au-delà, l'un des objectifs de ma visite programmée en Guyane est d'essayer de mieux comprendre ce phénomène et d'y apporter les réponses les plus appropriées. Nos jeunes étant touchés de plus en plus tôt, c'est une question qui relève aussi de la protection de l'enfance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Je trouve mes collègues ultramarins extrêmement patients… Au travers de vos réponses, vous ne prenez pas du tout en compte les retards qui se sont accumulés en termes de politiques publiques, notamment en matière de santé. Il faut vraiment passer à une vitesse supérieure ! Les paroles doivent être suivies d'effet. Or les moyens financiers et humains manquent cruellement.

C'est en tout cas ce que j'ai ressenti en entendant vos réponses, mais j'espère que vous allez changer d'orientation – on peut toujours rêver !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. La santé en Guyane est une préoccupation majeure pour la France. Les difficultés que nous connaissons en métropole sont exacerbées dans ce territoire et se surajoutent aux problématiques locales qui mettent déjà le système de santé sous tension.

Les assises des outre-mer ont révélé que l'accès aux soins est la priorité absolue en matière de santé pour les Guyanais. La Guyane est à la fois le deuxième plus vaste territoire de France et le deuxième moins densément peuplé. Quelque 20 % de la population est issue de l'immigration, souvent clandestine, et ne dispose de ce fait d'aucune couverture sociale. Le taux de pauvreté de l'ensemble du pays atteint 44 %, et le taux de fécondité 3,5 enfants par femme.

L'éloignement de toute une partie de la population du système de santé retarde le dépistage, en particulier pour le VIH. La Guyane présente une surmortalité liée au sida par rapport à la métropole. Les hôpitaux des villes frontalières telles que Saint-Laurent-du-Maroni sont particulièrement sollicités. Cela invite la France à développer des accords de coopération transfrontalière en matière de santé avec le Brésil et le Suriname.

Au regard de la situation sociale et géographique de la Guyane, la politique sanitaire locale ne peut être une déclinaison de la politique sanitaire nationale. Nous devons l'adapter pour qu'elle réponde aux besoins de la population, comme le prévoit l'article 73 de notre Constitution.

Monsieur le secrétaire d'État, les accords du 21 avril 2017 signés à Cayenne ont permis de débloquer un milliard d'euros, notamment pour venir en aide au système de santé du pays, qui peine à se moderniser. Quel bilan dressez-vous de l'intervention de l'État, et que reste-t-il à faire pour que chaque Guyanais ait accès aux soins, quel que soit son lieu de vie ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, la Guyane est un territoire qui connaît un nombre important de spécificités, dont une situation épidémiologique inquiétante et des populations isolées. Le Gouvernement, au travers des accords de Cayenne, a effectivement décidé d'investir massivement. Il me semble un peu prématuré de faire dès à présent un bilan de ces investissements au profit de la Guyane. Je me permettrai de revenir sur ce sujet en coordination avec la ministre des outre-mer.

La plupart des dispositions sont en cours de déploiement : je pense notamment à la création du groupement hospitalier territorial ou aux maisons de santé pluridisciplinaires. J'entends les impatiences qui s'expriment à ma gauche et je peux les comprendre : pendant trop longtemps, le territoire guyanais, et plus largement l'ensemble des outre-mer, n'ont pas fait l'objet de l'attention et des investissements nécessaires pour rattraper le retard pris par rapport à la métropole et garantir à l'ensemble de nos concitoyens un accès aux soins égalitaire.

Les accords de Cayenne, ou encore la trajectoire outre-mer 5.0 que la ministre des outre-mer a présentée et qui porte sur des sujets dépassant largement la seule question de la santé, montrent la volonté de ce gouvernement d'offrir à nos concitoyens d'outre-mer des droits équivalents à ceux dont bénéficient leurs compatriotes de l'Hexagone.

