Texte intégral
Q - Avec Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne, l'Europe affiche de grandes ambitions politiques et économiques. Le futur budget pluriannuel de l'Union actuellement en discussion sera-t-il à la hauteur ?
R - Si le point de départ de la négociation entre Etats, c'est untel refuse de verser au pot plus de 1% de son PIB alors que le parlement européen est prêt à aller à 1,3%, nous n'avancerons pas. Car ce sera un combat de chiffres sans fin. Le budget européen est alimenté par deux sources : majoritairement par des versements des pays issus des budgets nationaux et très marginalement par des ressources propres provenant de contribuables qui ne sont pas (ou peu) taxés sur le marché intérieur (essentiellement des droits de douane). Il n'y aura effectivement pas d'accord entre les pays dits frugaux, comme le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède, et ceux qui demandent davantage au titre de la cohésion si on ne sort pas de la question des contributions nationales. Lever l'impôt est une question de souveraineté nationale, et l'Europe ne peut rien imposer. Chaque pays est libre de décider ce qu'il veut faire de ses impôts et de ses dépenses. Pour mettre en cohérence le discours politique et les moyens financiers, nous devons obligatoirement avancer sur la question des ressources propres.
Q - N'est-ce pas un serpent de mer des discussions budgétaires en Europe ? Quelles pistes sont sur la table ?
R - Un certain nombre d'acteurs, dans le numérique, l'industrie ou la finance, bénéficient du marché intérieur sans contribuer financièrement à son bon fonctionnement. Ils doivent le faire davantage désormais. C'est tout l'enjeu des ressources propres. D'où les réflexions sur une taxe numérique, la création d'une contribution sur les plastiques non recyclés ou la compensation carbone aux frontières. Certaines de ces pistes sont mûres, notamment lorsqu'elles sont en cohérence avec nos objectifs en matière d'environnement et de climat.
Q - Lesquelles ?
R - La contribution sur les plastiques non recyclés est sans doute la plus avancée. Le mécanisme de compensation carbone aux frontières est un dossier que nous voudrions boucler dans les douze à dix-huit mois qui viennent. Il faut bien voir que le Parlement européen a fait de cette question une ligne rouge. Sans accord sur la création de nouvelles ressources propres, il n'y aura pas de deal sur le budget. C'est la clef. D'autant que, pour l'instant, la question du recours à l'endettement pour financer tel ou tel projet est taboue. Je ne dis pas qu'il faut s'endetter, mais quand vous voyez les centaines de millions d'euros dépensés par les Etats-Unis et la Chine dans l'innovation dans un contexte de taux d'intérêt bas, on peut aussi se poser la question, non ?
Q - Les agriculteurs français craignent d'être les grands perdants du futur budget. À tort ?
R - Certainement pas, et c'est pour nous tout l'enjeu de l'avenir de la politique agricole commune (PAC). À quoi doit-elle d'abord servir ? À soutenir le revenu des agriculteurs, accompagner la transition agroécologique et structurer les filières, aider au développement rural pour permettre aux agriculteurs d'investir et de se diversifier. Evidemment, nous devons adapter la PAC aux nouveaux défis environnementaux et climatiques ainsi qu'à l'instabilité des marchés. Mais nous ne ferons pas demain la même chose que ce que nous avons fait hier, car nous ne pouvons qu'en constater les limites. Pour autant, il est hors de question de raboter le budget. La PAC doit être une PAC qui accompagne la transition, sécurise les revenus et les investissements d'avenir. C'est aussi un outil de souveraineté pour l'alimentation et la production agricole, pour la gestion de l'espace agricole et productif, qui est considérable. Or nous n'y mettons que 0,3% de notre PIB, c'est vraiment très peu... alors que les consommateurs réclament des produits sains et de bonne qualité ! Ceux qui nous disent que la PAC est "has been" n'ont rien compris !
Q - La Commission souhaite verdir sa politique et donc le budget de l'UE... Comment ?
R - Puisque l'Union européenne s'est fixé comme objectif d'arriver à la neutralité carbone en 2050, nous devons dépenser de l'argent pour le faire. Il faut donc mettre en cohérence les ressources et les dépenses pour que ce budget 2021-2027 puisse concrétiser le Pacte vert promis par Ursula von der Leyen. 40% du budget doit être lié à la transition environnementale, dont 30% à la lutte contre le changement climatique et 10% à la préservation de la biodiversité et la pollution. Si nous sommes en dessous, nous n'aurons pas les moyens de faire ce que nous avons promis. L'Europe se mettrait alors elle-même en échec.
Q - Et quid du budget de la zone euro, ou du moins ce qu'il en reste ?
R - Ce qui est déjà beaucoup, c'est que le principe même de son existence a été acté pour favoriser l'investissement et la convergence économique entre les Etats. Certes, à 17 milliards d'euros seulement, il est encore de trop petite taille pour l'enjeu. La réserve d'eau est là. Et ma bataille sera de créer les vannes pour y brancher des tuyaux, c'est-à-dire de nouvelles ressources, et augmenter ainsi son niveau ! Si nous attendons 2027 pour le réabonder, nous aurons perdu trop de temps.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2020