Texte intégral
RENAUD BLANC
Bonjour Amélie de MONTCHALIN.
AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.
RENAUD BLANC
Secrétaire d'Etat chargée des Affaires européennes. Que vaut ce projet de loi alors qu'il y a autant d'inconnues notamment sur son financement ?
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord il vaut son objectif, recréer de la confiance pour les jeunes générations qui ont grandi dans un pays où de manière régulière on leur disait « il y a un trou dans le système des retraites et globalement on n'est pas sûr que vous quand vous serez à la retraite il y aura encore des gens pour payer pour vos retraites ». C'est une réforme de confiance, elle se mettra en place graduellement, les gens qui ont mon âge, qui ont 30 ans, 34 ans dans mon cas, on avait besoin je crois de comprendre que le système des retraites allait pouvoir être adapté à la vie professionnelle qu'on va mener. Notre génération, les jeunes d'aujourd'hui, les Français qui aujourd'hui ont moins de 45 ans, qui sont ceux pour qui cette réforme va s'appliquer, savent qu'ils n'auront pour la plupart d'entre eux pas la carrière de leurs parents, on ne rentre pas aujourd'hui dans une entreprise pour y faire 40 ans de carrière et donc on a besoin d'avoir une réforme qui correspond au monde du travail d'aujourd'hui.
RENAUD BLANC
Vous parlez d'une réforme de confiance, lorsqu'on voit tous les sondages, entre 60 et 70 % des Français ne font pas confiance dans ce gouvernement quand on parle de cette réforme des retraites, ils sont pour changer effectivement éventuellement de système mais ils disent « non, le Gouvernement finalement on n'a pas confiance dans ce qu'il est en train de nous proposer », c'est quand même énorme comme chiffre !
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je vois moi c'est qu'il y a eu dans la méthode une phase complexe où beaucoup, beaucoup de choses fausses, beaucoup d'arguments qui ne correspondaient pas à la réforme ont été échangés.
RENAUD BLANC
Y compris, je vous signale, parmi certains ministres qui se sont pris les pieds dans le tapis en annonçant des choses assez abracadabrantesques pour reprendre une expression chiraquienne !
AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui on un texte sur la table du Conseil des ministres, on va avoir un débat parlementaire, ça va nous permettre de clarifier énormément de points parce que ce qui sera dans le texte sera dans le texte, ce qui n'y sera pas n'y sera pas !
RENAUD BLANC
Oui mais un débat parlementaire lorsque l'on ne connaît pas encore le coût de la réforme à quoi peut-il servir ce débat ? Parce que, excusez-moi, Amélie de MONTCHALIN, vous êtes quelqu'un de très carré, vous aimez les chiffres, alors est-ce que vous pouvez me donner le coût général de la mise en oeuvre de cette réforme ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais là on n'est pas dans un débat budgétaire, on est dans un débat de principe, comment on veut organiser notre système ? Un, on veut la même caisse pour tous les Français, deux, on veut corriger les injustices notamment qui concernent les femmes, les indépendants, les agriculteurs, trois, on veut que notamment sur la pénibilité, sur les conditions de travail, sur l'emploi des seniors on fasse des choses qui fonctionnent mieux qu'aujourd'hui, ça c'est dans la réforme.
RENAUD BLANC
On veut aussi connaître un peu le coût de la réforme, c'est quand même très important quand on voit le déficit de la France aujourd'hui !
AMELIE DE MONTCHALIN
Depuis mon engagement pour En Marche, c'est un engagement qui vient du fait qu'on arrête de faire payer aux générations suivantes la facture des décisions difficiles qu'on n'assume pas et donc, oui, on assume que cette réforme sera équilibrée budgétairement. On a décidé, le Premier ministre l'a encore dit très bien ce matin dans une interview…
RENAUD BLANC
Dans La Croix.
AMELIE DE MONTCHALIN
…on a décidé de le faire avec une concertation parce qu'on voyait bien que les arguments qu'on avait proposés manifestement devaient être concertés pour qu'ils puissent faire l'unanimité ou en tout cas faire consensus. Et donc le 30 janvier on va réfléchir à quel est le chemin qu'on emprunte pour arriver à l'équilibre budgétaire quand cette réforme va commencer à porter ses fruits.
