Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
Bonjour Franck RIESTER.
FRANCK RIESTER
Bonjour à vous.
MATTHIEU BELLIARD
Merci d'être en direct avec nous sur Europe 1 ce matin. On va reparler dans un instant du Festival de la Bande dessinée d'Angoulême, mais d'abord, 12 nominations pour « J'accuse », de Roman POLANSKI aux Césars. La cérémonie, c'est le 28 février prochain. Quelle a été votre première réaction en apprenant ce choix, ce vote, malgré les accusations et les polémiques ?
FRANCK RIESTER
Ecoutez, je veux dire qu'il est toujours important de redire que ce combat contre les agressions et les violences faites aux femmes, les agressions sexuelles et sexistes, est un combat de tous les moments, et qu'il y a beaucoup de choses qui ont été faites, mais qu'il doit rester beaucoup beaucoup de choses à faire. Vous savez, je suis, en tant que ministre de la Culture, évidemment, garant de la liberté de création. On ne doit pas confondre l'artiste et son oeuvre, c'est-à-dire que je m'oppose à toute forme de censure, à tout boycott d'oeuvres, et d'ailleurs j'ai condamné à l'époque le fait que certains ou certaines bloquaient les cinémas, pour que les spectateurs ne voient pas le film. Pour autant, ça veut dire aussi que ce n'est pas parce qu'on est un artiste, parce qu'on a du talent, que c'est une garantie d'impunité, et que la justice ne doit pas passer, et que les paroles des victimes ne doivent pas être entendues, et que derrière, cette parole ne soit pas vaine. En l'occurrence, la difficulté avec ce film, avec ce qui s'est passé avec les Césars, c'est qu'il s'agit à la fois de récompenser la qualité artistique des oeuvres, mais aussi de valoriser l'artiste. Et donc c'est là toute la difficulté de celles et ceux qui votent aux Césars, ils sont plus de 4 300 professionnels, c'est de faire la part des choses dans leur soi, je dirais, en leur intime conviction…
MATTHIEU BELLIARD
Mais vous, pardonnez-moi, on va venir sur le cinéma, mais vous, Franck RIESTER, vous serez évidemment dans l'assistance. Si Roman POLANSKI est primé, vous l'applaudissez ?
FRANCK RIESTER
Ecoutez, on n'en est pas là. Simplement, moi je…
MATTHIEU BELLIARD
On en est un peu là quand même.
FRANCK RIESTER
Non. Il a été... son film a été nommé dans différentes catégories, et on n'en est pas là pour le moment. Le moment, il est qu'il faut rappeler les (mauvaise liaison téléphonique) ... il faut rappeler les principes, j'en ai rappelé un certain nombre, et là c'est aux professionnels, dans leur intime conviction, de faire le choix, qui prend en compte évidemment d'abord et avant tout les questions artistiques, mais qui ne peut pas faire abstraction aussi de la dimension, du message que ça envoie. Et ce message est pour les victimes, ça a été dit d'ailleurs sur votre antenne encore tout à l'heure, un message qui est pur, parce que moi ce que je note, c'est que nous devons toujours collectivement avoir plus d'attention pour la parole des victimes, que de celles et ceux qui parfois ont été condamnés, parfois ont eu des comportements qui sont inacceptables.
MATTHIEU BELLIARD
Votre collègue au gouvernement, Marlène SCHIAPPA, s'est exprimée hier, manifestement le cinéma français n'a pas terminé sa révolution. Et pour tout vous dire, Franck RIESTER on a quand même passé quelques coups de fil hier, personne ne se mouille dans le cinéma, le mot ce matin finalement c'est presque : omerta, silence radio. La libération de la parole ce n'est pas encore ça.
FRANCK RIESTER
Ecoutez, si, beaucoup de choses ont été faites, mais il y a encore beaucoup à faire, c'est vrai, c'est pour ça qu'on est mobilisé, c'est pour ça qu'on a mis en place par exemple au niveau du gouvernement, un certain nombre de dispositifs pour s'assurer que dans, par exemple les tournages de films, il y ait bien des référents qui permettent de lutter contre les agressions sexuelles et sexistes, des gens qui puissent écouter les victimes, et que par exemple un certain nombre d'accompagnements financiers pour des tournages, tiennent compte de la parité entre les femmes et les hommes dans les équipes. Donc oui, il y a encore beaucoup à faire, oui, il faut accompagner la parole des victimes, c'est pour ça que j'ai pris la parole fortement devant le Centre national du cinéma, et de nombreux responsables du cinéma, qui étaient présents, pour dire que la parole, par exemple d'Adèle HAENEL ou de madame MONNIER, étaient des paroles qu'il fallait entendre, qu'il fallait respecter, et qu'il fallait que ces paroles ne soient pas vaines. C'est pour ça que je vous dis, que lors du vote, les professionnels du cinéma devront, en leur âme et conscience, bien mesurer, évidemment la dimension artistique, et le choix qu'ils auront à conduire, mais aussi du message qu'ils enverront à toutes les victimes, et plus largement la société.
MATTHIEU BELLIARD
Pour que ces prises de parole ne soient pas vaines, parce qu'en l'état on se demande à quoi elles ont servi, c'est bien cela Franck RIESTER ?
