Interview de M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire chargé des retraites, à France-Info le 18 octobre 2019, sur la mise en place de la réforme des retraites et le calendrier du déploiement du dispositif.

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Intervenant(s) : 
  • Jean-Paul Delevoye - Haut-commissaire chargé des retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Jean-Paul DELEVOYE.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Bonjour.

MARC FAUVELLE
Haut-commissaire chargé de la réforme des retraites. Une première grève interprofessionnelle est prévue le 5 décembre prochain contre votre réforme. Est-ce qu'Emmanuel MACRON vous a demandé de l'assouplir ou de l'adoucir ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Le cap est resté le même. C'est très curieux de voir que quand il y a une loi et que l'on impose la loi, il y a des reproches, et quand on fixe un cap et qu'on dit : « Il y a des sujets sur lesquels tout est sur la table et on peut en discuter », tout le monde s'étonne de ce dialogue. Il y a des choses qui ne se discutent pas. C'est un système par répartition, c'est un système qui a vocation à se baser sur toute la carrière, à points et dont l'objectif est de favoriser une redistribution vis-à-vis des 40 % des retraites les plus faibles vis-à-vis des femmes et vis-à-vis des précaires.

MARC FAUVELLE
Ça veut dire qu'à part ce principe, tout le reste est négociable. On a ouvert le débat et hier à Lons-le-Saunier, c'était exactement cela.

MARC FAUVELLE
Vous participiez avec Edouard PHILIPPE à un échange avec les Français.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Par exemple, les questions qui ont été posées sur les solidarités pour les mamans. Aujourd'hui, seuls les papas et mamans trois enfants, les pères et mères de trois enfants, ont des majorations. Si vous avez un enfant, deux enfants, vous avez des trimestres qui quelquefois ne servent à rien puisqu'ils n'augmentent pas votre pension et vous avez 0 % d'augmentation de votre pension. Notre projet que nous mettons en débat, c'est de dire : « Redistribuons tout cela et commençons à donner des majorations dès le premier enfant. »

MARC FAUVELLE
Donc ce sera 5 % à l'avenir dès le premier enfant, c'est ça ? C'est tranché ou pas ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, c'est en débat.

MARC FAUVELLE
10 % pour le deuxième ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Est-ce qu'on garde le système actuel ou est-ce qu'au contraire on répond, et c'était hier une question directement adressée au Premier ministre par une jeune femme qui a dit : « moi je suis seule, j'ai un enfant et c'est absolument anormal que je n'aie pas de majoration. » Ça, c'est un vrai un vrai sujet en débat. Le deuxième sujet, c'est la transition.

MARC FAUVELLE
J'allais vous poser la question. Dans un document de travail que vous avez envoyé aux partenaires sociaux, vous envisagez un report de l'entrée en vigueur de cette réforme. Jusqu'ici on pensait, mais peut-être qu'on se trompait, que seuls les Français nés à partir de 1963 seraient concernés. Là, vous êtes en train d'ouvrir votre grand document avant de répondre, ce qui m'inquiète un tout petit peu.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, non…

MARC FAUVELLE
Est-ce que ça veut dire que ce point-là il est négociable ou pas du tout ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
J'ai ramené mon document, pourquoi ? Ça, il est paru le 10 juillet.

MARC FAUVELLE
C'était déjà dans votre rapport, mais le fait de le redire aujourd'hui aux partenaires sociaux, vous comprenez bien le sens que ça a.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais attendez, à partir du moment où je mets dans le rapport qu'il y a des options, que je rencontre en bilatérale, j'allais dire face à face, les organisations syndicales et que je reprenne cette option du rapport, en quoi cela est-il surprenant ?

MARC FAUVELLE
Ça signifie, pour être très clair Jean-Paul DELEVOYE, que finalement la future réforme pourrait s'appliquer plutôt aux générations suivantes, c'est-à-dire aux Français nés à partir de 64, 65, 66, 70.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Nous gardons le cap, mais il ne vous a pas échappé que sur les quarante-deux régimes, il y a quarante-deux situations différentes et que donc si l'objectif est très clairement identifié, les chemins pour l'atteindre sont totalement adaptés. Intégrer les primes les enseignants, ça nécessite dix ou quinze ans. D'autres peuvent basculer immédiatement. Donc on va concilier la diversité des situations et l'unicité de l'objectif avec donc des chemins adaptés.

MARC FAUVELLE
Ça veut dire que tous les Français ne basculeront pas en même temps dans la réforme. Il y aura plusieurs systèmes qui vont donc encore cohabiter.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il y aura un point de départ qui sera unique et une durée de transition qui sera adaptée à la situation de chacun. Nous allons offrir à chaque profession libérale la capacité de concilier le niveau de cotisation, qu'il n'y ait pas de charges supplémentaires sur leur outil économique. Même chose pour les agriculteurs, même chose pour toutes les corporations. J'ai trois cent cinquante réunions de programmées profession par profession. On a rencontré les enseignants avec monsieur BLANQUER, on a rencontré les militaires avec madame PARLY, je rencontre tout à l'heure les policiers avec monsieur CASTANER…

MARC FAUVELLE
Donc chacun ira à son rythme dans la réforme.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Chacun ira à son rythme en fonction de l'acceptabilité sociale, de la situation de départ et du point d'arrivée.