RENAUD BLANC
Oui mais en avril on aura terminé avec cette conférence de financement, si on n'arrive pas à l'équilibre parce que j'ai bien compris que l'équilibre était quelque chose d'extrêmement important pour le Gouvernement qu'est-ce qui se passe, on revient à l'âge pivot et aux 64 ans et à ce moment-là Edouard PHILIPPE assume ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais je ne vais pas vous dire ce qu'il fera à ce moment-là puisque ça dépendra des débats qui auront eu lieu, peut-être qu'il y a des idées très intéressantes que nous n'avions pas vues qui vont émerger de cette conférence de financement. Moi je pense que les syndicats réformistes, le Gouvernement se sont mis dans une position avec une obligation de résultat, chacun a fait un pas, maintenant tout le monde a l'obligation de sortir de cette discussion avec un résultat crédible, c'est ce qu'on va essayer de faire, je crois que la motivation est totale. Ce que je vois aussi c'est qu'il y a des gens qui sont aujourd'hui dans une impasse, la CGT aujourd'hui est dans une impasse parce que d'un côté elle ne contrôle plus sa base et on voit des actes radicaux illégaux se produire et de l'autre côté continue à répéter en boucle qu'elle veut le retrait de la réforme qui va se faire, qui va se faire ! Et à côté de ça vous avez des gens comme Ségolène ROYAL ou d'autres qui nous tiennent des discours objectivement irresponsables, qui disent qu'il faudrait continuer à anesthésier le pays avec des potions apaisantes pour que les Français continuent de ne pas voir les difficultés qui s'annoncent et que quand ils se réveilleront comme depuis 30 ans ceux qui ont promis la pilule apaisante seront déjà partis.
RENAUD BLANC
Des Français qui ne sont toujours pas convaincus, vous reconnaissez que vous avez été très mauvais dans les explications et dans la démonstration de cette réforme ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi ce que je vois c'est que les Français ne connaissaient pas le système actuel, c'est que…
RENAUD BLANC
Ils ont du mal à connaître le futur système aussi…
AMELIE DE MONTCHALIN
Oui mais aussi parce que le point de départ aujourd'hui est tellement complexe, chacun a une relation au système des retraites d'aujourd'hui très différente et donc quand on dit « le système actuel est comme ci, comme ci, comme ça » il y a beaucoup de Français qui soit ne le voient pas comme ça soit ne le vivent pas comme ça. Vous savez, on nous dit il faudrait un simulateur, bien sûr qu'on va faire des simulateurs mais est-ce qu'aujourd'hui dans le système actuel on a des simulateurs ? Est-ce qu'il y a un site quelque part qui me dit « les gens qui ont mon âge est-ce qu'ils peuvent quelque part savoir quel sera leur retraite ? » Bien sûr que non ! Donc on va faire des choses, on va le faire de manière transparente, apaisée, on va le faire dès qu'on aura clarifié au Parlement un certain nombre de paramètres qui sont des sujets de débat public.
RENAUD BLANC
Apaisée, aujourd'hui on ne peut pas dire que la France soit particulièrement apaisée, très franchement, Amélie de MONTCHALIN…
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais je pense que si on en est là aujourd'hui c'est parce que le Premier ministre a été à la fois très calme, très ferme sur l'objectif mais, on le voit, ouvert sur la méthode et on va y arriver.
RENAUD BLANC
Vous avez quand même sorti beaucoup le carnet de chèques, chaque corporation tente d'obtenir quelque chose, l'impact sur le déficit sera réel !
AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui les régimes spéciaux c'est neuf milliards d'euros d'impôts par an que tous les Français mettent au pot. Donc il y a un coût mais est-ce qu'on peut aussi le comparer au coût d'aujourd'hui d'un système non performant qui n'est pas équilibré et qui par ailleurs nous demande déjà de rajouter tous, de payer tous pour un système qui ne tient plus debout ? Donc il y a bien sûr un coût, il y a bien sûr des investissements, payer plus les professeurs et les chercheurs je crois que c'est un investissement nécessaire dans notre pays pour, on ne le fait pas que pour les retraites, on le fait aussi parce que c'est un engagement collectif pour avoir des compétences plus fortes demain dans notre société. Mais on oublie toujours de voir le coût du système d'aujourd'hui et le coût de si on ne faisait rien. Si on ne faisait rien je peux vous dire que le coût serait énorme, on le voit bien, il n'est pas équilibré et aujourd'hui nous coûte déjà très cher. Donc il faut toujours sur ces sujets garder l'effet, vous dîtes que je suis quelqu'un de carré, je pense que quand on est carré on regarde la réalité d'aujourd'hui, on regarde ce qu'on veut faire demain et bien sûr…
RENAUD BLANC
Et on regarde quand même aussi le coût de cette réalité de ce sera demain et là on a quand même toujours beaucoup, beaucoup de mal avec ce gouvernement à voir où on va financièrement parlant.