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d'État, je vous invite vivement à aller sur le terrain. Pour ma part, je peux dire que je n'ai pas été déçu du voyage en Guyane ! En tant que médecin, j'ai pu y constater un certain nombre de difficultés. Je n'imaginais pas qu'un territoire français puisse connaître des problèmes de santé que l'on ne voit plus dans l'Hexagone depuis un certain nombre d'années. Je remercie M. le président de la commission de m'avoir associé au déplacement qu'il a organisé en Guadeloupe et en Guyane.

Les indicateurs montrent qu'il existe en Guyane une forte prévalence des maladies infectieuses – cela peut se comprendre du fait de la climatologie –, mais également des maladies chroniques : la population de diabétiques a ainsi doublé en dix ans et le taux de décès précoces dus à des maladies cardio-vasculaires prises en charge trop tardivement est inacceptable.

Vous avez rappelé que le volet relatif à l'outre-mer de la stratégie nationale de santé 2018-2022 évoque notamment une « trajectoire de rattrapage de la qualité du système de santé par rapport à l'Hexagone ». Il me semble que, au-delà d'un rattrapage, le contexte doit aussi nous inviter à faire de la Guyane un laboratoire d'innovation pour notre système de santé, en s'appuyant sur la créativité volontariste des équipes de terrain.

Monsieur le secrétaire d'État, comptez-vous faire de la Guyane une zone prioritaire pour la mise en place d'expérimentations ? L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 le permet. Des protocoles de coopération rénovés, tels que prévus par la loi Santé, pourraient être déployés. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Il est prévu que j'aille en Guyane, monsieur le sénateur. Je le dis en toute humilité à M. Karam et à l'ensemble des sénateurs ultramarins, on ne peut pas comprendre réellement les problématiques auxquelles nos compatriotes d'outre-mer sont confrontés sans se rendre sur place. J'attends donc ce déplacement avec beaucoup d'impatience.

Je partage votre intérêt pour l'innovation sociale en toutes matières qui se déploie sur nos territoires, en outre-mer ou dans l'Hexagone. Nous devons évaluer ces expérimentations avant d'éventuellement les généraliser. Il n'est nul n'est besoin de réinventer le fil à couper le beurre chaque matin.

La Guyane s'est très vite mobilisée pour tirer parti de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018. Sur l'initiative des acteurs locaux et de l'ARS, des projets ont été mis en oeuvre dans ce cadre, concernant en particulier des spécialités en tension. Je citerai deux exemples à cet égard.

En matière d'ophtalmologie, les équipes de l'ARS ont accompagné le centre hospitalier de Cayenne et un cabinet d'ophtalmologie de ville pour permettre la réalisation de petits actes chirurgicaux hors milieu hospitalier dans un cadre sécurisé et respectueux des conditions d'hygiène, incluant les patients dans une logique de filière ville-hôpital avec une coordination dans toutes les étapes du parcours de santé. Cette expérimentation vise à répondre à la dégradation de la démographie médicale.

En matière de diabétologie, la Guyane vient de répondre à l'appel national à manifestation d'intérêt relatif à l'incitation à une prise en charge partagée. Je ne développerai pas ce point, car le temps me manque.

Le ministère suit de près ces projets guyanais et leur apporte un appui technique et méthodologique.

S'agissant enfin de l'accompagnement et de la formation proposés aux équipes locales, des crédits ont été délégués aux ARS pour aider à leur financement. Quatre domaines prioritaires ont été identifiés dans un décret de juillet 2018 : les pathologies chroniques stabilisées, la cancérologie, les maladies rénales chroniques et, depuis 2019, la psychiatrie et la santé mentale.

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

M. René-Paul Savary. Vous n'avez pas du tout répondu à ma question, monsieur le secrétaire d'État. Elle portait sur l'expérimentation, l'innovation, la délégation de tâches, la possibilité de confier le dépistage et les vaccinations à d'autres acteurs que des médecins puisque ceux-ci manquent. C'est cela que l'on attend ! Je suis désolé de vous contredire, mais il faut, en Guyane, réinventer le fil à couper le beurre. Sans cela, l'état de santé des Guyanaises et des Guyanais ne se sera pas amélioré à la fin de ce quinquennat !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja.