MARC FAUVELLE
Il y a un autre scénario dans le texte que vous avez envoyé aux partenaires sociaux, c'est ce qu'on appelle la clause du grand-père. Je vais tenter d'être clair. La réforme ne s'appliquerait qu'à ceux qui entrent dans le marché du travail à partir de 2025 ; pour les autres, pas de changement. Ça veut dire que les effets de votre réforme, Jean-Paul DELEVOYE, on les sentirait quand ils partiraient à la retraite, c'est-à-dire dans les années 2060 si j'ai bien compté. Est-ce que ça aussi c'est une piste ? La clause grand-père ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais quelle surprise ! Le 10 juillet, j'écrivais : « on peut partir à la génération 63. Il peut s'agir soit d'appliquer à une génération postérieure, soit aux nouveaux entrants sur le marché du travail. »

MARC FAUVELLE
Vous faites une réforme qui va peut-être s'appliquer dans la deuxième moitié de ce siècle.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Tout était écrit, tout était écrit. Et donc il n'y a pas de surprise. Comment voulez-vous ouvrir un débat si au moment de discuter, vous fermez le débat ? Donc tout est sur la table, et en fonction des positions des uns et des autres, il y aura ensuite une décision qui sera prise. Mais au nom de quoi vous écartez une hypothèse plutôt qu'une autre ?

MARC FAUVELLE
Les régimes spéciaux, Jean-Paul DELEVOYE, il y en a quarante-deux aujourd'hui.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, non. Il n'y a pas quarante-deux régimes spéciaux.

MARC FAUVELLE
Il y en a combien ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il y a quarante-deux caisses et ça dépend ce que vous appelez régimes spéciaux. Le régime universel a pour but de supprimer tous les régimes spéciaux mais de garder certaines spécificités. Pour les artisans, les commerçants, les agriculteurs.

MARC FAUVELLE
Alors je vous pose ma question différemment…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Vous visez par exemple la RATP, la SNCF.

MARC FAUVELLE
Aujourd'hui certaines professions comme les policiers mettent en avant la spécificité de leur travail, leurs conditions parfois très difficiles. Comment dans un système à points on va tenir compte de cette pénibilité ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Aucun problème. Nous avons pris la décision donc de supprimer tous les régimes spéciaux mais de garder quelques spécificités, et notamment pour toutes les professions qui engagent la sécurité du peuple français, à savoir les policiers, les surveillants pénitentiaires, les militaires.

MARC FAUVELLE
Les pompiers.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Les contrôleurs aériens, les pompiers, les policiers municipaux. Or cela, à métier identique retraite identique. Et donc nous allons effectivement mettre un terme à toute une série de catégories actives sur la RATP, à la SNCF, les gaziers, avec des chemins de convergence que nous sommes en train de discuter.

MARC FAUVELLE
Donc on reconnaîtra bien la pénibilité. Un policier à l'avenir ne partira pas à la retraite à soixante-deux ans.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il y a effectivement aujourd'hui des départs anticipés liés à la spécificité de leur métier parce qu'il est difficile d'imaginer qu'un militaire puisse engager un assaut à soixante-quatre ans, qu'un policier assure la sécurité de votre quartier au-delà d'un certain âge donc nous tenons compte…

MARC FAUVELLE
Vous n'avez pas cité les conducteurs de bus, de train ou de métro. Vous considérez qu'ils font partie de la même catégorie ou pas ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non. A métier identique, retraite identique. Le chauffeur de bus de Bordeaux doit avoir la même retraite que le chauffeur de bus à Paris.

MARC FAUVELLE
Mais on pourrait l'aligner sur le régime de Bordeaux ou de Paris. Vous, vous dites : « on va l'aligner plutôt sur celui de Bordeaux qui est moins favorable. »

JEAN-PAUL DELEVOYE
Aujourd'hui, nous avons un tiers des Français qui partent avant soixante-deux ans. Un tiers à soixante-deux, un tiers après. Et l'on voit bien que les conditions ayant changé, on peut parfaitement imaginer que tout le monde puisse partir à soixante-deux ans.

MARC FAUVELLE
Un mot également, Jean-Paul DELEVOYE, de la situation des régimes autonomes. Vous avez été confronté ces derniers jours à plusieurs mouvements des avocats, des pilotes d'avion, des médecins qui sont donc dans ce régime autonome et qui ne comprennent pas pourquoi on va leur demander, dans certains cas, de cotiser beaucoup plus. Certains vont passer, disent-ils, de quatorze points de cotisation à vingt-huit qui va les obliger, disent-ils en tout cas, à mettre la clé sous la porte. « On ne pourra pas supporter ça. » Qu'est-ce que vous leur répondez ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Faux arguments. Si nous voulons embarquer tout le monde dans un régime universel, tout le monde a le même taux de cotisation : vingt-huit. Nous leur avons proposé, et par écrit, de dire que ce passage de quatorze à vingt-huit est impossible si cela se traduit par le doublement des charges. Donc comment travailler… Et avec les avocats, nous avons déjà eu sept réunions, avec les médecins aussi. Comment travailler pour faire en sorte que nous puissions, par un certain nombre de dispositions notamment d'adaptation fiscale - c'est un peu technique - faire en sorte que ce passage de quatorze à vingt-huit se fasse sans augmentation de charges ?

MARC FAUVELLE
Merci à vous, Jean-Paul DELEVOYE. Ça va être long encore avant qu'on connaisse la réforme ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Alors ce qui est intéressant, c'est que vous pouvez en tant que citoyen participer à la plateforme.

MARC FAUVELLE
Ce n'est pas tout à fait ma question. Ça va être long encore ou pas ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, non. On a prévu…

MARC FAUVELLE
A quel moment on connaîtra ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Moi je ferai fin décembre un certain nombre d'arbitrages que je présenterai, et puis chaque citoyen a la faculté sur la plateforme participerreforme.fr soit d'émettre un avis, soit d'émettre des propositions soit de me questionner directement.

MARC FAUVELLE
Merci infiniment Jean-Paul DELEVOYE, Haut-commissaire à la réforme des retraites.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 octobre 2019