AMELIE DE MONTCHALIN
Quand vous avez les femmes qui touchent 42 % de moins de retraite que les hommes ça a un coût gigantesque mais celui-là on a l'impression qu'on n'a pas le droit d'en parler. Donc le coût c'est aussi de se dire qu'on crée un système juste, un système lisible et un système plus équitable et ça a un coût, oui, ça a un coût. Mais je tiens à rappeler que dans l'équation totale de notre économie nous avons décidé que nous dépenserions 14 points de PIB pour les retraites comme aujourd'hui, donc vous voyez bien qu'on est dans quelque chose qui est aussi raisonnable, on n'est pas en train de faire exploser la facture comme certains parfois très à droite nous le feraient croire.
RENAUD BLANC
Amélie de MONTCHALIN, vous êtes secrétaire d'Etat chargée des Affaires européennes, on passe à l'Europe et au Brexit, 31 janvier sortie officielle des Anglais de l'Europe, on est partis tout de même pour de nouvelles négociations marathon !
AMELIE DE MONTCHALIN
Déjà on est partis pour une situation où je crois qu'il faut qu'on dise la vérité, derrière les festivités qui s'annoncent, derrière les tweets, derrière les photos de Boris JOHNSON et de ses amis il y a quand même une vérité dont plus personne ne parle, c'est que le 1er février le Royaume-Uni est seul, les Britanniques sont seuls, c'est-à-dire que quand ils nous disent qu'ils veulent faire des accords avec les Etats-Unis ils n'auront pas les 500 millions d'Européens pour que l'accord soit équilibré. Quand ils auront à négocier avec la Chine, la Russie ou je ne sais pas qui ils seront seuls. Et donc je pense qu'il faut aussi se rappeler que le Brexit c'est aussi un choc majeur pour les Britanniques et qu'il faut bien être conscient que ce n'est pas qu'un sujet de relations avec nous, c'est aussi un sujet pour les Britanniques de relations avec le monde. Ce qui est certain c'est que nous Européens il va falloir qu'on ait des garanties, il va falloir qu'on comprenne comment les Britanniques veulent continuer d'être des voisins et des concurrents loyaux.
RENAUD BLANC
Mais comment vous le sentez très franchement Boris JOHNSON ? Lui il veut aller très vite !
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi je sens aujourd'hui qu'il y a une incohérence, on ne peut pas demander aux Européens de boucler un accord commercial en 11 mois montre à la main, top chrono, à toute vitesse et nous dire en même temps qu'ils voudraient diverger, c'est-à-dire ne pas avoir les mêmes règles que nous sur tout un tas de sujets. Moi je peux vous dire que la France a une ligne très claire, nous ne sacrifierons aucun citoyen, aucune entreprise sous couvert d'aller vite, on prendra le temps qu'il faut. Pendant de temps-là c'est la période de transition, les Britanniques continuent d'appliquer des règles européennes parce que, que ce soit dans le domaine environnemental. Je prends un exemple, on vient annoncer un pacte vert, on vient d'expliquer que l'Europe voulait avoir la neutralité carbone en 2050. Dans ce pacte vert on dit des choses sur les normes de production, sur les pesticides dans l'agriculture, donc on dit des choses qui vont être des contraintes supplémentaires, qu'on pense nécessaires pour notre économie. Tant que les Britanniques ne nous auront pas dit comment eux ils veulent arriver à cet objectif si c'est toujours le leur on a un problème.
RENAUD BLANC
C'est très intéressant le pacte vert, parce que vous êtes en pleines négociations actuellement entre l'Europe et les Etats-Unis. Comment peut-on négocier avec un pays qui ne reconnaît pas les accords de Paris, alors que dans le pacte vert…
AMELIE DE MONTCHALIN
Nous ne négocions pas. La France, au mois de mai, a eu une position très forte, elle a dit qu'il était hors de question, hors de question là aussi de sacrifier à la fois notre ambition climatique et notre agriculture, sur l'autel d'intérêts industriels que les Etats-Unis…
RENAUD BLANC
Ce n'est pas le positionnement justement de tous les pays européens.