M. Gérard Poadja. Je me suis aperçu que, en matière de santé, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie ont des problématiques communes : un territoire étendu, difficile d'accès, à cause de la forêt dans un cas, à cause de l'océan dans l'autre ; une offre de soins concentrée dans les villes-centres, Nouméa ou Cayenne, même si, en Calédonie, le territoire est mieux irrigué par des dispensaires et des maisons de santé, un hôpital ayant récemment été construit au nord.

Parmi les points communs, je m'attarderai sur les difficultés des centres de santé, hôpitaux ou dispensaires à trouver des médecins, notamment spécialistes. Cette pénurie de médecins a des causes multiples que l'on connaît bien : le numerus clausus, la faible attractivité du statut des praticiens, notamment en ce qui concerne la rémunération, les contraintes de la profession en termes de garde la nuit et le week-end. En conséquence, non seulement nos territoires n'arrivent plus à attirer de médecins, mais en plus la sous-densité médicale conduit les médecins en place à l'épuisement, au renoncement. Il y a bien des « médecins-sac à dos » qui viennent régulièrement de métropole, mais ils ne restent que trois mois, six mois au plus, le temps d'un stage, le temps de la découverte du pays.

Monsieur le secrétaire d'État, l'AP-HP a engagé un partenariat en 2018 avec la Guyane pour envoyer des médecins spécialistes dans les établissements déficitaires : où en est-on de ce partenariat ? Seriez-vous favorable au développement des compétences de certains professionnels de santé – infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes – pour faciliter, en cas de nécessité, la suppléance des médecins dans les territoires déficitaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Poadja, la densité médicale du département de Guyane est trois fois inférieure à la moyenne nationale, et la moyenne d'âge des praticiens y est élevée.

Afin d'améliorer la situation, une mesure dérogatoire a été adoptée au début de 2005 pour permettre le recrutement de médecins étrangers diplômés hors de l'Union européenne.

Pour attirer davantage de médecins, la Guyane a bénéficié du dispositif « assistants spécialistes à temps partagé ». Encore trop peu connu, ce dernier permet à de jeunes médecins ayant soutenu leur thèse de poursuivre leur formation par un assistanat de deux années, effectuées l'une en métropole et l'autre en Guyane. En 2019, l'ARS de Guyane a mené une opération de promotion très offensive qui a permis de faire mieux connaître ce dispositif. L'évaluation finale de cette opération est en cours de réalisation.

Par ailleurs, l'ARS de Guyane développe actuellement, en partenariat avec la caisse générale de sécurité sociale du territoire, une plateforme d'appui aux professionnels de santé permettant d'apporter des réponses claires, complètes et validées à tous les candidats potentiels et aux professionnels installés.

En outre, comme vous l'avez indiqué, l'ARS de Guyane a contractualisé avec l'AP-HP en 2018 pour mieux structurer les relations, les supervisions, la recherche de partenariats ainsi que de candidats de part et d'autre de l'océan. Cette convention produit des effets intéressants pour certaines filières. Elle facilite en effet l'intégration en Guyane de jeunes professionnels dont beaucoup craignaient une forme de solitude médicale. Pour accroître le déploiement de cette convention, l'ARS de Guyane a recruté un agent de liaison entre la Guyane et l'AP-HP qui aide concrètement les professionnels à entrer en contact, à développer des projets de collaboration et à assurer leur pérennisation, bref à donner de l'ampleur au dispositif que nous avons créé.

