Extraits d'un entretien de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, avec France Culture" le 27 janvier 2020, sur le Brexit.

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Média : France Culture

Texte intégral

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Q - Amélie de Montchalin, votre dossier du moment, c'est bien sûr le Brexit, qui devient une réalité vendredi, même si s'ouvre, pendant un an, une période de transition. Il vous faut maintenant, au niveau de l'Union européenne, négocier un accord commercial avec le Royaume-Uni. Mais le Premier ministre britannique Boris Johnson semble faire du chantage. Selon le Times, il aurait évoqué la menace de taxes douanières pour faire pression sur les Européens, dans le cadre de cette discussion qui s'ouvre, on parle notamment de 30% sur certains fromages français. Comment discuter avec un tel partenaire ?

R - Je vais être très claire. Sur tous ces sujets, on n'est pas dans le bon état d'esprit. On doit recréer avec les Britanniques un cadre commercial, un cadre économique, qui soit loyal et qui soit équilibré. Vous savez là, je suis au coeur de la Seine-et-Marne, avec des agriculteurs. Pour eux, le Brexit, c'est un sujet d'inquiétude. Et c'est pour ça qu'on va être très clair, et que Michel Barnier est très clair, en tant que négociateur pour l'Union européenne. Nous ne pouvons pas accepter que les Britanniques mettent à nos portes, et mettent dans nos assiettes, mettent dans ce qui arrivera de chez eux en Europe, dans les années et les mois qui viennent, des produits qui ne respectent pas nos normes. Pourquoi ? On s'impose une grande révolution de transition écologique, un paquet vert, un green deal en Europe. Evidemment qu'il va falloir que ce qui nous arrive du Royaume uni respecte les engagements qu'on prend ici ! On dit par exemple qu'on veut réduire par deux la consommation de pesticides et de produits phytosanitaires. Est-ce que les Britanniques vont faire de même ? Vous voyez bien que pendant quarante ans, on a vécu avec les mêmes règles. On a exporté vers le Royaume-Uni, on a importé du Royaume-Uni, mais c'était équilibré, c'était loyal. Donc moi, je ne rentre pas dans du chantage....

Q - Donc attention, dites-vous, au dumping social et fiscal ?

R - Evidemment ! Et on ne signera pas un accord, si c'est un mauvais accord. On signera un accord que s'il est équilibré, et loyal. Je sais très bien que le Royaume-Uni nous dit on a onze mois, et pas un jour de plus, pas une heure de plus pour se mettre d'accord. Mais, vous savez, je n'ai pas de problème à ce que cela dure deux ans, si c'est le temps qu'il faut pour qu'on ait des garanties pour nos pêcheurs, pour nos agriculteurs, pour nos patrons d'entreprise qui font avec les normes européennes, et c'est comme ça qu'ils ont vécu. Et d'ailleurs, ils sont assez intéressés à garder les mêmes parce que pour faire du commerce, c'est toujours plus simple, vous savez, de faire les choses de manière réciproque. Donc le Brexit, pour être claire, ce qui se passe à la fin de la semaine, c'est une sortie politique. C'est qu'il n'y a plus de député britannique au parlement européen, c'est qu'il n'y a plus de commissaire britannique à la commission européenne, c'est qu'il n'y a plus de ministre dans les réunions de ministres. Mais, pour nos entreprises, cela veut dire que les règles, pendant au moins un an, s'appliquent de part et d'autre du tunnel sous la Manche, au Royaume-Uni et en Europe. Mais cela veut surtout dire qu'on est très clair sur un point : le calendrier, il existe, mais on ne sacrifiera ni une entreprise, ni un citoyen parce qu'on nous dire qu'il faudrait se dépêcher.

Q - Et vous ne céderez pas au chantage de Boris Johnson ?

R - Non, je pense qu'on est dans un temps qui est le choix des Britanniques, ils ont fait le choix de quitter politiquement l'Union européenne. Eh bien, nous allons créer avec eux une relation future qui sera différente. Mais on veut le faire comme de bons voisins, avec du bon voisinage. Et la vie de l'Europe doit aussi pouvoir continuer. On ne veut pas non plus être pris en otage de la discussion. Il y a des choses très importantes qui se négocient aujourd'hui, demain, le 20 février avec un sommet sur le budget européen. Ce sont des enjeux essentiels, c'est notre souveraineté alimentaire, sur la PAC par exemple, qui va être déterminée, c'est tout ce qu'on veut faire dans la recherche... Donc, ce budget européen, il faut aussi qu'on ait le temps et la liberté d'esprit de se dire que oui, il y a le Brexit, et puis il y a l'Europe qui continue à côté.

Q - Merci, Amélie de Montchalin.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 janvier 2020