Texte intégral
JEAN-JASQUES BOURDIN
Amélie de MONTCHALIN est avec nous, secrétaire d'Etat chargée des Affaires européennes. Bonjour.
AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un mot quand même, enfin quelques mots, parce que sur ce plan Trump-Netanyahou, au Proche Orient, au Moyen Orient, est-ce que la France peut accepter que Jérusalem devienne la capitale indivisible de l'Etat hébreu ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ecoutez, je crois que la réaction du Quai d'Orsay ce matin, c'est de dire on est toujours admiratif et on est toujours en soutien de ceux qui veulent proposer des solutions et on n'a pas de problème avec ça. Maintenant, il faut que ce soit réaliste. Et donc on a, nous, la vision d'une solution à deux Etats et donc on ne changera pas ce plan et…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est ce que propose TRUMP. Deux Etats mais quels Etats ?
AMELIE DE MONTCHALIN
On a besoin d'avoir des garanties pour la paix. On voit bien que le but, là, ce n'est pas de faire des effets d'annonce. C'est de protéger la paix dans cette région et cette solution, on le sait, n'est pas une solution qui apporte la paix. Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Donc vous rejetez ce plan Trump.
AMELIE DE MONTCHALIN
On ne le rejette pas mais on pense qu'il n'apporte pas les garanties suffisantes pour que la paix soit assurée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que vous ne le rejetez pas mais vous dites que c'est un mauvais plan.
AMELIE DE MONTCHALIN
On va travailler pour que la paix soit assurée. C'est ça notre but.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un mauvais plan, Amélie de MONTCHALIN.
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est un plan qui ne correspond pas aux demandes et aux exigences françaises.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous dites non à ce plan. Vous dites non à ce plan !
AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne dis pas non, je vous dis que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, non, non, Amélie de MONTCHALIN ! Dites-moi la vérité ! Vous dites non à ce plan.
AMELIE DE MONTCHALIN
Nous disons que les garanties apportées pour la paix sont importantes et donc c'est là-dessus qu'il faut qu'on travaille.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord. Bon ! Amélie de MONTCHALIN est notre invitée ce matin. Un peu de pub et ensuite je vais vous parler évidemment du Brexit puisque vous êtes là pour ça, mais vous êtes là aussi pour répondre encore une fois à monsieur TRUMP qui, lui, a l'intention de faire pression sur l'Union européenne pour pouvoir exporter ses poulets chlorés et son boeuf aux hormones. On en parle dans deux minutes. (…)
- Bien, Amélie de MONTCHALIN est avec nous, Secrétaire d'Etat chargée des Affaires européennes. Amélie de MONTCHALIN, Donald TRUMP fait pression sur l'Europe. Il veut absolument… Je rappelle qu'il y a une élection présidentielle aux Etats-Unis bientôt. Il veut absolument exporter vers l'Europe ses poulets chlorés et son boeuf aux hormones. Que répondez-vous ce matin au nom de l'Union européenne ? De la France d'abord et même au nom de l'Union européenne.
AMELIE DE MONTCHALIN
Je réponds qu'il n'y a pas de mandat pour négocier cela. Les Européens sont d'accord entre eux pour dire que nous ne voulons pas discuter de sujets agricoles avec les Etats-Unis. Nous avons pris cette décision ensemble au printemps dernier. Nous l'avons prise parce que nous savons que nous n'avons rien à gagner. Nous n'avons rien à importer des Etats-Unis qui corresponde à nos normes, à ce que les citoyens attendent, à ce que nos agriculteurs attendent. Donc nous ne négocierons pas sur les sujets agricoles avec les Etats-Unis. Ce n'est pas juste moi qui le dit, c'est un consensus européen.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais. C'est pour ça que je vous parle de l'Europe. Mais Amélie de MONTCHALIN, d'accord, mais TRUMP va dire : "Dans ces conditions, moi je vais taxer les voitures européennes qui viennent aux Etats-Unis. Je vais taxer les vins français, etc etc "
AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, moi j'ai une boussole C'est qu'on ne sacrifiera ni dans le cadre du Brexit - on va y revenir - ni dans le cadre de n'importe quel accord commercial deux choses essentielles : la sécurité alimentaire, les intérêts agricoles, nos producteurs et le climat. Sur ces deux points, on a une ligne rouge absolue. Parce qu'on ne veut pas, nous, avoir des citoyens qui nous demandent des garanties alimentaires, des garanties de norme. On ne peut pas imposer à nos agriculteurs ces normes-là et ensuite ouvrir grand les portes à des produits qui ne les respectent pas. Donc ça concerne tout ce qui a trait à l'agriculture et ça a trait à tout ce qui concerne le climat. C'est pour ça qu'on a toujours dit, et on le redira, que nous ne signerons pas des accords commerciaux avec des pays qui ne respectent par l'accord de Paris. Ce n'est pas parce qu'on a des grandes idéologies et des concepts. C'est parce qu'on demande à nos entreprises, et nos citoyens nous le demandent d'ailleurs, que nous fassions mieux sur le climat. Et donc, on n'importe pas des choses d'un pays qui ne respecte pas ces accords.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Amélie de MONTCHALIN, est-ce que les Britanniques qui vont être seuls et indépendants de l'Union européenne vont être obligés, eux, d'importer les poulets chlorés américains ou le boeuf aux hormones venus des Etats-Unis ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Là, on est au coeur de ce qui se passe à la fin de la semaine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Voilà.