Enfin, concernant l'évolution des pratiques autorisées au personnel paramédical pour suppléer l'absence de médecins, le recours à des infirmiers en pratique avancée sous coordination médicale peut être une réponse. L'ARS se mobilise pour l'application du plan Ma santé 2022, dont c'est un des dispositifs centraux. Les modalités de mise en application des protocoles nationaux seront simplifiées et soumises à validation par l'ARS, et non plus par la Haute Autorité de santé.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. La définition d'une politique de coopération sanitaire entre le Suriname et la Guyane viendrait non seulement organiser les rapports qui existent déjà, mais permettrait aussi de rééquilibrer la prise en charge des patients en tirant profit des atouts de chacune des structures hospitalières de part et d'autre du Maroni.

De fait, les deux territoires ont en commun de devoir faire face à une situation sociale marquée par une grande précarité et un accès limité aux soins. Mais en Guyane, les conditions de prise en charge sociale relativement plus favorables génèrent une pression migratoire qui vient fortement grever les capacités d'accueil du centre hospitalier de l'Ouest guyanais. Ce nouvel établissement, que vous venez d'inaugurer, subit ainsi les mêmes contraintes que le précédent, à savoir une demande supérieure à sa capacité d'accueil, une patientèle souvent en situation irrégulière, voire ne parlant pas français.

Or le fleuve Maroni, s'il matérialise une frontière, est aussi l'axe d'un bassin de vie qui pourrait constituer une zone de coopération sanitaire, voire un espace dans lequel un parcours de soins est envisageable. À cet égard, le Premier ministre avait souhaité qu'une étape significative de la redéfinition de la coopération sanitaire puisse être franchie avant septembre 2018 et confié une mission en ce sens à Mme Dominique Voynet. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d'État, quelles sont les pistes dégagées par cette mission et leur degré de mise en oeuvre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me permettre de compléter mes propos au sujet de cette mission.

À la suite d'un déplacement du Président de la République en 2017 en Guyane et en raison de fortes pressions sur l'hôpital de l'ouest guyanais du fait d'un nombre important de patientes surinamaises, une mission a été confiée à Dominique Voynet et au préfet Renouf afin de renouveler les modalités de la coopération sanitaire entre la Guyane et le Suriname, mais aussi entre Mayotte et les Comores.

L'objectif de cette mission était d'aboutir à la signature d'un accord entre les deux États qui aurait comporté un volet sanitaire substantiel. Un comité technique a été réuni, et trois groupes de travail ont été constitués : le premier sur la coopération interhospitalière dans le bassin Albina-Saint-Laurent-du-Maroni, le deuxième sur les soins de santé primaires dans le bassin du fleuve Maroni et le troisième sur les soins spécialisés en Guyane et au Suriname.

Des freins indépendants de l'objet de la mission ont été identifiés : ils ont trait au tracé frontalier de la couverture santé au Suriname, dont 20 % de la population ne serait pas couverte, et à la présence d'orpailleurs brésiliens en situation irrégulière sur les deux rives. Le dernier déplacement de la mission au Suriname a eu lieu entre les 3 et 6 avril dernier, pour une réunion du groupe de travail franco-surinamien sur la coopération en matière de santé.

En parallèle de la mission, l'ARS a poursuivi ses travaux avec les autorités sanitaires du Suriname. Engagés depuis plusieurs années, ils ont pour objectif de rapprocher les communautés médicales des deux pays et d'accentuer la coopération selon les complémentarités des deux systèmes de santé.

Une déclaration d'intention a été rédigée entre l'ARS et le ministère de la santé du Suriname en janvier 2017, puis une mission conjointe ARS-caisse générale de sécurité sociale a été organisée en octobre 2018 pour envisager les modalités d'accès des patients guyanais aux équipements de radiothérapie de l'AZP, l'Academisch Ziekenhuis Paramaribo.

Enfin, sachez que l'ARS coopère également avec le Brésil dans la prise en charge du paludisme. Le projet Malakit permet la mise à disposition de kits de diagnostic et d'auto-traitement du paludisme et la dispensation d'une formation adaptée dans les zones transfrontalières ciblées.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour la réplique.