AMELIE DE MONTCHALIN
Oui. Ça n'était déjà pas le…
RENAUD BLANC
Et ça c'est bien le problème de l'Europe, une nouvelle fois.
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais au mois de mai, la France avait fait entendre sa voix, et avait rappelé qu'il était hors de question de signer des accords commerciaux avec des pays qui n'appliquent pas les accords de Paris. Notre position au mois de mai était celle-là, elle est toujours la même, puisque je crois qu'aux Etats-Unis, les choses n'ont pas changé sur ce point. Donc là aussi, vous voyez qu'on a des principes, pas des principes idéologiques dogmatiques, on a des principes qui sont des principes que les citoyens demandent d'avoir.
RENAUD BLANC
Mais vous reconnaissez que l'Europe ne parle pas d'une même voix sur des sujets aussi importants.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que j'ai vu, c'est que dans le pacte vert qu'Ursula VON DER LEYEN a présenté il y a 10 jours, il était écrit que nous mettrions le climat au coeur de nos accords commerciaux. Eh bien là on a un test de cohérence, il va falloir qu'on nous explique très clairement pourquoi ce qu'on écrit le lundi, bizarrement est dit autrement, voyez, la semaine suivante. Ce qui est certain pour nous, c'est que l'agriculture et le climat, ce sont des secteurs et des enjeux trop importants pour que, eh bien en catimini, par la fenêtre, on fasse revenir des choses qu'on avait nous condamnées et sur lesquelles on s'était opposé.
RENAUD BLANC
Une dernière question. Retour en France Amélie de MONTCHALIN, les municipales approchent, il y a une ville évidemment que l'on regarde avec toujours beaucoup d'intérêt, c'est Paris. Est-ce que vous demandez à Cédric VILLANI, est-ce que vous souhaitez que Cédric VILLANI soit exclus de la République En Marche ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, je crois que ce n'est pas le sujet. Ce qu'on doit faire c'est d'abord nous assurer qu'on ait les conditions de l'alternance, pour avoir l'alternance il faut qu'on soit unis, on est une famille qui doit pouvoir présenter un projet uni à Paris…
RENAUD BLANC
Ce n'est pas vraiment bien parti de ce côté-là.
AMELIE DE MONTCHALIN
Non, c'est ce que j'appelle. Mais vous savez, sur les municipales, j'ai une réflexion, parce que parfois on nous dit : voilà, vous n'avez pas d'ambitions sur les municipales. Pendant 2 ans on nous a dit qu'on était des gens arrogants, parce qu'on voulait dégager tout le monde, on pensait tous savoir mieux faire que les autres. Sur les municipales, on a eu un constat très clair : 75 % des Français sont satisfaits de l'action de leur maire. Imaginez si notre action et notre volonté avaient été de faire partir tous ces maires-là et de les remplacer ? Là ça aurait été de l'arrogance absolue. Donc nous, sur les municipales, on a trois objectifs : un, que la France aille mieux, donc là où les maires font du bon travail, qu'on puisse les soutenir. Deux, faire entrer une nouvelle génération d'élus, des gens qui peut-être ne participaient pas à la vie communale, les faire entrer dans les conseils municipaux pour qu'ils portent nos idées. Et trois, eh bien apporter justement des projets nouveaux dans les communes, qui soient liés à la mobilité, à la solidarité entre les générations, qui soient liés à l'éducation. Donc c'est ça qu'on porte. On porte, voyez, sur ce sujet, vraiment des idées de terrain, et des projets locaux. Il y a des endroits…
RENAUD BLANC
Et si je vous comprends bien, il y a du boulot à Paris.
AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a des endroits où évidemment il faut qu'on réalise l'alternance, parce que je pense qu'à Paris on doit faire beaucoup mieux, et donc notre objectif c'est d'arriver comme une famille unie, dans un combat qui est difficile, mais où il faut qu'on soit un et pas deux.
RENAUD BLANC
Merci Amélie de MONTCHALIN d'avoir répondu à mes questions, la secrétaire d'Etat chargée des Affaires européennes, l'invitée de Radio Classique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 janvier 2020