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est qu'effectivement les Britanniques quittent les institutions européennes. Il n'y a plus de ministres aux réunions de ministres, il n'y a plus de députés au Parlement européen, il n'y a plus de commissaires britanniques, mais surtout ils sont seuls. Et donc le jour Boris JOHNSON nous dit : "Je veux un accord commercial avec les Etats-Unis", on ne sera plus à ses côtés pour le protéger par exemple sur les sujets agricoles. Et donc c'est là où il faut dire la vérité. Il va y avoir des grandes festivités, on comprend que Boris JOHNSON organise des grandes choses pour vendredi soir. Il faut quand même se souvenir que derrière tout ça, c'est un pays qui n'a plus les cinq cents millions d'Européens pour pouvoir peser dans la négociation. C'est un pays qui se retrouve seul. Après dans le Brexit, il y a des choses qu'il faut qu'on dise clairement aux Français. Parce qu'on peut parler des Britanniques mais il faut parler des Français.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que le Brexit, je rappelle justement, le Brexit sera effectif vendredi à minuit heure de Paris, 23 heures heure de Londres. Aujourd'hui le Parlement européen doit voter pour ratifier le traité de retrait. Suivra une période de transition de onze mois jusqu'au 31 décembre 2020 pendant laquelle le Royaume-Uni continuera d'appliquer les règles européennes.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que vous dites, c'est qu'on est au coeur de ce qu'on a cherché à faire depuis trois ans. Qu'est-ce qu'on a cherché à faire ? On a cherché à protéger les intérêts des Français et des Européens. Ça veut dire qu'on a cherché, et c'est ce qui se passe, d'abord une sortie ordonnée. Qu'il n'y ait pas un No Deal comme on disait, qu'il n'y ait pas un effet d'un seul coup où on passe de tout à rien, et donc il y a deux choses qui se passent. C'est que par exemple les Français qui habitent au Royaume-Uni, on a protégé leurs droits. Ils peuvent continuer à vivre, à travailler, et donc les choses se passent graduellement. Maintenant, aujourd'hui, on a une exigence : c'est qu'il nous faut des garanties très fortes, pour que pour les pêcheurs, pour les agriculteurs, pour les citoyens, pour les entreprises, nous ne rentrions pas après ces 11 mois, dans une guerre commerciale ou dans une situation où on a un paradis fiscal, un paradis social, ou un pays qui veut importer des choses, sans respecter – j'y reviens – nos normes environnementales, sociales, agricoles. Et donc, avec le négociateur Michel BARNIER, tout notre travail dans les mois qui viennent, c'est de créer les conditions pour que dans nos assiettes, n'arrivent pas des choses qui ne correspondent pas à nos normes, que nos agriculteurs puissent continuer à exporter vers le Royaume-Uni, sans casser les prix, et que pour les pêcheurs, eh bien ils continuent à pouvoir pêcher dans les eaux britanniques. C'est essentiel. C'est essentiel parce qu'aujourd'hui 40%, 50% de ce qu'ils pêchent, eh bien les poisons ils sont au Nord de la frontière, et les poissons ils s'en fichent un peu de savoir où est la frontière. Donc il faut qu'on puisse continuer à pêcher.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais bien sûr.