M. Michel Magras. Monsieur le secrétaire d'État, certains problèmes propres à nos territoires trouvent leur cause, mais aussi leur solution, dans la prise en compte du contexte. Ce qui est valable pour la Guyane l'est aussi pour les autres territoires et collectivités d'outre-mer. Une telle approche intégrée me semble être la meilleure des voies pour nos territoires et pour la France, mais elle nécessite, comme c'est souvent le cas, des solutions dérogatoires et innovantes par rapport au droit existant, ce qui appelle un arbitrage politique fort, ferme et assumé. Ces dernières années, mes collègues et moi-même n'avons pas toujours eu le sentiment d'être considérés de cette manière.

Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.

Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président de la commission, je vous remercie d'avoir pris l'initiative de ce débat.

Terre française en Amérique du Sud, la Guyane accueille le fleuron qu'est le centre spatial de Kourou, base de lancement qui suscite un intérêt certain à l'échelle mondiale.

Toutefois, sur le plan sanitaire et médico-social, de nombreux indicateurs montrent que la situation est critique, voire préoccupante. Ce territoire éloigné de l'Hexagone et enclavé manque cruellement de moyens humains, au niveau tant médical que médico-technique, ainsi que d'équipements performants et adaptés à une pratique médicale et paramédicale de haute qualité.

Les problèmes liés à la diversité des populations sont prégnants, notamment dans l'ouest guyanais et le bassin du fleuve. Il importe de prendre en considération la santé des femmes et l'accompagnement périnatal, compte tenu du taux de mortalité infantile. Il est surtout urgent de mettre en oeuvre les actions de prévention primaire et d'éducation à la santé de façon innovante et plurilingue, afin de lutter contre les maladies infectieuses et d'améliorer la santé sexuelle et reproductive jusqu'à la parentalité.

Eu égard à la difficulté d'attirer des médecins, il faut favoriser le développement de maisons de santé pluridisciplinaires pour couvrir au mieux ce territoire étendu, dont les différentes communes sont séparées par des distances importantes.

Interrompues depuis 2005, les collectes de sang doivent reprendre de manière urgente. En effet, il est impératif de prélever le sang en Guyane pour répondre aux besoins de prise en charge des patients drépanocytaires, afin d'éviter des résistances auto-immunes. Il existe aujourd'hui des tests performants pour détecter la maladie de Chagas et le paludisme. Il faut limiter les transports de produits sanguins depuis l'Hexagone ou les Antilles, notamment ceux de plaquettes, ces dernières ayant une courte durée de vie.

Par ailleurs, il serait nécessaire d'envisager la création d'un CHU en Guyane.

Monsieur le secrétaire d'État, quels dispositifs comptez-vous mettre en place en Guyane, compte tenu de la diversité des problématiques et des situations que nous venons d'évoquer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez abordé la plupart des problématiques auxquelles est confronté le territoire guyanais. Je pense avoir déjà apporté des débuts de réponses et, si vous me le permettez, je concentrerai mon propos sur la question de la collecte de sang en Guyane, sujet particulièrement intéressant dont personne n'a parlé jusqu'à présent.

Comme vous l'avez indiqué, la collecte de sang en Guyane a été arrêtée en 2005 en raison de la prévalence de la maladie de Chagas et du paludisme et de la survenue, à l'époque, d'accidents de transfusion avérés.

Sachez, madame la sénatrice, que la reprise de la collecte est envisageable si tant est, évidemment, que les conditions de sécurité soient réunies. Une expertise, à savoir une analyse épidémiologique portant sur la maladie de Chagas, le paludisme et le VIH et l'établissement des différents scénarios à retenir, a été demandée à l'Établissement français du sang et à Santé publique France, afin de dresser un état de la situation et d'éclairer notre décision concernant un éventuel rétablissement de la collecte de sang sur le territoire. Si vous le souhaitez, nous vous tiendrons au courant de l'avancée de cette expertise et des décisions qui en découleront. (Mme Victoire Jasmin opine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Le 1er février 2019, trois ans après la promulgation de la loi de modernisation de notre système de santé, le GHT de Guyane est devenu le cent trente-sixième de France. Il réunit les trois établissements publics de santé guyanais, à savoir les centres hospitaliers de Cayenne, de Kourou et de Saint-Laurent-du-Maroni.