FRANCK RIESTER
Non, mais écoutez, la parole elle sert, vous voyez bien que le ... bouge, vous voyez bien que vous en parlez, dans les médias, bien plus qu'à une époque. Vous voyez que ce qui a pu se passer avec Gabriel MATZNEFF aussi, et la prise de parole de Vanessa SPRINGORA dans son livre « Le Consentement », ça a fait bouger les choses, mais ... parce qu'évidemment c'est des sujets difficiles, et qui se font écho dans la société. Vous savez, quand j'ai eu l'occasion de rencontrer des Françaises et des Français dans mes déplacements, beaucoup viennent me voir en disant : « Merci d'avoir soutenu la parole des victimes, parce que vous savez, moi je suis moi-même une victime, moi-même j'ai été agressée, moi-même j'ai été harcelée » et c'est un fléau qui doit nous mobiliser tous, que ce soit les responsables politiques, que ce soit chaque citoyen dans sa société, dans son association, mais aussi les artistes, bien évidemment.
MATTHIEU BELLIARD
Vous avez évoqué Gabriel MATZNEFF, un mot simplement Franck RIESTER, vous aviez demandé à ce que l'allocation qu'il perçoit, l'allocation annuelle aux auteurs, décernée par le Centre national du livre, à ce que cette allocation lui soit retirée. On en est où ?
FRANCK RIESTER
Ecoutez, c'est une décision qui est prise pour les 14 auteurs qui bénéficient de cette prime pour le rayonnement artistique de leur oeuvre et de leur contribution au rayonnement artistique du pays. C'est une décision qui est prise chaque année, l'été, donc ça sera pris cet été, mais j'ai demandé deux choses, un, estimant qu'il y ait une commission spécifique soit créée, alors que jusqu'à présent les décisions étaient arbitraires, si je puis dire, en tout cas discrétionnaires. Et deuxièmement, que soit pris en compte, de façon très claire, le cas de monsieur MATZNEFF, s'il devait solliciter à nouveau une prime, et qu'il me paraissait compliqué de continuer à donner cet accompagnement financier pour le rayonnement culturel et artistique ... étant donné qu'il se ... chantre, à la fois dans ses journaux et dans les différentes interviews auxquelles il a pu participer, ou répondre, est le chantre de la pédocriminalité.
MATTHIEU BELLIARD
Franck RIESTER, vous arrivez dans la matinée au Festival d'Angoulême. Le président de la République va visiter aussi cette fête de la Bande dessinée, fête internationale. J'étais à 06h40 avec le Grand Prix du Festival, Emmanuel GUIBERT, nous avons évoqué le fait qu'une large partie des auteurs de Bandes dessinées n'arrivent pas à vivre de leur métier. Qu'allez-vous leur répondre aujourd'hui ?
FRANCK RIESTER
C'est vrai, c'est une profession qui est évidemment très précarisée, avec des revenus pour beaucoup très faibles. C'est la raison pour laquelle j'ai pris la décision de confier lors du dernier Livre Paris en 2019, une mission à Bruno RACINE, qui m'a remis son rapport, là, le 22 janvier, sur les artistes, auteurs en général, les artistes de BD bien sûr, mais tous les artistes auteurs, les plasticiens, les scénaristes, enfin bref, tous les artistes auteurs, et qui fait un certain nombre de propositions tout à fait pertinentes, et ces propositions j'aurais l'occasion de les ... tout début février, puisque nous allons prendre un certain nombre de décisions pour mettre en oeuvre ce rapport, pour que les artistes auteurs soient mieux représentés. Aujourd'hui, leur représentation est très diverse, très éparse, ce qui fait qu'ils ne peuvent pas peser dans les négociations avec les autres acteurs de la filière du livre. Il faut faire en sorte que leur protection sociale soit mieux organisée, mieux suivie. Aujourd'hui ils sont face au mur administratif qui est dans bien des cas, une vraie problématique, étant donné la faiblesse de leurs revenus. Il y a la nécessité que des aides publiques à la création aillent davantage vers des auteurs, qu'elles soient dispersées entre les producteurs, les productions et les autres acteurs de la chaîne du livre. Bref, un plan d'action très fort pour les artistes auteurs en général et tout particulièrement pour les artistes de bande dessinée, c'est ce qu'on va dire avec le président de la République tout à l'heure.
MATTHIEU BELLIARD
Et ce sera développé, détaillé début février, c'est bien cela Franck RIESTER ?
FRANCK RIESTER
Début février, mais j'ajoute que cette année, c'est une année toute particulière pour faire ce type d'annonce, puisque nous avons choisi de faire de 2020 l'année de la BD. Ça va commencer donc avec le 47ème Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, et ça va se continuer toute l'année, partout en France, partout en métropole et en Outre-mer, dans les entreprises, dans les lieux publics, dans l'école, bref de faire de ce 9ème art, une grande fête, parce que la France et les Français aiment la BD.
MATTHIEU BELLIARD
Clairement, clairement, 8 millions de Français qui achètent au moins 2 BD dans l'année, qui en lisent régulièrement, et cette problématique avec un auteur de Bandes dessinées qui vit sous le SMIC, qui n'arrive pas à vivre de son activité. Franck RIESTER, ministre de la Culture, merci beaucoup d'avoir évoqué ces sujets avec nous ce matin en direct sur Europe 1, avant de partir pour Angoulême, précisément.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 février 2020