AMELIE DE MONTCHALIN
Donc, qu'est-ce qu'on fait, nous, avec le gouvernement ? Michel BARNIER vient à Paris voir le président vendredi, moi lundi matin je suis à Bruxelles pour négocier, pour rappeler les préoccupations de tous nos secteurs. Et donc, Michel BARNIER, on va bien sûr négocier avec lui, à ses côtés, mais on va aussi rappeler les choses qui sont importantes pour nous. Mardi matin, je suis à Port-en-Bessin, parce que les pêcheurs c'est les acteurs économiques les plus directement impactés par le Brexit, et donc ce qu'il faut avoir en tête, c'est que oui, pendant 11 mois les Britanniques continuent de respecter nos normes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce sera la stratégie du gouvernement français, que vous allez exposer tout à l'heure en Conseil des ministres.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc je suis en train de vous l'exposer, là, on l'exposera en Conseil des ministres. Pourquoi ? Parce que pendant 11 mois on a une garantie, c'est que les Britanniques respectent les normes européennes. Mais, ce que je peux vous dire, c'est que nous, on ne signera pas, voyez, le 31 décembre à 23h00, sous prétexte que c'est le 31 décembre à 23h00, on ne signera un accord, que si on a des garanties. Si cette période de transition doit durer 6 mois de plus, 12 mois de plus, ça nous va très bien. Parce qu'on n'a pas, vous voyez, à sacrifier le fait d'avoir un accord à tout prix, sur le fait d'avoir des garanties. On part avec ce système pour 20 ans, pour 30 ans. Vous imaginez bien que dans 20 ans ou 30 ans, il ne faudra pas qu'on se dise : ah ben on regrette parce que ce jour-là, sous la pression, on a signé un mauvais accord. Pour les pêcheurs, pour les agriculteurs, c'est essentiel.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et puis, je pense aussi, et j'avais un reportage dans le journal tout à l'heure, aux Anglais qui habitent en France. Que vont-ils devenir ces Britanniques qui habitent en France ?
AMELIE DE MONTCHALIN
On a beaucoup travaillé pour qu'on protège les droits des citoyens. On ne joue pas avec les citoyens. Les Britanniques qui sont aujourd'hui en France, peuvent continuer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Installés depuis de nombreuses années !
AMELIE DE MONTCHALIN
Ils peuvent continuer à travailler, ils peuvent continuer... ils ont des droits sociaux garantis, ils peuvent continuer à vivre chez nous, ils vont avoir des permis de séjour temporaires... permanents, pas temporaires, justement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il n'y a qu'à les naturaliser, ceux qui veulent.
AMELIE DE MONTCHALIN
S'ils le souhaitent, bien sûr qu'ils peuvent le demander.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Assouplissons les critères de naturalisation pour eux.
AMELIE DE MONTCHALIN
Tous ceux qui veulent être naturalisés ont commencé des démarches ou le feront, et bien sûr qu'on regardera leurs dossiers, tout-à-fait, je veux dire, avec bienveillance. C'est un choix. On ne demande aux Britanniques qui sont en France, de devenir Français.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, je suis d'accord.
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais s'ils le souhaitent, ils peuvent le faire. Il y a juste un point, et je tiens à être clair avec vous, c'est sur les municipales, puisqu'ils ne sont plus citoyens européens, ils ne peuvent ni voter, comme c'était le cas avant, ni se présenter, et donc là c'est une conséquence, voyez, des conséquences politiques du Brexit. Mais, sur tout le reste, on a bien sûr cherché à préserver. Vous savez, il y a eu un point notamment de discussions à l'Assemblée, qui était sur les fonctionnaires. Il y a beaucoup Britanniques qui sont par exemple professeur, professeur d'anglais, on va leur laisser la possibilité de continuer à enseigner à nos enfants. Donc voyez, on a travaillé à tout ça. Ça c'est parce qu'on a, pendant 3 ans, cherché à ce qu'il n'y ait pas de no deal, a cherché à faire les choses de manière ordonnée, mais maintenant, la discussion elle est autre, elle est : comment, pour la relation future, on crée de la loyauté, on crée de l'équilibre et on crée une manière d'avoir une concurrence où on se respecte. Je crois que les enjeux sont clairs et les agriculteurs, les pêcheurs, les chefs d'entreprise, ils voient très bien que le but ce n'est pas d'avoir en face de nous, à 50 km, un concurrent déloyal. Ce n'est pas comme ça qu'on a vécu pendant 40 ans et il n'y a pas de raison que ça change.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Amélie de MONTCHALIN d'être venue nous voir.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 janvier 2020