Cette évolution repose sur un long travail préparatoire, mais elle ne va pas sans soulever quelques interrogations, dès lors qu'il s'agit du plus vaste GHT de France.

Parallèlement, la récente loi de modernisation de notre système de santé a engagé l'acte II des GHT, avec la généralisation de la mise en place d'une commission médicale de groupement et la mutualisation de la gestion des ressources humaines médicales.

Or la capacité des établissements guyanais à développer un projet médical se heurte à la situation de spécialités qui évolue « au fil de l'eau », au gré des arrivées et des départs de médecins. Certaines spécialités sont en souffrance de manière ponctuelle, d'autres, comme la cardiologie ou la chirurgie, de façon récurrente, dans un territoire qui, je le rappelle, ne compte que six professeurs des universités–praticiens hospitaliers.

En outre, la perspective de mutualisation des filières médicales ne va pas sans poser des questions en matière d'accès aux soins sur un territoire aussi vaste, avec un enjeu essentiel d'équilibre entre les établissements parties au groupement.

Monsieur le secrétaire d'État, quelle stratégie comptez-vous déployer pour renforcer le pôle hospitalier guyanais dans le respect des équilibres du territoire ? En l'absence de CHU, comment entendez-vous valoriser l'attractivité médicale et préserver les filières d'excellence sur ce territoire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Milon, avant d'évoquer la question de l'attractivité médicale, je tiens à redire que conférer le caractère universitaire au centre hospitalier de Cayenne est une prérogative exclusive de l'université, qui dispose de sa propre stratégie de développement au regard des besoins prioritaires du territoire et de ses atouts. Le développement de départements universitaires repose sur la définition de stratégies et la création de filières de recrutement d'enseignants – professeurs des universités, maîtres de conférences des universités, post-doctorants –, encore inexistantes dans les départements universitaires déjà mis en place en Guyane. Il n'existe pas de département de médecine à l'université de Guyane aujourd'hui – le plus proche se trouve en Guadeloupe – et une telle création ne figure pas dans les projets actuels de l'université.

Le modèle d'avenir, pour le centre hospitalier de Cayenne, est davantage celui de sa consolidation comme établissement de référence, avec des activités d'excellence dans certaines disciplines médicales, en lien avec l'UFR de médecine de Guadeloupe. La création d'un CHU, une fois encore, est pour l'instant difficile à envisager.

Pour autant, le ministère de la santé soutient fortement le développement de la recherche en Guyane, comme en témoigne la construction programmée d'un grand bâtiment dédié à la recherche au centre hospitalier de Cayenne. Nous sommes convaincus que celui-ci peut être un établissement de référence pour l'ensemble de notre territoire, notamment pour tout ce qui concerne la lutte contre les maladies infectieuses.

S'agissant de l'attractivité médicale, des campagnes de promotion du statut d'assistant spécialisé à temps partagé conçues et financées par l'ARS ont été lancées. Un parcours attentionné des professionnels de santé qui s'installent sur le territoire a également été mis en place. Enfin, une convention entre l'AP-HP et l'ARS a été signée pour soutenir les filières en grande difficulté. Cette convention a vocation à être déployée encore davantage, grâce notamment au recrutement d'un référent chargé d'accompagner l'arrivée en Guyane de professionnels de santé et de pérenniser leur installation dans le territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. La santé en Guyane est une préoccupation majeure, et cela ne date pas d'aujourd'hui. En effet, notre appareil de soins n'est absolument pas adapté aux réalités de ce territoire, qui s'étend sur plus de 80 000 kilomètres carrés et connaît une croissance démographique très forte.

Ainsi, l'inégale répartition de l'offre de soins a pour conséquence une crise sanitaire qui s'accompagne indéniablement d'une grande précarité, d'autant que la Guyane est confrontée à de nombreuses pathologies infectieuses et chroniques ou à des problèmes spécifiques, comme la drépanocytose.

Contrairement à ce qu'affirment certains, ce n'est pas à la Guyane de s'adapter au système de santé hexagonal, mais plutôt au système de santé de s'adapter à la Guyane ! Les Guyanais ne peuvent plus se contenter de trois hôpitaux et de dix-huit centres délocalisés de prévention et de soins dans des zones reculées et difficiles d'accès. L'offre de soins y est marquée par un niveau d'équipement de deux à trois fois inférieur à celui observé dans l'Hexagone ! Les projections démontrent en outre que les besoins en ressources humaines seront très importants dans les années à venir. D'ici à 2030, il faudra ainsi que s'installent, en exercice libéral, au moins 71 médecins généralistes, 51 spécialistes, 33 chirurgiens-dentistes, 13 sages-femmes et 162 infirmières. Et que dire des forts besoins en matière de périnatalité, du retard important dans l'accueil des adultes handicapés, des difficultés rencontrées par les jeunes en insertion pour se procurer les médicaments qui leur ont été prescrits ?

Il est plus que temps de mettre fin à cette crise permanente de l'offre de soins, car l'aide financière apportée par l'État n'effacera pas durablement le passif des hôpitaux de Cayenne, de Saint-Laurent-du-Maroni et de Kourou. Il faut des mesures d'urgence fortes et spécifiques. Cela pourrait passer par la création d'un nouveau CHU – cela est entériné –, le développement d'une coopération régionale pérenne et l'annulation de la dette des hôpitaux publics.

Monsieur le secrétaire d'État, envisagez-vous la mise en oeuvre de ces mesures d'urgence ? Quelles dispositions concrètes le Gouvernement entend-il adopter pour remédier à cette situation catastrophique ? La Guyane est une terre de paradoxes, une terre des infinis : infiniment grande par sa capacité à permettre l'exploitation de l'espace, infiniment petite par son incapacité à lutter avec efficacité contre les petits virus pathogènes. (Mmes Laurence Cohen et Nassimah Dindar ainsi que M. Antoine Karam applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le sénateur : c'est au système de santé de s'adapter à la Guyane, et non l'inverse.

On observe justement une forte adaptation du système de santé aux spécificités de la Guyane, comme en témoignent la création en janvier 2019 du GHT, pour favoriser la coopération entre les établissements, développer les prises en charge médicales ou une politique d'achats adaptée, et celle de cinq MSP, pour améliorer l'accès aux soins dans le territoire.

En outre, il faut rappeler l'aide constante de l'État aux hôpitaux : je pense au projet d'investissement du centre hospitalier de Cayenne, qui a été financé à 100 %, ou encore au nouvel hôpital, aux capacités étendues, de Saint-Laurent-du-Maroni, bénéficiant d'une aide de l'État à hauteur de 55 millions d'euros. Nous faisons confiance aux hôpitaux pour redresser leur situation avec une activité en constante augmentation. La création d'un CHU ne serait en rien une solution pour améliorer la prise en charge des Guyanais à Cayenne. Le recrutement de professionnels et d'une équipe de direction stable est un signe encourageant de redressement, nous semble-t-il.

En outre, nous souhaitons travailler de concert avec la collectivité territoriale de Guyane pour renforcer les moyens de la protection maternelle et infantile. Michèle Peyron a rendu il y a quelque temps un rapport sur ce sujet qui m'est cher : nous nous appuierons sur lui pour prendre un certain nombre de décisions.

Sachez enfin qu'une campagne de rattrapage vaccinal est envisagée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne.

Mme Chantal Deseyne. Monsieur le secrétaire d'État, notre commission a adopté au début du mois de juillet dernier un rapport formulant plusieurs propositions en vue de renforcer la prévention des infections par le VIH et d'améliorer la prise en charge des personnes vivant avec ce virus. L'enquête que notre commission avait demandée à la Cour des comptes fait état d'une concentration des nouvelles infections dans trois régions : Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Guyane.

Grâce à la montée en puissance des traitements préventifs, comme la PrEP, la prophylaxie préexposition, on observe enfin, en 2018, une baisse du nombre des nouvelles infections à Paris, dans le cadre de l'initiative « Vers Paris sans sida ».

La situation est beaucoup plus problématique en Guyane, où l'accès aux traitements préventifs est nettement moins aisé. Pourtant, selon le comité de coordination régionale de lutte contre le VIH, le Corevih Guyane, la prévalence du VIH chez les plus de quinze ans était en 2016 de 1,6 % en Guyane, contre 0,5 % en France métropolitaine. L'épidémie en Guyane est principalement alimentée par les migrations, notamment en provenance d'Haïti. La propagation de l'épidémie s'explique également par le développement de chantiers illégaux d'orpaillage et les phénomènes de prostitution qui peuvent s'y rattacher.

Monsieur le secrétaire d'État, quels moyens le Gouvernement compte-t-il mobiliser pour maximiser la prévention dans ce territoire, en particulier auprès des jeunes ? Pourquoi ne pas avoir étendu à la Guyane l'expérimentation « Au labo sans ordo », qui permet d'effectuer un dépistage en laboratoire des infections sexuellement transmissibles remboursé sans ordonnance ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, alors que le nombre de personnes contaminées par le VIH a tendance à baisser dans l'Hexagone, la Guyane reste le département le plus touché par ce virus. Parmi les patients suivis en 2018, 91 % étaient sous traitement antirétroviral, dont 94 % présentant une charge virale indétectable.

La principale difficulté rencontrée en Guyane reste le dépistage, à la fois insuffisant et trop tardif. Cette difficulté est liée, d'une part, à une densité encore trop faible de ressources humaines sur le territoire, et, d'autre part, au fait que les populations cibles sont particulièrement difficiles d'accès, en raison de l'immensité du territoire, du manque de voies d'accès et du caractère disséminé de l'habitat.

La politique de l'agence régionale de santé de Guyane consiste donc à promouvoir fortement le dépistage du VIH, à plusieurs titres. Elle vise ainsi à instaurer un dépistage répété régulièrement selon les populations considérées et les pratiques ; diversifié dans ses modalités pour correspondre aux besoins et aux conditions de vie des populations ; ciblé prioritairement sur l'épidémie cachée et les groupes particulièrement vulnérables qu'elle concerne ; accompagné et adapté aux diversités culturelles et linguistiques, en prenant notamment en compte l'analphabétisme important de certaines populations ; combiné avec celui d'autres pathologies ; enfin, au plus près des populations, selon le principe dit « d'aller vers » bien connu dans les domaines sanitaire et médico-social, avec des équipes mobiles de santé associées à des médiateurs culturels.

La stratégie de prise en charge évolue progressivement vers une autonomisation des patients.

Par ailleurs, la lutte contre le VIH est un volet important de la politique de coopération, notamment avec le Brésil à travers le programme « Oyapock coopération santé », qui a permis de renforcer l'offre de prévention et de réduire les risques de contamination : du côté guyanais, un traitement pré-exposition ou PrEP a été mis en place ; du côté brésilien, l'équipe française a soutenu la mise en place d'une offre similaire dans la ville brésilienne frontalière d'Oiapoque.

Enfin, l'expérimentation « Au labo sans ordonnance » porte sur le remboursement d'un examen de biologie médicale non prescrit, réalisé à la demande du patient. Il s'agit d'un remboursement dérogatoire qui a été accepté jusqu'à présent par deux caisses primaires d'assurance maladie volontaires, celles de Nice et de Paris. Il est en vigueur depuis le 1er juillet 2019. Nous attendons de connaître les résultats de cette expérimentation avant, éventuellement, de l'étendre à la Guyane, voire à d'autres territoires.


Source http://www.senat.fr, le 9 octobre 2019